Chapitre 34

Sa soirée d’Halloween prenait une tournure inattendue. Et Clara ne savait plus où donner de la tête. Sa sœur avait pris des hallucinogènes. Son ex était entré sans invitation. Sa jauge de patience commençait à déborder. Ses invités ne tarderont pas à découvrir le diable sous son costume d’ange noire.

Le trio était redescendu quelques minutes plus tôt, et Clara s'occupait désormais de l'alcool qui disparaissait à vue d'œil. La danse donnait soif. Parler assécher la gorge. En bref, toutes les raisons étaient bonnes pour boire. 

Elle lança un regard à la ronde quand elle finit d'organiser les bouteilles. S’occuper les mains l’aidait à calmer ses nerfs mis à rude épreuve. Son attention ne cessait de glisser jusqu’à son ex. Théo régnait en vainqueur sur la compétition de beer-pong, à son plus grand dam. Elle voulait le voir échouer comme le loser qu’il était. La jeune femme avait toujours leur séparation en travers de la gorge. Ils avaient été amis d’enfance. Se mettre ensemble allait dans l’ordre naturel des choses. Puis il l’avait trompée avec cette Victoria…

Elle détendit sa poigne quand elle entendit son verre en plastique craquer. La brune souffla. Elle se baissa pour ramasser le jus renversé. Elle devait se ressaisir. Ses émotions ne pouvaient gagner la bataille aujourd’hui. 

Une présence se joignit à elle. Son regard tomba sur les cheveux noués de Gabriel qui l’aide à éponger le liquide. Clara resta un instant tétanisée. Son souffle se bloqua au fond de sa gorge quand elle croisa les yeux couleur océan du jeune homme. Ce dernier se demandait pourquoi elle restait immobile. Il craint un instant qu’elle ait consommé les mêmes substances que sa soeur.

– Clara ?

L’étudiante cligna des paupières et se releva d’un bond. La gêne lui titilla les joues. Qu’est-ce qui lui passait par la tête ? C’était l’ami de sa soeur. Elle devait arrêter tout de suite cette drôle de sensation qui papillonnait dans son ventre. Elle n’avait pas le droit.

Quand son visage apparut devant elle, Clara s’obligea à fixer un point invisible derrière lui. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas, scanda t-elle un nombre incalculable de fois dans sa tête. Il était plus jeune qu’elle. Toujours lycéen. Il était l’ami de sa soeur. Toutes ces raisons le rayaient donc de sa liste de potentiel cible. Elle ne pouvait pas.

– Tu veux quelque chose ?

– Juste t’aider, rétorqua t-il timidement.

Gabriel remonta ses lunettes sur son nez. Il n’osait rencontrer le regard de l’influenceuse. Elle était agacée par sa présence, remarqua t-il, gêné au possible. L’intonation agressive employée plus tôt avait été catégorique. Le balafré se réfugia donc dans un coin de la pièce, dans un endroit qu’il espérait suffisamment sombre pour le cacher. Il déverrouilla son smartphone pour débuter une nouvelle partie de Candy Crush. Il ne lui restait plus qu’à attendre.

Pour la jolie brune, la fête était loin d’être terminée. Elle vida une première bouteille de bière rouge, puis en but une seconde. Clara ne comptait pas boire jusqu’à en perdre la tête, elle voulait juste se détendre, s’amuser. C’était sa soirée d’Halloween, et elle était pourtant la seule à rester sobre. Il fallait qu’elle oublie quelques instants ces drôles de sensations provoquées par un certain jeune homme. Vite, qu’elle oublie, psalmodia t-elle en finissant une nouvelle bière.

Un sourire placardé sur les lèvres, elle fit le tour de la pièce, rejoignant groupe après groupe. Clara s’enivrait de l’ivresse de ses invités. Voir tout le monde s’amuser à sa fête la gorge de fierté. Sa soirée était réussite. Elle s’absenta un instant constater l’état de sa soeur, vérifiant son pouls par la même occasion, avant de redescendre s’amuser. 

Tout allait bien. Tout irait bien. La situation était sous contrôle. Elle souffla avant de s’aventurer sur la piste de danse. La jeune femme laissa la musique envahir son corps, et cessa enfin de réfléchir. Ses mouvements suivirent chacune des notes.

Tout, il faudrait tout oublier.

Les paroles glissaient sur sa peau et résonnaient jusqu’au plus profond de son être. Elle voulait tout oublier de ce qu’elle avait ressenti plus tôt. Le feu qui avait ravagé ses entrailles… 

Tout oublier.

Cependant, elle ne parvint à discipliner son regard qui recherchait des yeux bleus. Elle tomba sur un visage uniquement éclairé par son smartphone. Des pastilles colorées se réflétaient sur ses lunettes. Elle s’interrogea sur l’origine du reflet : elle ne connaissait aucun réseau social avec une aussi large palette de couleurs. Mais à la façon dont il pianotait sur son écran, elle devina qu’il jouait. Il était le seul à ne pas s’amuser. Elle s’apprêtait à le rejoindre pour lui demander de venir danser quand elle fut entraînée par Alexi dans une nouvelle danse endiablée. Contaminée par la joie de son amie, elle se laissa emporter par l’ambiance générale et oublia vite ses intentions.

Gabriel releva la tête pour voir les femmes crier sur une chanson populaire. Il vit Clara au centre du cercle danser comme une véritable diablesse. Quand ses ailes se firent contraignantes, elle les jeta sans aucun scrupule sur une chaise. Le balafré assistait à ce spectacle, les yeux ronds. Sa chute de rein était d’autant plus visible. Irrésistible pour beaucoup. Il dévia le regard presque instantanément à la suite de ses réflexions. Il souffla, histoire d’apaiser les rougeurs qui lui parcouraient la peau.

A quelques pas de lui, il vit un jeune homme ériger son téléphone devant lui comme il le ferait pour un bouclier. Sa cible ? Clara Duquesnes. Le lycéen fronça les sourcils : à quoi il jouait ? L’inconnu rit en montrant le cliché à ses copains. L’un d’entre eux lui prit le smartphone des mains pour zoomer sur l’objet de sa curiosité, un geste approuvé par le propriétaire de l’appareil.

Gabriel n’en croyait pas ses yeux. Ces hommes prenaient des photos de son amie à son insu pour la reluquer ? Il trouvait la situation surréaliste. Il avait entendu parler d’un mouvement qui prônait le droit des femmes, et les violences qu’elles subissaient au quotidien. Or, sans s’y méprendre, il assistait bel et bien à une scène de violence. 

Devait-il agir ? La prévenir ? L'anxiété le rongea à l’idée de faire quoi que ce soit. Cependant, lorsqu’il le vit brandir son téléphone à nouveau, son corps se mouva jusqu’à se placer devant l’objectif. L’inconnu releva la tête quand il vit une personne s’interposer entre téléphone et sa cible.

– Qu’est-ce que tu veux ?

– Arrête de prendre des photos, argua Gabriel d’une faible voix.

Il n’osait rencontrer le regard de ces inconnus. Le balafré remonta ses lunettes, une vaine tentative pour dissimuler sa nervosité. Il priait pour qu’ils ne soient pas partisan de la violence. Il se remettait depuis peu de son traumatisme au visage.

– Sinon, quoi ? Puis t’es qui au juste ?

– Vous n’avez pas le droit de prendre des photos sans son consentement.

– Colle-moi un procès alors.

Sur ces mots, lui et sa bande de copains s’en allèrent. Il s’en était sorti indemne, et pourtant, il n’en ressentit aucune fierté. Après coup, il se dit qu’il aurait dû lui demander de supprimer la ou les photos. Le tort n’avait pas été réparé. Gabriel serra les poings, impuissant. S’il avait été moins lâche…

Il profita d’être debout pour se servir un nouveau verre. Raphaël discutait à quelques mètres de la table. Le sujet devait être fort divertissant puisqu’il rit, un enthousiasme loins d’être partagé par Gabriel qui essayait de ramasser les miettes de sa fierté. 

Il s’en voulait. Beaucoup. Si seulement… Le jeune homme arrêta le moindre de ses mouvements. Il n’avait pas d’excuses. Badigeonner de la sorte, il ne pouvait plus remettre la faute sur son apparence. Sa cicatrice telle qu’elle était n’existait pas pour ces gens. Il n’avait aucune excuse. Son regard s’arrêta sur une silhouette qui s'épanouissait sur la piste de danse. Il transmit ses excuses en pensées. Il aurait pu faire plus.

Le balafré jeta un oeil sur l’écran de son téléphone et jugea qu’il était suffisamment tard pour partir. Il s’en alla chercher son frère qui finissait justement son verre. Son aîné comprît dans la minute qu’ils étaient sur le départ. 

La petite fratrie remercia l’hôtesse de la soirée. Cette dernière peinait à assembler des mots. Clara parvint tout de même à formuler cette phrase :

– Merci d’être venus, leur répondit-elle avec un sourire sincère.

Raphaël ne manqua en rien le regard qu’elle accorda à son petit frère. Gabriel, quant à lui, resta hermétique à cette approche, complètement obnubilé par ses chaussures. L’aîné leva les yeux au ciel et guida le plus jeune jusqu’à la voiture. Il était irrécupérable…

– Bon, qu’est-ce qui s’est passé avec la jolie Clara ?

Raphaël avait tourné la clé, allumé les phares et enclenché la première. Son frangin se mura dans le silence, et l’étudiant souffla. Il n’obtiendrait pas d’aveux à ce rythme. Le morveux avait intérêt à tout lui déballer.

– Elle t’a dévoré du regard, mon vieux.

– Il ne s’est rien passé.

Le jeune homme n’en croyait pas un mot. Cependant, il laissa couler. Raphaël avait déjà assez de problèmes de ce côté-là, et autant dire qu’il ne donnait pas les meilleurs conseils dans ce domaine. Le simple fait d’y penser le rendit nerveux parce que la folle continuait de le harceler. Elle n’avait pas pris ses menaces au sérieux. Et maintenant, elle trouvait le moindre prétexte pour lui envoyer un message. Il aurait dû publier les photos. Seulement, la situation actuelle l’en avait empêché. Avec le nouveau mouvement féministe, il était pieds et poings liés. 

L’étudiant souffla en se garant dans l’allée de la maison. Il devait trouver une solution. Son ex toxique n’allait pas lui pourrir la vie plus longtemps, se promit-il. Il enclencha la fermeture automatique et suivit son frère jusqu’à la porte d’entrée qu’il déverrouilla. Toutes les lumières étaient éteintes depuis un moment. 

L'aîné prit le soin de fermer à double tour derrière lui et la fratrie se sépara pour rejoindre leur chambre. La nuit risquait d’être longue pour les deux jeunes hommes.