Chapitre 33 - Meos - Un troisième pouvoir

Meos houle lentement sur l’allée principale, balayant les abords du regard, tout en évitant les collisions, escorté par deux gardes. L’un, mesuré, guide la foule du regard. L’autre, décontenancé, détient la sacoche de médecines de Sage, suspendue comme un baluchon sur son arme brisée. Soumis à une mission, à la recherche de patients, ils croisent des passants, mais n’étant pas familier à la routine de Sage, ils se retrouvent piégé face à l’hésitation dans leur regard avant qu’un enfant, sans égard, ne les rattrape.

 

« Meos ? Meos ! Oui c’est Meos ! Venez ! Venez ! »

 

Un troupeau d’enfants se forme autour d’eux, s’agrémente de remarques, de tout et de rien, propre à leur curiosité. Cependant l’un d’entre eux, boitant, le genou sanglant, attire l’attention de Meos.

D’un mouvement lent et majestueux, il s’agenouille vers le blessé, tâte la blessure de ses mains, puis tends le bras en direction du garde tenant la sacoche de Sage.

 

Un silence se construit. Meos soigne la plaie avec les mêmes gestes que Sage, les mêmes mimiques, bien que son visage reste terne. Une fois le rituel accompli, l’enfant marche, saute, gambade avec exagération, se prend pour un miraculé, touché par la grâce, ce qui déclenche des plaisanteries parmi eux.

 

À partir de ce moment, les hésitations des passants disparaissent, chacun s’adresse à Meos avec respect, parfois admiration, quelques fois dévotion. De la bête, le sauvé se mue en leur sauveur. De sa miraculée, la rumeur se promeut en bénédiction, l’illusion d’un don contre le poison des ronces. Même non blessés, les villageois avoisinants s’approchent de lui pour le toucher, formant un amas de chair. Devant ce spectacle, les gardes assistent à l’éclosion d’une nouvelle autorité. Plus intense que celle que Sage recevait, plus obligeante que celle que Mer imposait, plus effrayante que celle que les infectés projetaient. Leur tentative, répétitive, vaine, de briser l’amas ne fit que refléter leur impuissance. Un troisième pouvoir s’établit.

 

De son côté, Meos, ou plutôt la créature, ne peut que se délecter. Tant de visages à contempler, tant de plaies à goûter, tant de peau à lécher. Il y a tant à apprendre. Mais noyé, au bord de l’ivresse, dans l’ombre de la foule, du bas au sommet, son voile se déforme. Des dentelles de doigts poussent, des traits de visages émergent, des bouches répliquent les voix en un brouhaha. Ses forces faiblissent.

 

Son visage terne est sur le point de céder, d’une envie de tout dévorer. Il sait qu’il n’y survivra pas, mais la tentation grimpe, avec le bruit devenu assourdissant, au-delà des cris des enfants piétinés.

 

« Fermez-la ! » hurle Galgot en faisant trembler le sol de son pied, scindant la foule de chaque côté de la voie tandis que Meos, et les gardes, reprennent leur contrôle. Galgot traîne du pied, roule des épaules, renvoie son mécontentement, en direction des tentes des aventuriers.

 

« Quoi ? tu vas faire quoi ? Baisse les yeux ! envoie-t-il sans discrimination à chaque personne qui le regarde. Sérieux ! on peut plus passer tranquillement, c’est quoi cette attitude de bloquer la voie. Je te laisse, petit frère ! Je vais me défouler dans la forêt. »

 

En toute discrétion, Garo se rapproche des gardes et par sa présence, intimide la foule scindée, l’empêche de se reformer sur le sentier de Galgot.

 

Au milieu de la voie, Meos s’accroupit et tend la main à un des enfants qui, à terre, a survécu au piétinement. De cette fresque exhale la culpabilité des villageois, et les renvoie à leur routine.

 

Derrière Garo, un bruit de gribouillage se rapproche et l’interpelle. Sesa, récemment arrivée, légèrement essoufflée, reproduit la scène en quelques jets sur du papier.

 

« Parfait, prononce-t-elle.

— Parfait ? rebondis Garo. Des villageois ont failli devenir des meurtriers, aveuglés par des rumeurs. Et les gardes restent impuissants.

— Oui, parfait », confirme Sesa, le pointe du pinceau en transe.

 

Garo lorgne sur la pile de feuille de Sesa, et y observe plusieurs croquis de Meos et scènes élogieuses le comprenant. Une réalisation le percute, en miroir aux intentions des villageois. Une obsession dénuée de soupçons envers l’existence de Meos.

 

Ultimement, l’attitude des deux gardes lui devient familier. Il comprend enfin leur inaction, confirmé par leur visible dégoût. Meos est un danger. Un troisième pouvoir créera des instabilités. Une psychose l’embrasse. La réminiscence de la mort du père de Sage, Mège. La disparition de l’ordre des médecins. L’annihilation du village voisin par la bête. Tout siffle différemment à ses oreilles, comme un chant de chimères. La discorde parasite ses pensées. Il faut protéger Sage. Il faut tuer Meos.

 

« Suivez-moi, guide Garo en s’adressant à Meos. Les infectés ont besoin de soins, aussi. »

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