Le noir. Le froid. L’odeur entêtante de l’encens. Ce bruit, sourd et régulier. Et cet autre, plus sifflant.
Celui de sa propre respiration, réalisa Edénar. Sa tête bourdonnait. Son corps lui paraissait collé au sol.
La panique le saisit un instant. Il avait retrouvé la conscience de son corps, mais était-il toujours enfermé à l’intérieur ? Incapable d’agir ?
Il s’assit.
Enfin, il essaya.
Frustré, le jeune homme grinça des dents, s’obligea à fermer les yeux, à visualiser le mouvement comme s’il était naturel… et se retrouva assis sur son lit, fébrile.
Edénar déglutit, s’émerveilla de ce simple mouvement. Les mains posées sur les genoux, il plia les doigts, un par un.
Quelque chose d’humide glissa sur ses joues. Des larmes, qu’il essuya d’une main tremblante.
Son corps lui appartenait enfin, et la joie qui l’étreignait était trop forte pour être contenue.
Edénar prit une grande inspiration. Orssanc et Eraïm avaient donc eu raison. La présence qui contrôlait ses mouvements avait disparu.
Maintenant, il devait retrouver Surielle. La souffrance et la terreur de la jeune ailée lui avaient été intolérables. Elle était peut-être torturée, en ce moment même. Quant à Alistair… ses sentiments étaient mitigés. Une part de lui reconnaissait qu’il souffrait également, l’autre n’aimait pas sa proximité avec Surielle. C’était curieux, ça.
Edénar se reconcentra. Ce n’était pas le moment. Il devait profiter du calme pour s’entrainer aux mouvements de base. Puis sauver Surielle. Elle l’avait libéré, lui avait appris tant de choses…
Quand il fut certain que ses mains et ses bras répondaient correctement à sa volonté, Edénar se leva doucement, se stabilisa en s’appuyant sur le mur tout proche. Par Orssanc ! Son corps lui paraissait si lourd, si malhabile !
Edénar serra les dents. Il n’allait pas renoncer maintenant. Il avait lutté si longtemps contre l’emprise d’Orhim sur son corps, avant de se résoudre à se réfugier dans son sanctuaire spirituel. Les choses auraient-elles été différentes, s’il avait lutté jusqu’au bout ? S’il n’avait pas abandonné ? Il fit quelques pas hésitants qui le rapprochèrent du miroir, sursauta devant son reflet. Ses yeux… étaient bleus, et non verts. Un bleu foncé, lumineux.
Un sourire gagna ses lèvres. C’était bien la dernière preuve qu’Orhim avait quitté son corps.
Il s’immobilisa près de la porte, se retourna. Cette pièce spartiate avait été sa chambre pour si longtemps… sa chambre mais surtout celle d’Ohrim. Aujourd’hui il était maitre de son destin.
Il n’avait jamais été conscient dans son corps, et cela faisait des années qu’il s’était réfugié dans le monde spirituel qu’il avait imaginé. De temps en temps, il essayait de voir si la présence en lui avait cédé le contrôle. Chaque fois, il avait essuyé une déception. Ill comprenait mieux pourquoi il s’était senti impuissant. Comment lutter contre un dieu, après tout ? Malgré toute sa volonté, il n’avait été qu’un insecte face à cette présence imposante.
Sauf que la donne avait changé. Orssanc réveillée, Edénar était désormais libre d’agir. Et Orhim allait regretter de lui avoir volé toutes ces années.
Edénar ouvrit doucement la porte, s’avança dans le couloir. Personne. Où aller ? Sa chambre était toute proche des appartements d’Elurio. Le Prêtre d’Orhim s’occupait de lui depuis son enfance ; il remarquerait immédiatement que quelque chose avait changé en lui, qu’il n’était plus sous son emprise. Il devait l’éviter à tout prix.
Avec précaution, Edénar s’engagea dans le couloir, essaya d’être discret. Difficile d’être silencieux dans un corps dont on ne maitrisait pas totalement les mouvements ! Il n’osait courir, alors il s’efforça de marcher vite tout en se rappelant le plan du complexe. Il était loin de Surielle et Alistair, détenus avec d’autres prisonniers pour des interrogatoires ou des expérimentations. Un frisson lui échappa. Pourvu qu’il n’arrive pas trop tard.
*****
Surielle reprit conscience dans la douleur. Elle gémit en se redressant, frotta ses membres endoloris. Pourquoi avait-elle si mal ? Sa cellule était glacée, comparée à l’agréable monde d’Edénar. Et elle était si seule.
Alistair avait été clair, il ne les aiderait pas. Comment pouvait-il se montrer si égoïste ? Surielle avait été si certaine que son cousin avait changé… il l’avait même réconfortée ! Pourquoi s’était-il montré ensuite aussi distant ?
La porte s’ouvrit avec un claquement sec et Surielle sursauta. Elle devait saisir sa chance. Ne pas compter sur Alistair, seulement sur sa propre force. Se faire confiance.
L’homme qui pénétra les lieux n’était pas seul, cette fois. Du trois contre un, ce serait délicat. Surielle déglutit et essaya de se remémorer les leçons de son père. Elle avait toujours écouté ses conseils d’une oreille distraite, préférant largement le vol au combat.
Qu’aurait-il fait, à sa place ?
Surielle se leva, ignora la douleur de ses muscles, s’approcha avec circonspection. Ils ne se méfiaient pas, réalisa-t-elle comme ils préparaient leurs instruments sous son nez, sans même tenir compte de sa présence. La vue des pinces métalliques la fit pâlir.
Hors de question qu’elle se laisse faire, cette fois. Pas sans combattre.
L’un des infirmiers releva la tête alors qu’elle était à moins d’un mètre.
— Reste où tu es, gronda-t-il.
Surielle l’ignora.
Elle était presque à portée. Elle força son corps à se détendre, descendit la ligne de ses épaules, s’obligea à un sourire niais. Gagna quelques centimètres.
Alors que l’infirmier décidait enfin que la situation était anormale, Surielle saisit son poignet. Ses hanches pivotèrent. Bien ancrée dans ses appuis, l’homme n’eut aucune chance et bascula. Un coup de genou le cueillit sous les côtes, coupant sa respiration ; Surielle enchaina d’un coup de coude sous la mâchoire avant de le laisser s’écrouler au sol. Celui-ci n’était plus une menace, mais ses collègues arrivaient droit sur elle.
Avec un coup de talon, elle éloigna le premier, touché à un genou, fit quelques pas pour prendre le large. Le deuxième profita de l’instant pour poser les mains sur elle. Surielle réprima un sourire. Au contact, elle bascula son poids, changea ses appuis, tira. Son adversaire tituba avant d’être projeté au sol.
L’autre se relevait, boitilla jusqu’à elle. Un coup puissant au plexus solaire le fit hoqueter. Surielle saisit sa chance et franchit la porte.
Le couloir était désert. Elle chercha comment verrouiller la porte de l’extérieur, sans y parvenir. Surielle maudit la technologie impériale. Où aller, maintenant ? Son aperçu de la carte avait été bref. Elle savait qu’Edénar et Alistair y étaient également, mais où exactement…
Tendue, elle se fia à son intuition et prit sur la gauche. Rester immobile était un danger plus grand.
La blancheur des couloirs était oppressante, l’éclairage artificiel agressait ses yeux sensibles. Plusieurs portes étaient verrouillées, de chaque côté. Comment allait-elle les retrouver dans ce labyrinthe ?
Des bruits de pas retentirent, tout près. Surielle retint sa respiration, chercha fébrilement un recoin, quelque chose pour se cacher.
Mais il n’y avait rien.
Si encore ses ailes avaient été blanches…
Elle n’avait pas le choix. Ils étaient trop près.
Surielle détala dans la direction opposée.
— La voilà !
Les sirènes retentirent.
Le bruit aiguë et lancinant remplissait parfaitement son rôle, décida Surielle, hors d’haleine, alors qu’elle obligeait ses muscles qui demandaient grâce à continuer. Son cœur s’était emballé, et elle savait que la panique menaçait de la submerger à tout instant.
Un carrefour se profilait devant elle. Quel chemin choisir ?
— Par ici ! siffla une voix sur sa droite.
Surielle dérapa dans le virage.
— Alistair ? s’étonna-t-elle. Mais…
— Pas le temps, fit son cousin en s’emparant de son poignet. Viens.
Surielle n’avait d’autre choix que de le suivre ; à son soulagement, Alistair semblait s’orienter parfaitement. Bientôt, il la fit entrer dans une petite pièce qu’il verrouilla après un dernier coup d’œil à l’extérieur.
— Surielle ! s’exclama Edénar.
La voix était différente de celle dont Surielle avait l’habitude, mais elle ne s’en formalisa pas.
— Edénar ! sourit-elle en l’enlaçant. Je suis heureuse de te voir.
— Orssanc a tenu parole. Mais elle a raison, je suis encore maladroit dans ce corps.
Surielle suivit son regard sur sa main qu’il ouvrait et refermait, comme si le geste lui paraissait encore être un miracle.
— Merci, Alistair, reprit Surielle plus doucement.
— Nous ne sommes pas tirés d’affaire, signala celui-ci d’un ton sec. Ils sont passés. Êtes-vous prêts à continuer ?
— Où as-tu trouvé une épée ? demanda Surielle, curieuse.
— Elle était là, c’est tout, maugréa Alistair. On y va ou on attend qu’ils nous trouvent ?
Surielle ravala ses commentaires, serra la main d’Edénar.
— On te suit.
*****
Surielle se demanda s’ils sortiraient un jour de ce complexe. Les sirènes n’en finissaient pas de retentir, et le bruit assourdissant lui portait sur les nerfs. Après une course-poursuite qui les avait laissé à bout de souffle, ils avaient fini par semer leurs poursuivants et Surielle était totalement perdue avec les tours et détours qu’Alistair leur avait imposés.
Pour l’heure, ils s’étaient réfugiés dans une pièce aux murs blancs, immaculés, qui ressemblait bien trop à son goût à son ancienne cellule de détention. Alistair s’était contenté de leur dire que l’endroit était sûr - pour le moment. Une cape drapait ses ailes ; le coeur de Surielle se serrait chaque fois qu’elle posait les yeux sur son cousin. Jamais elle n’aurait imaginé que les dégâts soient si importants, alors que quelques plumes, laissées apparemment au hasard, parsemaient ses ailes. Elle n’avait rien dit, mais ses yeux avaient du parler pour elle car il s’était brusquement détourné avant de prendre la tête de leur petit groupe. La cape avait été son premier butin, bien avant leurs armes.
— Comment vas-tu ? s’enquit-elle.
— Ça ira mieux dans quelques minutes, marmonna Alistair en resserrant le bandage autour de sa jambe.
Un tir de laser l’avait touché plus tôt, ce qui ne l’avait pas empêché de continuer à courir.
— Tu es sûr que ce n’est pas grave ? demanda Edénar.
— C’était un tir à faible puissance, expliqua le jeune ailé. J’ai connu bien pire.
Il se releva, testa ses appuis, ajusta la ceinture qui supportait son épée et le blaster récupéré sur un ennemi. Après quelques pas hésitants, il s’installa à une console et pianota un instant.
— Qu’est-ce que tu fais ? s’inquiéta Surielle.
— J’essaie de voir où nous sommes, et où se trouve la sortie. J’ai mémorisé vos positions, pas le plan entier du complexe ! Regarde !
Il pointa l’écran, où les images de plusieurs caméras de sécurité s’affichaient. De nombreux soldats y patrouillaient, sur le qui-vive.
— Tout est verrouillé, pesta-t-il.
Je peux t’aider.
Comment ?
Une diversion ?
Ne te mets pas en danger inutilement, rappela Alistair.
Je suis touché de percevoir ton inquiétude. Mais je pensais à te ramener du renfort et les utiliser.
Quel type de renforts ?
Wakao et deux de ses hommes sont en planque non loin.
Hors de question, siffla Alistair.
Pourquoi ?
Je mettrai ma main à couper qu’il nous a vendus.
Me feras-tu confiance ? demanda Zéphyr.
Le jeune ailé soupira. Le lien était nouveau, et si parfois il lui paraissait être une évidence, à d’autres moments il se rapprochait davantage d’un fardeau.
C’est moi que tu traites de fardeau ? s’indigna Zéphyr. Je t’ai laissé le choix !
Et je t’en remercie. Mais tu parles de Wakao, là.
Laisseras-tu ta fierté te priver d’une chance supplémentaire de survie ?
C’est un coup bas, ça.
Tu ne m’as pas laissé le choix.
Alistair pesta tout bas, regarda les écrans une dernière fois, chercha désespérément une autre solution. Sur les quatre sorties du complexe, deux donnaient vers la forêt, une autre se trouvait sur la route qui menait au village de Némès.
Et toutes étaient lourdement gardées.
Alistair devrait choisir, encore une fois, et assumer la responsabilité de la survie de ses compagnons.
— La forêt, décida-t-il. Nous aurons plus de chances de nous y dissimuler.
Edénar posa une main sur son épaule.
— Merci pour tout, Alistair. Sans toi, nous n’en serions pas là.
— Attends que nous soyons sortis de là pour me remercier. Rien n’est encore gagné.
Ils se regroupèrent derrière la porte, et Alistair s’assura d’un dernier regard qu’ils étaient prêts. D’après les caméras de surveillance, le couloir était actuellement désert. Pour combien de temps, c’était une autre question…
Alors ils avancèrent avec précaution, s’immobilisant aux intersections sur un geste d’Alistair. Derrière, Surielle surveillait leurs arrières, et au milieu, Edénar s’efforçait de suivre le rythme. Il se sentait terriblement inutile, à trébucher encore régulièrement, à s’émerveiller des moindres mouvements de son corps. Il craignait que sa distraction soit un fardeau pour le groupe.
Les sirènes se turent, et ils s’immobilisèrent.
— Bon ou mauvais ? questionna Surielle.
— Ils cherchent à nous piéger, souffla Alistair, sourcils froncés. Restez sur vos gardes.
Il poussa doucement la porte à sa droite. Jura.
— On dégage !
Surielle s’élança et Alistair propulsa Edénar vers elle. Surielle attrapa sa main, accéléra en entendant l’écho de pas précipités derrière eux.
Et freina après quelques mètres : cinq hommes leur barraient le passage, armées braquées sur eux.
Alistair fit un écart pour ne pas percuter Surielle et Edénar, et à la surprise de la jeune fille, ne ralentit même pas.
Les tirs ennemis rebondirent sur le bouclier d’énergie qui s’était matérialisé sur son avant-bras gauche, puis Alistair percuta le premier ennemi, brisant leur formation. Au contact, il était encore plus dangereux, avec sa lame en Kloris noir.
Et leurs adversaires ne s’attendaient pas à une tactique si suicidaire de leur part.
L’épée d’Alistair plongea dans la poitrine d’un deuxième ennemi, et le jeune ailé releva son bouclier pour parer le tir de celui qui s’était éloigné. L’aura disparut et Alistair grogna en accusant le coup. Frustrée de ne pas pouvoir s’envoler pour les prendre à revers, Surielle se glissa entre deux hommes et profita de la confusion pour en étourdir un. Alistair avait saisi les secondes de diversion qu’elle lui avait offertes et s’était occupé des deux derniers combattants.
Dans le vacarme des sirènes hurlantes, le bruit de leurs respirations saccadées passait inaperçu.
— Ça va ? s’inquiéta Edénar.
— Il faudra bien, répliqua Alistair.
Sur sa manche gauche, le tissu était noirci et dégageait une odeur de chair brûlée, mais Alistair ne semblait pas gêné dans ses mouvements.
Sans attendre, il poussa ses compagnons à avancer ; déjà la courte pause avait permis à leurs poursuivants de refaire leur retard, et cette fois, il n’avait plus rien à opposer à leurs armes à énergie.
Courage, transmit Zéphyr. Vous êtes tout proche.
Malgré sa fatigue et la douleur de ses blessures, Alistair fut revigoré par l’énergie et la volonté transmises par son griffon. Alors c’était ça, le secret des Mecers ? Le Lien ne lui avait jamais paru aussi puissant jusqu’à maintenant. La présence de Zéphyr lui évitait d’être distrait par ses blessures.
Un dernier virage et la sortie se profila. Alistair tira dans le panneau de contrôle pour forcer l’ouverture et se précipita à l’extérieur, Surielle et Edénar sur les talons. Le comité d’accueil qui les attendait gisait à terre, et Alistair ne put retenir un soupir de soulagement. Wakao avait tenu parole, apparemment.
— Baissez-vous !
Alistair s’aplatit au sol par réflexe tandis qu’une rafale de lasers passait au-dessus de leurs têtes. Fauchés net, la surprise encore inscrite sur leurs visages, leurs poursuivants s’écroulèrent.
Alistair se releva avec prudence, fut soulagé de voir Surielle et Edénar en faire de même, et reporta son attention sur la voix qui les avait avertis.
Wakao.
Le capitaine avait le teint pâle, et un bras en écharpe. Par quoi qu’il soit passé, il avait souffert, et une part d’Alistair s’en réjouissait. Il avait un compte à régler avec lui, après tout.
Le capitaine Wakao leur fit signe de le suivre, puis s’enfonça dans le sous-bois.
— On peut lui faire confiance ? murmura Surielle.
Alistair haussa les épaules, touché pourtant que sa cousine lui demande son avis.
— Dans une certaine mesure. Il faudra d’abord me convaincre qu’il n’a joué aucune rôle dans la mort de Rayad. Car l’un des nôtres nous a trahi, Surielle. Ça, c’est une certitude.
L’air sombre, le jeune ailé s’engagea à la suite de Wakao. Surielle échangea un regard avec Edénar, qui lui renvoya un timide sourire, avant de lui emboiter le pas, sur ses gardes.
Le complexe était encore tout proche, et nul doute que les Stolisters n’en avaient pas terminé avec eux.
Après une course-poursuite qui les avait laissé à bout de souffle
→ laissés
mais ses yeux avaient du parler pour elle
→ dû
cinq hommes leur barraient le passage, armées braquées sur eux.
→ armes
Dans le vacarme des sirènes hurlantes, le bruit de leurs respirations saccadées passait inaperçu.
→ je croyais qu’elles étaient éteintes, les alarmes ?
Par quoi qu’il soit passé
→ qu’il fut passé
Car l’un des nôtres nous a trahi, Surielle
→ trahis
Bien vu pour l'alarme, c'est une petite incohérence que je supprimerai ^^
Encore merci pour toutes les fautes qui trainent ^^