Chapitre 33

En sortant de l'Intendance, Follet avait à la main un mélior, et dans l'autre, un rouleau scellé certifiant qu'il était employé au château et pourrait s'y restaurer à sa faim. A ses côtés marchait l'étrange jeune fille aux pieds nus et aux yeux taillés à la serpe, silencieuse, ni réjouie ni sombre. Indéchiffrable, contrairement à l'Intendante, qui avait tellement rougi lorsqu'ils avaient pénétré son cabinet que Follet crut un instant qu'elle s'étouffait. Il ne comprit pas trop les raisons de cette fureur mal dissimulée, à part peut-être quand il avait machinalement fait sonner les cordes de son instrument alors qu'elle lui débitait des règles ennuyeuses qu'il n'écoutait pas. Où est-elle cette tour des Écrits, songeait-il, je dirais que c'est celle la plus à l'est, mais je n'en suis pas sûr... Il faudra que j'en trouve l'accès. Je me demande si elle est gardée... Comment y classe-t-on les ouvrages, par sujet ou par auteur ? Personnellement je les classerais par sujet, mais quelque chose me dit que tout ce que je pense, ce fichu archiviste en jure tout le contraire...

Une main abattue sèchement sur la table lui fit perdre le cours de ses pensées. La femme furieuse lui demanda s'il avait des questions, et ses mâchoires crispées lui conseillaient fortement de répondre non.

Son unique requête, il la soumit à Olga, alors qu'ils s'éloignaient de l'Intendance.

« Euh... Est-ce que je pourrais, les quelques jours à venir, prendre un temps pour chanter au marché ? Oh, quelques minutes, à peine ! Mais c'est ma meilleure histoire, on se presse pour l'entendre, exagéra-t-il un peu, je dois finir où je sens qu'on va me voler dans les plumes ! »

Il faillit chanter, se refréna, et s'empêtra dans un sourire mi-charmeur mi-penaud, qui eut autant d'effet qu'un souffle sur une brûlure.

« Bien. Chante tes fariboles à l'aube, et rejoins-moi. Pour aujourd'hui, je t'attends après déjeuner, dans le clos de la prison. »

Il fila sans demander son reste. Pas bien causante, mais peu contrariante ma foi. Demain, juré, je lui parle de la bibliothèque !

Il avait à peine passé le grand portail des Chimères et posé le pied sur la Grand'Place qu'une vieille femme trotta dans sa direction. Elle était si âgée qu'on jurait qu'elle allait tomber en cendres sans un bruit. Sa voix vigoureuse démentit cette impression.

« Eh gamin ! Follet c'est bien ça ? J'vois que tu sors des Chimères, serait-ce donc toi qui travaille avec l'Olga ? Comment elle va ?

– Pardon ? Qui donc ? Lolga ?

– Olga. Les cheveux en nid d'oiseaux... Les yeux qui décochent des flèches et la bouche à peine un mot !

– Ah ça oui, c'est bien elle ! Mais de là à vous en dire plus... Si, j'peux bien vous dire qu'elle va pieds nus dans le château, ces bougres-là ne lui ont pas donné de souliers... »

La vieille éclata de rire, dévoilant ses dents étonnamment saines.

« Ah, tu es drôle gamin, mais avant de lui mettre des souliers à celle-là, il faut lui passer les fers ! Moi c'est La Banshee », se présenta-t-elle en lui tendait une main osseuse et verte aux extrémités, et, ajouta, l'air grave, « Faut lui dire de revenir à la gamine, les Vents se lèvent, bientôt les Glaces... On a besoin d'elle ici ! Faut qu'elle soigne !

– Je... j'ai cru comprendre qu'un dispensaire allait ouvrir, elle y recevra ».

La Vieille Banshee abrutit Follet de questions, auxquelles il ne sut répondre. Soudain, elle lui fourra dans la paume un petit objet, et lui referma les doigts dessus.

« Tu lui donneras ça, promis hein ? Je l'ai depuis l'éternité, j'ignore son usage. Elle qui parle aux fleurs, peut-être qu'elle saura. Allez, j'en vois là-bas qui attendent tes histoires, ne les déçois pas.»

Alors qu'elle se retirait, il jeta un œil à l'objet. C'était une petite boîte en verre, plutôt raffinée, bizarrement tiède. Elle était scellée par un fermoir vert-de-gris, du cuivre très probablement, et contenait une fleur. Follet fronça les sourcils, la corolle aux larges pétales avait un aspect dérangeant... La fleur était fanée, sèche, mais ses couleurs étaient aussi vives que si on l'eut cueilli un instant auparavant. Au dos de la boîte était gravée en cursives élégantes cette mention : « Talent caché ». Il la fit glisser dans sa bourse, où elle tinta contre le mélior, et prétendit accorder son instrument pendant qu'approchaient déjà les badauds. La vieille avait raison : on l'avait attendu.

 

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Isapass
Posté le 08/02/2018
Ah oui, il est sympa, ce follet ! J'aime bien la scène dans le bureau de l'intendante ! Et le contraste avec Olga fonctionne décidément très bien. 
Pinaillage : 
"aux yeux taillés à la serpe," : je visualise moyen les yeux taillés à la serpe (et ça doit faire vachement mal). C'est quoi que tu veux dire en fait ?
" je dirais que c'est celle la plus à l'est, " : j'enlèverais le "celle" qui n'est pas super joli (même si Follet n'est pas censé avoir un langage très châtié). 
" La femme furieuse lui demanda s'il avait des questions, et ses mâchoires crispées lui conseillaient fortement de répondre non. " : concordance des temps. Je mettrais les 2 à l'imparfait ou les 2 au passé simple.
"qui eut autant d'effet qu'un souffle sur une brûlure." : j'imagine que tu veux dire que ça ne fait rien du tout ? Si c'est le cas, je trouve l'image pas assez parlante : un souffle sur une brulure, ça peut quand même soulager. Mais sinon j'adore cette phrase qui m'a bien fait rire en imaginant une espèce de sourire tout tordu de Follet, et la bouille hyper sérieuse d'Olga. 
"Elle était si âgée qu'on jurait qu'elle allait tomber en cendres sans un bruit." : j'aurais mis "qu'on aurait juré". Mais j'adore l'image.
Je file voir le dernier que tu as posté. 
Olga la Banshee
Posté le 08/02/2018
Ahahah, j'adore tes commentaires !
Les yeux "taillés à la serpe", c'était pour changer d'expression pour les "Yeux en fentes", en "coups de couteaux".
"le souffle sur le brûlure" > je 'étais fait la même réflexion... C'est ben vrai ! 
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