—Solerys s’est échappé.
—Quoi ?
Axel n’en revenait pas. Comment avaient-ils pu laisser échapper un individu aussi dangereux que Solerys ?
—Aioros ne compte pas rester sans rien faire, rassure-toi. Voilà pour toi, dit Lucas en lui tendant une enveloppe cachetée. Le Djicam ton oncle te confie ta première mission d’Émissaire.
—Tu sais en quoi elle consiste ? demanda Axel en ouvrant la lettre.
Il parcourut les quelques lignes, releva le regard vers son père.
—C’est à moi qu’il confie cette mission ? Ne suis-je pas trop jeune, trop inexpérimenté ?
Lucas haussa les épaules.
—Tu es Émissaire, Axel, maintenant. Relis bien ce qu’on te demande.
Axel relut trois fois, pour être sûr. Y’avait-il un obscur message caché entre les lignes ?
Ton père ne te tendrait pas un piège si basique, l’informa Telclet.
—Il ne s’agit pas d’aller affronter Solerys seul, reprit son père. Juste d’aller récupérer des informations à son sujet, et si possible, de le retrouver. Une fois qu’il sera localisé, tu pourras contacter tes confrères grâce au Wild, obtenir du renfort.
—Pourquoi moi ? demanda Axel.
—Aioros pense que tu es celui qui connait le mieux ses habitudes, vu que tu l’as côtoyé. Tu sauras te montrer méfiant. Et puis, Nicoleï t’accompagnera.
—Nicoleï ? s’étonna Axel. On me demande de m’occuper d’un Envoyé ?
—Oui. Il a terminé son séjour d’immersion chez les Maagoïs, et nous trouvions intéressant de te confier la mission de le ramener à l’École des Mecers auprès de son Messager.
—Mais ne dois-je pas aller sur Kléïto ? C’est là-bas qu’était retenu Solerys ?
Lucas acquiesça.
—Nicoleï ayant fait partie de la mission pour te retrouver, son Messager a bien voulu qu’il t’accompagne interroger les gardiens. Vous ne courrez aucun risque, là-bas. Une fois tes renseignements pris, tu rentres faire ton rapport sur Massilia en déposant Nicoleï.
—Très bien, dit Axel. Je m’en charge.
*****
—Si tu souhaites rejoindre le camp Maagoï où se trouve ton ami, indiqua Alistair, il te suffit de suivre l’est. Tu vas longer une corniche, ils seront en contrebas. Normalement, son capitaine aura reçu un message et l’autorisera à venir avec toi.
—Et pour l’Arche ?
Axel terminait de boucler son sac, ravi que son cousin ait quelques instants à lui accorder avant de rejoindre Massilia pour la deuxième cérémonie de mariage. Son habit de cérémonie reposait dans une housse, afin qu’il ne soit pas abimé par le trajet.
—L’Arche se trouve plus au Nord, près de la capitale. Quand tu auras les Montagnes à ta droite, il te faudra obliquer à l’Ouest, survoler la forêt et tu arriveras à Karistras. Contourne la ville, d’ailleurs. Je n’aimerai pas que tu sois la cible d’un tir malencontreux.
Axel acquiesça, un peu pâle.
—Je ferai un large détour, c’est promis. Je n’aurais pas de problème à l’Arche ?
—Il y aura des gardes, mais ils sont habitués aux visiteurs. Je leur enverrai un message pour prévenir de ton arrivée. As-tu besoin de provisions ?
—Ça ira, merci de t’en inquiéter.
—N’hésite pas à me contacter si tu as besoin de quoi que ce soit. J’ai moins d’influence sur le sol des Douze Royaumes, mais je connais du monde et on me doit des faveurs. Maintenant que tu es lié, cela te sera plus facile.
Touché, Axel noua son sac sur sa poitrine avant de s’incliner, poing sur le cœur.
—Merci, cousin, j’y penserai.
Alistair lui rendit son salut avec un sourire.
—Nous aurons une pensée pour toi, lorsque nous serons sur Massilia.
Axel fit un dernier tour de la maisonnée, remercia Esbeth et Éric pour leur accueil, sous le regard approbateur de sa mère. Il vint l’enserrer de ses bras et elle ne résista pas à lui ébouriffer les cheveux.
—Sois prudent, Axel.
—Oui, maman, répondit-il en roulant les yeux au ciel.
Pire, l’amusement de Telclet face à son agacement ne faisait que l’agacer davantage.
T’es censé me soutenir !
Mais tu agis tellement comme un enfant, parfois.
Parce que tu es adulte, toi ?
Adulte ? J’ai eu plusieurs couvées.
Mais tu as quel âge ?
Nous ne comptons pas comme les humains… laisse-moi voir… hum… ce sera mon cent vingt-sixième hiver.
Estomaqué, Axel réussit à masquer son trouble le temps de dire au revoir à ses petits cousins. Il aurait aimé avoir plus de temps pour discuter avec Aéryn. Axel espéra que tout se passe bien pour lui.
Cette fois, il en avait enfin terminé. Axel prit quelques pas d’élan dans l’atrium, s’éleva dans les airs. L’air se rafraichit rapidement à mesure qu’il prenait de l’altitude, obliquant vers l’est, comme Alistair le lui avait indiqué. Le paysage ne ressemblait pas à celui de Massilia, avec des forêts caduques de hêtres et de chênes, qui laissaient place à des sapins mêlés d’épicéas sur les hauteurs de la chaine montagneuse qu’il apercevait sur sa droite. La chaine de la Couleuvre, avait dit Alistair. Un repère facile à suivre.
Tu es contrarié, nota Telclet.
Axel ne répondit pas.
Tu te trouves trop jeune par rapport à moi ? C’est ça ?
Je ne m’y attendais pas, avoua Axel. J’ai l’impression que tu as un avantage sur moi.
Un avantage ? C’est ainsi que tu vois notre lien ?
Axel perçut toute la fureur soudaine de son Compagnon ; s’il n’avait été en vol, il aurait voulu se ratatiner dans un trou de souris pour disparaitre.
Il n’y a ni infériorité ni domination dans le lien, poursuivit Telclet. C’est un partenariat. Ne crois-tu pas que je pourrais envier ta taille, si je cherchais à me comparer à toi ?
Axel était mortifié, et pas seulement parce qu’il comprenait que Telclet avait raison.
Je ne m’y attendais pas, avoua-t-il. Je n’y avais pas pensé.
Eh bien, pense-y, la prochaine fois.
Telclet était vexé, et Axel le comprenait sans le comprendre. Le nœud de ses pensées restait un mystère.
Comment en était-il arrivé là ? Était-il fréquent de se brouiller avec son Compagnon ? Jamais il n’avait pensé à questionner ses parents sur le sujet. Et il n’avait encore aucun ami au sein des Émissaires, à qui il aurait fait suffisamment confiance pour poser la question.
Je ne suis pas fâché, transmit Telclet, qui percevait ses pensées inquiètes. Juste déçu que tu entretiennes de tels préjugés. Aurais-tu préféré te lier avec un membre plus jeune de notre couvée ?
Non ! protesta Axel. Ce n’est pas du tout ce que je pensais. J’ai juste cru un instant… tu dois avoir tant d’expérience !
Je suis plus âgé que toi, mais je n’avais jamais quitté mes forêts. Quand j’observe les lieux qui occupent tes souvenirs… Tu as beaucoup voyagé, pour un être si jeune. C’est ça, le lien. Nos forces se complètent.
Axel avait-il perçu les choses ainsi ? Il commençait à comprendre ce qu’être Lié signifiait. Jamais il ne pourrait cacher quoi que ce soit à Telclet. Son Compagnon était bien plus qu’un ami, il pourrait toujours compter sur lui pour tout partager, même ce qu’il aurait préféré garder secret.
Après une longue heure de vol, Axel aperçut le camp d’entrainement des Maagoïs en contrebas. Et la silhouette de Nicoleï, seul ailé au milieu de tous ces terrestres. En quelques battements d’ailes, il les rejoignit et se posa à ses côtés.
—Émissaire Axel, je suppose ? le salua un individu dont l’uniforme gris arborait trois étoiles rouges sur la gauche de sa poitrine.
—C’est exact, répondit Axel en saluant à son tour.
—Vous êtes à l’heure. Je vous remets l’Envoyé Nicoleï. J’espère qu’il a autant appris de son séjour que nous en avons appris également.
—Je n’en doute pas, sourit Axel. Bonne journée à vous, capitaine.
—Bon voyage, Massiliens.
Un dernier salut et Axel et Nicoleï bondirent dans les airs. Cette fois, ils mirent le cap à l’Ouest, vers Karistras où se trouvait l’Arche, à peine plus au nord. Ils survolèrent la forêt qui jouxtait la chaine de la Couleuvre, aperçurent de vastes plaines, et encore plus loin, le début d’un désert pierreux. Au nord de Karistras, capitale d’Iwar, comme le lui avait expliqué Alistair, ils discernèrent bientôt l’Arche, dans ce matériau si particulier qui ressemblait à de la pierre grise sans être de la roche.
Ils se posèrent à distance raisonnable, pour éviter d’être considérés comme une menace potentielle, puis vinrent saluer les deux gardes présents.
—Massiliens ? s’enquit le premier en avisant leurs ailes.
—Oui, répondit Axel. Nous aimerions ouvrir un passage vers le Sixième Royaume.
Le garde pianota un instant sur son avant-bras, où un écran s’était affiché. Axel songea qu’ils étaient bien loin des archives en papier qu’ils avaient vu en arrivant sur Druus. Il déclina leurs identités à sa demande, montra le papier signé par le Djicam Aioros qui leur demandait de se rendre sur Kléïto, Sixième Royaume de la Fédération et espéra qu’Alistair ait bien envoyé un message leur permettant d’utiliser l’Arche.
Après plusieurs minutes, le garde fit signe à son collègue, qui s’avança près de la borne au centre de laquelle luisait une pierre rouge de belle taille.
—Je vous ouvre le passage.
De sa dague, il s’entailla le doigt, fit perler quelques gouttes de sang qu’il déposa sur la pierre écarlate. Le sang fut absorbé et les douze runes autour s’illuminèrent. Il sélectionna la sixième, et un chatoiement apparut bientôt entre les arcs de l’Arche.
—Bon voyage, Massiliens. Nous espérons que votre séjour dans l’Empire des Neuf Mondes fut agréable, récita le garde.
—Nous en garderons un agréable souvenir, répondit poliment Axel. Belle journée à vous.
Nicoleï s’inclina à ses côtés, poing sur le cœur à la façon des Mecers, puis ils franchirent le passage.