Chapitre 32.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Chapitre 32

 

Ils avaient installé sur le sable en haut de la plage, non loin de la fête foraine qui s’étendait le long du large ponton, un grand labyrinthe fait de buissons et de fausses toiles d’araignées. En haut de son entrée, il y avait un écriteau qui y pendait en bout de chaînes grinçantes et qui annonçait la couleur. L’écriture avait été naturellement en langue bantou et Sib leur avait traduit : “Vous qui entrez, abandonnez tout espoir de survie.” A sept balles l’entrée, Murdock avait trouvé la blague un peu chère. 

 

Celui qui gérait l’entrée s’assurait d’espacer au plus possible les groupes de visiteurs pour permettre leur isolement. De la musique inquiétante sortait d’elle-ne-savait-où, ponctuée de cris déchirants, de gémissements de douleur et de pleurs lointains.

 

“Eho, pas touche à mon gel ! s’indigna Nialh après un glapissement. Ils sont d’un malpoli, ces zombis !”

 

Le bras qui avait émergé des buissons pour venir tripoter la tignasse brune de Nialh se rétracta, et celui-ci se recoiffa avec irritation. Devant eux, Apollo et Chad marchaient côte à côte comme s’il s’agissait d’une promenade de santé dans un parc fleuri et derrière eux, fermant la marche, Sib s’accrochait plus ou moins subtilement à Murdock qui riait à chaque fois qu’elle criait dans un sursaut. A leurs pieds, un brouillard artificiel s'élevait jusqu’à leur poitrine pour ensuite être balayé par l’air marin au-dessus des hauts buissons. Ajoutant une petite touche au décor sinistre, la pleine lune, elle bien réelle, les surplombait. Anak se serait crue dans le clip de Thriller.

 

“Mais t’inquiète pas, Nanak, je te protège !” assura Nialh.

 

A peine une seconde plus tard, un homme bondit hors des buissons, causant un bond chez Nialh et Anak qui s’agrippèrent furieusement l’un à l’autre dans un hurlement cacophonique avant de se mettre à courir, bousculant sans ménagement Apollo et Chad sur leur passage endiablé, lorsque l’acteur déguisé en zombi se lança à leur poursuite. 

 

“Non mais ça va pas ?! protesta Chad qui manqua de se vautrer.

-Il est derrière nous !!” l’informa Anak sans s’arrêter.

 

Mais Chad ne put que regarder filer Nialh et Anak comme des lapins pris de panique, puis ensuite le zombi qui leur courrait après tel Speedy Gonzalez. Et la voix de Nialh s’éleva aussi haut que le brouillard et même la lune en un grand :

 

“COUUURS, NAANAAAAK, COUUURS !!”

 

oOoOoOo

 

“Je vais nous chercher des hotdogs et des boissons, lui annonça Koffi.

-Oh merci !

-Pense aux potes de ta chère et tendre si tu veux gagner des points !” lui lança Chad.

 

Anak et Koffi lancèrent un regard amusé à Chad qui se retournait déjà pour continuer sa conversation avec Apollo. Puis, après un rapide baiser sur les lèvres d’Anak, Koffi s’en alla pour entreprendre de traverser la foule qui cherchait encore leurs places et s’installait dans les gradins. En contrebas, on préparait le terrain pour le match de volleyball qui allait débuter dans le cadre du tournoi semi-professionnel de Dakar. 

En attendant que Koffi ne revienne, Anak sortit son téléphone pour regarder les vidéos que son père leur avait envoyées sur le groupe familial de sa sortie Bowling de la veille avec ses amis. Moh avait déjà réagi à chacune d’elle et avait entrepris de lui répondre par les clichés les plus esthétiques qu’il avait pris de Dakar et pour illustrer un peu plus la discussion, Anak se lança dans la tâche de photographier le stade malgré les silhouettes agitées qui lui barraient la vue. 

Quelqu’un s’assit à sa droite et elle crut que Koffi était déjà revenu, ce qui lui paraissait étrange au vu de l’endroit éloigné où se trouvaient les stands de nourriture et de boisson. Sa réflexion se révéla juste puisqu’il ne s’agissait pas de Koffi mais de Valérian. Elle resta un instant figée alors qu’il la regardait comme si sa présence était la plus naturelle qui soit. Elle savait qu’Esteban, Fran, Laureline et lui comptaient aussi assister au match, elle en avait entendu parler, et elle les avait même repéré dans la foule un peu plus tôt, mais elle ne s’attendait certainement pas à ce qu’il se paye le culot de venir la voir. Ce fut dans un froncement de sourcils qu’elle retourna à sa photographie et la gorge nouée, elle l’informa : 

 

“Cette place est prise.

-Oui, je sais, répondit-il le plus simplement du monde, mais il peut bien me la prêter quelques minutes.”

 

La photo qu’elle prit était bien loin de la qualité de celles de Mohvo mais elle mit ça sur le compte de Valérian. Elle entendit Apollo conseiller à Chad de ne pas s’en mêler alors que celui-ci fulminait déjà de voir Valérian se pointer sans invitation aucune. 

 

“Oh lui, oui, répondit Anak, mais moi, j’ai peut-être pas envie.

-Je sais que tu dois me détester.”

 

Depuis qu’elle savait qu’il était là à côté d’elle, elle ne fixait que devant elle. Elle avait déjà le cœur qui tambourinait, elle n’avait pas besoin de le regarder. Et elle serrait soft les angles de son téléphone que ses doigts protestaient déjà vivement, mais elle ne relâcha pas pour autant sa prise.

Si elle le détestait vraiment, ce serait plus facile pour elle. 

 

“Mais je n’ai pas vraiment eu la possibilité de me défendre…,” continua-t-il.

 

Piquée par cette notion, elle tourna un regard ombrageux sur lui. Son visage n’était pas marqué par l’assurance préfabriquée de sa voix et la colère d’Anak retomba comme elle était montée. 

 

“Y a-t-il vraiment quelque chose à dire ? l’interrogea-t-elle platement. Tu avais besoin que je garde ton secret et tu as fait ce que toutes les sirènes font. Moi, j’étais juste une humaine et j’étais naturellement déjà sous ton charme, du coup, ça a été facile.”

 

Valérian ouvrit la bouche pour protester mais Anak ne lui laissa pas le temps de l’embrumer comme il savait si bien le faire. Elle lisait la peine dans son regard, la crispation de la honte le long de sa mâchoire, mais en dépit de tout ça, elle se sentait impitoyable. Même s’il la suppliait et fondait en larmes, elle lui en voulait bien trop pour se laisser attendrir. 

 

“Je sais ce que tu vas me dire, dit-elle avant de proposer, tu as fini par tenir à moi, c’est ça ? 

-Et ça ne change rien ?

-Quand ?” lança-t-elle.

 

Il fronça les sourcils, semblant ne pas comprendre, et même si son coeur lui mordait la gorge, Anak se força à continuer, sa voix envahie par l’émotion : 

 

“Quels moments étaient vrais, quels moments étaient faux ? Quand est-ce que tu te forçais, et quand est-ce que tu étais sincère ? Pour toi, c’est facile, tu sais. Tu sais tout. Moi, je dois deviner… moi, je dois tout oublier.”

 

Ça y est, elle avait encore envie de pleurer et le regard de supplicier de Valérian ne l’aidait pas. Comme s’il était une victime de tout ça lui aussi mais elle ne l’avait forcée à rien. Il s’était forcé tout seul. Il dut remarquer le mur qu’Anak essayait de construire, brique après brique, entre eux pour se réfugier derrière puisqu’alors qu’elle se reculait légèrement, il se rapprocha d’elle et le mur s’écroula avec la facilité d’un château de carte. Il l’épingla avec ses yeux d’eau et elle s’y noya aussitôt. 

 

“Je ne me suis jamais forcé, Anak, lui assura-t-il dans un souffle, si tu dois me croire pour une dernière chose, crois-moi pour celle-là.”

 

Et il ne fallut rien de plus pour qu’il ne lui dérobe tout l’air dans ses poumons, et qu’elle n’existe plus que dans le reflet de ses yeux. C’était si facile pour lui, répétait une voix dans sa tête, si facile. La sauvant du piège, Koffi apparut soudainement dans son champ de vision et elle parvint à se libérer pour respirer à nouveau. Il avait les mains chargées de boissons et de hotdogs, et il ne pipa pas un mot, attendit patiemment que Valérian le remarque et lui rende son assise en plastique d’un bleu criard. 

Suivant le regard d’Anak, Valérian le repéra et il sembla hésiter un instant. Anak ne sut trop pourquoi. S’il attendait de voir si elle le retiendrait ou s’il pensait à s’excuser auprès de Koffi. Finalement, il se leva lui aussi sans rien dire et Koffi reprit tout simplement sa place et comme si Valérian n’existait pas, le surfer se lança dans la distribution des victuailles. Anak jeta un dernier regard à Valérian, et un ange passa, avant que le lien ne se brise, et qu’il reparte d’où il était venu tandis qu’Anak se détournait de lui. 

Pendant une bonne minute, Anak fut incapable de se concentrer ni sur les joueurs de volley qui entraient sur le terrain, ni sur les mots que Chad et Koffi lui adressaient. Plus rien n’avait de sens et une abeille bourdonnait à son oreille. Pour essayer de combler le vide qui grandissait en elle, elle vidait le contenu du gros gobelet de soda par la paille et attendait que ça passe. Finalement, Koffi parla du seul sujet sur lequel ses pensées pouvaient se fixer :

 

“Donc, c’était bel et bien ton copain. J’étais pas sûr la dernière fois.”

 

Ce n’était pas une question et Anak n’eut donc pas à répondre. 

 

“Il n’a pas l’air facile à oublier.

-Non, pas trop…

-Ni à vouloir te faciliter la tâche, d’ailleurs.”

 

Le non plus resta coincée dans sa gorge tandis qu’elle observait son voisin. Koffi ne semblait pas réellement contrarié par la situation, c’était plus comme s’il comprenait enfin les signes qu’il avait vu ici et là, comme si enfin tout faisait sens. Et qu’il était résigné quant à la conclusion évidente. Anak ne voulait pas davantage creuser la question. Quoique Koffi puisse penser ou bien ressentir, elle n’avait pas le cœur, ni la disponibilité de s’en soucier véritablement. Il était ni plus, ni moins qu’un ami avec qui elle pouvait s’échapper et s’évader, et s’il espérait davantage, ce n’était pas son problème. C’était ce qu’elle avait décidé ; les problèmes des hommes ne seraient plus les siens. S’il y avait bien une leçon que tous ses exs lui avaient apprise, c’était celle-ci. Chacun était responsable de ses propres sentiments. 

 

“J’aurais peut-être dû te le dire avant, dit-elle finalement, si ça te dérange, je comprendrais.

-Pourquoi ça me dérangerait ?”

 

Puis, un sourire malicieux se glissa sur le visage de Koffi et il lui confia : 

 

“Y’a rien de plus fun que d’aider une fille à oublier un ex.”

 

Ce n’était pas si marrant que ça mais Anak choisit d’en rire quand même.

 

oOoOoOo

 

C’était le trente-sixième anniversaire de Yakta et son mari, accompagné de leurs deux enfants, était venu jusqu’à Dakar par bateau pour venir le fêter avec elle. Anak et Moh avaient organisé l’évènement, une bonne semaine plus tôt, dans le secret le plus total pour offrir la surprise à leur capitaine. Tandis que Moh, dans la sûreté du Mod, avait préparé tous les plats avec l’aide de Wanda qui, pour une fois, avait bien voulu dépenser ses efforts, Chad avait occupé Yakta avec de faux problèmes d’ordre électronique sur le catamaran.. Sur la plage, Anak avait reçu l’aide de Murdock pour installer de grandes nappes sur la plage sous l’ombre d’une tonnelle qu’ils avaient acheté pour l’occasion et qu’il ne restait plus qu’à monter. Le capitaine du Mod s’étant lié d’amitié avec Yakta, il avait tout de suite validé l’idée de la fête surprise et voulut participer. Quand était venue l’heure de partir récupérer au port la petite famille de Yakta, Anak avait laissé Murdock sur les lieux avec la mission de gonfler les ballons blancs et dorés qu’ils avaient choisis pour décorer l’endroit. 

Ainsi, quand Yakta arriva un peu plus tard guidée par Chad et qu’elle tomba sur le pique-nique improvisé sous la tonnelle décorée, l’effet de surprise fut parfait. Elle n’en crut pas ses yeux qui s’embuèrent rapidement lorsque ses enfants coururent vers elle pour lui bondir dans les bras, son mari marchant derrière avec un grand sourire sur les lèvres.

Ils se régalèrent des mets proposés par Moh et Wanda, rirent beaucoup en poursuivant les ballons qui parvenaient à s’échapper de leurs ficelles et profitèrent de l’embrun chaud que leur portait le vent marin. Avant même d’avoir fini le repas, la petite Enola partit courir dans les vagues et son père Rui, affolé de la voir s’aventurer dans le chaos de la mer, la retint avant de lui proposer qu’ils y aillent ensemble. Enola, protégée des caprices de la mer dans les bras de son père, put ainsi profiter des vaguelettes qui lui éclaboussaient le visage pour son plus grand ravissement, et bien vite, elle et son père furent rejoints par Moh et Chad qui ne savaient pas résister à la bouille de la fillette de quatre ans. 

Sur la plage, Canokee, le grand frère d’Enola, piqua une colère en voyant les trois hommes tous accaparés par sa cadette et voulut que l’un d’eux sorte pour jouer au ballon avec lui. Murdock se proposa donc et le garçon accepta l’offre. 

Wanda, Yakta et Anak furent ainsi les seules à rester sous la tonnelle. Un sourire tendre aux lèvres, Yakta observait sa fille qui recevait l’adoration de son mari, de Chad et de Moh dans les vagues, et de ses rires fluets qui leur parvenaient. Anak, quant à elle, continuait à piocher dans les plats laissés à l’abandon tandis que Wanda s’était allongée sur la nappe pour piquer un somme. 

 

“Cette mission dure trop longtemps, déclara alors Yakta, l’ombre de son sourire s’atténuant un peu, on parcourt les océans au hasard sans rien trouver.

-Il ne nous reste plus beaucoup de cités à fouiller, voulut la rassurer Anak.

-Justement, Anak, c’est ça qui est inquiétant. Pourquoi aurions-nous plus de chance pour les dernières quand les premières étaient toutes de fausses pistes ?

-Eh ben… euh… je sais pas mais…”

 

Le regard de Yakta se décrocha des vagues pour se porter sur Anak qui cessa aussitôt de grignoter. L’expression de sa capitaine était grave et convoqua toute son attention. 

 

“On tourne en rond, et on ne peut pas se le permettre. Nos familles ont besoin de nous, notre tribu a besoin de nous.

-Je sais bien mais on fait ce qu’on peut…

-Faut croire que ce n’est pas toujours suffisant.”

 

Il y avait comme une résolution sinistre dans la voix de Yakta, une résignation. Un poids vint écraser le cœur d’Anak que les célébrations avaient pourtant parvenu à alléger, et son appétit s’éteignit. 

 

“Cette malédiction est peut-être réelle puisque les sirènes existent, accepta Yakta, mais s’il existe un moyen de la briser… nous ne sommes pas les bonnes personnes pour cette tâche. On navigue à l’aveugle après des chimères qui menacent de nous couler.

-Alors… tu veux abandonner, c’est ça ?”

 

Un silence tomba. A côté, Wanda avait ouvert les yeux et écoutait attentivement la conversation même si elle ne voulut pas y participer. Yakta retourna ses yeux sur ses enfants et son mari, avant de conclure : 

 

“Comme tu l’as dit, il ne nous reste plus beaucoup de sites à visiter. Après ça, on rentre à la maison.”

 

oOoOoOo

 

Trois jours passèrent ainsi, dans la lascivité volontaire que, pour une fois, Yakta leur permettait. Elle profita pleinement de sa famille et pendant ce temps, chacun put vaquer à ses occupations. Ils devaient évidemment prendre quelques heures journalières pour étudier encore et encore les images de leurs fouilles aquatiques, tout en sachant que ça ne servait qu’à se donner bonne conscience. Chad et Apollo disparurent beaucoup de leur côté, tandis que Moh, Anak et Wanda visitaient un peu plus Dakar, souvent accompagnés de Nialh, Sib et Murdock. Oriag de son côté passait le plus clair de son temps avec sa mère et sa sœur. 

Quant aux sirènes et tritons, Anak préférait ignorer leurs faits et gestes. Elle les rangeait dans le même tiroir délaissé dans son esprit, tous autant qu’ils étaient. Elle savait bien que, tout comme Laureline, Esteban et Fran savaient parfaitement ce que Valérian faisait avec elle, et ce depuis le début. Elle ne leur en voulait pas, évidemment, elle n’était elle-même pas étrangère au concept de loyauté aveugle, mais ça ne lui donnait pour autant pas envie de les fréquenter. 

Pour ce qui était de Valérian, rien que sa présence lui faisait peur. Au match de volley, elle s’était rendue compte avec quelle aisance il pouvait la faire craquer et elle n’était pas certaine de pouvoir lui résister. Bien malgré elle, elle avait entendu ses arguments, deviné ce qui se cachait derrière et quelle envie, quelle tentation de tout lui céder. Qu’importait au fond qu’il l’avait manipulée et trompée ? Quand sa respiration se figeait pour un seul regard, quand ce qu’elle avait avec lui lui manquait si, si fort. C’était faux, préfabriqué, joué ? La belle affaire. Elle savait apprécier un bon film à l’eau de rose tout en sachant que les acteurs jouaient la comédie, elle pouvait bien vivre sa vie de la même manière. Elle pouvait même se mentir à elle-même, oui, elle saurait faire. 

La tentation était trop grande. Après tout, c’était inscrit dans ses gênes. Elle avait passé sa vie à céder. Mais elle s’y refusait. Malgré l’envie, malgré les battements frénétiques de son cœur, elle ne pouvait pas replonger quand elle savait qu’elle n’était pas prête, n’était pas assez forte. Quand elle serait avec lui, elle serait heureuse, elle pourrait ne pas y penser. Mais dès qu’il ne le serait plus, elle se demanderait qui de lui ou du comédien l’avait embrassée. Méritait-elle cette souffrance ? Y survivrait-elle ? Et plus que ça, plus effrayant encore, Valérian l’aimait-il vraiment ? Il avait su si bien la convaincre, il avait su si bien se vendre, elle ne savait plus comment démêler le vrai du faux. Il pouvait vouloir qu’elle revienne pour mille autres raisons. Peut-être ne supportait-il pas de perdre le contrôle, peut-être son amour-propre ne tolérait pas de se voir remplacer, peut-être avait-il d’autres plans pour qu’elle l’aide à briser la malédiction, peut-être, peut-être, peut-être.

Pour ne pas y songer, elle passait chaque soirée en compagnie de Koffi. Il était fidèle à ses promesses. Il savait la faire oublier, ne serait-ce que pour quelques heures. Elle pouvait même se persuader d’être un peu amoureuse de lui. Ne serait-ce que pour quelques heures.

Mais quand Yakta déclara qu’il était grand temps de partir, ce n’était pas Koffi qu’il lui était difficile de quitter. Il avait été décidé que pour les dernières cités, le Yak et le Mod se quitteraient une fois de plus pour gagner du temps. Il semblait que tout comme Yakta, Murdock en avait marre de voir le temps s’allonger sans que la mission ne trouve une finalité satisfaisante. Les sirènes avaient refusé de laisser le Yak prendre le large sans leur supervision et Yakta, bien qu’elle ne leur faisait toujours pas confiance, consentit à un compromis. Le Mamui Ata pouvait suivre le catamaran tant que Valérian ne serait pas à bord. Elle n’était pas entrée dans les détails et personne ne lui avait demandé de le faire, sa voix avait été bien trop implacable et le regard qu’elle avait coulé jusqu’au concerné s’était suffit à lui-même. Anak se demandait si elle avait appris pour leur sombre affaire mais elle était bien trop effrayée de poser la question à voix-haute. 

Le cœur lourd, Anak avait regardé Valérian monter sur le Mod en lui adressant un long regard en guise d’au-revoir. Heureusement que Sibéal fut à ses côtés, sur le quai, en ce moment bien précis, ou elle aurait fini par lui courir après. Que lui aurait-elle dit, elle ne savait pas vraiment, mais elle aurait voulu au moins lui souhaiter un bon voyage. Lui dire que même si elle lui en voulait, il n’était toujours pas un monstre pour elle et qu’il ne méritait pas la haine de Yakta. Ca aurait été idiot, elle en avait bien conscience, et inutile, et elle n’en fit donc rien. 

 

“Yakta est trop dure avec lui, soupira Anak.

-Elle a ses raisons…”

 

Sibéal disait vrai, Anak savait bien que Yakta avait toutes les raisons de ne pas vouloir Valérian dans le sillage du catamaran après s’être prouvé si peu digne de confiance. Pourtant, Anak savait aussi que Valérian était quelqu’un de bien, malgré les apparences et ses choix. C’était si compliqué de concilier toutes les émotions qu’elle ressentait à la fois en le voyant si démuni et rejeté. 

 

“Parfois, je me dis que je suis aussi trop dure avec lui, avoua Anak.

-Il le mérite un peu.”

 

En entendant cette concession, Anak se tourna avec un petit sourire vers Sibéal avant de la prendre dans ses bras et celle-ci lui rendit son étreinte. Elle n’aimait pas de devoir encore se séparer du Mod. Avec tout ça, c’était comme si son équipage s’était vu agrandir, et elle n’aimait pas l’idée que le voilier soit loin d’eux. Les apéros avec Murdock lui manqueraient, les blagues avec Nialh lui manquaient et tout de Sib lui manquerait. Même la présence paisible et rassurante d’Apollo lui manquerait.

 

“On se téléphone tous les jours ! décréta Anak.

-Plusieurs fois, si possible !”

 

Elles se quittèrent sur un accord avant de monter sur leur navire respectif.

 

oOoOoOo

 

“Cette cité s’appelait Kosh, présenta Anak. Et elle a été engloutie, il y a mille-deux-cents ans, donc il ne risque pas de rester grand-chose à voir…

-Quoiqu’il y ait à voir, on le verra, décréta Yakta. Nous sommes venus là pour ça.”

 

Le prochain site serait plus profond et en principe mieux sauvegardé, et Yakta avait décidé qu’elle irait elle-même avec Anak. Pour les économiser toutes les deux, Chad et Moh exploreraient Kosh avec l’aide de Laureline. Celle-ci était déjà à l’eau, sa longue chevelure flottant sur la surface lisse de l’eau et Anak évitait de trop la regarder, tout chez elle lui rappelait son frère jumeau. 

 

Ils étaient arrivés quelques heures plus tôt après un trajet calme et serein que Yakta avait passé à discuter avec Anak du programme que son mari avait prévu pour leurs deux enfants. Ils restaient une semaine de plus à Dakar pour découvrir les merveilles de la ville et Yakta recevait constamment des photos de leurs vacances qu’elle aimait montrer à Anak. Elles avaient aussi un peu parlé de Valérian et Anak avait pu lui demander de lui laisser une chance en dépit de ses erreurs. Yakta s’était agacée du cœur tendre de sa copilote mais avait concédé la promesse de faire preuve d’indulgence à l’avenir.

Quand elle s’adressa à Laureline dans l’eau, le ton de leur capitaine fut donc légèrement moins sec que celui avec lequel elle avait transmis les messages précédents au Mamui Ata via la radio : 

 

“Ce sera une rapide excursion.”

 

Laureline acquiesça puis, Yakta se retourna vers Chad et Moh qui s’apprêtaient à descendre jusqu’au Zodiak qu’Anak surveillerait le temps de la plongée. Leur capitaine prit le soin d’en rajouter une couche : 

 

“Vous descendez, vous filmez, vous remontez. C’est bien clair ?

-On va pas s’éterniser si c’est qui te fait peur, maugréa Chad. Quelle putain de corvée…

-On peut quand même profiter de la beauté des lieux ? s’inquiéta Moh.

-Moh…, soupira Yakta, pense aux paliers.

-T’inquiète, Cap’taine, je le remonterai par la peau du cul, promit Chad.

-Hm, fit Yakta, n’y prends pas trop de plaisir. Allez, du vent.”

 

Ainsi congédié par leur capitaine, le trio descendit jusqu’au Zodiac, Anak en tête, et celle-ci démarra sans tarder. Laureline plongea et disparut. Les bras croisés sur sa poitrine, Yakta regarda le Zodiac devenir tout petit au loin avant de regagner son cockpit.

 

Elle était pressée que cette fichue mission se termine.

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