Chapitre 32

Notes de l’auteur : --> « Forever trusting who we are, And nothing else matters » Metallica
https://www.youtube.com/watch?v=waBb-UM5m4g

Après une semaine d’amour et d’eau fraîche dans mon appartement…

 

- Aujourd’hui j’ai besoin de faire quelque chose de difficile, et j’aimerais que tu sois à mes côtés si tu es d’accord. 

Je fronce les sourcils et prends son visage en coupe. Elle ne se rend pas compte à quel point je ferai n’importe quoi pour que jamais rien ne lui soit difficile dans la vie. Et cette inquiétude que je lis dans ses yeux noisettes, j’aimerais qu’elle n’existe pas.

- Je suis votre humble serviteur mi lady, je dis solennellement.

Je prends sa main minuscule dans la mienne, qui paraît gigantesque en comparaison, et la porte tendrement à mes lèvres.

Voilà, c’est ça que je veux voir tous les jours, les paillettes qui pétillent dans ses prunelles, ce sourire, léger, mais irrésistible.

Elle dégage sa main de la mienne pour la porter à ma joue et me regarde d’une façon…je ne saurais la décrire... Tout ce que je peux dire, c’est que je me sens beaucoup trop chanceux que quelqu’un me regarde ainsi. Et ce n’est pas juste quelqu’un, c’est ce petit bout de femme magnifique. Je serais encore plus chanceux si je ne devais plus me casser le dos pour plonger mes yeux dans les siens, mais je préfère ne pas trop en demander à la vie, de peur qu’elle m’enlève ce précieux cadeau qui me fait face. 

Elle pince légèrement ma joue en retroussant son petit nez dans une grimace adorable.

- Alors let’s go playboy ! 

- Playboy ? je fais semblant de m’offusquer en la suivant docilement.

- Alors, c’est quoi le programme, l’intello ?  je demande.

- On passe chez moi pour que je récupère des affaires propres et puis chez toi pour une douche. 

- Ça ne me semble pas un programme pénible jusque là …, je minaude avec un sourire en coin.

- Qui t’a dit qu’on allait se doucher ensemble .. ? me taquine-t-elle en se retournant pour me tirer la langue.

- Bad girl … je gronde en la rattrapant pour la chatouiller au-dessus des hanches.

Elle pousse un petit cri strident et court pour m’échapper.

Je la regarde prendre de l’avance, et secoue la tête, amusé, parce que je sais très bien que je la rattraperai en deux enjambées.

Ce que je fais quelques secondes après. Elle se retourne vers moi dans une vaine tentative de se défendre, mais c’est sans compter ma sournoiserie… Je me penche pour la prendre à la taille, et la soulève sur mon épaule. Je ne dirais pas « comme si elle ne pesait rien » parce que littéralement, cette nana ne pèse rien. J’ai l’impression de porter mon sac de cours sur l’épaule.

Son rire me transporte. Le reste de nos péripéties se passe sur le même ton. J’en viens à me dire qu’elle a exagéré la difficulté de ce qu’elle a prévu aujourd’hui.

- Tu as des vêtements blancs ? elle me demande en sortant de la douche.

- T’as de la chance, je dois avoir un vieux jean blanc quelque part, pourquoi ? 

- Là où je t’amène, il faut qu’on porte du blanc, elle se contente de répondre en essorant ses cheveux dans une serviette.

Je sors à mon tour de la douche, me drape dans une serviette et viens enserrer sa taille par derrière.

- Tu ne vas pas me dire ce qu’on va faire ? je la questionne en posant mon menton sur le haut de sa tête.

Elle se retourne et plonge son regard jusque dans mon âme.

- Je préfère pas, si ça ne te dérange pas.

- La seule chose qui me dérange, c’est ça, je réponds en lissant la ride d’inquiétude entre ses sourcils.

Elle mord sa lèvre inférieure et penche la tête comme un petit chiot et me dit :

- T’es craquant, tu le sais ça ? 

Mon cerveau court-circuite tellement rapidement quand elle se mord la lèvre, je ne peux que la soulever pour amener ses lèvres au niveau des miennes et y goûter comme si c’était … la meilleure tarte au citron meringuée de la planète.

- Yes, I know, je murmure, ma bouche contre la sienne. 

Je sens ses lèvres s’étirer en un sourire.

- Crétin, elle murmure à son tour.

Et elle recule sa tête.

- Maintenant repose-moi au sol ! 

Je ris.

- A vos ordres Ma’am ! et je la laisse reprendre possession de ses appuis sur le carrelage froid de la salle de bain.

Quelques minutes plus tard, je sors de ma chambre, vêtu de ma paire de jeans blanche et d’une chemise également blanche. Des tennis blanches, classiques finissent ma tenue thématique.

- Ça te va ? je demande en tournant sur moi-même.

Emilie se lève du canapé et je découvre en même temps sa tenue à elle. Et j’en perds tout sens de la réalité. Le blanc est éclatant sur elle, ses traits en sont magnifiés, si ça en est seulement possible. Elle porte une combinaison-pantalon en soie, très simple et élégante. Ses pieds fins chaussent des sandales à talon discrètes couleur chair, qui lui confèrent une allure gracieuse. Elle a joliment coiffé ses cheveux. Une unique tresse dessine une sorte de couronne autour de son visage. Cette fille est un ange, impossible qu’elle soit une simple humaine. Elle est renversante de beauté. Elle est plus rayonnante à mes yeux que le soleil qui brille à l’extérieur.

- Tu …n’aimes pas ? elle demande, inquiète, face à mon silence.

Je passe une main sur mon visage, dépité.

- Non, t’es vraiment dégueulasse, je lui dis en riant.

Elle rougit puis me fusille du regard en comprenant que je me fous de sa gueule.

Je m’approche d’elle et murmure à son oreille : « Like an angel »

Ses yeux attendris captent les miens. Elle me tire doucement les cheveux pour amener mon oreille à hauteur de sa bouche et chuchote : « Like an exploding sun », me donnant des frissons. Je pensais être poétique mais elle parvient à me détrôner sans effort.

- Bon allez, ça suffit les conneries, je ris en lui prenant la main pour nous diriger vers la sortie.

Qu’est-ce qu’on peut être stupide quand on est amoureux, c’est désolant.


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*Emilie

Sa main ne quitte pas ma cuisse pendant que je conduis ma petite Ford vers notre destination. Je me sens comblée par ce simple geste. Il me jette de temps à autre un regard curieux. Je tente de dissimuler mon stress. Même si je suis persuadée que ce qui va arriver sera pour le mieux, j’ai peur.

- C’est moi qui ne sais pas où on va, mais c’est toi qui es soucieuse, il déclare, serein.

Je suis touchée par sa confiance, même si c’est un don naturel pour lui que de se sentir en sécurité. Pourtant, sa foi en moi ne me rend que plus nerveuse: si je le décevais, la pente serait encore plus dure à remonter. 

Je l’entends grogner et tourne la tête vers lui en fronçant les sourcils.

- Si tu veux pas que je te fasse dévier de notre trajectoire, tu as tout intérêt à ne pas maltraiter ta lèvre comme ça, tu sais que ça me rend fou. 

Et en effet, ses yeux sont voilés de désir et il a retrouvé un sérieux presque animal.

J’expire profondément pour essayer de me détendre et de calmer par la même occasion le feu qu’il a allumé entre mes jambes. Je les resserre l’une contre l’autre l’air de rien mais Martin le remarque et m’envoie un sourire carnassier en pleine figure. Bordel, comment il peut être aussi beau et pénible à la fois? C’est inconcevable.

Je lui administre une tape sur le bras et marmonne dans ma barbe.

- Oui Beauté, tu essaies de me dire quelque chose ? il s’amuse. Non, Beauté a perdu sa langue aujourd’hui, on dirait …, il continue en me taquinant le visage de son index.

Une vague est en train de gonfler en moi. Envahissant ma poitrine, je sens que je dois lui permettre de sortir avant qu’elle ne me submerge. Je freine le plus calmement possible et m’arrête en vrac sur une place réservée aux livraisons. Martin me regarde interloqué, un sourcil interrogateur.

Je ne dis rien et détache ma ceinture, et sans prêter attention à la circulation, à l’endroit où l’on se trouve ou aux passants sur les trottoirs, je me jette sur lui et l’embrasse à pleine bouche, comme si je ne l’avais pas vu depuis des semaines, comme si ma vie en dépendait. Et elle en dépend. Il pensait m’embêter ou au mieux me divertir, il n’a fait que renforcer les sentiments amoureux que j’éprouve pour lui. D’abord surpris, Martin reprend contenance et enroule ses bras autour de ma taille pour me serrer contre lui, et amplifie notre baiser où nos langues jouent avec délice. Sa bouche contre la mienne, son souffle contre ma joue, ses mains sur moi, me trouver tout contre son torse bien-aimé, respirer son odeur en étant persuadée de n’avoir jamais rien senti de plus exquis que ça, j’aimerais que ce genre de moments puisse tourner en boucle, comme une chanson dont on ne se lasse pas. Savoir et sentir que tout ce que je ressens est partagé, réciproque, m’emplit d’une plénitude que je ne pensais pas pouvoir être réelle.

A bout de souffle, je romps notre échange et plonge mes yeux dans les siens. J’y lis la surprise, le désir et tout l’amour que je n’aurais jamais pensé avoir la chance de recevoir.

Soudain, un peu gênée de mon comportement, je rougis, baisse les yeux sur le côté et marmonne :

- Désolée … 

Il attrape mon menton et m’oblige à le regarder. Il sourit, clairement amusé.

- Bien que je ne comprenne pas ce qu’il s’est passé dans cette petite tête, ne t’excuse jamais de me sauter dessus pour m’embrasser …Jamais. 

Il ponctue, en raffermissant sa prise sur le bas de mon dos.

- C’est juste que …, je murmure. Je t’aime, je déclare penaude.

Son visage reprend son sérieux, sa poitrine se soulève plus puissamment contre moi et il penche la tête sur le côté en sondant mon âme.

- Bordel, tu me fais autant d’effet qu’une crise de panique, il dit, la voix rauque.

Je fronce les sourcils, pas sûre que ce soit un compliment.

Il sourit.

- C’est puissant, ça me ravage le cœur, mais d’une façon grisante, à en devenir accro, il explique.

Exactement ce que je ressens.

- Comme une vague d’amour, je dis tout bas.

Il hoche la tête, plus sérieux.

- Oui comme une vague d’amour, il chuchote avant de poser ses lèvres pleines délicatement sur les miennes.

J’ai l’impression de m’y fondre dedans. 

La sonnerie d’appel de mon téléphone nous sort de notre bulle hors du temps. Je croise les regards, tantôt amusés, tantôt surpris, de quelques piétons passant à proximité de ma voiture. 

- Shit ! Faut toujours que tu me déconcentres de ma tâche ! je m’exclame soudainement en me dégageant rapidement pour retrouver ma place derrière le volant.

J’attrape mon téléphone, décroche et aboie « Dans 5 minutes ! » avant de raccrocher. Je démarre en trombe la voiture et m'insère nerveusement dans l’avenue en faisant vrombir le moteur. Je suis concentrée comme jamais sur ma conduite mais je capte du coin de l’œil le sourire amusé de mon amoureux. Il a le bras posé nonchalamment sur le rebord de la fenêtre ouverte. Rien ne le stresse jamais, j’en suis jalouse. Une phrase de Simon me revient cependant en mémoire : « « Martin est sûr de lui la plupart du temps. Il a conscience d’être charismatique, et pas dénué d’intelligence, mais il n’est pas toujours confiant. Avec toi il ne l’est pas. » Je souris, revigorée par ce souvenir et appuie sur la pédale de l’accélérateur.

Je me gare devant le cimetière. Je respire profondément puis me tourne vers lui. Je déchiffre sur son visage l’incertitude, la peur mais aussi la confiance qu’il a en moi. Je descends, fais le tour de la voiture mais il est déjà sorti de l’habitacle. J’espère de tout mon cœur qu’on a pris la bonne décision, que ça va l’aider. Et qu’il ne m’en voudra pas. Je ne supporterai pas de le voir perdre ce sourire que j’aime tant.

- T’as confiance en moi ? je demande en lui tendant la main. Il ne répond pas de suite et l’inquiétude me gagne.

Il finit par emprisonner ma main dans la sienne et me dit :

- Je te suivrais n’importe où les yeux fermés. 

Sa sincérité me touche en plein cœur. 

Devant le grand portail du cimetière, il s’arrête et son regard se perd devant lui.

- J’ai peur, il m’avoue.

Et jamais je ne l’ai trouvé aussi majestueux. Je sais que ce qu’il craint le plus, c’est lui-même. Il a peur de sa réaction, peur de ses crises d’angoisse, peur de ne jamais vraiment surmonter sa peur. Il a peur de sa peur. C’est le lourd fardeau que partage l’ensemble de l’humanité.

- Je ne te lâche pas. Je ne vais nulle part, j’affirme d’un ton assuré.

Une larme solitaire dévale sa joue. Je ne sais pas s’il se rend compte à quel point mes paroles sont vraies. Il pourrait me repousser tout son saoul, il pourrait me quitter, partir à l’autre bout de la planète, je serai toujours là. Je l’aimerais même s’il ne partageait pas mes sentiments. Et son bonheur sera toujours ma priorité. Celui qui n’est pas capable de comprendre ça n’a jamais vraiment aimé.

Le cœur gonflé de détermination, je le guide silencieusement à travers les allées. Quand nous tournons dans celle de la tombe de sa mère, il s’arrête, surpris.

Son père et ses amis sont là et nous attendent.

Je l’incite à quitter son immobilité pour les rejoindre.

Simon nous accueille les bras grands ouverts, un immense sourire contagieux sur le visage, égal à lui-même. Anthony croise mon regard un quart de seconde et faussement impassible, se reconcentre sur Martin. Il l’observe avec attention et je sais que derrière son apparent stoïcisme, il détaille avec précision le langage corporel de son ami pour en déceler toutes les informations dont il a besoin. Son père tente de cacher son inquiétude dans un faible sourire. Sylvia est là aussi et je vois la gratitude se peindre sur le visage de Martin. Elle le salue d’une petite tape derrière la tête. Le petit frère d’Anthony est présent lui aussi. Il s’approche de Martin et ne semble pas savoir quoi dire ou faire, alors celui-ci lui ébouriffe les cheveux avec tendresse. Le petit Loïs, heureux, lui enserre violemment le torse, sa tête à lui ne dépassant pas ses épaules. Je remarque l’émotion qui perle au coin des yeux de mon amoureux, devant tout l’amour de ses proches. Il pose gentiment sa main sur la tête de l’adolescent. Il finit par le lâcher et se pose à côté de son grand frère.

Martin se tourne vers moi et m’interroge du regard, comme pour me dire « et ensuite ? ».

Je capte le regard d’Anthony et il acquiesce en silence avant de se positionner dos à la tombe face à tous. Je perçois les légers tremblements de ses mains mais sa voix porte haut et clair.

- Le deuil est une chose étrange. On pourrait croire qu’il s’agit seulement d’un processus nécessaire pour surmonter la perte d’un proche. La tristesse permet de se rendre compte de la valeur de la vie. Elle attire les marques de sympathie et à terme, nous fait développer à notre tour de l’empathie pour les autres. Mais le deuil ce n’est pas que ça. Face à la perte ou la mort, tout est remis en question. Les fondations de notre existence sont reconsidérées et nous semblent parfois bien ridicules à la lumière de notre chagrin. Le deuil est douloureux, mais nous fait grandir, la tête comme le cœur. 

Il pose un instant son regard sur Martin puis reprend :

- Victoria était notre maman à tous. Elle a transmis son sourire et sa joie de vivre à son fils unique. Il ne serait pas l’homme qu’il est aujourd’hui, qui nous casse les burnes mais qu’on adore tous, sans l’amour de ses deux parents. Et même s’il croit que les épreuves qu’ils ont traversé les ont handicapés son père et lui, il n’en est rien. 

Martin pleure silencieusement mais écoute attentivement les paroles de son ami.

Celui-ci ne le lâche plus du regard.

- Même s’il croit qu’il ne reste plus que le vide et la tristesse, il n’en est rien. Victoria était si pleine de vie que son absence ne suffit pas à révoquer tout ça. Son optimisme et son amour vont nous inspirer sur plusieurs générations, nous pousser à vivre, pour elle, pour nous-mêmes, pour le privilège de vivre l’amour. Car l’amour qu’on se porte les uns aux autres, c’est tout ce qui compte. Jamais rien ne comblera l’absence de Victoria, mais son absence nous aura rapproché les uns des autres, nous aura donner envie de vivre plus fort encore, car elle nous aura rappelé que rien n’est immuable.

Victoria, malgré la maladie, était heureuse. Elle a vécu le grand amour. Elle a dansé, ri, voyagé, fondé une famille. Son fils et son mari la comblaient de bonheur, et pourtant jamais elle ne s’est laissée enfermer dans cette bulle enchantée. Elle a toujours été là, pleine d’amour pour tous ceux qui croisaient son chemin. Elle a autant changé les couches de Simon que celles de Martin. Et à partir du moment où je suis devenu ami avec cette andouille, mon frère et moi avons été invités à manger des crêpes tous les mercredis après-midi. Elle nous contaminait par sa joie et nous poussait à être nous-mêmes au grand jour. C’était une grande dame. Nous l’avons beaucoup pleurée et nous la pleureront encore beaucoup. Mais elle mérite qu’on lui rende hommage. Et cet hommage sera fait chaque fois que l’on se relèvera après être tombé, chaque fois que notre cœur vibrera comme seule boussole.

Alors aujourd’hui, nous posons un acte symbolique en étant réunis ici, tout de blanc vêtus, dans ce but : l’honorer elle et honorer notre propre vie.

Emilie va maintenant chanter, pour elle mais aussi, et surtout, pour nous. J’espère que Victoria nous pardonnera que les paroles soient en anglais. 

Il esquisse un petit sourire en coin, celui qui le rend si craquant, et m’invite de la main à prendre sa place. Je presse la main de Martin puis la lâche sans un regard pour lui afin de ne pas perdre courage.

Le petit frère d’Anthony connecte son téléphone à une petite enceinte, lançant les notes de « Nothing else matters » de Metallica et m’adresse un sourire radieux, le pouce en l’air. Je lui rends son sourire et ferme les yeux pour laisser le son me porter loin, très loin. Je m’accroche aux notes de la guitare électrique, elles prennent progressivement de l’intensité, jusqu’à me laisser la parole :

« So close, no matter how far, couldn't be much more from the heart, forever trusting who we are, and nothing else matters … »

J’ouvre les yeux, imprégnée par le sens des paroles, par la musique qui crépite jusque dans mes veines et j’arrime mon regard à celui de l’homme que j’aime. Il a une main posée sur la tête de Loïs qui est devant lui, des étoiles plein les yeux. Celui-ci tient la main que son frère a posée sur son épaule. Serge se tient à la droite de Martin et son bras enserre les épaules de son fils. Il est le seul d’entre nous suffisamment grand pour faire ce geste. Il me sourit sans cacher son émotion. De son autre bras, il a le même geste envers Simon qui paraît bien petit à côté d’eux. Il semblerait qu’il ait à son tour, alpagué Sylvia dans une étreinte forcée. Celle-ci, prise en étau contre lui, semble un peu gênée par ce contact, mais le sourire qu’elle m’adresse montre qu’elle est touchée de ne pas être mise à l’écart.

« Trust I seek and I find in you » je chante en replongeant dans le regard de Martin.

« Every day for us something new » Il m’adresse un clin d’œil, malgré les larmes qu’il continue de verser.

La chair de poule me gagne. Je n’ai jamais eu l’occasion de chanter cette chanson en public. Dans cette circonstance précise, elle n’en est que plus magistrale. Et je suis reconnaissante de pouvoir y poser ma voix.

Quand je déclame la dernière phrase « No, nothing else matters » je lui adresse un petit signe de tête entendu et il hoche la sienne en souriant en réponse. Il reste une quarantaine de secondes avant la fin de la musique, mais nous restons tous là, perdus dans nos pensées, tous connectés les uns aux autres, jusqu’à ce que le silence remplace le son sorti de l’enceinte.


 

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D’un air entendu, nous prenons la direction de la sortie et laissons un peu d’intimité à Martin et son père.

Quand je passe à ses côtés pour rejoindre les autres, il attrape ma main et me tire fermement en arrière. J’atterris dans l’étau de ses bras. Je sens les émotions prendre place dans ma poitrine et au coin de mes yeux, et les retiens encore un peu. Je serre mes bras autour de lui et me concentre sur sa respiration, son odeur, tout sauf le déluge qui s’apprête à me faucher.

Je me mets sur la pointe des pieds, attire sa tête vers le bas, lui chuchote à l’oreille, comme un secret : « I love you. You’re not alone » avant de m’éclipser l’air de rien vers la sortie.

J’attends de bifurquer au bout de l’allée pour éclater en sanglots. Et même si j’ai fait des progrès pour m’accepter telle que je suis, là tout de suite je me déteste de ressentir avec une telle intensité. Je hais sentir cette explosion, ce déferlement d’émotions que je juge disproportionnées par rapport aux situations qui les déclenchent. 

J’entends soudain le gravier crisser et je relève la tête en sursaut. Anthony s’approche de moi. Je tente d’essuyer mes larmes et de lui sourire mais le résultat doit être désastreux.

- Viens-là, il me dit simplement en ouvrant ses bras.

Je le regarde, touchée mais aussi embarrassée qu’il me voit ainsi. Voyant mon hésitation, il s’avance et me prend lui-même dans ses bras.

- C’était intense en émotions Emilie, tu as le droit de pleurer. Et quoi qu’il arrive, tu auras toujours le droit de pleurer, toujours.

Les larmes que je tentais de ravaler n’attendent pas davantage pour surgir à nouveau, comme un torrent dévalisant tout sur son passage. Mes mains serrent fort son t-shirt qui finit trempé là où se tient mon visage. Je pense à ma propre mère et me demande si un jour nous aurons à l’enterrer, nous aussi, sans qu’on ait rien pu faire pour la sauver. Je m’autorise à lâcher les vannes. Mon passé m’appris qu’il fallait accepter les vagues de douleur et surfer dessus si on ne voulait pas finir noyé.

Anthony me caresse doucement les cheveux et n’attend rien de moi. Ma crise de larmes ne semble aucunement le choquer. Quand je me calme un peu, la culpabilité pointe le bout de son nez, vis-à-vis de Martin, vis-à-vis de lui ...

Je m’écarte doucement de son torse mais ne me résous pas encore à quitter complètement sa chaleur .

- Je suis désolée.

- Que je t’ai vue comme ça, que tu sois sensible, d’avoir accepté mon réconfort ou d’avoir choisi Martin ? il demande, très calmement, sans aucune animosité.

- Pour tout ça, je réponds alors qu’une énième larme s’échappe. Foutues émotions ! je peste en m’essuyant la joue rageusement.

Anthony soupire.

- Emilie … je t’ai attendue exprès. Je commence à te connaître et je savais que tu aurais besoin d’évacuer. Et tu n’as pas à en avoir honte. Simon n’a pas honte d’être exubérant, extraverti et super relou. Martin s’assume complètement, parfois trop. Et on les aime comme ils sont parce que … leurs imperfections font toute leur perfection. Et nous aussi on t’aime pour ce que tu es : timide, intelligente, sensible … N’aies pas honte de toi, je t’en prie. Tu es parfaite comme tu es. 

- Tony …, je me mords la lèvre, ne sachant quoi exprimer en premier.

- Oui, je sais. Moi aussi. Ça ne va pas être facile entre nous pendant quelques temps mais on fera au mieux, d’accord ? Tu n’as rien fait de mal. Tu es mon amie avant tout, au même titre que Martin. Et je serai toujours là, je te l’ai promis. 

Je me blottie à nouveau dans ses bras.

- Si tu pouvais te comporter comme un connard, ce serait plus facile pour moi, je déclare d’une voix étranglée, avant de murmurer: « You’re such an amazing person ». 

- Si j’étais Martin, je dirais « I know ! ». Mais comme je ne suis que moi, je vais détourner la conversation l’air de rien … Allez, viens, rejoignons les autres avant que Simon n’atteigne les limites de Sylvia. 

Il me fait pivoter pour me caler à sa droite, et de son bras m’enveloppe et me guide vers la sortie. Je profite ainsi encore quelques instants de la proximité de nos corps. La situation actuelle nous permet de vivre cette délicieuse et dernière exception. C’est un des derniers cadeaux de Victoria. 

 

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