À la vue du sang perlé sur son visage, Sage vacille. Plus aucune restreinte n’empêche Garo de saisir Meos, l’empoigner par le col, pour l’entraîner hors de la bâtisse. Lentement, un sentiment de caresse glaciale lui lèche les poings. D’un réflexe, il projette Meos, qui se rattrape stoïquement. Devant l’entrée, une petite foule de curieux tente de s’amasser. Cependant, elle se retrouve rapidement écarté, ou plutôt transformé, en un défilé de zieuter, par deux gardes tenant le périmètre. Ils ne traînaient pas loin, jamais trop loin, habituellement de Garo, mais dernièrement de Meos.
« Hé ! Qu’est-ce qui se passe l’infecté ? nargue l’un des deux gardes, provocateur, en tapotant le pied de son arme d’hast par terre, semonçant des graines de colère.
— Je lui fais prendre l’air, réponds Garo qui rappelle ses esprits à une stature responsable, ne voulant pas déterrer un conflit de plus.
— Tu sais à quel point Mer tient à notre invité, appuie l’autre garde, mesuré. N’oublie jamais. On tolère ta présence, tant que tu gardes tes distances. Cela vaut aussi pour… tes confrères finit-il en maudissant Galgot, qui arrive en roulant des épaules en défiance, avec Gale, le suivant dans son ombre.
— Deux contre un ! exclame Galgot. C’est pas raisonnable, laissez-moi m’inviter à la fête. Il s’accroupit pour se mettre à hauteur d’œil des gardes, et tapote le sol avec son doigt. Imitant les provocations de l’un avec dérision. Poc ! Poc… Poc ! Poc ! »
Un claquement de fesse retenti. Gale vient de fouetter du pied l’arrière de Galgot. Il pousse un grognement de douleur, avant de basculer vers l’avant, la tête prête à se faire embrocher sur l’arme du garde. De justesse, Il se retient, la brise comme un cure-dent dans l’action, utilise son manche, en catastrophe, comme une canne pour se redresser. Les passants s’empressent à l’éclosion d’un conflit, mais les deux concernés restent dubitatifs à la situation. L’un déstabilisé, et l’autre désarmé.
« Qu’est-ce qui se passe ? » continue Gale, s’adressant à Garo, tout en ignorant les interpellations de Galgot.
Garo ne sait quoi répondre, et la guide d’un signe de la tête de rentrer dans la bâtisse. Gale s’exécute, mais se fait rattraper par Garo, qui lui confie son médaillon. Le porte-bonheur du père de Sage, Mège. Même s’il avait échoué à répondre aux souhaits de Sage, de garantir la sûreté de son père et de sa mère. Même le médaillon était devenu un objet de trahison, d’indifférence, entre elle et lui. Garo le souhaita de ton son être. Qu’elle retrouve, à travers ce porte-bonheur, dans ses rêves, une part de bonheur.
Sesa arrive à son tour sur la scène, à petit saut depuis la demeure de Mer. L’inquiétude perturbe son visage normalement perdu dans l’espace. Il lui suffit d’un coup d’œil pour réaliser la situation, et suivre Gale dans la bâtisse.
« Mer tient aussi à Sage, dit l’un des gardes. J’espère qu’il ne lui soit arrivé.
— Mer ne tient qu’à lui-même, rétorque Garo. Il reste caché dans le clocher, comme si la lumière allait le dévorer s’il pointe son nez dehors. Comme un…
— Choisis bien tes mots, Garo ! condamne un garde du regard. Le voile sombre que tu portes. Le voile qui sauvegarde de la lumière. Conçu par les Architectes du Croc. N’est pas une grâce. Mais une tolérance. Qui impose allégeance.
— Mer n’est pas un architecte, et ne le sera jamais, et même si le Croc se plie à ses désirs, il n’aura jamais mon allégeance, et encore moins celle de mes frères, et sœurs. »
Galgot siffle joyeusement en cœur, en remuant ses épaules risiblement, en raillerie envers les gardes. Un court silence enveloppe la scène, mais la tension ne descend pas. En fond, d’autres gardes arrivent, armés.
Soudain, Gale émerge de la bâtisse, une large sacoche à la main. Elle s’approche de Meos et des gardes.
« Sage n’est pas en état de faire le tour du village. Elle se remettra vite, mais pour ce cycle elle confie la tâche à Meos. »
Gale tend la sacoche au garde désarmé, qui reste sur ses positions, récalcitrant.
« Comment va Sage ? interroge le garde mesuré.
— Tu n’as pas entendu ? assume Gale. J’ai dit qu’elle se remettra, ça te…
— Tout va bien, coupe Sesa qui sort à son tour. Escortez Meos. Faites ce qu’il faut. »
Les gardes obéissent, se répartissent, et ne posent plus de questions. Le désarmé saisit la sacoche, tandis que le mesuré montre la voie à suivre pour Meos, qui, avec stoïcisme, suit le flot.
Gale s’apprête à rentrer dans la bâtisse, et rejoindre Sesa qui y est déjà retourné, mais Garo l’attrape une dernière fois.
« Comment va Sage, murmure-t-il.
— Tu vas pas t’y mettre aussi, grommelle Gale. Sage n’est plus une enfant. Elle est solide ! Tu as déjà oublié l’époque où elle t’envoyais balader dans les airs et que tu retombais sur la tête, probablement la raison pour laquelle tu sembles parfois paumé dans tes pensées. Par ailleurs, elle te remercie aussi pour le médaillon.
— et…
— Suffit, coupe-t-elle avant de s’approcher pour murmurer à son tour à Garo, veillez sur Meos à la place de Sage, et maintenant OUSTE ! » conclue-t-elle avec sarcasme avant de se réfugier dans la bâtisse, pour éviter les réprimandes de Galgot.
« Gale ! » hurle, à demi-ton pour éviter d’effrayer les passants, Galgot. Gale ouvre les persiennes, apparaît à la fenêtre, lui fait signe de la tête d’aller voir ailleurs, avant de les refermer d’un coup.
« Il semble qu’il ne reste que nous deux, petit frère. Que dis-tu d’un petit un contre un ? » demande Galgot avec impatiente, mais encore une fois ignoré. Garo est loin, suit l’escorte de Meos, le pas lourd, mais décidé. Décidé à déceler les intentions de Meos, et celles de Mer.