Chapitre 33

Par Mila
Notes de l’auteur : Voici un nouveau chapitre. J'espère que vous en apprécierez la lecture !

Elle réagit aussitôt, se levant tranquillement comme si de rien n’était et en marchant tranquillement vers le camp. Elle réveilla tout d’abord Ban’eh, et fit semblant de tenir une conversation tout à fait banale.

 

“Il y a quelqu’un caché derrière un rocher, juste devant le camp, annonça-t-elle d’un air tranquille. Il nous écoute peut-être.”

 

Le soldat, comprenant la situation, acquiesça d’un air léger.

 

“Réveille Pavel et Ka’ni en priorité. Leurs affinités peuvent être utiles. Je me charge d’Elyie, Nali’ah et Lo’hic. Surtout, continue ainsi et fait comme de rien n’était. Dis-leur de l’encercler. Sa position ?

-À l’est.

-Bien. "

 

Elle réveilla ses deux camarades, leur indiquant les positions à prendre. Ka’ni bâilla bruyamment, puis lança à tout va :

 

“Je reviens, je vais me soulager. Pas la peine de me suivre.”

 

Taïe sourit devant sa méthode originale, et le vit disparaître parmi les ombres. Pavel, lui, resterait du côté du camp : ses flammes le rendaient trop voyant pour qu’il puisse espérer se faufiler sans se faire voir. Il était capable d’étouffer leur lumière, mais cela aurait sans doute intrigué l’intrus. Ils furent cependant obligés de réduire la luminosité, afin que le reste du groupe puisse aller se cacher. Ce fut Elyie qui en trouva le moyen, mettant sa main devant ses yeux plissés.

 

“Pavel, est-ce que tu peux baisser tes flammes s’il te plaît ? Je n’ai rien contre la lumière, mais elles sont particulièrement éblouissantes.”

 

Le stratagème permit au reste du groupe de s’éclipser discrètement. Une fois tous en position, Taïe commença à se rapprocher de l’ombre le plus silencieusement possible. Elle avait été désignée pour cette tâche, et les autres empêcheraient toute tentative de fuite de la part de la silhouette sombre. L’adrénaline avait momentanément chassé sa fatigue, et même les voix de Temps s’étaient presque mises en sourdine.

 

Le rocher était à présent à quelques mètres seulement. D’un saut, elle le contourna et parvint à saisir le bras de l’intrus. Elle fut surprise par ce qu’elle attrapa : il était aussi dur et froid que de la pierre. Un Radvenheng ! Le doute l’assaillit. Comment vaincre un ennemi pourvu d’une peau de roche ? Elle devait à tout prix éviter de se faire frapper : un coup de son poing solide l’assommerait aussitôt.

 

“Radvenheng !” cria-t-elle pour prévenir ses camarades.

 

Elle passa ses bras autour de son cou pour tenter de l’immobiliser tandis qu’il se débattait. Une flamme surgit dans l’obscurité et fusa pour s’écraser en plein dans sa poitrine. Rien ne se produisit : quels dommages le feu peut-il opérer sur la pierre ?

 

“Ça ne sert à rien, sa peau est trop solide !”

 

Il devenait de plus en plus compliqué de le retenir : il ruait comme un diable, et Taïe tentait tant bien que mal de protéger son visage de ses coups de tête à répétition. Un puissant souffle de vent les plaqua contre la paroi derrière eux, œuvre de Ka’ni. Écrasée par son adversaire, Taïe commençait à suffoquer. Ka’ni sembla s’en rendre compte, car le vent cessa un instant et elle put s’extraire. Lo’hic s’était joint au jeune Soboemn, et le Radvenheng luttait contre les bourrasques qui le plaquaient à la roche. Après quelques minutes d’impuissance, il redressa soudain sa tête et riva ses yeux d’un gris laiteux dans ceux de Ka’ni. Le jeune homme commença à tituber, puis se prit la tête dans les mains. Sous l’air implacable du Radvenheng, il se mit à crier de douleur en se bouchant les oreilles. Leur adversaire ne s’arrêta pas là : il se tourna vers Lo’hic, qui ne put détourner son regard à temps : il rejoignit Ka’ni, se tordant de douleur sans raison apparente et cherchant à échapper à un bruit qu’il était le seul à entendre. Profitant de la confusion des autres membres du groupe, le Radvenheng partit en courant. Sans réfléchir, Taïe se lança à sa poursuite, suivie d’Elyie. La créature sautait habilement de rocher en rocher, se jouant de la gravité et grimpant aux parois avec des mouvements aussi vifs que ceux d’un lézard. Les deux jeunes filles le suivaient tant bien que mal, passant de rocher en rocher le plus rapidement possible et se faisant la courte échelle pour monter les plus hautes marches. Elles le poursuivirent encore un moment avant de renoncer : jamais elles ne le rattraperaient.

 

De retour au camp, Ka’ni et Lo’hic s’étaient visiblement remis de leur étrange sort.

 

“Il a dû user de son affinité, déduit Elyie. Les Radvenhengs sont bien maîtres des âmes et des esprits, non ? Il a sûrement… instillé quelque chose en vous afin de vous faire perdre pied.

-Cela ne m’étonnerait pas, grimaça Ka’ni. C’était comme si… comme si j’avais un carillon dans ma tête, qui se cognait partout.”

 

Après cette mésaventure, ils avaient décidé de toujours laisser deux personnes monter la garde. Ils ne savaient pas ce que le Radvenheng avait voulu au juste, mais sa présence n’avait rien auguré de bon, à part peut-être qu’ils touchaient presque au but. Taïe n’avait pas osé leur révéler qu’elle voyait ces silhouettes depuis quelques jours déjà, mais s’était promis de ne plus faire preuve d’une telle imprudence. Après la folle course-poursuite dans les rochers, elle s’était écroulée sur sa couverture, assaillie par d’incessantes vagues de douleur. Sa vision se brouillait, et les voix de Temps résonnaient dans son crâne comme des coups de tonnerre.

 

Trouve la vérité la vérité trouve l’homme et la vérité trouve la vérité…

 

Elle n’avait même pas eu la force de protester, et ne savait pas si elle avait fini par s’endormir ou sombrer dans l’inconscience.

 

Temps se tenait à moitié courbée, au sommet du Mont Tsadis. Sa respiration saccadée laissait transparaître sa rage. Derrière elle, Lumière entra dans le cercle de colonnes d’un pas vif.

 

“Est-il allé au bout ?

-Bien sûr que non, lui assura Temps en se redressant. Je ne l’ai pas laissé faire.

-Est-il mort ?

-J’aurais bien aimé mais je n’ai pas eu le temps, rétorqua-t-elle. Il a fuit aussi vite qu’il a pu. Je lui ait néanmoins laissé un souvenir. Il gardera cette cicatrice sur sa main jusqu’à la fin de ses jours.

-Ce sale traître de Radvenheng, cracha Lumière.”

 

Malgré le bandeau qui lui ceignait la tête, une éblouissante lumière s’échappait de ses yeux.

 

“Je vais aller l’achever moi-même, gronda-t-elle.

 

Esprit était entré, à peine visible dans la vive lumière du soleil de midi.

 

“Il est seul, pour l’instant. Personne n’était au courant de sa liaison avec Temps. Si une Tsadienne arrive pour tuer un Radvenheng quelconque sans aucun motif… Comment cela sera-t-il perçu ? Les Tsadiens, les grands Esprits protecteurs tuant de pauvres gens du peuple pour leur simple plaisir ?

-Ce n’est pas pour mon plaisir personnel que je fais cela ! Dois-je te rappeler ce qu’il a fait ?

-Bien sûr que non. Nous l’avons tous senti. Mais personne d’autre ne le sait, or il faut à tout prix éviter que son histoire avec Temps ne s’ébruite. Il va te falloir trouver une manière plus subtile d’opérer.

 

Tous les autres Tsadiens étaient arrivés. La rage se lisait dans chaque paire d’yeux.

 

“Temps, ma sœur, nous t’avions prévenu, déclara Ombre de sa voix caverneuse. Cependant… je pense qu’aucun de nous n’imaginait qu’il irait jusque-là. Nous te soutenons. Nous allons tous nous venger, d’une manière ou d’une autre.”

 

La meneuse des Tsadiens s’était redressée, et se tenait fièrement devant ses frères et sœurs. Ce fut d’une voix grondante qu’elle reprit la parole.

 

“Je vais récupérer ce qui m’appartient, et détruire celui qui me l’a pris.”

 

***

 

“Puis elle a déclaré qu’elle reprendrait ce qui lui appartenait, et détruirait celui qui l’a pris.”

 

Taïe se tut enfin, la bouche sèche après avoir raconté la vision dans ses moindres détails.

 

“Elle a évoqué une cicatrice sur la main du Radvenheng : cela correspond avec ma vision précédente. Quand il se tenait dans la forêt morte, et qu’il pleurait Temps avant que sa tristesse ne se transforme en rage.

-Je dirais que cela exclut la possibilité d’un vol, déclara Lo’hic. Sinon, pourquoi aurait-il été si triste, ou en colère ? Ce qui s’est passé doit être bien plus complexe.

-En tout cas, il s’est attiré la foudre des Tsadiens. Ils ont juré de le détruire. Or, à notre époque, il est toujours en vie, alors que les Tsadiens ont disparu. Quelque chose ne s’est pas passé comme prévu.

-Un simple oedorien aurait causé la mort des grands Esprits ? Je n’y crois pas, annonça Pavel.

-Il est vrai que cette histoire devient de plus en plus complexe. D’où cette nécessité de poursuivre.”

 

L’attaque du Radvenheng des montagnes avait eu lieu trois jours plus tôt. Ils avaient poursuivi leur marche, suivant les symboles gravés dans la roche. Quand ils s’arrêtèrent au crépuscule, ils avaient atteint les berges d’un fleuve tranquille.

 

“Ce doit être l’Aléane, avait remarqué Ka’ni. Elle prend sa source un peu plus en amont. "

 

Taïe en avait profité pour faire un plongeon, prenant garde de garder son dos couvert. Il ne manquait plus que ses camarades découvrent sa maladie suite à une erreur aussi bête. Elyie, assise sur un rocher, la regardait se prélasser dans le courant. Nali’ah et Ban’eh profitaient également de l’eau fraîche, un peu plus loin.

 

“Elle est bonne ? lui lança la soigneuse.

-Très. Tu veux venir ?”

 

Devant la mine embêtée d’ Elyie, la guerrière se rappela avec un temps de retard qu’elle ne savait pas nager.

 

“Je peux t’apprendre, si tu veux. Ce n’est pas bien compliqué.”

 

La jeune fille hésita un long moment, puis s’approcha de la berge à petits pas. Elle retira une partie de ses vêtements et s’avança jusqu’à avoir de l’eau au niveau des genoux.

 

“Et maintenant ?”

 

Taïe la guida jusqu’à une petite cuvette formée par un amoncellement de rochers qui retenaient l’eau. Le courant y était presque inexistant, et elle n’avait pas pied au centre.

 

“Avance jusqu’à avoir de l’eau aux épaules, lui dit-elle d’une voix confiante. Je te tiens, ne t’inquiète pas.”

 

Elle posa sa main derrière le dos de son amie, et la suivit tandis qu’elle progressait à son rythme. Un rocher sur le chemin lui sembla parfait, et elle lui conseilla de s’asseoir dessus. Ainsi, l’eau lui arrivait un peu en dessous du cou et elle pouvait se familiariser tout en ayant un point d’ancrage.

 

“Quand tu es prête, lance-toi en avant et fais ces mouvements avec tes bras et tes jambes.

 

Elle lui mima les gestes à effectuer, et attendit qu’Elyie se jette à l’eau. La soigneuse restait figée, n’osant pas quitter son rocher.

 

“Elyie, ne t’inquiète pas. Tu n’as rien à craindre de l’eau.”

 

Cette phrase sembla la détendre, et elle osa enfin s’avancer. Ses mouvements étaient désordonnés, patauds, mais l’essentiel était là et elle parvenait à garder sa tête à la surface. Elle avançait, confiante, sous le regard chaleureux de Taïe. Puis, soudain, sa tête disparut sous l’eau. La guerrière resta perplexe un instant, s’attendant à la voir remonter, mais rien ne se passait. Angoissée, elle se précipita et attrapa Elyie pour la remonter. Celle-ci la regarda avec des yeux ronds, puis éclata de rire.

 

“Je ne suis vraiment pas douée !”

 

Taïe partit en fou rire à son tour, et Elyie reprit sa nage laborieuse.

 

Après une bonne heure de natation, les deux jeunes filles s’étaient posées sur la berge, profitant du soleil étonnamment chaud pour la saison. Taïe espérait qu’il sécherait leurs habits assez rapidement : elle avait horreur de porter des vêtements humides. Allongée sur le dos, elle regardait les nuages dévier paresseusement dans le ciel. Elyie, à sa droite, arborait un petit sourire satisfait. Taïe hésita un instant avant de prendre la parole : elle ne voulait pas plomber l’ambiance, mais elle avait besoin de parler avec la soigneuse.

 

“Elyie, les voix me rendent folle. Ce n’est plus seulement Temps qui me harcèle, mais tous les Tsadiens.

-Je le vois bien. Tu es de plus en plus faible, souvent ailleurs.”

 

Taïe se tut, mal à l’aise. Dans son dos, la douleur se fit plus forte, comme pour la provoquer.

 

“Je partage avec toi une partie de cette âme, et pourtant… si je pouvais t’aider en te soulageant d’une part de ton fardeau, crois-moi, je le ferais. Si elles sont si terribles… raison de plus pour découvrir cette vérité. Je suis persuadée que cette histoire est liée à la disparition des Tsadiens. En revanche, comment… Tout ce que nous découvrons ne fait que renforcer le mystère.

-Temps et le Radvenheng sont passés d’amants à ennemis. Quant à savoir pourquoi…

-Je te promets que nous le découvrirons, et que les voix cesseront.”

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez