Chapitre 34

Par Notsil

Une bouffée de vent frais les accueillit, sur une herbe verte qui ondulait sous les bourrasques. Sur sa gauche, Axel distinguait une chaine de montagne aux sommets enneigés, et à sa droite se dessinaient les murailles de la ville de Cark, capitale du Sixième Royaume.

Les hauts murs de pierre étaient émaillés de tours carrées où patrouillaient des soldats et des archers et l’entrée de la ville était protégée par une porte en bois renforcée par d’épaisses traverses métalliques.

Axel frissonna. Il n’était jamais venu sur Kléïto auparavant. Ce royaume lui paraissait presque hostile, comme encore en guerre. Pas étonnant que l’Empire n’ait jamais cherché à prendre position ici. Plus au nord, il devinait les contreforts de la chaine de montagne qui les séparait du désert chaud. Un endroit effroyable, s’il en croyait les rumeurs. La chaleur étouffante du nord, ou le froid glacé du sud : Kléïto était la planète des extrêmes. Pas étonnant qu’elle ait été choisie pour accueillir les criminels des douze Royaumes.

De ce côté-ci de l’Arche, des soldats aussi étaient présents, portant l’uniforme noir de la garde de Cark et l’insigne au phénix de la Fédération. Sous la veste aux boutons argentés, Axel devina la présence d’une cotte de mailles et à la patine sur la garde de leurs épées, il sut qu’ils étaient expérimentés. Une sage précaution.

—D’où venez-vous, Émissaire ? s’enquit aussitôt le plus proche, main sur son épée.

Son confrère avait reculé d’un pas et encoché une flèche. Les trois autres se tenaient aussi en retrait, prêts à passer à l’attaque.

Axel s’efforça d’apparaitre aussi confiant que possible.

—Je l’Émissaire Axel, je viens sur ordre du Djicam Aioros, dit-il en dépliant son ordre de mission. Je dois rencontrer le capitaine Louchet, qui dirige le camp numéro huit, pour obtenir des informations sur un prisonnier.

Apparemment, il les avait rassurés, parce qu’ils baissèrent leurs armes et se relâchèrent.

—Ah, vous êtes les Mecers envoyés à notre demande, alors. Je suis le sergent Bims Strékor, en charge de la surveillance de l’Arche. Comme vous le voyez, l’endroit est très sécurisé, même si nous nous trouvons loin des camps de prisonniers.

Puis Strékor se tourna vers son collègue.

—Apelle Vik, nous avons des visiteurs.

Ils n’eurent à patienter que quelques minutes avant qu’un autre soldat ne s’approche. Il les salua  d’une inclinaison du buste, main sur le pommeau.

—Je suis Vik Ilitid, se présenta-t-il. A qui dois-je vous conduire, Émissaire ?

—Je cherche le dirigeant du huitième camp, répéta Axel.

—Le huitième camp ? Ce n’est pas à côté. Suivez-moi.

Axel et Nicoleï se laissèrent guider vers les écuries, où Vik leur procura deux montures, puis ils se mirent en route. Axel se retint de dire qu’ils seraient allés bien plus vite en volant : ils ne connaissaient pas les lieux, et même si la voie des airs leur épargnait la plupart des dangers au sol, il était préférable de suivre un habitué. En chemin, Axel chercha à se renseigner sur ce qui les attendait. Vik se montra volubile, sentant que ses compagnons de route ne connaissaient pas bien le fonctionnement du Sixième Royaume. Il était plutôt rare que des Massiliens, de surcroit Mecers, s’aventurent sur la bande tempéré du climat inhospitalier de Kléïto. Il leur apprit que les camps étaient au nombre de douze, six sous la domination des Clans de Matriarches des Sables, six sous la domination des hommes des Clans du Désert Blanc. Selon la durée de leur peine, les criminels des Douze Royaume étaient envoyés dans l’un ou autre des camps. Il y avait peu d’évasion, car il était difficile de survivre hors la Bande, dans les déserts de l’autre côté des montagnes. Et tout criminel qui se retrouvait sur les territoires des Clans se retrouvait à leur merci. Vik leur apprit que la plupart du temps, les hommes tuaient les fugitifs, tandis que les femmes en faisaient des esclaves.

—Pour concevoir des enfants, ajouta-t-il face à leurs mines interloquées.

Vrai que les relations avec le même sexe étaient la norme, ici, se rappela Axel. Sur Massilia, peu importait le sexe du partenaire, même si les mariages se faisaient généralement avec un membre du sexe opposé parce qu’il s’agissait de perpétuer la lignée. Les liaisons éphémères étaient banales et Itzal, son mentor, en était un parfait exemple. Le Messager ne s’était jamais marié, même s’il avait eu une fille avec une atlante – chose peu courante par ailleurs.

Ils ne s’écartaient pas du chemin balisé, et quand Nicoleï en demanda la raison, Vik leur expliqua que la forêt environnante recelait des dangers. Sans compter que les prisonniers étaient relativement laissés à eux-mêmes, n’étaient pas tenus de revenir au camp sauf pour le pointage hebdomadaire. Les plus prudents restaient près du camp, les plus téméraires n’hésitaient pas à tenter l’aventure en forêt. Parfois, ils retrouvaient des corps, et quand ils avaient plus de chance, leurs patrouilles ramenaient les blessés au camp pour les soigner.

Enfin, ils arrivèrent devant une palissade haute de plusieurs mètres, avec des pieux pointus qui décourageaient toute escalade.  Vik frappa à la porte, dont l’huis coulissa. Une fois qu’il eut décliné leurs identités, la porte s’ouvrit et ils entrèrent. Axel nota qu’ils fermaient rapidement derrière eux. Ils remirent leurs chevaux à un palefrenier puis suivirent leur guide jusqu’à un bureau. Vik frappa à la porte, expliqua la raison de leur présence en quelques mots, puis les invita à l’intérieur.

—Le capitaine Louchet va nous recevoir. Bon séjour sur Kléïto, Massiliens.

Axel remercia leur guide et se présenta au capitaine. La pièce était tout juste assez grande pour qu’ils ne s’y sentent pas trop à l’étroit. Un large bureau encombré était accolé au mur et plusieurs affiches y étaient épinglées. La liste du personnel en permission, des fournitures dont le camp avait besoin… Axel s’obligea à se concentrer sur le capitaine.

—Je viens récupérer toutes les informations concernant Solerys Olys, de Niléa, qui s’est évadé il y a trois jours.

—Solerys, dites-vous ?

Le capitaine fouilla ses papiers, puis ses tiroirs.

—Je suis désolé, Émissaire, je n’ai rien au nom de Solerys.

Axel fronça les sourcils.

—Nous sommes bien au camp numéro huit ? Il a été envoyé ici il y a… quarante-trois jours. Vous tenez bien un registre des entrées, non ?

Louchet se leva.

—Bien entendu. Suivez-moi.

Il contourna son bureau pour ouvrir une petite porte, où un lutrin supportait un énorme livre aux pages épaisses. Louchet humecta son doigt avant d’en tourner soigneusement les pages.

—Solerys, Solerys… Quel jour, rappelez-moi ?

Axel lui indiqua la date.

Louchet fronça les sourcils, tourna une autre page, revint sur la précédente, pinça les lèvres.

—Je n’ai rien à ce nom. La seule entrée, il y a cinquante-deux jours, c’est un certain Abside. D’ailleurs, c’est notre dernier prisonnier, il n’y a eu personne depuis.

—Impossible ! s’exclama Axel.

—Venez vous en assurer par vous-même, dit Louchet en haussant les épaules.

Axel et Nicoleï s’approchèrent, suivirent les noms du doigt, revinrent en arrière de trois pages, épluchèrent chaque ligne.

—Il n’y est pas, marmonna Axel, les lèvres serrées.

Une complication dès le début de la mission, c’était mal engagé.

—Regarde ici, pointa Nicoleï. On dirait que la dernière entrée a été effacée.

Louchet se rapprocha, sourcils froncés.

—Impossible, l’encre utilisée est permanente. Je suis le seul à toucher aux registres.

—Mais le papier est plus fin, là, montra Nicoleï sur la ligne juste en dessous de la dernière utilisée. L’encre a été grattée, ou gommée…

—Ou diluée avec une potion ou quelque chose dans le genre, marmonna Axel en frissonnant. Solerys est bien plus qu’un simple herboriste de village.

Louchet caressa sa courte barbe.

—En effet, maintenant que vous le dites, Envoyé… Mais, pourquoi n’aurais-je aucun souvenir de son séjour ici ?

—C’est bien ça qui m’inquiète, répondit Axel.

—Je vous dirai bien de vous rendre dans les autres camps pour vérifier, mais, il y a bien une trace sur cette ligne… accordez-moi un instant, je vais faire venir le Sergent Alix.

Louchet les laissa là, avant de revenir quelques minutes plus tard avec un soldat, qui s’empressa de les saluer.

—Sergent Alix, à votre service.

Ils lui montrèrent la ligne et exprimèrent leurs doutes. De sa sacoche, Alix tira des pinceaux et plusieurs flacons colorés. Axel le regarda travailler avec intérêt tandis qu’il maniait ses poudres avec habileté, saupoudrant délicatement le papier. Il passa le pinceau une première fois, souffla pour disperser les résidus, appliqua une autre poudre…

—Quelqu’un a bien écrit sur cette ligne, dit-il enfin.

—Pouvez-vous identifier les lettres ?

Il sourit, avec un soupçon de vantardise.

—Je peux faire bien mieux que ça, Émissaire. Il y avait écrit Solerys Olys.

 

 

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