Chapitre 32 : Le bal d'hiver

Notes de l’auteur : Bonjour bonjour ! Ce chapitre marque la fin du premier tome de l'histoire... et la publication s'arrêtera là pour le moment. Je viens de finir le premier jet et je préfère revenir, même dans longtemps, avec une histoire retravaillée et aboutie, ce sera mieux pour tout le monde ! ^^
Bonne lecture !

Il se laissa tomber dans son fauteuil favori, sans se soucier de mouiller le velours du dossier avec ses vêtements et ses cheveux trempés de neige fondue. Sa servante n’était visiblement pas là, ce dont il était ravi.

Passant lentement ses mains sur son visage, Tyeltaran soupira. Il lui restait encore quelques heures avant l’ouverture du banquet, et n’avait aucune envie de se précipiter sur sa garde-robe pour déterminer ce qui le ferait le plus briller. Les souvenirs qui ressurgissaient sous ses paupières closes étaient plus attirants.

Les fleurs dans les cheveux de Caraghon, qu’il avait lui-même glissées, avec une audace dont il se surprenait lui-même. Il n’aurait pas cru que le soldat le laisserait faire. La peau glacée de ses mains qu’il aurait voulu tenir toute la journée pour les protéger du froid. Son visage à la fois calme et expressif, ses sourires timides et sa réserve qui ne se rompait que bien trop rarement.

Rouvrant les yeux, Tyeltaran lorgna quelques instants la carafe de vin qui trônait sur le guéridon un peu plus loin, avant de s’en détourner. Il avait passé les dix derniers soirs à se plonger avec application dans l’alcool, ruminant avec amertume l’attitude de son père, l’absence de Caraghon et les réflexions d’Alàtar sur ses cernes et son visible manque d’énergie. Arriver ivre au banquet de la fête de l’hiver ne lui paraissait cependant pas une brillante idée. Il aurait bien l’occasion de s’y mettre une fois sur place.

Et pourtant, comme étranger à son propre corps, il se vit se lever et saisir la carafe pour laisser couler le liquide grenat dans une coupe d’argent.

Allons, un verre pour se donner du courage ne lui ferait pas de mal.

 

Le ciel s’assombrissait peu à peu à l’est lorsque le coup de cloche prévint le palais entier de l’ouverture du banquet. Caraghon, qui avait oublié l’inconfort des tenues de cérémonie qui étaient malheureusement de convenance, pénétra dans les Halles du roi avec la sensation d’être aussi souple qu’une hallebarde.

Axat l’avait attendu en embuscade dans son antichambre, pris en otage et envoyé dans le bain sans lui laisser le temps de respirer. Il avait eu droit aux habituelles remarques sur sa façon de laisser ses cheveux mouillés sans les démêler, subi du martyr du peigne, et enfin l’importante question de l’habillement. Avec résignation, Caraghon réalisa qu’il lui faudrait assurer sa veille dans la tour de Lün dans cette tenue.

Les Halles étaient éclairées de mille chandelles dont les reflets brillaient sur les dorures et le marbre, ornées à foison de bouquets de fleurs de cyrmä. Un certain nombre d’invités étaient déjà présents, déambulant par couples ou rassemblés en petits cercles de discussion, emplissant les hautes voûtes de l’écho satiné de leurs voix.

— Caraghon !

Une jeune femme vêtue d’une longue robe viride aux jupes bouffantes surgit d’un escalier à double volées. Ses cheveux noirs étaient retenus par une broche d’argent qui dégageait son visage. Caraghon faillit ne pas la reconnaître.

— Qu’est-ce que vous faites dans cette tenue ? s’étonna-t-il.

Kanska éclata de rire sans discrétion. L’écho de sa voix résonna dans la haute galerie, faisant se retourner les courtisans intrigués autour d’eux.

— Cela vous choque de voir une femme en robe ? murmura-t-elle en passant son bras sous le sien avec familiarité.

— Je ne pensais pas que vous en portiez, expliqua Caraghon, confus.

— Le moins possible. Pour l’occasion, mieux vaut paraître bien mise plutôt qu’en pantalon d’équitation… mais il n’en reste pas moins que je déteste ces jupons qui traînent par terre, ces corsets qui étouffent et ces bijoux qui clinquent.

— Pourtant, vous êtes ravissante, hasarda Caraghon pour se montrer courtois, bien qu’il n’ait guère l’habitude des manières à adopter avec les dames.

— Merci, lâcha-t-elle comme si elle n’y croyait pas. Quant à vous, vous avez fière allure, malgré un petit air constipé.

Il lui décocha une moue circonspecte qui la fit de nouveau rire.

— Comment va votre bras ? s’informa-t-il.

— Pas plus mal que la dernière fois, répondit-elle d’un air malicieux. Je peux enfin m’en resservir normalement, d’après le guérisseur – ne lui déplaise, je n’avais pas cessé de le faire.

— J’ai pu le constater. Vous devriez tout de même être prudente.

— Bah, ce n’est pas la première fois que je me casse quelque chose.

Voilà qui ne l’étonnait pas, songea-t-il à part lui.

Tandis qu’ils s’avançaient à travers la galerie, son regard parcourait distraitement les visages de ceux qui les entouraient ; la plupart lui étaient inconnus, mais il repéra non loin Amaran de Calcède en compagnie de sa sœur Idiane, qui conversaient à voix basse derrière leurs hanaps ouvragés. Nulle part il ne vit le roi ni aucun des princes ; Laeïos aussi semblait pour l’heure absent.

— Il ne me semble pas vous avoir vu au palais aujourd’hui, reprit Kanska. Peut-être étiez-vous en ville ?

— Oui, en effet, avoua naïvement le jeune soldat.

Le regard pétillant de sa compagne lui fit regretter son honnêteté.

— Seul ? Je ne vous connais pas aussi aventureux. Vous deviez forcément avoir suivi quelqu’un capable de vous faire découvrir les festivités du bourg.

Partagé entre amusement et exaspération, Caraghon s’accorda quelques secondes de feinte réflexion avant d’éluder :

— C’est possible.

Kanska émit un « humhum » entendu en hochant la tête. Elle était trop butée pour être dupe et il en était fatalement conscient.

— Alors j’ose espérer que cette bonne compagnie a su vous faire passer une agréable journée…

— Cela aurait pu être pire, laissa-t-il tomber.

— Et cela aurait-il pu être mieux ?

Elle levait le menton vers lui en battant des paupières avec une parfaite innocence.

« Peut-être », faillit-il répondre, mais il se sentait incapable d’affronter la curiosité qui surviendrait immanquablement. Il n’avait pas envie d’évoquer cette demoiselle qui avait entraîné Tyeltaran avec les danseurs, pour laquelle il éprouvait encore un élan de rancœur étouffée.

— Et vous, Kanska, comment s’est passée votre journée ?

Elle le dévisagea d’un air scrutateur, comme si elle tentait de déterminer ce qu’il lui cachait en esquivant sa question, avant de hausser les épaules :

— Comme une autre. Je n’ai pas une vie des plus exaltantes.

L’un des serviteurs qui circulaient à travers la galerie en proposant des coupes de vin aux hôtes s’approcha. Kanska se servit sans hésiter, mais Caraghon refusa d’un signe de main. Parcourant régulièrement la galerie de regards circulaires, il remarqua Alàtar, accompagné du duc d'Ustan, qui arrivaient d’une galerie transversale.

— Depuis que monseigneur Hadran est arrivé, on dirait que le prince Alàtar a complètement délaissé votre arhîl, glissa Kanska, la bouche en cœur.

— Tiens, vous aussi aviez remarqué leur proximité ?

Elle confirma d’un hochement de tête.

— Alàtar a toujours été très proche du duc d'Ustan. Cela tombe bien, je n’apprécie ni un ni autre.

— Vraiment ? s’étonna Caraghon. Je reconnais que le duc d'Ustan ne m'a pas fait grande impression, mais le prince…

Il laissa phrase en suspens, ne sachant pas trop quel argument adopter en faveur d'Alàtar. En vérité, ses sentiments à son égard étaient toujours mitigés.

— Vous ne le trouvez pas sinistre ? fit Kanska avant de plonger ses lèvres dans son verre. Je préfère de loin la lumière de Tyeltaran.

Caraghon approuva muettement, mais n'osa pas l'exprimer à voix haute.

— C'est sa manière d’être, dit-il à la place. Cela ne l’empêche pas d’être droit et compétent.

Elle le regarda avec étonnement, et il se demanda s’il était en droit de proférer un tel jugement. Même si ses échanges directs avec le prince cadets demeuraient épisodiques, il avait l'occasion de l'observer lors des réunions avec le roi.

— Vous avez réussi à devenir familier avec les deux fils du roi en quelques mois ? s'exclama Kanska en riant.

Les trois, la corrigea-t-il en pensées.

Et alors qu'il y réfléchissait de cet angle-là, cela était en effet assez surprenant. Lui qui avait toujours vécu pour l'anonymat de l'armure de garde voyait décidément son aspiration contrariée jusqu’au bout.

— Tenez, quand on parle du loup, reprit Kanska en rendant le cou pour tenter de voir par-dessus les têtes.

Caraghon suivit son regard. Tyeltaran venait de faire son entrée. Comme au banquet en l'honneur de l’arrivée de la délégation dejclane, il était paré d'or et de rouge jusqu’à l’outrance. Mais Caraghon ne voyait plus sa démarche conquérante ni son port de tête altier : seulement l'artificialité de cette façade.

Pendant qu’il épiait le prince, Kanska se démenait avec les coutures de son bustier cintré d’un air fortement agacé.

— Par les Dieux, cette robe… Qui a inventé cette horreur, franchement ? Encore une heure comprimée là-dedans et je mourrai asphyxiée.

Elle se consola d’une vigoureuse gorgée de vin, avant de porter un regard furieux sur Caraghon, comme s’il était la cause de son mal-être.

— Je n’ai pas pour habitude d’envier les garçons, mais qu’est-ce que vous avez de la chance dès qu’il s’agit de ces sorcelleries.

Constatant que sa coupe était vide, elle leva la main pour héler l’un des serviteurs. Malgré toute sa compassion pour la jeune femme, Caraghon ne pouvait s’empêcher de suivre Tyeltaran du regard. Il avait rejoint Alàtar et Ustan, et trinquait avec eux en arborant un sourire évident, mais sans chaleur.

 

Il ne parvenait pas à rester concentré sur la conversation oiseuse qu’entretenaient son frère et Ustan, malgré ses – maigres – efforts. La seule chose qui lui semblait digne d’intérêt était sa coupe de vin, qu’il regardait avec regret se vider au fur et à mesure qu’il y puisait un peu de force. Le goût âcre de l’alcool dans sa gorge le nimbait d’une étonnante sensation de tranquillité, comme s’il se détachait du vacarme ambiant pour se retrouver seul en lui-même, dans une bulle de calme. Pourquoi était-il là, déjà ? Ah, oui, parce qu’il n’était pas convenable que le prince héritier ose manquer les réjouissances qui accueillaient l’hiver.

Astaldon et Galdasten s’étaient approchés, grossissant leur petit cercle de la haute noblesse eälagonienne. Aucun Dejclan en vue, pas plus que le roi. Peut-être se présenteraient-ils plus tard. Après tous, leurs invités d’outre-mer ne célébraient pas les mêmes cultes, et le roi… c’était le roi. Le prince héritier était peut-être emprisonné dans un carcan d’obligations, soumis aux regards et aux jugements permanents, mais le roi, lui, semblait au-dessus de tout cela. Peut-être cela valait-il le coup d’attendre que son père ne rejoigne le royaume des morts pour poser sa couronne sur sa tête.

Consterné par ses propres pensées, il chercha un peu de réconfort dans le vin. Mais sa coupe était vide. Comme lui.

 

Bjrek, marmonna Kanska à ses côtés, ce que Caraghon reconnut comme un juron qu’Axat lâchait souvent à voix basses en diverses occasions.

Elle regardait quelque chose par-dessus son épaule. Surpris, il se retourna, et crut comprendre sa réaction en avisant Askaos et plusieurs autres de ses frères d’arme pénétrer dans les Halles.

— Caraghon, soyez gentil et cachez-moi, soupira la jeune femme en se glissant derrière lui comme pour essayer de disparaître dans son ombre.

Ce n’était peut-être pas l’abri le plus stratégique, mais il n’eut pas le temps de le lui signaler. Le regard de son ami croisa le sien et vint naturellement vers lui.

— Éloignez-le, par pitié ! marmonna la jeune fille dans son dos.

Askaos aborda son ami d’un air réjoui :

— Tu aurais vraiment dû venir à la salle d’armes ce matin. Les combats étaient très intéressants.

— Ma présence aurait-elle été nécessaire pour affirmer la suprématie dejclane ? railla Caraghon en croisant les bras sur la poitrine.

Askaos s'esclaffa.

— Pas nécessaire, non ; nous avons fort bien su défendre notre honneur seuls, soit rassuré. Mais nous n'aurions pas été contre leur montrer de quoi tu es capa…

Il s’interrompit en penchant la tête comme s'il venait de remarquer quelque chose de fort intéressant.

— Oh, vous êtes là, dame Kanska.

L’intéressée soupira ostensiblement avant de quitter sa cachette improvisée.

— Vous êtes magnifique, apprécia Askaos en la contemplant avec une visible admiration.

— Je ne vous retourne pas le compliment, siffla la jeune femme en lui décochant un regard mauvais.

Caraghon échafaudait une stratégie d’urgence pour battre en retraite, quand un carillon clair retentit à travers la Halle entière, soulevant des vagues de murmures enthousiastes. Kanska se pendit résolument à son bras.

— Rappelez-vous que vous m’avez promis la première danse, Caraghon. Venez, rapprochons-nous de la piste.

Et sans lui laisser la possibilité de discuter, elle l’entraîna. Il ne put qu’essuyer le regard consterné de son ami avec une grimace navrée avant que la foule se referme sur eux.

— Je ne sais pas du tout danser, jugea-t-il nécessaire de préciser tandis que Kanska les menait vers l’une des rangées de colonnades qui bordaient la galerie.

— Et moi pas plus que vous, si cela peut vous rassurer. Surtout enfermée là-dedans.

Elle tira sur les lacets de son corset pour appuyer ses paroles.

— C’était une simple ruse pour nous éloigner, expliqua-t-elle en désignant la direction qu’ils avaient fui.

— Vous n’êtes pas très aimable avec lui, fit-il remarquer, un peu bêtement.

— Qu’il s'estime heureux que je n'ai pas eu de chien sous la main, fut la réponse.

Caraghon esquissa un sourire. Il caressa quelques instants l’idée de la taquiner, avant d’abandonner de peur qu’elle ne riposte en remettant Tyeltaran sur le tapis.

Tandis qu’ils parvenaient à l’extrémité des Halles, son regard accrocha quelques secondes une flamboyante chevelure rousse qui lui sembla familière. Elle appartenait à une femme qui leur tournait le dos, et dont il ne vit que sa somptueuse robe bleu nuit. Elle disparut rapidement, avalée par le tournoiement de la foule en mouvement.

On dégageait un large espace au centre de la galerie, alors que des musiciens jaillissant de nulle part prenaient place sur une estrade.

— Mettons-nous dans un angle et tâchons de nous faire oublier, proposa Kanska en le tirant par le bras. Je vois que vous n’avez pas l’air plus enthousiaste que moi à l’idée de danser.

Ils s’arrêtèrent sous une rangée de colonnades, près des larges fenêtres qui s’ouvraient sur la cour. La neige tombait dru, noyant le ciel de nuages cotonneux. L’effet de contre-jour des chandeliers qui éclairaient les Halles l’empêchaient de distinguer nettement l’extérieur, mais Caraghon devinait, avec un peu d’appréhension, que la nuit commençait à s’installer dans le ciel. Il lui restait encore un peu de temps avant qu’il ne soit contraint de s’éclipser, mais combien ? Instinctivement, il chercha Alàtar ou Tyeltaran du regard, sans trouver ni l’un ni l’autre ; dans la confusion, il était facile de se perdre. Et ce constat ne fit que renforcer son inquiétude.

— Vous êtes sûr que vous ne voulez pas boire un peu, Caraghon ? suggéra Kanska en vidant son verre. Nous n’avons que ça à faire, vous risquez de vous ennuyer… Eh bien, enchaîna-t-elle en se tournant vers la fenêtre, qu’est-ce que ça tombe cette année ! Voilà un hiver qui commence bien. Je vais pouvoir emmener Loris courir dans la neige, ça va lui plaire. Bon, il va falloir qu’on me remplisse cette coupe. Vous êtes vraiment certain de ne pas être tenté par un bon vin du sud ?

Cédant à la contrainte, le jeune soldat se servit à son tour.

 

Ilmarel de Galdasten se trouvait juste à sa droite, mais il ne trouvait pas l’énergie de lui glisser quelques regards taquins qui ne manqueraient pas de le mettre mal à l’aise. Ce soir, ce jeu lui semblait terriblement fade et futile. En vérité, tout lui semblait fade et futile. Tout jusqu’au secourable alcool qu’il ingurgitait mécaniquement, sans même en sentir le goût. Sa vision était encore nette, mais une lassitude lourde gagnait son esprit. D’ordinaire, il avait toujours Kanska non loin, avec qui il échangeait des regards complices. Pourquoi l’avait-elle abandonné ?

— Comme de coutume, mon prince, vous ne nous ferez pas l’honneur d’ouvrir le bal ? lui souffla Astaldon avec une ironie non voilée.

— Je déteste changer mes habitudes, répliqua-t-il sans même le regarder.

Les premiers couples s’avançaient déjà sur la piste dégagée par les convives, tandis que les musiciens ajustaient leurs instruments.

Laissant courir son regard fatigué autour de lui, Tyeltaran remarqua alors deux silhouettes discrètement placées sous la rangée de colonnades qui longeait l’extrémité des Halles. Ce fut Caraghon et ses cheveux d’or foncé qu’il reconnut en premier. Kanska était avec lui.

Deux sentiments contradictoires le déchirèrent : la joie de trouver, parmi cette foule ennuyeuse, deux êtres qui lui étaient chers, et l’amertume de leur distance qui sonnait comme abandon.

Les premières notes d’une lyre s’élevèrent. Détournant le regard, Tyeltaran se réfugia dans son verre de vin qui n’avait plus aucune saveur.

 

Caraghon avait fait confiance à Kanska en la laissant les mener dans un angle où ils ne seraient pas dérangés. Pourtant, quelques minutes après que la première danse eut commencé, une voix s’éleva non loin de lui :

Ça faisait longtemps, murkha.

C’était bien elle, la porteuse de la robe bleu nuit aux reflets moirés. Et malgré tout son déplaisir, Caraghon dut admettre qu’elle était très élégante. Sans décrocher un mot, il salua Tsunara d’un léger signe de tête. Celle-ci, avec un petit sourire faussement timide, se planta devant lui en esquissant une révérence.

Je me demandais si vous accepteriez de m’accorder la prochaine danse.

Caraghon cilla, totalement pris au dépourvu. La première pensée qui lui vint à l’esprit fut : pourquoi est-ce que tout le monde tiens à me faire danser, aujourd’hui ?

Alors qu’il cherchait dans ses notions d’eälagan une façon de décliner sans paraître trop discourtois, Kanska vola à son secours.

Pas question, il me l’a déjà promise, s’exclama-t-elle en s’approchant, le regard animé d’une étincelle furieuse plus que convaincante.

Tsunara toisa la veneresse avec une expression ouvertement dédaigneuse.

Profiter de l’ignorance d’un étranger n’est pas une chose louable, vous savez, susurra-t-elle en battant des paupières. Les bêtes sauvages n’ont pas leur place parmi les hommes civilisés.

Les vipères étant considérées comme des bêtes, que faites-vous encore là ? cracha Kanska en réponse.

Les oreilles emplies de la musique enjouée qui menait le bal, le jeune soldat les dévisagea tour à tour. Elles se foudroyaient mutuellement du regard, avec une telle hostilité qu’il crut qu’elles allaient en venir aux mains. Tsunara était élancée et hautaine comme un des grands fauves des plaines désertiques, alors que Kanska était semblable à une louve ramassée, les crocs découverts.

Puisque vous défendez votre proie avant tant de hargne, je vous la laisse, ricana finalement Tsunara en détournant la tête.

Elle pivota sur ses talons avec la grâce d’une princesse blessée dans son orgueil. La mâchoire contractée, Kanska serrait sa coupe entre ses mains comme si elle essayait de la broyer.

— Les gens de Carael sont naturellement arrogants, grinça-t-elle entre ses dents, mais celle-là les surpasse tous.

— Vous la connaissez ? risqua Caraghon.

La jeune femme lui décocha un regard sombre.

— C’est la fille bâtarde du duc d’Ustan. Il l’a casée dans les ordres militaires quand elle était gamine, mais laissez-moi vous dire qu’elle ne vaut pas grand-chose. En revanche, comme putain, elle tient bien son rôle. Cela fait quelques semaines qu’elle traîne au palais. Je crois qu’elle est arrivée un peu avant notre sortie à Uthilia.

Elle prit une grande inspiration, la bouche entrouverte comme si elle avait du mal à reprendre son souffle.

Au même instant, le regard de Caraghon fut attiré à l’autre bout de la galerie, par une silhouette qu’il avait cru avoir perdue dans la confusion.

Tyeltaran était là-bas.

Et le regardait.

Malgré la distance, il en était certain. Il ressentit comme une brûlure le contact distant de ces yeux dont il parvenait à distinguer la couleur même d’ici, et se détourna.

Peu importe combien Tyeltaran avait pu le faire sentir proche de lui lors de cette journée en ville, il évoluait au milieu de cette richesse comme dans un monde étranger au sien.

— Tenez, fit Kanska en lui proposant un nouveau verre de vin.

Il l’accepta machinalement, et ne remarqua qu’avec un temps de retard son expression attristée.

— Plus il se révélera à vous, plus il vous sera pénible de perdre son vrai visage sous un masque. Après tout, il est prince. On exige beaucoup de choses de lui, dont des sacrifices qu’il se refuse encore à faire. Alors on le traite de lâche et d’incapable.

Caraghon comprit qu’elle ne parlait pas seulement pour lui, mais pour elle-même. En portant la coupe de vin à ses lèvres, il se demanda alors à combien d’années remontait cette amitié entre le prince et la veneresse, sur quelles attaches elle reposait, et à quel prix elle était préservée.

La première danse s’acheva dans un concert de vivats qui les assourdit. Les mouvements de foule noyèrent le tableau qui s’offrait à leurs yeux, et la silhouette de Tyeltaran disparut dans la nuée. A ses côtés, Kanska étouffait une toux irrégulière derrière son poing. L’air passablement agacée, elle tirait sur l’échancrure de sa robe comme si elle essayait de l’arracher.

— Excusez-moi, Caraghon, je crois que je vais devoir vous abandonner un moment. Cette robe m’insupporte, et il fait une chaleur étouffante ici.

— Vous ne vous sentez pas bien ? s’inquiéta-t-il.

— Je vais juste changer de tenue, le rassura-t-elle avec un sourire. Je n’étais pas serrée à ce point là-dedans l’année dernière, mais il faut croire que j’ai pris un peu trop de poids depuis…

Il ne sut comment réagir à cette déclaration. Il serait sûrement aussi inapproprié d’essayer de la contredire que d’approuver. Alors il se contenta d’un vague geste d’assentiment, et elle le quitta avec un clin d’œil.

Derrière lui, la neige n’avait pas faibli, mais la nuit était désormais complètement tombée. Même s’il ne pouvait pas voir la lune d’ici, il réalisa qu’il était plus que temps de monter dans la tour. Au moins, Kanska lui avait épargné la difficulté de se défaire de sa compagnie sans remous : elle lui avait elle-même fourni un prétexte. Alors, après avoir vidé d’un trait rapide le fond de sa coupe, il entreprit de se frayer un passage dans la foule.

 

Le roi, flanqué des ambassadeurs Dejclans, apparut peu avant le début de la deuxième danse. Alàtar en avait profité pour s’éloigner de son frère, qui, en enchaînant les coupes de vin, repoussait avec une parfaite indifférence les minauderies d’Idiane de Calcède. Le spectacle aurait pu être amusant s’il n’avait pas vu petit à petit les yeux de Tyeltaran devenir vitreux, seul signe de la victoire progressive de l’alcool. Il détestait le voir ivre. Petit, cela lui faisait peur. A présent, cela le mettait en rage.

Dans son retrait précipité, il faillit bousculer une jeune femme. Elle évita la collision d’un pas de côté digne d’une danseuse ; ses longs cheveux roux fouettèrent l’air, et leurs épaules se frôlèrent. Bien qu’il ne lui ait pas adressé un regard, il garda à l’esprit son parfum et sa robe bleu nuit cintrée d’une ceinture d’argent.

Près des grandes portes, il rencontra le chemin de Caraghon. Ils échangèrent un bref regard, une question muette et un hochement de tête. Le Dejclan disparut vers sa destination et le prince retrouva son père.

 

Caraghon s’engouffra dans le premier couloir à peu près calme qui se présenta, sans réellement parvenir à s’orienter. Lui qui aurait espéré circuler dans une discrétion relative, fut infiniment déçu. Malgré l’animation des Halles, il semblait que le palais entier grouillait de vie comme si sa population s’était multipliée par dix.

Quand il parvint près d’une coursive qui montrait une vue plongeante sur la cour ouest tapissée de neige, il comprit qu’il n’était absolument pas sur la bonne voie pour rejoindre le sanctuaire de Janyde. Peut-être, à ce compte-là, était-ce plus judicieux de passer par l’escalier dérobé de la tapisserie. Au moins brouillerait-il la piste aux yeux de quiconque le suivrait.

Fort de cette résolution, il reprit son chemin. Il sentait le sang qui pulsait dans ses tempes, la chaleur du vin qui se répandait dans sa poitrine, et le contact froid de sa dague dissimulée sous sa chemise, contre son flanc.

Au détour d’un virage qu’il prit sans ralentir, il tomba nez à nez avec Laedion.

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ? cracha celui-ci.

Caraghon hésita une seconde à répondre, avant de décider de simplement l’ignorer.

— Hé ! gronda son frère d’arme en le retenant rudement par le bras. Je t’ai posé une question.

— Et je ne vois pas la nécessité d’y répondre, lâcha-t-il avec autant de calme qu’il put rassembler. D’ailleurs, je pourrais te la retourner.

Ils se foudroyèrent du regard.

— Ça ne te regarde pas, finit par laisser tomber Laedion, les dents serrées.

Les ecchymoses que lui avaient infligées Tsunara s’étaient résorbées. D’un geste sec, Caraghon se dégagea en ricanant :

— C’est ça, va pourchasser de la donzelle. J’espère que tu en dégoteras une moins farouche que la dernière fois.

 Laedion serra le poing comme s’il allait le frapper, mais se contient. D’un même mouvement, ils se tournèrent le dos. Caraghon essuya sans ciller les regards curieux des témoins de leur accrochage. Exaspéré, il accéléra le pas, décidé à ne plus perdre de temps.

Il gagna rapidement la coursive qui longeait les quartiers princiers, et ralentit l’allure. Une seule torche, de l’autre côté du couloir, produisait un tant soit peu de lumière. La neige tombait toujours avec sa régularité silencieuse, et quelques flocons aventureux s’égaraient jusque sur les dalles froides du couloir. A première vue, aucune sentinelle ni personne susceptible de l’intercepter.

La tension qui lui nouait le ventre s’accentuait de seconde en seconde. Depuis ce soir où Lün l’avait attendu dans le boudoir, le livre de contes serré contre sa poitrine, avant de s’effacer comme un mirage, il semblait avoir disparu. Le jeune soldat y repensait souvent, perturbé par ce souvenir, se demandant ce qu’il avait voulu dire et pourquoi il était parti presque aussitôt. Mais il n’osait plus se risquer plus loin que l’étage du boudoir, et s’était fait la formelle promesse de ne plus déroger à cette injonction qu’il avait déjà trop de fois transgressée.

Il avait levé la main vers la tapisserie de l’Aigle quand il ressentit le mouvement d’une ombre, une présence dans son dos.

— Ne vous échappez pas si vite, Caraghon.

Il se retourna, prêt à dégainer sa dague. Il avait reconnu sa voix, mais ses nerfs à fleur de peau enclenchaient des réflexes qui se passaient de la moindre rationalité. Adossé au mur opposé, Tyeltaran lui adressa un sourire. La lueur de la torche distance faisait luire les brocarts et les pierreries de ses vêtements.

— Que faites-vous ici ? souffla Caraghon, interloqué.

Un raclement de gorge, apparenté à un rire, lui répondit. La silhouette du prince se détacha du mur pour s’avancer vers lui.

— Je vous ai suivi.

Il était proche, à présent ; assez pour que le jeune soldat puisse sentir son haleine chargée d’alcool.

— Vous avez bu, constata-t-il platement.

— Peut-être un peu, admit Tyeltaran en dodelinant de la tête.

Caraghon ne se sentait pas tranquille. Il y avait quelque chose dans l’attitude de Tyeltaran qui n’allait pas. Peut-être son sourire, qu’il discernait mal, un sourire qui le mettait sur ses gardes. De plus en plus nerveux, il vérifiait sans cesse du coin de l’œil que personne ne surgissait d’un côté ou de l’autre de la coursive.

— Vous devriez retourner aux Halles du roi, conseilla-t-il à voix basse. Je n’ai pas beaucoup de temps, il faut que…

— Allons, je ne vous ai pas suivi pour rien.

Son vis-à-vis le dévisageait avec insistance.

— Vous êtes inquiet, prononça-t-il d’un air concentré.

— Écoutez, je n’ai pas le temps.

Bien qu’il se sente coupable de couper ainsi court à la conversation, Caraghon se détourna pour soulever la tapisserie. Vive comme un serpent, une main jaillit pour bloquer son poignet.

— Tyeltaran, par les Dieux...

Avec une force surprenante, le prince le tira en arrière. Il serrait son poignet comme un étau, lui tordant le bras pour l’immobiliser.

— Venez dans mes appartements, si l’idée d’être surpris vous déplaît autant.

Caraghon évalua rapidement les options qui s’offraient à lui sans parvenir à en trouver une seule de valable. Il se refusait à tenter quoi que ce soit qui risquerait d’attirer l’attention sur eux. Alors il ne put que se laisser faire, serrant les dents sous la poigne de fer qui l’entraînait.

Heureusement, les appartements de Tyeltaran étaient tous proches. Quand ils y eurent pénétrés, le prince consentit à le lâcher pour refermer la porte derrière eux.

— J’espère que vous avez quelque chose d’important à me divulguer, gronda Caraghon en se massant le poignet.

Il ne pensait qu’au temps qui lui était compté, à la nuit qui s’épaississait et à la tour perdue dans la neige où Lün était laissé sans protection.

Il sentit trop tard la distance entre leurs corps se réduire, jusqu’à ce que deux mains glacées se glissent contre sa nuque et attirent leurs visages l’un vers l’autre. Leurs lèvres se rencontrèrent avant qu’il ait pu réagir.

La seule chose dont il avait conscience était le froid, le froid que les doigts de Tyeltaran imprimaient sur sa peau, le froid de sa bouche contre la sienne. Les battements de son cœur lui parvenaient comme assourdis. Même s’il l’avait voulu, il n’aurait pas été capable d’esquisser le moindre geste pour le repousser.

Tyeltaran le garda captif durant de longues secondes qui furent comme autant d’éternités. Quand leurs visages se séparèrent, Caraghon rouvrit les yeux qu’il n’avait pas eu conscience d’avoir fermés. Une expiration bloquée dans sa gorge lui échappa. Le regard du prince, étrangement assombri, le happa aussitôt. Ses mains agrippaient toujours son visage. Ses doigts se mêlaient à ses cheveux, avec une lenteur hésitante.

— Alors ? Est-ce assez important à vos yeux ? demanda-t-il à voix basse.

Son souffle brûlant balaya le visage du soldat, chargé de forts relents d’alcool. De longs frissons dévalaient son dos, le tirant peu à peu de l’hébétude du baiser.

— Vous êtes complètement ivre, Tyeltaran, protesta-t-il en cherchant à se dégager.

La prise se referma sur sa nuque comme des serres.

— Ivre mais lucide, murmura le prince contre son oreille. J’ai une tendance naturelle à la folie. Le vin ne fait que me pourvoir du courage nécessaire pour passer à l’acte.

Il le poussa en arrière tout en le maintenant contre lui. Le dos de Caraghon rencontra le mur.

— Si vous étiez lucide, protesta-t-il, vous me laisseriez partir.

D’un mouvement de bassin, Tyeltaran le plaqua plus durement contre le mur. Ses yeux aux pupilles dilatées le fixaient en révélant l’ampleur du brasier qui consumait ses prunelles.

— Je ne crois pas. Cela fait trop longtemps que je te désire.

Ses mains quittèrent sa nuque pour glisser sur ses épaules et sa poitrine. Caraghon le sentit tirer sur l’une des broches qui fermait sur pourpoint, et une vague de panique l’envahit comme un poison glacé.

— Arrêtez, l’enjoignit-il d’une voix blanche.

Il essaya de bloquer ses mains qui s’acharnaient sur les broches.

— Reste tranquille, grogna Tyeltaran en le prenant à la gorge.

La tête de Caraghon heurta le panneau de bois. Le souffle coupé, il sentait son pouls s’accélérer sous la pression brutale sur sa trachée. D’un mouvement sec, le prince arracha les attaches qui fermaient l’étoffe de son pourpoint.

— Allez, viens là.

Sans relâcher sa poigne, il le tira en avant. A demi étranglé, Caraghon s’agrippa à ses poignets pour essayer de se libérer ; mais, toujours avec cette force effrayante, Tyeltaran l’entraîna vers son bureau, qu’il balaya d’un revers de bras. Des piles de dossiers s’effondrèrent et l’encrier se fracassa au sol en l’éclaboussant de gerbes semblables à du sang noir.

— Tu seras plus à l’aise, sourit-il en acculant Caraghon contre le bureau.

Encore étourdi, le jeune homme résista à peine, envahi de l’étrange sensation de glisser hors de son propre corps, de devenir simple spectateur de la scène. Étendu sur le dos, à la merci du prince qui le maintenait par les épaules, il sentait encore sa main froide se refermer sur sa gorge.

Un genou s’insinua entre ses cuisses, l’obligeant à se cambrer. Un afflux de sensations brûlantes fourmillèrent dans ses reins, se mêlant à la peur comme une lame chauffée à blanc qui s’enfonçait dans son ventre.

— Arrêtez, haleta-t-il faiblement – en vain, il le savait. Arrêtez, je vous en prie.

Il frémit quand une main se déposa sur sa joue pour y laisser une brève caresse, et ferma les yeux.

— Pourquoi ? Je ne te veux pas de mal.

Et les lèvres de Tyeltaran s’emparèrent de nouveau des siennes avec brutalité, tandis que ses mains s’insinuaient sous sa chemise. Caraghon sentit des larmes amères soudre sous ses paupières.

Il eut soudain une conscience aigüe de la forme métallique coincée entre son corps et le bureau. La dague avait glissé de sa ceinture ; elle était à portée de main.

Pour y accéder, il était contraint de soulever davantage son bassin. La friction du genou de Tyeltaran contre son entrejambe lui tira un violent frisson. Le prince rit avant de s’arracher au baiser.

— Est-ce que tu commences à rendre les armes ?

Penché sur lui, ses cheveux glissaient de ses épaules et plongeaient son visage dans l’ombre. Ainsi, il n’était qu’une silhouette, l’ombre d’un homme qu’il ne connaissait pas.

Les doigts de Caraghon frôlèrent le manche de la dague ; il allait la saisir quand Tyeltaran l’empoigna par les cheveux pour le forcer à arquer le dos. Ses lèvres voraces qui s’attaquaient de nouveau à sa gorge, son sexe qui frottait contre sa hanche.

— Je vous en prie… soupira Caraghon une dernière fois. Laissez-moi.

Tyeltaran redressa la tête, l’air profondément ennuyé.

— Bien, susurra-t-il en caressant ses lèvres du bout des doigts, il me faut te convaincre autrement.

Sans plus de cérémonie, il entreprit de défaire sa propre ceinture.

Caraghon profita de cette poignée de secondes pour se redresser, la dague au clair.

Il n’avait aucune intention de blesser Tyeltaran ; mais celui-ci ne sembla pas impressionné par l’arme tournée vers sa poitrine. Avec un sourire malicieux, il empoigna la lame à pleine main pour l’écarter. Dans un réflexe qu’il ne maîtrisa pas, Caraghon frappa.

Tyeltaran laissa échapper un hoquet, et son corps ploya comme s’il perdait l’équilibre. Dans la confusion de l’obscurité, le soldat ne vit pas tout de suite le sang qui imbibait sa tunique rouge.

— Caraghon… hoqueta le prince.

Horrifié, il le repoussa violemment. Tyeltaran s'écroula par terre, une main crispée sur le manche de la dague et l'épaule en sang. Il leva sur lui un regard perdu, comme s’il ne comprenait pas comment ils en étaient arrivés là.

— Caraghon, répéta-t-il d’une voix où perçait la détresse.

Celui-ci ne supporta pas cette voix, ni ce regard, ni la simple vision de ce jeune homme ivre et ensanglanté qui gisait à ses pieds. Serrant contre sa poitrine les pans déchirés de ses vêtements, son cœur battant à un rythme assourdissant dans ses oreilles, il courut vers la porte qu’il ouvrit à la volée, et s’enfuit dans le couloir sombre.

 

Dans l’atmosphère chaude, saturée de la musique aérienne des Halles, quatre lourdes coupes d’argent tintèrent en se heurtant.

— Nous avons beaucoup à célébrer, ce soir, déclara le roi avec une expression satisfaite. De ce qui a été fait, et de ce qui est à venir.

A ses côtés, Lancasia affichait un sourire radieux ; plus réservé, Laeïos semblait toutefois plus détendu pour la première fois depuis de nombreux jours. Seul Alàtar demeurait impassible. Son regard ne cessait d’arpenter la salle à la recherche de son frère, dont la présence était d’ordinaire si facile à remarquer ; l’appréhension qui grandissait en lui n’avait pas raison d’être, tâchait-il de se convaincre. Et pourtant.

 

Caraghon abandonna sur le dossier du fauteuil son pourpoint et sa chemise, incapable de supporter un instant de plus la sensation de tissu contre sa peau.

Par la fenêtre aux volets grands ouverts, la tempête de neige s’était arrêtée et la lumière de la nuit filtrait avec une nouvelle clarté. Il ne le remarqua même pas.

Torse nu, il se précipita dans son lit pour s’y blottir comme un enfant effrayé par les fantômes. Il s’enroula étroitement entre les draps froids, le corps tremblant, et ferma très fort les yeux pour retenir les larmes brûlant sous ses paupières.

Il ne remarqua pas non plus que, dans le ciel, la lune blanche avait entrepris son ascension ; et qu’elle avait depuis longtemps dépassé les tourelles est sans qu’aucun chant ne l’accompagne.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Audrey.L
Posté le 14/04/2021
Salut ! Alors un chapitre qui débute bien (mon cœur s'est emballé quand il l'a embrassé, je l'avoue ^^) mais qui tourne vite au drame... Je me demande comment va se profiler le reste de l'histoire ? C'est un geste difficile à pardonner après tout.
J'ai hâte de savoir ce qu'il se passe pour Tyeltaran et Caraghon (cet acte sera considéré comme une tentative d'assassinat ?!)
UnePasseMiroir
Posté le 15/04/2021
Coucou ! C'est vrai que ça commençait pas si mal, mais en fait... ^^ On verra bien ce que la suite leur réserve ;)
Merci de ton passage !
MélanieDeLune
Posté le 11/04/2021
Chapitre pour le moins intense !!
Je ne m'attendais pas du tout à cette tournure des événements, et c'est plutôt positif d'être surpris en tant que lecteur ! C'est nul de tout deviner. Vraiment, j'ai lu la scène dans la chambre en apnée, avec un sentiment de malaise réel, ça tourne tellement mal !
Remarques : la blessure à l'épaule ne m'a pas choquée, et le fuite dans sa chambre, je trouve pas ça abusé non plus. Par contre, j'étais surprise que Caraghnon ne dise pas clairement à Tyel : "je dois aller veiller sur Lün", il le suggère, mais ne l’ennonce pas, or pour moi, c'est clairement sa porte de sortie numéro 1, faire retrouver la raison à Tyel. Pareil dans la scène, Tyel fait preuve de violence, Caraghon pourrait lui dire qu'il lui fait mal ?
Après, c'est assez bien dosé, on sent qu'au début, Cara ressent du plaisir et du désir, et puis que face à l'insistance de Tyel, et son taux d’alcoolémie, ça lui coupe l'envie et qu'il perd le contrôle.
Bref, j'ai à la fois hâte et peur de lire la suite...
MélanieDeLune
Posté le 11/04/2021
Ah et ça pourrait déjà être la fin d'un tome 1 ici, 120 000 mots, c'est déjà un long roman... A méditer ;)
UnePasseMiroir
Posté le 11/04/2021
Coucou toi ! Oui je pense que c'était un retournement qui était pas vraiment attendu xD pour une fois qu'il se passe quelque chose !
Alors si sa fuite fonctionne pour toi c'est super ^^ je compte quand même y re réflechir plus tard, et je note aussi ta remarque ! Clairement l'expliciter plus serait une bonne idée.

Et oui j'ai aussi pensé à ça, mais je préfère attendre d'avoir fini avant de voir si je ne devrais pas recouper, parce que la correction risque de changer pas mal de choses.
Merci pour ton commentaire ! <3
_HP_
Posté le 11/04/2021
Hello !

J'ai effacé tout mon commentaire, sans savoir comment 😭 Je vais pas tout relire pour tout réécrire, juste reformuler, tant pis xD
J'adore Kanska dans ce chapitre, vraiment xD Avec Caraghon, avec Askaos, avec Tsunara... Cette fille est formidable (même en robe xD) !

Pour la fin, je suis passé de "Ouiiiiiii 😍😏" à "QUOI ???? 😳😭" xDD
Je vais probablement répéter un peu ce qu'a dit Gwenifaere mais je suis plutôt d'accord avec elle. L'insistance de Tyeltaran colle pas trop mal avec son caractère, et on l'a jamais vu vraiment bourré pour l'instant, du coup... Pourquoi pas 🤷‍♀️
Par contre, exactement comme Gwenifaere, je suis très sceptique concernant la fuite de Caraghon 😅 Je comprends qu'il ne veuille pas du tout attirer l'attention sur ce qu'ils faisaient dans cette chambre, surtout s'ils sont tous les deux à moitié déshabillés, mais ça ne colle pas du tout avec le personnage, je trouve 😅 A la limite, s'il lui avait coupé la main ou si Tyeltaran s'était coupé la main tout seul (ce à quoi je m'attendais quand le prince a pris la lame), la fuite aurait été beaucoup moins surprenante 🤔 Au pire, il lui fait un bandage rapide et se barre, quelque chose comme ça 🤷‍♀️
Sinon j'ai beaucoup aimé ce chapitre, et j'ai très hâte de voir comment leur relation va évoluer (ils vont forcément s'éloigner un peu 😭 en tout cas pour l'instant) ^^
_HP_
Posté le 11/04/2021
T'as totalement ruiné l'ambiance du chapitre d'avant, en tout cas 😭😭😭😩
UnePasseMiroir
Posté le 11/04/2021
Toi t'es pas douée hein xD
*Kanska prend une pose de star* Hé ouais je sais je suis trop famous et géniale <3

Clairement ça brise un peu l'ambiance ^^ et oui de toute manière je comptais retravailler cette partie parce que vouala kwa xD
Gwenifaere
Posté le 10/04/2021
Ah oui je comprends mieux pourquoi tu te posais des questions sur ce chapitre O.o
WHAT
what

Heureusement qu'on a eu le chapitre précédent (et moi ce que je retiens c'est que J'AVAIS RAISON de m'inquiéter!!!!)

J'avoue que je ne suis pas entièrement convaincue par les réactions de Caraghon... en tout cas certaines. Une fois qu'il a blessé Tyeltaran, la fuite pour aller se réfugier dans sa chambre, ça ne me paraît pas coller avec un soldat aguerri, ce qu'il est censé être quand même. Il avait plusieurs options à ce stade : venir lui-même au secours de Tyeltaran, appeler de l'aide sans aucune discrétion, aller chercher de l'aide avec un peu plus de discrétion (je ne sais pas, auprès de Kanska par exemple ?)...

Qu'il choisisse de fuir, en soi, n'est pas irréaliste non plus ; c'est le choix de fuir dans sa chambre qui me rend perplexe. Parce que là, il est en sévèrement mauvaise posture, il vient de planter le prince héritier quand même. Il devrait plutôt aller voir son chef pour lui expliquer, voire même à la limite partir tout seul et fuir le palais - mais retourner dans sa chambre ? Depuis le début il se montre très responsable, rationnel, réfléchi. Qu'il soit traumatisé par ce qui vient de lui arriver, oui - mais que ça se traduise par un comportement aussi aux antipodes de son caractère... je ne sais pas, j'ai eu l'impression de ne plus reconnaître le personnage sur le coup.

Pour Tyeltaran, par contre, je dirais que niveau caractérisation ça passe. On a peu eu son point de vue, donc on n'a pas l'habitude de la manière dont il réfléchit ; tout ce qu'on sait de lui, on le sait en fonction de ce que Caraghon en a appris, et clairement tu nous montres depuis le début un homme inconstant, sujet à de vives sautes d'humeur, qui perd parfois pied.

Bref, tout ça pour dire que je trouve que cette scène fonctionne en soi, et j'ai hâte de voir comment ça va affecter les personnages et le reste de l'intrigue. C'est juste la fin, à partir du moment où Caraghon réagit avec sa dague, qui a du mal à me convaincre.

Je ne sais pas vers où tu vas partir dans les chapitres suivants, mais je pense que quel que soit le chemin que tu prends (Caraghon accusé ou Tyeltaran qui dissimule sa blessure, par exemple), tu pourrais le faire fonctionner sans cet écart un peu trop violent de caractérisation. Parce qu'une dague plantée dans le côté... concrètement, Tyeltaran pourrait très bien en mourir. Et Caraghon, en tant que soldat, doit le savoir. Honnêtement, avec la ligne "Avec un sourire malicieux, il empoigna la lame à pleine main pour l’écarter", je m'attendais plutôt à ce qu'il se blesse à la main, soit tout seul, soit à cause du mouvement de Caraghon, mais rien d'autre - à mon sens ça aurait déjà suffi à arrêter la scène, et à ce moment-là une simple fuite dans sa chambre de la part de Caraghon n'aurait pas été aussi surprenante...

Bref, après effectivement vu que je ne sais pas où tu vas partir avec tout ça, ce que je déblatère n'a peut-être aucun sens ^^° je t'ai aussi fait un pavé sur grosso modo deux paragraphes du chapitre, parce qu'une fois encore, je trouve que le reste fonctionne bien ! Donc voilà voilà... je suis curieuse de voir dans quoi la partie II va nous embarquer !
UnePasseMiroir
Posté le 10/04/2021
Voilà voilà, c'est un peu le chapitre à problèmes ^^

Tant qu'on est aux aveux, ben moi non plus je ne suis pas trop convaincue de cette réaction xD Quand j'ai fait le premier jet du chapitre je l'avais calquée sur ce que j'aurais peut-être fait moi, c'est à dire me cacher et plus faire de bruit, mais ce sera probablement à revoir. Après j'ai envie de dire qu'on peut être aussi responsable et réfléchi qu'on veut, là il est en état de choc. Est-ce que c'est excessif et ça devient OOC ? je reverrais ça...

Alors oui je me suis posée beaucoup de questions existentielles sur où il devait la blesser... avant d'avoir vu ton commentaire en fait j'étais en train de tout re-changer pour mettre le coup à l'épaule, qui me semble plus logique : genre quand Tyeltaran prends la lame, Caraghon frappe vers l'avant donc ça le blesse là et c'est moins "spectaculaire"

Tkt c'est sûrement les deux paragraphes avec le plus d'action de toute l'histoire jusqu'ici donc ça se comprend xD
Gwenifaere
Posté le 16/04/2021
Pour l'épaule ça peut le faire effectivement ! Moins dangereux que sur le côté, et effectivement peut-être plus logique au niveau du geste.

Après je dis pas, je pense que tu as tout à fait raison de te projeter et d'utiliser les réactions que tu aurais toi-même. Mais il faut aussi considérer si le personnage agirait vraiment en fonction de cet instinct initial... bon, effectivement il est en état de choc et ça compte, mais disons que ça me paraissait partir un tout petit chouia trop loin quoi.

Après faut voir comment tu vas organiser la suite, comment il va se re-projeter sur sa réaction, ça peut aussi être l'occasion pour le perso de revenir dessus, de se dire "ah oui, là j'étais un état de choc, je n'ai pas agi au mieux" ou ce genre de choses qui ferait mieux passer la pilule pour des lecteurs enquiquinants comme moi ^^° une idée à explorer ?

Breeef bon courage pour la suite, j'ai hâte (mais prend le temps qu'il te faut, comme d'hab c'est pas pour te presser que je dis ça ^^)
Vous lisez