Chapitre 31 : Oriana - Salinité

Oriana perçut un bruit dans la chambre. Elle ouvrit péniblement les yeux pour découvrir Fred qui changeait la poche de sérum nourrissant.

- Tu es réveillée, constata-t-il. Comment te sens-tu ?

- Épuisée, répondit Oriana.

- Pendant que tu dors, nous cherchons un moyen de te sustenter encore davantage. Toutes nos équipes travaillent dessus. Ne t’inquiète pas. Nous trouverons.

- Restez, s’il vous plaît. J’ai peur toute seule, pleura Oriana.

Fred fit le tour du lit pour se placer à sa droite, lui prit tendrement la main et lui sourit.

- Si tu veux.

Oriana se rendormit, rassurée. Elle avait tellement de peur de se réveiller seule, de ne pas pouvoir appeler, de se sentir mourir et d’être abandonnée.

Elle ne compta plus les réveils. Fred se trouvait toujours là. Partait-il pendant qu’elle dormait ? Elle l’ignorait. Toujours était-il qu’il était fidèle au poste. Lorsqu’elle ouvrait les yeux, il relevait le dossier du lit et l’obligeait à avaler des cuillères d’une gélatine transparente au goût très sucré. Oriana trouvait cela très bon mais n’avait généralement pas la force d’en avaler plus que deux.

Parfois, elle avait l’excellente surprise au réveil de trouver Baptiste. Avec lui, elle trouvait l’énergie d’en avaler quatre avant de sombrer, totalement épuisée, dans un sommeil sans rêve, lourd et puissant.

Elle s’éveilla pour se trouver bien. Fred, assis sur le siège près d’elle, naviguait sur une tablette. Il la regarda et lui sourit.

- Ça va mieux on dirait, fit-il remarquer.

Oriana se tourna vers la poche. Son contenu était rouge et plus transparent.

- Vous me transfusez du sang ? demanda-t-elle.

- Pas exactement, non, mais ça s’en rapproche. Il y a de l’hémoglobine de synthèse dedans. Tu hyperventiles beaucoup. C’est principalement d’oxygène dont tu manques. Tout ton corps s’éteint à cause de cela. On augmentait les doses de nutriments alors que c’était l’oxygénation sur laquelle il fallait jouer.

- C’est étrange, dit Oriana.

- Quoi donc ?

- J’ai envie d’un bain, indiqua-t-elle. Je voudrais être dans l’eau.

Fred sourit énigmatiquement avant de répondre :

- Moi, ça ne me surprend pas.

- Je ne crois pas être capable de me lever, précisa-t-elle.

- Je vais te porter, dit-il en s’avançant.

Oriana se laissa soulever. Il ne sembla pas avoir la moindre difficulté à la soutenir. Il était aussi fort qu’un démon. Sachant qu’il n’appréciait pas la comparaison, elle se garda bien de le lui dire et profita simplement du transport agréable. La perfusion suivait tranquillement. Dans ce monde étrange, plus rien ne surprenait Oriana.

Fred la déposa dans une grande baignoire sans prendre la peine de lui retirer ses vêtements. Il passa deux sangles au dessus et en dessous de ses seins.

- Comme ça, tu pourras dormir sans risque de noyade, indiqua-t-il. Pour les retirer, appuie simplement sur ce bouton. Le but n’est pas de t’immobiliser contre ton gré mais bien de te sécuriser.

Oriana hocha la tête. Elle voulut le remercier mais quelque chose n’allait pas.

- La température ne convient pas ? demanda Fred.

Non, l’eau était tout juste chaude, idéale.

- Il te veut entièrement dans l’eau ? Avec un masque respiratoire ?

- Il ? répéta Oriana.

- C’est le bébé qui parle, précisa Fred. Il… oh ! Je crois savoir ce qui ne va pas ! Attends, parce que ça va être coton à réaliser ! Cette baignoire n’est pas prévue pour. Je vais appeler les techniciens.

Pendant plusieurs minutes, des hommes et des femmes en blouse bleue – qu’Oriana voyait pour la première fois – s’afférèrent autour de la baignoire, discutant dans une langue slave, enlevant des modules électroniques, en mettant d’autre à la place, s’énervant, grondant, râlant ou souriant, riant et se tapant gentiment dans le dos. Ils semblaient très bien s’entendre.

- On va avoir besoin de toi, annonça l’un d’eux en se tournant finalement vers Oriana. Tu nous dis à quel moment c’est bien.

- D’accord, répondit Oriana sans trop comprendre.

L’eau ne changea ni de température, ni d’odeur, ni de couleur, ni de texture et pourtant, en effet, elle ressentit un mieux.

- C’est pas mal, dit-elle. C’est encore mieux. Oui, c’est bien. Non, ça ne va pas.

À force de les guider, ils trouvèrent le réglage exact puis partirent. Seul Fred resta.

- Ne bois pas l’eau de la baignoire, lui dit Fred.

- Il y a quoi dedans ? demanda Oriana, inquiète.

- Du sel, répondit Fred. BX1 veut de l’eau salée. Oh mais ! C’est ça ! Il veut du sel ! Il y en a extrêmement peu dans la nourriture à la Clinique. Cet élément manque cruellement dans les poches que nous te fournissons. C’est peut-être ça le dernier élément pour que tu reprennes enfin des forces.

Une femme en blouse blanche entra et tendit à Fred une poche transparente.

- Pas d’hémoglobine artificielle ? s’étonna-t-il.

- On teste et on voit, indiqua la femme. On essayera plusieurs sérums. Oriana, n’hésite pas à les noter en fonction de ton ressenti. On ajustera en fonction.

- D’accord, répondit Oriana qui fut heureuse de se sentir impliquée et écoutée.

La nouvelle poche remplaça la précédente.

- J’ai très envie de faire pipi, indiqua Oriana que l’eau chaude engourdissait.

- Tu peux uriner dans l’eau. Elle est nettoyée, filtrée et réchauffée en permanence.

Oriana se soulagea avec bonheur. Elle se sentit lourde.

- Dors. Je reste près de toi, promit Fred.

Oriana rejoignit de nouveau le monde noir et vide de ce sommeil prenant. À son réveil, elle se sentait mieux. Aucun problème de vue ou d’audition. L’odeur de l’eau salée lui parvint, une odeur d’océan. Avaient-ils rajouté de l’iode ?

- C’est agréable de te voir sourire.

- Baptiste ! lança-t-elle gaiement.

- Ça semble fonctionner.

Oriana hocha la tête. Elle se sentait bien, prête à reprendre sa vie en main.

- Je voudrais sortir de la baignoire, indiqua Oriana.

- Sans que j’en profite ? Hors de question, dit-il avant de rentrer dans la baignoire.

Elle ne déborda pas. Tout ici réagissait à la perfection aux perturbations. Les machines de ce complexe étaient décidément très bien programmées. Baptiste retira sa culotte à Oriana. Il adorait le faire.

Elle avait voulu la retirer elle-même une fois, alors qu’il était venu lui proposer de baiser en plein déjeuner à l’intérieur du restaurant bondé. Elle l’avait suivi sous le regard rieur des pensionnaires et avait tenté de retirer le bout de tissu dès que les environs furent intimes. Il l’en avait empêché.

- J’adore la retirer moi-même, avait-il précisé.

- Mais vous ne me la rendez pas ensuite ! avait-elle accusé.

- C’est parce que j’adore te savoir le sexe à l’air pour le reste de la journée, de savoir que mon sperme va dégouliner le long de tes jambes et que tu ne pourras rien y faire.

- Je peux ne pas en mettre du tout, si vous préférez ! avait précisé Oriana.

- Garde t’en bien ! J’adore ma collection de petites culottes.

- Vous les conservez !

- Évidemment ! avait-il répliqué.

Depuis, elle les choisissait avec soin chaque matin et se trouvait fort triste de l’avoir toujours le soir car cela signifiait que Baptiste n’avait pas trouvé de temps à lui consacrer.

À cause de son état de fatigue, cela faisait des jours que Baptiste n’avait pas proposé de relation sexuelle. Oriana en crevait d’envie. Le regain d’énergie lui faisait pousser des ailes.

Elle dirigea sa main vers le bouton libérant les sangles mais Baptiste s’interposa.

- Tu veux bien rester attachée ?

Oriana lui lança un regard amusé.

- Soit, dit-elle en retirant sa main.

- Merci, ma belle.

Elle le caressa de ses mains tandis qu’il la pénétrait dans l’eau. Il restait trop loin pour qu’elle puisse l’embrasser et les sangles l’empêchaient de l’approcher. Il malaxait ses seins tout en la pilonnant. Le sentir aussi profondément la fit décoller. Son clitoris fut soudain titillé, caressé, effleuré. Le doigt tournoya, tritura, pinça, suça ?

Oriana ne comprenait pas ce qui se passait. Il la pénétrait de son sexe et ses mains malaxaient ses seins. Ils étaient seuls dans la pièce alors qu’est-ce qui s’occupait aussi divinement de son clitoris ? Elle décida de ne pas chercher à comprendre et de simplement profiter. Elle se laissa aller et reçut trop d’orgasmes pour compter.

- Je crois que tu vas mieux, en effet, en conclut Baptiste qui sortait de l’eau. Nous avons enfin trouvé le bon compromis. Ceci dit, tu ne peux pas vivre tout le temps sous perfusion. Certes, tu es capable de changer les poches toi-même et de remettre la perf en place si elle bouge, mais cela reste inconfortable. Nous essayons de trouver une autre solution. Mes équipes sont dessus.

- Je vous remercie, dit Oriana.

- Maintenant que BX1 a du sel, je pense que tu dois pouvoir sortir de l’eau. N’hésite pas à prendre des bains ou à te rendre à la piscine. Par contre, je retire les trois heures d’activités sportives obligatoires par jour. Au contraire, repose-toi. Je ne t’interdis pas de bouger non plus. Fais juste en fonction de tes capacités.

- D’accord.

- Pardonne-moi d’avoir douté de toi, finit-il sur un ton très doux en lui caressant la joue. Tu prends bien soin de toi et du bébé. Continue. Je suis très satisfait.

Oriana sourit. Il l’aida à sortir de la baignoire et à se rendre dans la salle de bain pour une douche rapide lui permettant d’éliminer le sel sur sa peau. Il la sécha. Non pas qu’elle n’en eut pas la force. Il en avait juste envie. Il lui tendit une robe sèche mais pas de culotte. Elle ne demanda rien. Elle connaissait ses préférences.

- Baptiste ? lança-t-elle.

- Hum ? répondit-il.

- C’est vrai que vous êtes homosexuel ?

Baptiste fronça les sourcils.

- Qui t’a dit ça ?

- Des membres de votre personnel l’ont sous entendu, indiqua Oriana.

- Ils feraient mieux de se taire, gronda-t-il.

Il y eut un petit silence puis Oriana insista :

- Du coup, c’est vrai ?

- Oui, répondit Baptiste. J’ai mis du temps à l’accepter mais oui.

Oriana lui caressa doucement le cou.

- Vous aurais-je réconcilié avec le genre féminin ?

Il sourit puis indiqua :

- C’est différent. Je trouve très agréable d’avoir une bite dans le cul.

- Je ne vous contredirai pas là dessus.

- Je prends note, indiqua Baptiste tout sourire. Ceci dit non, Oriana, tu ne m’as pas réconcilié avec le genre féminin. Ce n’est pas le genre féminin que j’aime baiser mais toi.

Oriana en fut soufflée. Il parlait bien de sentiments, là ? Ou alors comprenait-elle mal ? Baptiste s’éloigna sans un mot supplémentaire. Oriana rejoignit la salle à manger – car son estomac vide la lançait – plongée dans une intense réflexion.

Où était passée son envie de s’enfuir ? Envolée ! Il avait réussi, comprit-elle. Il se jouait d’elle. Il couchait avec elle uniquement pour lui donner envie de rester. Il la couvrait de bonheur dans cet enfer déguisé en paradis. Il avait senti son besoin sexuel et l’avait comblé, uniquement pour l’endormir. Face à ce géant, sa volonté vacillait.

Tout en mangeant, Oriana comprit qu’elle était en train de se faire avoir. Ils ne prenaient pas soin d’elle, mais du BX1. Tout tournait autour de lui. Elle était l’incubateur dont il fallait prendre soin mais le but final était bien ce bébé, pas elle. Ils la satisfaisaient uniquement pour s’assurer sa coopération. Si elle prenait elle-même soin d’elle, cela leur faisait du travail en moins. Plus elle collaborait, plus elle entrait dans leur jeu.

Oriana en fut maintenant certaine : rien n’était vrai. Tout n’était que mensonge. Elle se sentit stupide, manipulée et idiote. Ils gagnaient. Elle perdait. La prison s’enrobait de coton, de guimauve. Elle suivait le chant des sirènes jusqu’au fond de l’eau où elles la noieraient. Il fallait qu’elle s’en aille et vite. Sinon, elle sombrerait.

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