– Qu’est-ce que je suis censée faire ? J’ai envie de lui casser la figure, grogna-t-elle en lançant un autre regard rempli de violence dans sa direction.
– Laisse-le admirer de loin, qu’il regarde à quel point tu es heureuse sans lui. Ton sourire est ta meilleure arme.
Ces conseils, Gabriel aimerait les appliquer à lui-même. Être heureux pour montrer au monde que ses cicatrices l’avaient rendu plus fort… Quelle chimère. Son enlèvement l’avait cloué au sol, enchaîné à cette foutue pièce où il subissait la lame douloureuse de ses détracteurs, encore et encore. Un cauchemar éveillé qu’il repassait en boucle dans sa tête. On ne pouvait plus être heureux après ça.
– Je ne te savais pas l’âme d’un poète, Gaby.
Elle sourit. Son sourire pourrait concurrencer le soleil, pensa le jeune homme. L’arc formé par ses lèvres était complètement différent des expressions qu’elle réservait à la caméra. Ce sourire était authentique, réel. Et ses mots en étaient l’origine. Il avait trouvé les mots justes pour une fois.
Le contour de ses lèvres forma une magnifique arabesque. Les lignes de sa cicatrice disparurent pour laisser place à un garçon heureux et fier de ses prouesses. Il avançait petit à petit vers un chemin de paix. Bien qu’il traîne derrière lui les lourdes chaînes de son passé, il avait désormais la volonté de les tirer avec lui. Son expression se figea cependant quand il intercepta un nouveau regard. Des yeux bleus. Les mêmes qu’il avait rencontrés quelques années plus tôt, au collège. Qu’est-ce que qu’elle faisait là ? Elle l’avait reconnu. Il le savait. Le regard soucieux, Gabriel suivit les mouvements de cette dernière. Il la voyait discuter avec un groupe d’amis. Il l’imaginait parler de lui. D’ailleurs, il entendit vaguement son prénom sortir de sa bouche.
– Gabriel.
La voix de Clara le ramena à la situation présente. Il jeta un nouveau coup d’oeil vers la fille au regard bleu, seulement pour la voir s’éloigner vers la piste de danse. Le gringalet finit par souffler. Tout était dans sa tête. Son attention revint alors à la jolie brune qui ne le quittait plus des yeux. Une myriade de questions pouvait se lire sur son visage. Questions qui ne quittèrent jamais la barrière de ses lèvres. Charlotte les avait rejoints, les joues rouges écrevisses. La boisson lui avait tenu compagnie le temps de leur brève disparition. En temps normal, la rouquine aurait vu cette rencontre d’un mauvais oeil, mais l’alcool la rendait heureuse. Et elle avait désormais envie de danser. Alors ils devaient danser. La musique se changea brusquement en une chanson lente et intemporelle : le quart d'heure des couples.
– Charlotte, c'est un slow.. Murmura Gabriel pour essayer de raisonner celle qui dansait toujours sur une musique d'ambiance.
Elle finit par l'enlacer à sa plus grande surprise. Les bras ballants, son ami se laissa porter par le rythme qu'elle imposait. Il n’osait pas s’éloigner de peur de la blesser. Il fixa son regard sur le sol, impuissant.
Laissée seule, Clara observa, quant à elle, le couple atypique formé par sa sœur et Gabriel. Elle aurait pu les trouver mignon dans d’autres circonstances mais pas cette fois-ci. Elle voyait comme une sorte de dissonance entre les deux qu’elle ne saurait expliquer. Plongée dans ses réflexions, elle ne vit pas Alexi se joindre à elle. C’est au son de sa voix qu’elle prit sa présence en compte.
– Ils vont plutôt bien ensemble, tu ne trouves pas ?
Était-elle la seule à voir la fausse note ? Clara sourit maladroitement en voyant l’adolescent s’entêter à dévisager le sol. Il était vraiment étrange.
– Je ne suis pas du même avis. Ils ne se ressemblent pas assez pour qu’il y ait quoi que ce soit.
– Tu connais le dicton : “les opposés s’attirent”.
Les deux femmes admirèrent quelques instants le couple évoluer au milieu de la piste de danse. Ils passent plus de temps à tourner en rond comme des enfants qu’à véritablement danser, pensa la jolie brune. Elle n’imaginait pas vraiment Gabriel dans le rôle de futur beau-frère. Le simple fait d’associer son nom à ce mot la fit grimacer. Jamais. Elle oublia vite cette idée.
– N’empêche, ton ex est une véritable plaie. Il s’attend à ce que tu lui sautes dessus ou quoi ?
– J’ai envie de lui botter le cul, tu peux pas savoir…
– Qu’est-ce qui te retient dans ce cas ?
– Mon intelligence. Je ne vais pas m’abaisser au même niveau que lui.
Un sourire fleurit sur ses lèvres en repensant au conseil de Gabriel. L’expression qu’il lui avait offert l’avait beaucoup émue. Il avait retiré son masque de faux-semblant pour montrer le visage d’un jeune homme simplement heureux. Il n’avait pas feint son sourire. Et quel sourire il avait ! Sans sa cicatrice et son attitude “froide”, le jeune homme serait terriblement séduisant. Mais ces traits le rendaient spécial aux yeux de Clara. Ils lui apportaient du charme. Il était différent des autres.
– Tu l’as enfin oublié. C’est pas trop tôt.
– Je l’ai oublié depuis longtemps.
Elle imagea son propos en levant les yeux au Ciel. Se souvenir de ce type lui refilait de l’urticaire. Clara se félicitait tous les jours de l’avoir quitté comme un malpropre. Elle lui avait jeté ses affaires en pleine figure. Elle se souvenait très bien de ce jour où elle avait découvert un sms dans son smartphone. La tromper avec Victoria Roseray, quelle erreur… Cette dernière avait certes plus d’abonnés qu’elle, mais elle n’aurait jamais son style.
– Si tu pouvais arrêter de les mater, c’est hyper glauque, commenta Alexi quand elle remarqua l’attention toute particulière qu’elle accordait au couple de Charlotte.
Clara finit par se ressaisir en croisant le regard de sa meilleure amie. Cette dernière portait désormais sa casquette d’inspectrice des affaires de cœur. La jolie brune essaya de garder une façade neutre devant la curiosité non feinte dont elle faisait l’objet. Elle avait subitement besoin d’alcool. Accompagnée d’Alexi, elles se rendirent toutes les deux vers le buffet à cet effet.
Le slow terminé, Charlotte se détacha de son ami. Son regard était perdu dans la vague. Gabriel commença à sérieusement s’inquiéter de son état quand elle devint aussi blanche qu’un cadavre. Devant l’immobilité de la jeune fille, le gringalet l’obligea à s’asseoir sur une chaise.
– Ça va ? T’as envie de vomir ?
Le zombie priait pour que ce ne soit pas le cas. Il n’était pas prêt d’éponger le vomi de quiconque. Face à son silence, il décida de relever sa tête pour inspecter son regard. Il y remarqua un détail qui l’interpella : ses yeux ne pouvaient être aussi rouge pour de l’alcool.
– Charlotte. Qu’est-ce que tu as pris ?
Nouveau silence. La rouquine s’était évadée dans un autre univers, très loin des inquiétudes de son ami. Gabriel devint blanc à son tour. La charge de responsabilité qui pesait sur son dos était immense. Et il n’était pas sûr d’avoir les épaules suffisamment larges pour pouvoir supporter tout ça. La santé de son amie… C’était beaucoup trop à gérer. Et si elle finissait accro ? Pire, et si elle finissait aux urgences ?
Le balafré tenta de calmer sa respiration. Il ne pouvait pas laisser la panique le submerger. La situation était bien trop préoccupante pour qu’il se soucie de qui que ce soit d’autre. Il devait trouver de l’aide. Il chercha son frère pour la deuxième fois de la soirée. Aux abonnés absents, il décida de le téléphoner. Heureusement, il décrocha.
– Ça va ?
– Non, ça ne va pas justement. Tu n’es pas là, Raph.
Gabriel entendait sa propre panique quitter ses lèvres. Il commençait à perdre ses moyens : son amie n’allait vraiment pas bien. Et il ne savait pas quoi faire.
– Tu es où ?
– A l’intérieur. Tu le saurais si tu ne t’étais pas absenté à peine arrivé.
Il assommait son frère de critiques pour éviter de penser à ses propres reproches. S’il n’avait pas laissé Charlotte aussi longtemps, peut-être qu’elle n’aurait rien pris. Il regrettait désormais d’être resté avec Clara. Le jeune homme coupa la conversation pour s’occuper de la rouquine. Un sourire avait pris possession de son visage sans aucune raison. Elle regardait le vide.
– Charlotte. Tu m’entends ?
Toujours aucune réponse. Raphaël les rejoignit enfin, l’odeur de cigarette imprimée sur ses vêtements. Son regard dévia de Gabriel à la lycéenne. Il fut soulagé de voir son frère sain et sauf. L’état de la petite maquilleuse en revanche… Il s’approcha de cette dernière pour observer son comportement d’un peu plus près.
– Charlotte ?
Silence total. Excepté pour bâiller de sommeil. Cette action rassura la fratrie. Ils allaient la coucher, puis surveiller son état de temps en temps. Les effets des hallucinogènes allaient s’estomper avec le temps.
– Je vais prévenir Clara, déclara l’aîné avant de s’éloigner.
Gabriel se permit enfin de souffler. Il ne lâcha son amie du regard que pour voir sa soeur arriver, le visage gorgé d’inquiétude. Elle s’abaissa à hauteur de son visage et lui posa quelques questions. Elle ne récolta rien de plus que les garçons. A l’aide des deux frères, ils conduisirent Charlotte jusqu’à sa chambre. Cette dernière s’enfouit presque immédiatement sous les couvertures.
– J’avais interdit l’usage de substances pourtant, siffla Clara en serrant des poings.
– Tu ne peux rien y faire. Les gens en ramènent toujours en soirée, indiqua Raphaël, un habitué des fêtes.
– Entre ça et l’autre enfoiré, cette soirée devient incontrôlable.
A qui le dis-tu, pensa Gabriel sans révéler quoi que ce soit sur son visage. Il consulta l’heure sur son smartphone. 23h24. Il soupira. Il était encore trop tôt pour envisager de partir. Et maintenant que son amie avait rejoint les bras de Morphée, il devrait affronter cette soirée seul. La tâche s’annonçait difficile.