Aéryn poussa doucement la porte du bureau.
—Je peux entrer ?
Surpris, Éric releva la tête.
—Oui. Que me veux-tu ?
Aéryn se rapprocha en silence, les yeux baissés, sans regarder le tas de dossiers empilés sur le bureau, devant l’écran noir.
Éric croisa les mains, un léger pli barrant son front.
Aéryn déglutit, tritura sa veste.
—C’est Axel, il a dit… il a dit…
—Viens, invita Éric en ouvrant les bras.
Aéryn vint aussitôt se blottir contre lui et Éric passa un bras autour de ses ailes.
—Il a dit quoi, Axel ? reprit Éric.
—Il a dit que si je volais aussi bien, c’était… c’était parce que…
Sa voix se brisa et Éric resserra son étreinte, le cœur soudain lourd.
—Il a parlé des Vents ? devina-t-il.
Aéryn acquiesça, enfouit encore un peu plus sa tête dans l’épaule paternelle.
—Je ne veux pas partir, hoqueta-t-il.
Éric caressa les cheveux de son fils.
—Tu ne serais pas seul et livré à toi-même, tu sais. Il y a souvent l’un de tes frères chez Aioros.
Voyant que ses paroles n’avaient aucun effet, il ajouta :
—Et tu n’es pas obligé d’y aller, de toute façon.
Aéryn le regarda, partagé entre la joie et l’inquiétude.
—Mais… Axel a dit que…
—Axel n’a que dix-neuf ans. Il ignore encore beaucoup de choses. Si tu as besoin d’un instructeur, nous devrions pouvoir en faire venir un ici.
—C’est vrai ?
Éric acquiesça. Ce ne serait certainement pas simple, mais si cela rassurait Aéryn, il ferait tout son possible.
—J’en parlerai avec ta mère. Réfléchis-y pendant le mariage. Tu changeras peut-être d’avis.
—Et si… et si je pars, je serai avec Léander et Elésyne ?
Éric eut un demi-sourire.
—Si tu le leur demandes, peut-être.
—Léander ne maitrise pas les Vents, fit Aéryn, sourcils froncés. Mais il vole drôlement bien. Pourquoi tu ne peux pas venir avec nous sur Massilia ?
—Parce que je n’en ai pas le droit.
Aéryn fronça les sourcils de plus belle.
—Mais… oncle Aioros, il ne pourrait pas décider que tu peux ? C’est pas juste, que tu restes tout seul ici !
Éric ne répondit pas. Le temps avait passé, et même s’il avait choisi l’Empire depuis bien longtemps, il se souvenait avec nostalgie des parfums typiques de sa planète natale. C’était tout ce qui lui en restait : des souvenirs, qui lui paraissaient maintenant agréables, mais qui ne l’avaient pas été, sur le moment. Avec un soupir, il caressa les cheveux d’Aéryn.
—Bien avant ta naissance, nous étions en guerre.
—Je trouve quand même ça pas juste. C’était il y a longtemps.
—Il y a longtemps, oui. Et pourtant, ce n’est pas une époque si lointaine.
Aéryn glissa de ses genoux.
—Je vais préparer mon sac. Maman m’a demandé de le faire, mais je voulais te voir avant.
Éric sourit. Il était déjà concentré sur autre chose. Tandis que la porte se refermait sur son fils, un air soucieux chassa son sourire. Les Vents. Une difficulté supplémentaire à gérer. Le Don était suffisamment rare pour qu’il n’ait jamais eu à s’en inquiéter. Sauf que là, il y avait eu Axel, cet autre garçon, Nicoleï, et puis Aéryn…
Trois jeunes garçons possédant les Vents, réunis au même endroit. Inhabituel.
Il avait longuement discuté avec Lucas et Satia. Eux aussi étaient inquiets pour leur fils. Deux pouvoirs chez un même individu, cela ne s’était pas vu depuis longtemps, si cela ne s’était pas même jamais vu. Surielle leur avait promis d’éplucher les archives pour en savoir davantage. Éric se demandait si les Dieux n’étaient pas simplement en train de leur jouer un autre de leurs tours.
C’est l’équilibre qui se rétablit.
Que veux-tu dire ?
La magie se réveille.
Magnifique. Comme s’il avait besoin d’autres problèmes.
Un coup fut frappé à la porte, et cette fois, c’est Alistair qui entra, seul.
—Je te dérange ? hésita-t-il.
—Du tout. Aéryn t’a parlé ?
—Aéryn ? Non, je ne l’ai pas croisé.
Avec un soupir, Alistair se laissa tomber sur un siège et passa une main dans ses cheveux. Un signe de nervosité. Inhabituel, ça.
—Je démissionne.
Éric haussa un sourcil.
—Pardon ?
Alistair se tortilla sur sa chaise, ses ailes s’agitèrent un bref instant avant qu’il ne retrouve son contrôle.
—Je sais que tu attends que je prenne ta place à la tête des Maagoïs, mais… laisse-la à Desmine, il le mérite. Moi… je ne peux plus me partager comme je le fais. Je pensais que cette mission d’ambassadeur serait temporaire, que je serai mieux au sein de mon escouade… mais j’y ai pris goût. Et puis, il y a Lypherin, il y aura bientôt les enfants… je ne peux plus.
Il y eut un silence, puis :
—Je suis désolé de te décevoir...
—Tu ne me déçois pas, le contredit Éric. Tu n’as jamais été obligé de suivre la voie que nous avions prévue pour toi.
Esbeth allait protester, c’était sûr. Le poste auquel Alistair renonçait était prestigieux et les Seigneurs des grandes Familles s’attendaient à ce qu’il lui succède. Une fois encore, il allait les surprendre. Tant mieux.
Alistair s’était détendu, soulagé et Éric devina que le sujet l’avait rongé.
—Tu y songes depuis longtemps ?
—Quelques mois, avoua Alistair. Je n’osais pas… enfin…
—Et tu as raison pour Desmine. Il a prouvé ses compétences maintes fois. Il est grand temps que je prenne ma retraite.
—Ce n’est pas ce que je voulais dire ! protesta Alistair.
Éric sourit.
—Je ne rajeunis pas, c’est un fait. Vous partez quand ?
—En fin d’après-midi. Kiensy charge les bagages. Nous serons ce soir sur Massilia. J’ai déjà réservé un aquilaire pour maman et les petits. Le voyage sera long jusqu’aux Îles.
Alistair s’éclaircit la voix.
—Je trouve tellement dommage de te laisser seul ici…
Ça, la maison allait lui paraitre vide. Et silencieuse. Il allait pouvoir goûter à une tranquillité qu’il n’avait pas connu depuis fort, fort longtemps.
—Tu transmettras mes salutations à ton oncle.
Alistair hocha la tête.
—Je le ferai. Vous vous êtes… reparlé, depuis…
—Cela ne te regarde pas, Alistair. Et sois prudent, sur place. Les vieilles rancunes sont les plus tenaces.
—Je sais, je sais. Elésyne m’a parlé de tout un protocole de sécurité et je sais qu’Eviel et Serena ont réfléchi à comment tout préparer au mieux. Si les Massiliens ne t’ont pas oublié, mon combat contre Orhim a redoré la réputation des ailes rouges. Et nombreux sont les membres du Clan des Îles à m’apprécier pour ça.
—Tu peux être fier de tout ce que tu as accompli, Alistair. Profite bien de la fête.