Chapitre 32 : Arnitan

Par Talharr

Arnitan :

Son casque et son armure d’entraînement tintaient sous les gouttes de pluie. Son épée, elle, se fichait bien de l’eau qui dégoulinait le long de son arête. Elle avait sa cible en ligne de mire. Les yeux d’Arnitan, brouillés par les trombes qui ruisselaient sur son visage, peinaient à distinguer son maître. Son corps tremblait de froid. Un vent glacial soufflait.

Un ciel noir recouvrait depuis plusieurs jours la vallée et la cité d’Alhadran. Une pluie incessante se déversait dans les ruelles pavées.
La source avait soif, avait ri Draiss.
En y repensant, Arnitan ne put s’empêcher de sourire.

    — Qu’est-ce qui te fait sourire ? demanda Brelan, à quelques mètres de lui, forcé d’élever la voix pour se faire entendre entre le vent et la pluie.

    — Rien, maître. Je suis toujours concentré.

    — C’est ce qu’on va voir.

Voilà plus d’une demi-heure qu’ils tournaient l’un autour de l’autre dans le jardin, frappant et parant sans relâche, la fontaine battant le rythme de leurs assauts.
Comme à chaque entraînement, Arnitan portait à la ceinture la dague à la tête de loup. Un souvenir. Un rappel. La vengeance. La protection. La survie.

Soudain, Brelan fonça sur lui, l’épée brandie à deux mains. Arnitan, sûr de l’attaque frontale, se mit en position, prêt à encaisser.
Mais le maître d’armes se déporta brusquement sur le côté en glissant sur une flaque, et Arnitan, pris de court, se retrouva avec la pointe de l’acier contre la gorge.

    — Nouvelle leçon : toujours utiliser l’environnement contre ton ennemi, expliqua Brelan avec un sourire, baissant le regard vers ses pieds.

Arnitan suivit ce regard et découvrit qu’il ne portait pas ses bottes ferrées habituelles, mais de simples souliers.

    — Ça permet de mieux glisser, ajouta Brelan, hilare.

Il a encore triché… pensa Arnitan.

Le maître d’armes reprit sa position.

    — On continue !

Ils échangèrent encore coups et parades, cherchant à surprendre l’autre. Arnitan ne remporta qu’une seule manche.
La pluie redoubla de violence.

    — Je sais que tu veux le préparer à terrasser un dragon des mers, mais vous allez finir par tomber malades ! cria Gabrielle.

Brelan, après un dernier coup de pied qui envoya son élève au sol, soupira. Arnitan glissa, tomba, puis vit une main se tendre vers lui. Il l’attrapa. À sa surprise, au lieu d’une remontrance, il reçut un sourire rare.

    — Tu t’es encore amélioré. Je ne te demande pas de me battre. Seulement de survivre face à tes ennemis. Au moins… jusqu’à ce que je meure.

Arnitan le regarda s’éloigner vers la porte du château.

J’essaierai.

    — Arnitan ? Tu m’écoutes ? fit Gabrielle en le faisant sursauter.

Il suivit Brelan et entra dans la grande salle d’attente.

    — Allez dans vos chambres, les cheminées y ont été allumées. Et débarrassez-vous de cette odeur ! ajouta la guérisseuse-herboriste en se pinçant le nez.

Brelan grogna quelque chose et s’éloigna. Gabrielle haussa les sourcils en partant à sa suite.

Arnitan sourit, gravit l’escalier et longea le grand couloir. Seuls quelques domestiques passaient. Enfin, il pouvait souffler, réfléchir.

Devant sa chambre, il jeta un regard vers la porte d’en face. Celle d’Aelia.

Les Terres Abandonnées… détruire un dieu…

Il entra, se déshabilla près de la cheminée, laissant sécher ses vêtements trempés sur une chaise. Le froid le fit grelotter un instant avant que la chaleur du feu ne l’envahisse. Mais il ne fallait pas qu’il reste trop longtemps nu : si quelqu’un entrait, il ne s’en remettrait pas.

Dans la petite pièce attenante, une bassine d’eau chaude l’attendait, parfumée à la lavande.
Merci, pensa-t-il en s’y immergeant.

Il resta longtemps ainsi, savourant ce luxe rare, avant de replonger dans ses pensées. Sa mission. Celle d’Aelia. Et surtout Gwenn. Elle lui manquait atrocement. Il n’y avait plus cette touche colorée qui riait ou qui s’inquiétait de tout et de rien. J’ai promis de te sauver. Mais je ne sais pas comment…

Son esprit dériva vers Wolfrharr. Peut-être… mais ses yeux se fermèrent. Il s’endormit.

Des coups frappés à la porte le réveillèrent en sursaut. L’eau déborda sur le sol.

Par Talharr !

Il sortit, la peau fripée désagréable, enfila rapidement des vêtements noirs posés sur le lit, puis ouvrit.

    — Monsieur Calir ?

    — Puis-je entrer ? demanda le messager.

Arnitan s’écarta. Le regard chaleureux de Calir contrastait avec son visage bouffi. Le silence s’installa. Gêné, Arnitan prit la parole :

    — Vous vouliez me parler ?

    — En effet. Tout le monde connaît le dessein qui vous attend. Je dois être votre guide. Celui qui accompagnera les élus.

Stupéfait, Arnitan le fixa.

    — Oui, dit comme ça c’est étrange. Mais je connais l’histoire de nos dieux disparus. Et j’ai toujours cru que Talharr reviendrait vers nous au moment crucial.

    — Je…

    — Vous êtes là avec cette jeune fille. Le destin du monde est entre vos mains. Je peux vous aider. Je sais comment atteindre les Terres Abandonnées.

Les Terres Abandonnées ? Je n’en ai parlé à personne… sauf si Aelia en avait déjà discuté…

    — Mais… et le comte ?

    — Je comptais d’abord obtenir votre accord, avant de solliciter celui du comte, répondit calmement Calir, les yeux brillants d’excitation.

Il reprit plus gravement :

    — Avant cela, j’ai envoyé des missives à Balar et demandé le soutien de Cartan pour vaincre Drazyl et sauver Gwenn.

Arnitan resta sans voix. Quelqu’un qui connaît les récits anciens, qui veut sauver Gwenn, et sait comment rejoindre les Terres Abandonnées…

    — D’accord. Nous attendrons la fin du conseil avec le roi Alderian avant de reprendre notre route.

    — Parfait. Merci d’avoir accepté, vous ne serez pas déçu.

Calir s’éclipsa, un sourire au coin des lèvres.
Il est étrange… mais bienveillant.

Peu après, la porte s’entrouvrit de nouveau.

    — Arnitan ? appela doucement Aelia.

    — Tu peux entrer.

Elle referma derrière elle. Sa robe vert émeraude faisait ressortir ses yeux olive. À son cou brillait un collier de pierres noires gravées de symboles.
Rougissante sous son regard, elle toussota.

    — Je voulais que l’on puisse parler seul à seul, expliqua Aelia. J’ai croisé Calir. Pas de mauvaises nouvelles ?

Elle vint s’asseoir sur le lit aux côtés d’Arnitan.

    — Non, tout va bien. Il veut nous accompagner dans les Terres Abandonnées. Il connaîtrait le chemin.

    — Oh, d’accord. Toute aide est la bienvenue.

    — En as-tu parlé ?

    — De quoi ?... Ah euh non, enfin… à part à Arlietta… Oh zut…

    — Ce n’est rien. Au moins il nous restera plus qu’à trouver le bon plan.

Aelia hocha la tête. Son air s’assombrit.

    — J’ai peur. Depuis le début, je cherche des réponses. Mais plus j’apprends, moins je suis sûre de vouloir savoir. Des pouvoirs que je ne maîtrise pas. Une mère qui m’a tout fait oublier…

Arnitan posa instinctivement sa main sur la sienne, brûlante.

Ses yeux pétillaient, pleins de larmes.

    — Moi aussi j’ai peur. De l’échec, de ne pas tenir mes promesses. Mais je sais une chose : nous sommes ensemble. Nous avons des alliés. Nous ferons tout pour l’emporter. Nous survivrons. Ce monde survivra.

La cicatrice sur son torse se mit à luire. Le poignet d’Aelia s’illumina en écho, les traversant d’une chaleur douce. Deux cœurs, un destin.

Quand la lumière s’éteignit, Aelia, émerveillée, demanda :

    — Qu’est-ce que c’était ?

    — Je… je ne sais pas.

Le regard d’Arnitan se posa sur son collier. Il lui semblait l’appeler.

    — Je peux ?

Rougissante, elle acquiesça. Il effleura les pierres froides.

    — Tu sais ce que ça veut dire ?

    — Non. J’ai bien essayé de rechercher dans les livres de la bibliothèque de Lordal… mais rien.

Alors qu’il tournait les pierres, tout disparut autour d’eux. Ils chutèrent dans un gouffre noir, leurs cris se mêlant au silence du vide.

Ils s’écrasèrent sur une surface dure. Arnitan avait la respiration coupée mais rien de cassé. Essoufflé mais indemne, il se releva.

Aelia, elle, était déjà debout.

Elle souriait.

     — J’ai déjà vécu ça.

Il ne faisait ni chaud ni froid. Comme si toutes les sensations avaient disparu.

Peu à peu, arbres et végétation surgirent du néant. Arnitan reconnut l’endroit.
La Forêt Sans Morts…

     — La Forêt Sans Morts, confirma une voix féminine.

Il se tourna.

     — Mère ! cria Aelia.

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Scribilix
Posté le 26/08/2025
Salut,
Super chapitre, très fluide du début à la fin. De l'entrainement avec Brelan jusqu'à la vision d'Aélia. Je n'ai rien à y redire sur la forme ou sur le fond, c'était top ^^
A la suite,
Scrib.
Talharr
Posté le 26/08/2025
Hello ^^
Oui je trouve que la j'ai retrouvé ma patte émotion humaine aha ça fait du bien 😁
Très content que ça t'ai plu 😀
La suite devrait être tout autant sympa.

A plus ! ^^
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