Chapitre 32

 Le Rocheu ouvrait la marche, campé sur sa monture écrasée sous son poids. Si sa physionomie était plutôt avenante, il ne parlait guère. Quand il était entré dans l'auberge, la veille au soir, demandant sans préambule des chambres et un souper chaud, sa carrure avait pétrifié d'effroi les clients et le tenancier. Bien que son visage soit doux, son tronc, ses cuisses, ses épaules étaient si massifs qu'on tremblait à le voir s'approcher. On s'était aussitôt occupé de lui, n'accordant d'attention au légat et ses dames qu'une fois que l'on eut compris qu'ils étaient ses compagnons de route. Timoteus arborait une mise modeste pour son rang, bien que propre et choisie avec goût. Ilse en revanche, était particulièrement apprêtée, et malgré la fatigue et la poussière du voyage, on devinait qu'il s'agissait là d'une demoiselle de haute extraction. Accompagnés par la vieille Ruth, qui semblait avoir rajeuni de quinze ans, ravie d'avoir pris la route, ils formaient un drôle d'équipage. Ils s'attablèrent, cerné par la curiosité des autres voyageurs. Néanmoins la silhouette du Rocheu dissuada les indiscrets de les importuner de questions, et ils se restaurèrent en paix. Ils reprirent la route dés l'aube, après une bolée de lait de brebis tiède qu' Ilse avala goulûment

« As-tu bien dormi, Ruth ? Moi j'ai passé une nuit effroyable. Les étoiles brillaient si fort qu'elles éclairaient ma couche ! Une auberge sans rideaux, non mais a-t-on idée, parfois... Et puis, le bruit ! Pas une latte qui n'ait craqué au moins cent fois dans cette cambuse ! En vérité je n'ai tout bonnement pas fermé l’œil de la nuit ! »

Ruth acquiesçait, le regard rivé sur les vertes collines des Millesources, sans écouter. Timoteus souriait en son for intérieur : jamais sa fille n'avait paru tant en forme qu'après cette prétendue nuit blanche. Son babillage finit par s’éteindre peu à peu, et ils chevauchèrent au son des arbres battus par les vents et des collettes-à-sifflet.

« Papa ?

– Mm ?..

– Pourquoi se rend-on à Kaalun, en vérité ? Maman m'a dit... elle m'a redit que j'aurais dû être la prochaine reine.

– Je vois... Mais tu sais pourquoi ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ?

– Oh, oui, bien sûr, tu me l'as répété mille fois ! Katel la Folle, tout ça. C'est juste que... pourquoi allons-nous à Kaalun, alors ? »

Même en toute sincérité, il aurait été bien en mal de lui donner une raison précise. C'était justement parce que la situation n'était pas claire qu'il lui fallait voir Saul, mais cela, comment l'expliquer sans se trahir...

« Et bien... Saul est mon ami, mon frère presque. J'ai besoin de le voir, et de te présenter à lui, ainsi qu'à ses fils. Tu es le prochain légat-gouverneur des Cimes après tout... »

Elle ne réagit pas à cette dernière assertion, et affectait une mine partagée entre déception et soulagement.

« Oh... C'est qu'un instant j'ai cru... Je me suis demandée si tu n'avais pas idée de me présenter à l'aîné en vue d'un... d'une union. »

Timoteus stoppa brusquement sa monture, et se planta devant sa fille, le visage crispé par une colère subite : « Un mariage avec Evan ?! Jamais, entends-moi bien, JAMAIS ! »

Ilse était frappée de stupeur. Jamais elle n'avait vu son père crier sous l'effet de la colère et surtout... d'où lui venait-elle ? Il la regardait comme si elle avait commis une grave bêtise, mais elle eut beau chercher... Non, elle ne comprenait pas. Timoteus le lut dans son regard et s'adoucit :

« Pardonne-moi ma chérie... Ce n'est pas l'objet de notre voyage, non. Absolument pas.

– Oh, d'accord », fit-elle vexée, et agitée par le comportement nerveux de son père, d'ordinaire paisible, « De toute façon, je n'ai aucune envie d'être reine ! Gouverner, mais quel ennui...

– Réalises-tu, demanda le légat de sa voix la plus douce, qu'un jour tu devras diriger les Cimes ?

– Papa, par pitié, veux-tu à tout prix gâcher le voyage ? Tu t'énerves sans raison, et voilà que tu m'ennuies encore avec ça... Je ne veux pas en parler maintenant. En fait, je voudrais ne plus jamais en parler. »

Elle mit son cheval au trot, et partit rejoindre le Rocheu, pour l'abrutir de paroles, l'air de rien. Timoteus resta en retrait, soucieux. Il n'avait ni frère ni sœur, aucune nièce ou neveu pour prendre sa suite... Il lui faudrait aussi régler cette question prochainement... Il surprit la vieille Ruth qui l'observait en coin. Elle lui adressa un sourire encourageant, comme si elle avait su lire dans ses pensées. Timoteus eut à nouveau ce sentiment qu'elle en savait beaucoup plus qu'elle n'en laissait paraître.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Fannie
Posté le 05/02/2020
Chapitres 32 et 33 :

Ilse confirme son caractère volontaire et épris de liberté ; elle ne veut pas bêtement faire ce qu’on attend d’elle selon les règles de la société. Cependant, je la trouve étonnamment hésitante dans le dialogue avec son père. Et Ruth, qu’est-ce qu’elle sait ? Ce qu’Ilse lui confie ? Ce qu’elle entend en écoutant aux portes ? Ce que les domestiques se racontent entre eux ?
Olga n’est pas très chaleureuse, mais au moins, elle n’est pas trop contrariante et elle laisse un peu de liberté à Follet. Ce dernier est égal à lui-même, mais ne pas écouter l’intendante pourrait sans doute lui attirer des ennuis s’il fait des choses qu’il ne devrait pas faire ou s’il ne fait pas ce qu’on attend de lui… Sa rencontre avec la Banshee est intéressante ; elle a vite trouvé moyen de rétablir le contact avec Olga. Moi aussi, j’espère que le dispensaire se fera vraiment. Mais si le prince meurt, qu’en adviendra-t-il ?
Coquilles et remarques :
— Bien que son visage soit doux, son tronc [Pourquoi pas « fût doux » ? Alors que tu emploies abondamment le subjonctif imparfait, ici, tu mets subitement le subjonctif présent. Ça confirme mon impression que tu ne maîtrises pas bien le subjonctif et son emploi en général. Il faudrait que tu mettes de l’ordre là-dedans.]
— son tronc, ses cuisses, ses épaules étaient si massifs qu'on tremblait à le voir s'approcher [en le voyant ; la tournure « trembler à la vue de qqn » est naturelle, mais la tournure « trembler à voir qqn » me laisse dubitative]
— qu'une fois que l'on eut compris qu'ils étaient ses compagnons de route [que l’on eût compris ; subjonctif plus-que-parfait]
— Ils s'attablèrent, cerné par la curiosité des autres voyageurs [cernés]
— Ils reprirent la route dés l'aube, après une bolée de lait de brebis tiède qu' Ilse avala goulûment [dès l’aube / qu’Ilse (sans espace après l’apostrophe) / il manque le point à la fin de la phrase]
— Katel la Folle, tout ça [la folle]
— Elle ne réagit pas à cette dernière assertion, et affectait une mine partagée entre déception et soulagement [pas de virgule avant « et » / « et affecta » ou « mais elle affectait »]
— Je me suis demandée si tu n'avais pas idée de me présenter [Je me suis demandé ; j’ai demandé à moi-même : c’est un COI, donc on n’accorde pas le participe]
— « Pardonne-moi ma chérie... [virgule avant « ma chérie »]
– Oh, d'accord », fit-elle vexée, et agitée par le comportement nerveux de son père, d'ordinaire paisible, « De toute façon, [pas de virgule avant « et » / il faut un point (et pas une virgule) après « paisible »]
– Réalises-tu, demanda le légat [« Te rends-tu compte » ou « Es-tu consciente » ; ici, l’anglicisme détonne]
— Elle mit son cheval au trot, et partit rejoindre le Rocheu, pour l'abrutir de paroles, l'air de rien [pas de virgule avant « et » / la virgule après « le Rocheu » est superflue]
.
— En sortant de l'Intendance [l’intendance]
— A ses côtés marchait l'étrange jeune fille [À]
— qui avait tellement rougi lorsqu'ils avaient pénétré son cabinet que Follet crut un instant qu'elle s'étouffait. Il ne comprit pas trop les raisons de cette fureur mal dissimulée [pénétré dans son cabinet / que Follet avait cru / il ne comprenait pas bien]
— La femme furieuse lui demanda s'il avait des questions, et ses mâchoires crispées lui conseillaient fortement de répondre non. [Je propose « mais ses mâchoires » ; il y a une opposition ou une contradiction dans son attitude]
— « Bien. Chante tes fariboles à l'aube, et rejoins-moi. Pour aujourd'hui, je t'attends après déjeuner, dans le clos de la prison. » [pas de virgule avant « et » / la virgule après « déjeuner » est superflue]
— Elle était si âgée qu'on jurait qu'elle allait tomber [qu’on aurait juré]
— « Eh gamin ! Follet c'est bien ça ? J'vois que tu sors des Chimères, serait-ce donc toi qui travaille avec l'Olga ? [virgule après « Follet » / toi qui travailles]
— Les yeux qui décochent des flèches et la bouche à peine un mot ! [Il faudrait une virgule après « la bouche » pour indiquer l’ellipse du verbe ; mais cette façon de s’exprimer est bien trop recherchée pour la Banshee]
— « Ah, tu es drôle gamin, mais avant de lui mettre des souliers à celle-là, il faut lui passer les fers ! Moi c'est La Banshee », se présenta-t-elle en lui tendait une main osseuse et verte aux extrémités, et, ajouta, l'air grave, « Faut lui dire de revenir à la gamine, les Vents se lèvent, bientôt les Glaces... On a besoin d'elle ici !
[virgule avant « gamin » / pas de virgule avant ni après « et » / pour l’incise, je propose : reprit-elle en lui tendait une main osseuse et verte aux extrémités, puis elle ajouta, l'air grave : « Faut lui dire (…) / virgule avant « à la gamine » et point-virgule après]
— La Vieille Banshee abrutit Follet de questions, auxquelles il ne sut répondre. Soudain, elle lui fourra dans la paume un petit objet, et lui referma les doigts dessus [pas de virgule avant « auxquelles » ni avant « et »]
— Je l'ai depuis l'éternité, j'ignore son usage [depuis une éternité]
— Alors qu'elle se retirait, il jeta un œil à l'objet [il jeta un coup d’œil ;« jeter un œil » est une expression familière qui appartient au langage parlé, donc à éviter dans la narration]
— La fleur était fanée, sèche, mais ses couleurs étaient aussi vives que si on l'eut cueilli un instant auparavant [que si on l’avait cueillie ; que si on l'eût cueillie n’est pas correct (c’est un conditionnel deuxième forme et pas un passé antérieur) : on ne met pas de conditionnel après « si »]
Isapass
Posté le 08/02/2018
Bon, je suis déçue : même en mode pinaillage, j'ai rien trouvé ! 
Comme d'habitude, ça se dévore sans faim.
J'aime beaucoup Isle.
Je file voir la suite ! 
Vous lisez