Chapitre 31 : Un chemin vers la liberté

Devant la porte de prison, l’amazone que j’avais assommée n’est plus. Seule reste une mare de sang. Je déglutis à grand-peine et lance un regard interrogateur.  

— Elle s’était réveillée et allait donner l’alarme, répond la femme araignée.  

Notre ascension est des plus pénible. Nos blessures sont profondes et dans les escaliers nous essayons de faire rapidement des bandages avec mon chiton en lambeau pour empêcher le saignement des plus importantes.  

Nous retrouvons la servante endormie. Cette fois, j’interdis à la jeune femme maudite de l’achever. Au contraire, je lui demande de la remonter avec nous à la surface. Les flammes crépitent derrière nous. Arachné peste, mais s’exécute.   

Médusa, comme une enfant, reste accrochée à mon chiton. Arrivée en haut des marches, je leur explique mon plan.  

—  Les amazones sont encore endormies, nous sortirons par l’entrée principale après le grand arbre et un quadrige nous attendra.  

— Tu appelles ça un plan ? ricane Arachné   

J’ouvre la porte avec prudence. La nuit est tombée. La fraîcheur nous enveloppe et efface l’odeur de mort qui empestait dans les cellules. Médusa hume l’air doucement et sourit. Nous déposons le corps inerte de la dénommée Callie. Le silence dans la cour me paraît anormal, mais il n’y a pas une minute à perdre. Nous avançons entre les larges colonnes. Épuisées et blessées, nous sommes lentes à nous mouvoir.  

Soudain, Arachné se fige. Ses yeux ne peuvent se détacher d’un mur où sont accrochées deux grandes tapisseries. L’une représente le duel opposant Athéna et Poséidon pour la possession de la ville d’Athènes. L’autre draperie est déchirée. Elle symbolise les dieux de l’Olympe. À y regarder de plus près, il ne s’agissait pas de tous les dieux, mais d’un seul : Zeus. Le roi des cieux abusant sous diverses formes des mortelles sur qui il avait jeté son dévolu. La qualité du travail était impressionnante. Jamais je n’avais vu pareille couleur ou texture. Elle est bouleversée. Je pose une main sur son épaule.  

— Que se passe-t-il ? je chuchote.  

— C’est avec cette tapisserie que la déesse m’a maudite, explique-t-elle d’une voix blanche.  

C’est donc pour cela qu’Arachné avait été condamné ! Pour avoir réalisé une œuvre surpassant le pouvoir de la déesse et surtout dénoncé les agissements du dieu de la foudre ! Quelle audace d’avoir ainsi défié l’autorité des divinités régissant ce monde ! J’imagine qu’Athéna l’expose ici tel un trophée pour rappeler la suprématie absolue des Olympiens. Je suis sincèrement admirative de l’art d’Arachné et de son courage.   

Je n’ai pas le temps de répondre qu’un terrible bruit de craquement retentit derrière, nous faisant toutes sursauter. Aussitôt nous recherchons l’obscurité pour nous cacher. L’incendie se propage et la structure du bâtiment s’affaisse avec fracas. Le regard d’Arachné luit. Elle jubile devant les flammes, détruisant ce lieu de cauchemar. Je partage ce sentiment de satisfaction, cependant je commence à croire qu’il s’agissait d’une mauvaise idée.  

En effet, l’odeur de bois brûlé envahit la cour. Des cris d’effroi retentissent. Ma respiration s’accélère et l’angoisse se diffuse. La maisonnée se réveille sous les appels terrifiés de Callie. Une immense tapisserie de la déesse de la sagesse s’illumine sous les flammes et propage un peu plus l’incendie.  

Médusa s’accroche fermement à ma main. Nous contournons les colonnes. L’ombre d’un escalier près d’une statue nous offre un moment de répit. Je détecte le couloir menant à l’entrée principale. Il se trouve à l’opposé. Comment traverser ces lieux sans nous faire repérer ? Arachné et Médusa sont trop affaiblis pour prendre plus de risques irréfléchis.   

Des amazones arrivent au pas de course et tentent à l’aide de seau d’eau de maitriser les flammes. Elles appellent des renforts, car à l’évidence l’incendie est trop important. Quatre guerrières surgissent du couloir que nous devons emprunter. C’est notre chance ! Mais comment traverser la cour sans se faire repérer ? Nous serons certainement trop lentes pour les contourner.   

J’analyse les alentours. Je dois trouver une ruse et vite ! Mon regard s’arrête sur les œuvres textiles d’Athéna et Arachné.  

Il me vient alors une terrible idée. Aussitôt la culpabilité m’envahit. Mon essence divine m’interdirait d’avoir pareille pensée cependant je n’ai pas d’autres choix si je veux évacuer mes compagnes.   

— Médusa ne bouge surtout pas d’ici et toi Arachné va me décrocher les tapisseries sans te faire prendre et dépose-les au pied de l’arbre.  

— C’est de la folie que comptes-tu faire ?  

— Continuer ton œuvre !  

J’enfile la kunée sacrément amochée et cours en direction de l’incendie. Elles sont plus d’une vingtaine à essayer d’éteindre le feu. Il n’y a pas plus destructeur qu’une maison s’embrasant de l’intérieur. Je le sais, car nous avions accueilli chez nous bon nombre de femmes qui avaient tout perdu dans les brasiers.  

Dans la panique personne n’aperçoit la femme araignée se fondant dans l’obscurité de la nuit et glissant le long des murs. De mon côté, j’attrape un morceau d’une boiserie pour la plonger dans les flammes. Ce que je m’apprête à faire me bouleverse. Je ne dois pas laisser les émotions me submerger.  

Je commence à volontairement brûler tout ce qui se trouve sur mon passage. Trop occupées par le grand incendie, les pauvres amazones ne remarquent pas mon action.  

Je me précipite vers le centre de la cour. Comme je le lui ai demandé, Arachné y dépose les tapisseries. Elle crache dessus en signe de dégout. Puis, elle retourne se mettre à l’abri avec Médusa.  

Toujours invisible j’accroche les pièces de textiles sur des branches. Je pose une main sur le tronc gigantesque de l’olivier sacré. Majestueux et intemporel, il est certainement le témoin de bien des choses aussi incroyables que cruelles.    

— Pardonne-moi pour la souffrance que je vais te causer, je murmure.  

Je ferme les yeux et jette la boiserie enflammée sur la tapisserie d’Athéna. Les fils de couleurs aussitôt s’embrasent. La sensation des regards des Olympiens, me trouble. Je n’ai pas peur de leur courroux. Les flammes lèchent les motifs et détruisent chaque représentation divine au visage accusateur.   

Je retourne auprès de mes compagnes et retire le casque.  

— Soyez prêtes, nous allons bientôt nous échapper, je murmure.  

Le feu grandit. Vient le tour de la tapisserie d’Arachné. Symbole de sa déchéance et de sa malédiction. Si tout le mal qu’elle a subi pouvait disparaitre ainsi. Les flammes se propagent et parcourent le tronc argenté. Elles le dévorent sans vergogne comme la colère profonde qui rongeait notre cœur. Les yeux de la femme araignée brillent de fierté. Un sourire presque carnassier se dessine sur les lèvres de la femme serpent.  

L’arbre légendaire d’Athéna s’embrase sous les cris affolés de ses guerrières. Une épaisse fumée noire se diffuse dans toute la cour intérieure. Elles ne sont pas assez nombreuses pour éteindre les deux incendies. S’il se rejoignent, j’espère qu’elles seront assez malignes pour s’échapper. C’est le chaos et il faut en profiter ! J’attrape avec fermeté la main de Médusa et nous nous élançons vers la sortie.   

Il est difficile de se repérer dans cette fumée. Mes yeux picotent et ma gorge s’irrite sous les émanations. Le feu crépite à nos oreilles et le craquement des branches est terrifiant. Soudain, l’une d’elles s’écrase avec fracas à quelques pas de nous. Quelqu’un crie au loin. Une autre branche enflammée effleure Arachné. Les étincelles virevoltent dans l’air et brûle la queue de serpent de Médusa.   

— Tenez bon, nous sommes proches de la porte, j’annonce aux jeunes femmes.  

Tout à coup, sorties de nulle part, cinq amazones se retrouvent face à nous. Surprises, mais pas effrayées, elles déploient leurs glaives. Malgré les flammes et la fumée, elles sont prêtes à passer à l’offensive.  

— Comment osez-vous misérables créatures ! s’exclame l’une d’elles.  

— Amazones, laissez-nous partir et il ne vous arrivera rien ! je déclare d’un ton impérieux.   

Épuisée et blessée, j’attrape tout de même un xiphos, parée au combat. Elles sont plus nombreuses, mais à l’instant où je remettrai la kunée j’aurai un ascendant sur elles.  

— On a plus le temps pour ça, Médusa, aide-nous ! s’écrie Arachné en retirant le bandeau de mon amie.  

La femme serpent cache son visage entre ses mains. Cependant, Arachné saisit ses poignets avec force et la supplie. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Mon amie finit par s’approcher et crie. Un son strident qui me glace le sang. Aussitôt, les guerrières s’arrêtent dans leur avancée et poussent des hurlements d’épouvante. Sous mes yeux ébahis, elles se transforment instantanément en statue ! Piégées dans la pierre, les amazones ne sont plus que des corps figés à jamais. L’expression de la peur sur leur visage est effroyable.  

Comment la si gentille Médusa pouvait-elle être dotée d’un pouvoir si abominable ? Athéna était d’une cruauté sans nom. Je comprends pourquoi elle ne me laissait pas lui retirer son bandeau.  

Soudain, entre deux volutes de fumée, j’aperçois le fameux couloir menant à la sortie ! Les corps noircis par la suie, nous jaillissons enfin du tumulte de l’incendie. Nous courrons à en perdre haleine. Mon cœur tambourine dans ma poitrine et je sens les doigts de Médusa serrer plus fort ma main. Le calvaire est fini, elles seront libres dans quelques pas !  

Les yeux embués de larmes, Arachné est la première à toucher le bois de la porte massive. À ma grande surprise, nous ne parvenons pas à l’ouvrir ! J’ai beau pousser de toute mes forces, il n’en est rien ! Mes mains tremblent. Ce n’est pas possible, pas maintenant que nous étions si proches du but ! Paniquée et à bout de nerfs je tambourine désespérément.   

Il doit bien y avoir un moyen de sortir ! Je calme ma frustration. Le mécanisme ouvrant la porte vient d’au-dessus. C’est pour cela que je suppose qu’elles étaient plusieurs amazones postées à cet endroit. Sur les murs se situent deux échelles menant à une plateforme de bois. J’ordonne à mes compagnes de rester et grimpe à l’une d’entre elles.  

De là où je me trouve, j’ai une vue surplombante sur l’immense brasier dans la cour du palais. L’incendie continue de tout emporter avec lui. Derrière moi, j’aperçois un treuil où une chaine épaisse est enroulée. C’est donc ce mécanisme qui permet d’actionner la porte.   

— Alors ? Tu as découvert quelque chose ? s’exclame Arachné, me provoquant un sursaut.  

— Que fais-tu ici ? Retourne avec Médusa ! je lui crie.  

Tout à coup, un bruit sourd retentit, telle une onde se propageant. Le sol tremble. Cette sensation, je ne la connais que trop bien. Une divinité vient de se poser ! Un frisson parcourt mon échine.   

Je m’avance vers l’ouverture et aperçois au milieu de la cour Pallas Athéna dans toute sa splendeur. Le souffle de son action a éteint une partie du brasier. Elle regarde autour d’elle et crie de rage. Sa fureur résonne à travers tout mon être.  

C’est de ma faute, j’en suis persuadée. À l’instant où ma colère a laissé jaillir mon pouvoir dans les geôles, elle a dû ressentir je ne sais comment ma présence.   

Il ne faut pas qu’elle vienne par ici !   

— Veille sur Médusa. Trouve Hermès et fuyez aussi vite que vous le pourrez ! j’explique en lui donnant mon anneau.  

— Où vas-tu maintenant ? demande Arachné, inquiète.  

— Vous faire gagner du temps !  

— Mais la porte est juste là !  

— Elle nous pourchassera aussitôt que nous l’aurons ouverte.  

— Sois prudente Perséphone, dit Arachné en me serrant dans ses bras.  

J’enfile à nouveau le casque du roi des Enfers.   

— Koré ? murmure Médusa en pensant devant elle.  

Je ne prends pas la peine de lui répondre. Si elle savait ce que je m’apprête à faire, elle insisterait pour m’attendre.   

Il fait une chaleur insoutenable à présent. Des pans entiers du palais se fracassent sous les flammes. Les murs de marbre noircissent. Les amazones ont réussi à éteindre une partie du feu. Hélas, l’incendie s’est propagé de l’autre côté à cause de l’arbre.  

La déesse de la sagesse regarde autour d’elle. Elle me parait plus grande et plus forte. Sa longue robe traine dans la cendre et son visage est déformé par l’inquiétude et la colère. Elle ne semble pas se préoccuper du palais en flamme. Lorsqu’elle aperçoit le groupe d’amazones figées, elle crie de plus belle.  

— Où te caches-tu, sale bête ! hurle-t-elle.   

J’avance d’un pas décidé et contourne mon ennemie. Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Simplement, je dois me montrer plus rusée pour faire gagner du temps aux filles.  

Seule la fumée émanant de l’arbre calciné nous sépare. En arrière-plan, l’incendie continue de se propager dans le palais. Je m’arrête à bonne distance de la divinité. Lorsque son attention se porte en direction de la porte principale, je retire mon casque.  

— Athéna ! je crie d’une voix forte.  

Ma nature divine étant à présent éteinte, elle ne peut ressentir ma présence. Elle se retourne avec la rapidité d’une chouette. À la fois surpris et choqué, son regard me juge des pieds à la tête. Je dois lui paraitre plus pathétique que jamais. Le chiton en lambeaux, blessée de partout, la peau noircie par la suie. Je souffle et espère calmer les battements rapides de mon cœur.  

Je ne dois pas laisser la peur s’installer en moi.   

— C’est donc toi la présence que j’ai sentie dans mon palais ! Comment oses-tu souiller ces lieux !   

— Ce palais est déjà souillé par la souffrance que tu y déverses ! je rétorque.  

— Tu n’avais aucun droit de libérer mes prisonnières.  

— Ce n’est pas de la sagesse dont tu devrais être la déesse, mais plutôt de la cruauté !  

Athéna rit. Tout à coup, la chouette Sofia fond sur moi. Elle griffe mon bras faisant voler la kunée hors de ma portée. Je serre les dents.  

— Où as-tu trouvé ce casque ?  

— Je suis pleine de ressources.  

— Il faut être dénué de toute intelligence pour avoir l’audace de venir ici. Je pensais que mon frère t’avait enseigné au moins cela.  

La confusion doit se lire sur mon visage, car un sourire mesquin se dessine sur ses lèvres. Comment peut-elle être au courant pour Hermès ?  

— Allons, dès l’instant où je t’ai vu Koré, j’ai pu respirer l’odeur de ce dévergondé sur toi. À présent, tu sens la mort et la peur, dit-elle avec un air de dégout.  

— Je n’ai pas peur de toi !   

Étrangement, je dis la vérité. Autant je m’inquiète pour mes compagnes, autant je refuse de craindre Athéna. Les battements de mon cœur sont calmes. J’ai rêvé tant de fois de me retrouver face à elle. Certes, j’aurais aimé être en pleine capacité de mes pouvoirs. Épuisée et blessée, je ne sais pas ce qu’il adviendra, cependant, je crois assez en moi pour lui tenir tête et faire diversion.  

— Pourtant, tu devrais. Quelle pitié que ta mère ne t’aies pas inculqué les fondements de notre monde et surtout le respect, mais ce n’est pas grave je vais te l’apprendre.  

Un sourire effrayant se dessine sur ses lèvres. Soudain, Athéna lève son bras et sa chouette nous rejoint à tire d’aile. Dans ses griffes se trouve une immense lance tout en or. Comme le trident de Poséidon, la fourche d’Hadès ou le glaive d’Arès, la lance d’Athéna est l’une des armes légendaires pouvant anéantir une divinité. Je n’ai pas le temps de m’étonner qu’un si petit animal puisse soulever une arme aussi lourde, qu’aussitôt que la déesse la récupère, elle la projette dans ma direction. Elle me lacère l’épaule, mais je l’évite de justesse ! Je m’en veux d’avoir laissé échapper un cri de douleur.  

La déesse de la sagesse a donc décidé de se battre au corps à corps avec moi. Je suppose qu’elle prend garde à ne pas user de son pouvoir puisque les divinités n’ont normalement pas le droit de se combattre entre elles. Comme lors de l’affrontement entre Hadès et Hélios, seule la force brute compte pour blesser son adversaire. J’ai conscience de n’avoir aucune chance face à elle ! Cependant, mon unique objectif est de tenir assez longtemps pour que Médusa et Arachné aient le temps de fuir le plus loin possible avec Hermès.  

Athéna court en direction de sa lance et j’en profite pour me réfugier à l’opposé. Elle observe la trace rouge laissée sur son arme. Elle rit, puis glisse son doigt le long de la lame pour gouter au sang.  

— Ne sois pas si lâche Koré ! Affronte-moi, c’est bien pour cela que tu es venue !  

Une fois en main, la déesse s’élance dans les airs et abat sa lance.  Mais par chance, elle me manque encore. Le fracas de l’arme sur le sol provoque un tremblement. Je roule dans la cendre pour esquiver un coup. C’est alors qu’une branche se détache de l’olivier et tombe entre nous. Un tourbillon d’étincelles nous sépare. Les yeux d’Athéna rougeoient comme les flammes autour de nous. Mes poumons me brûlent à cause de la fumée inhalée.   

— Quel déshonneur pour ta mère d’avoir engendré une gamine si pitoyable ! Une déesse défectueuse, sans pouvoir et sans courage.  

Ses mots ne m’atteignent pas. Je n’ai que faire de son avis sur moi. Je sais ce que je vaux ! Toutefois, elle n’a pas tord, je n’arrive pas àaressentir mon pouvoir. Comment vais-je réussir à me défendre ? Enfin, mes yeux repèrent la kunée. Tandis que la déesse de la sagesse se dégage, je cours vers l’objet sacré. Je glisse sur le sol et le récupère. Aussitôt je le pose sur ma tête et esquive à nouveau la lance projetée dans ma direction. Un bruit fracassant retentit. Le groupe d’amazones pétrifié par Médusa se brise en mille morceaux à cause de l’attaque d’Athéna. Elle hurle de rage.   

Je ne réponds rien et au contraire en profite pour reprendre mon souffle. Ce n’est pas de la lâcheté que d’utiliser mes propres armes. Mon ennemie récupère sa lance et commence à frapper aléatoirement autour d’elle. Je prends garde à rester silencieuse et calme, ainsi elle ne peut me repérer.   

Des amazones accourent vers leur déesse. Couvertes de suie et blessées, elles mettent un genou à terre.  

— Vénérable déesse, nous ne maîtrisons plus l’incendie, déclare une guerrière, paniquée.  

— Incompétentes ! s’écrie-t-elle en la frappant.   

— Pardonnez-nous grande déesse, implore la deuxième.  

— Vous jetez l’opprobre sur votre clan ! Hors de ma vue ! ordonne Athéna.  

Les amazones repartent, bouleversées par les paroles de leur maitresse. La déesse de la sagesse regarde autour d’elle. Puis, elle lève sa lance pour la planter dans le sol. Je trébuche sous le tremblement provoqué.  

— Hyades, filles de Hyas, je vous invoque et vous somme de déverser vos larmes ! clame une voix autoritaire.  

Tout à coup, une goutte suivie d’une deuxième, puis d’une myriade d’autres s’écrase sur le sol. La pluie éteint peu à peu le feu et inonde par endroit la cour. À ma grande surprise, l’incendie a saccagé une bonne partie du palais. Au loin, je distingue les acclamations de soulagement de la maisonnée. Athéna se tient droite sous l’averse. Elle se retourne et penche la tête, le regard dans ma direction.  

— Te voilà misérable couarde !  

Malgré le pouvoir d’invisibilité, je comprends avec effroi que l’eau rebondit sur ma personne et imprègne mon vêtement. Aussitôt, Athéna s’élance dans les airs et m’attaque. Je trébuche et tombe au sol. Dans ma chute je perds la kunée. La déesse de la stratégie militaire abat sa lance, mais j'évite le choc avec mon xiphos.   

En dépit de mon désir de lui résister, sa force est telle, qu’elle brise au deuxième coup, la lame de mon arme. Une douleur fulgurante envahit soudainement mon bras. Je découvre avec terreur la lance dorée d’Athéna plantée dans le creux de ma main. Totalement immobilisée, je suis prise au piège. Mon sang se déverse dans le sol trempé. Je suis si épuisée par tous ces combats.   

Me toisant de toute sa hauteur, un sourire carnassier illumine son visage. Je reçois un coup de pied dans les côtes, puis dans la mâchoire. Le craquement de mes os est effrayant. Je sens le liquide chaud emplir ma bouche. Si seulement je parvenais à réveiller mon pouvoir.   

— Tu es encore plus faible que je le croyais ! Alors, où sont tes camarades pour te venir en aide ?  

— Bien loin à présent, je réponds un sourire aux lèvres et en crachant du sang.  

Athéna regarde autour de nous. Sofia s’envole en direction de la grande porte. Aussitôt, la déesse hurle de colère. Les filles ont réussi à s’échapper. Je ferme les yeux de soulagement. Je sais qu’Hermès prendra soin de Médusa et la cachera dans un endroit paisible. Je reçois un nouveau coup dans les côtes.  

— Tu abandonnes plus vite que ton amie !   

Je crache à nouveau et le liquide rougeâtre dégouline sur mon menton. Les autres blessures causées par mon combat avec le gardien s’ouvrent à leur tour. Je baigne dans mon sang et je n’ai plus de force.  

— Elle criait ton nom sans cesse, Koré, Koré, Koré, c’était d’un pathétique ! Mais tu l’as lâchement abandonnée ! clame Athéna.  

Sa voix est comme un poison qui s’insinue dans mon esprit.   

— C’est faux, je murmure.  

Athéna rit et un genou à terre, pose ses deux mains autour de mon cou. Elle s’amuse à serrer puis desserrer son emprise pour ne pas que je perde connaissance.  

— Si tu avais écouté ta mère, tu aurais pu porter secours à Médusa en vivant ici. Mais tu es lâche et égoïste, tu as préféré t’enfuir !   

Ses paroles sont aussi violentes que des coups de lames. Elles résonnent en moi et je commence à croire qu’elle a peut-être raison. Et si j’avais fait les mauvais choix depuis le début ? Et si en étant devenue une fille désobéissante j’avais provoqué tous ces malheurs ?   

— Chaque jour où tu ne t’es pas présenté pour supplier mon pardon elle a subi ma colère.   

— Tu n’es qu’un monstre, je parviens à articuler.  

Des larmes traîtresses roulent sur mes joues et se mêlent à la pluie ! Athéna se redresse et retire sa lance. Tout mon corps me fait souffrir.    

— Le monde est régi par des règles, si tu décides de les enfreindre alors tu dois en payer le prix !   

J’en ai assez d’entendre cette sempiternelle rengaine. Prétendre que les lois de ce monde sont justes et qu’il faut s’y plier. Je refuse d’accepter les abus de pouvoir, l’injustice et la cruauté que font subir les divinités olympiennes. L’orgueil d’Athéna est si fort qu’à l’instant où il est froissé elle perd tout sang-froid et choisit de se venger. Être crainte plutôt qu’aimée était un des adages de ma mère. Chaque jour ils déversent leur colère et les mortelles sont les premières victimes des travers des Cronides. Si personne ne s’oppose à eux alors, ce cycle infernal perdurera. 

Je n’accepterais jamais de me plier à leur volonté et de courber l’échine.  

J’avais pris la décision de me sacrifier pour faire gagner assez de temps à Médusa et Arachné cependant une fureur de vivre s’est réveillée en moi. Je ne ressens plus à cet instant la douleur. J’ai affronté trop de choses pour me laisser mourir ici ! Comme Hadès me l’a dit avant de nous quitter : je dois me fier à mon instinct et il m’ordonne de continuer à lutter !  

Athéna est si fière qu’elle en est presque rayonnante. Les bras en l’air, elle s’apprête à me planter sa lance pour en finir une bonne fois pour toutes. Elle savoure ce moment et se pourlèche les lèvres. Alors, je me redresse et utilise la ruse la plus vieille de ce monde, je lui lance une poignée de cendre en plein visage ! Surprise, elle laisse échapper un cri et recule d’un pas.   

Je roule sur le côté et attrape la kunée puis cours vers l’olivier calciné. Les mains sur le tronc j’y déverse toute ma rage. L’arbre souffre et je lui redonne un souffle de vie, puisé dans mes dernières forces. Il grossit anormalement et ses branches s’élancent comme de gigantesques mains planant au-dessus de nos têtes. Athéna, les yeux rougis, fulmine. Les branchages sont si lourds qu’ils s’écrasent avec fracas. Les hurlements des amazones apeurées retentissent. Les racines surgissent à leur tour et détruisent chaque colonne du palais. La déesse se fait engloutir par le symbole de sa légende. C’est si bon de sentir exploser mon pouvoir.  

Le sol tremble, les murs s’affaissent, les cris d’agonies supplient qu’on les délivre, l’arbre continue encore et toujours de grandir. Je suis entraînée dans une transe à laquelle je n’avais jamais gouté avant. Tout à coup, je suis violemment tirée en arrière. Deux orbites vides me font face.   

— Il faut sortir de là, petite souris, annonce sa voix d’outre-tombe.  

Malgré mon invisibilité, Tirésias me tient dans ses bras partiellement brûlés. Arrachée du tronc, je recouvre mes esprits. Le geôlier court péniblement à travers le palais qui s’effondre. Je n’en reviens pas qu’il essaye de me sauver de ce tumulte que je viens de créer ! Lui, qui était l’âme damnée de la déesse de la sagesse, s’est libéré enfin de son emprise.   

La sortie laissée ouverte est devant nous. À quelques pas de la traverser, une lance dorée transperce  entièrement l’homme. Tirésias s’effondre et je roule sur le sol. J’aperçois Athéna, les bras et le visage lacéré. La férocité qui se lit dans ses yeux est effroyable. Le terrible geôlier git dans une mare de sang et me brise le cœur.  

La déesse de la stratégie militaire ne me voit pas, mais elle sait que je suis là. L’olivier continue de croitre seul et détruit tout sur son passage. Le palais de la déesse n’est que chaos. Un sourire mauvais se dessine sur les lèvres d’Athéna.  

— Déméter ! hurle-t-elle à pleins poumons.  

Je ne vais pas attendre que ma mère arrive. Le plafond au-dessus de moi menace de s’écrouler alors je m’engouffre juste avant que la première pierre ne me bloque la sortie.   

Je m’effondre sur le sol glacé de la salle du trésor. Mon pouvoir s’est éteint. La douleur de chaque blessure revient aussitôt. Titubante et sanguinolente, je me force à avancer pour échapper à cet endroit maudit. Je ne peux m’empêcher de gémir à chacun de mes pas. Certaines sont trop profondes et je perds trop de sang.   

En sortant du Parthénon, il fait encore nuit noire. Je me laisse tomber sur les marches.  

— Perséphone, tu es là ?   

Je sursaute effrayée à l’idée de voir ma mère. Or j’aperçois le cheval ailé du roi des Enfers se poser. Je crois n’avoir jamais été aussi heureuse de découvrir un visage si familier. Je retire mon casque.   

— Hadès, je murmure, chancelante.  

Aussitôt le dieu des morts accourt dans ma direction. En se trouvant sur le territoire d’une autre divinité, il prend d’énorme risque. Il serre les dents et fronce les sourcils. Sa main écarte des mèches de mes cheveux imbibés de sang.  

— Médusa et Arachné elles…  

— Elles sont avec Hermès n’aie crainte. À présent, partons d’ici.  

Ses mains me soulèvent avec plus de douceur que je l’aurais imaginé. Je me crispe sous la douleur et m’agrippe à son cou. J’ai tellement mal que je fais fi de toute convenance. La chaleur de son corps a quelque chose de réconfortant. Je me sens étrangement en sécurité.  

 
 

 
 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
dollykitten
Posté le 07/04/2023
Même s'il s'agit du personnage principal il était inimaginable qu'elle arrive à trouver un moyen de s'en sortir, incroyable, et l'ingéniosité du plan tout droit sorti de ton esprit est génial, franchement bravo !! Le soulagement de voir apparaître le roi des enfers est en effet paradoxal, j'adore car toute l'histoire est totalement imprévisible, que de rebondissements!

NB:
-pour empêcher le saignement des plus importantes.
- Toutefois, elle n’a pas tord, je n’arrive pas àaressentir mon pouvoir.
-où tu ne t’es pas présenté--> présentée?
Sofish L.
Posté le 05/04/2023
Ce chapitre est un bijoux JJ
J'ai su reconnaitre certaine référence que j'adore
Athena est absolument terrifiante et Hadès est un veritable bonheur dans tout ce tumulte je l'aime !
Ella Miller
Posté le 02/04/2023
Hihihi... J'ai horreur des araignées... Pourtant chapeau bas face à ce nouveau personnage, Arachné, au beau cœur si vaillant.

C'est incroyable mais dans cet effroyable chaos Koré, douce déesse de la végétation, égale Persée, l'intrépide guerrière. Quelle attachante dualité !

Et revoilà Pallas Athéna ! Tremblez pauvres gens !
Hélas elle n'avait pas prévu, du haut de son Olympe, que les êtres qu'elle a si cruellement créés et fait tant souffrir auraient l'opportunité de retourner leurs douloureux pouvoirs contre Elle... Jubilation pour le lecteur !

"Je n'ai que faire de son avis sur moi. Je sais ce que je vaux."... J'adore !

Ce chapitre est époustouflant : quelle imagination! Que de rebondissements ! Quelle écriture si colorée, si vivante !
Merci et surtout Bravo !!
Vous lisez