Les extrémités pointues de la main d’Apocryphos s’enfonçaient dans la peau de Thalion, si bien qu’il sentit un liquide chaud couler le long de sa cheville. Un rugissement désespéré un peu plus loin lui indiqua que le malebête était dans une situation similaire. Un coup d’œil vers la créature le détrompa. C’était pire : une dizaine de mains en plus la maintenait pendant que son corps s’enfonçait dans le sol.
Étant pratiquement hors du marécage, la plante tentait de l’y attirer de toutes ses forces. Thalion luttait autant que possible pour extirper son pied du piège. Ses muscles chauffaient, faisant de leur mieux pour contrebalancer le poids qui le tirait en arrière. Hélas, la main avait une poigne de fer et la résistance du magérien ne faisait qu’empirer les choses. Il grimaça quand elle resserra sa prise, les pointes lacérant sa cheville. Était-ce lui ou elle gagnait en puissance ? À force de tirer, il avait l’impression que sa jambe allait finir arrachée. Si Cally ne le retenait pas par le bras, l’aidant à garder l’équilibre et à tenir bon, il serait déjà en train de s’enfoncer dans la boue.
Aglaé s’était accroupie près de la plante. Malgré l’urgence de la situation, elle faisait preuve d’un sang-froid admirable. Elle sortit de son sac un couteau aussi grand que sa main. Du liquide de parapluies noirs tâchait la lame argentée.
— Continuez de tirer ! Il faut que le poignet de la main soit visible pour que je puisse la couper !
Un râlement de frustration s’échappa de la gorge de Thalion. Comme si c’était si simple ! Comment une plante pouvait avoir le dessus sur un homme ? Tout son corps était mobilisé, si bien que ses muscles commençaient à protester. Malgré ses efforts, il faiblissait. Sa cheville s’enfonça davantage dans le marécage. Résister devenait douloureux et difficile. À ce rythme, il était condamné.
Aglaé surveillait la plante, prête à saisir la moindre occasion pour couper ses racines, et Cally était trop occupée à le soutenir. Elle aussi montrait des signes de faiblesse. S’il cédait avant la magérienne, elle risquait d’être emportée avec lui. Thalion devait trouver quelque chose de solide auquel se raccrocher. Il fit abstraction des tiraillements qui divisaient son corps pour se concentrer sur son environnement. Le marécage était parsemé d’arbres. Le plus proche se trouvait à plusieurs mètres de lui. Thalion n’était pas suffisamment bon en magie verte pour manipuler ses racines et les allonger pour s’y accrocher. Il n’était pas capable de les amener jusqu’à lui… mais pouvait essayer d’arriver jusqu’à l’arbre.
Sans savoir si ça fonctionnerait ou s’il finirait déchiré en deux, Thalion sortit sa baguette et pointa sur l’arbre en criant :
— Trimoa !
En comprenant ses attentions, Cally lâcha son bras. Comme pour l’escalier-toboggan, l’arbre devint aussi attractif qu’un aimant avec le métal. Le corps de Thalion se tendit vers le tronc, mais la main d’Apocryphos ne comptait pas le lâcher pour autant. Bon sang, s’il s’en sortait, il ne serait pas surpris de prendre quelques centimètres à force d’être étiré de tous les côtés !
Thalion serra des dents en s’intimant de ne surtout pas lâcher sa baguette au risque de… mourir, tout simplement. Ses jointures blanchirent, sa mâchoire l’élança à force d’être contractée, et ses mains devenaient dangereusement moites. Heureusement, la magie fut plus forte que la plante. Thalion n’en était pas certains jusqu’à ce que Aglaé ordonne à Cally de venir l’aider à couper les racines. Son corps avait avancé d’une dizaine de centimètres vers l’arbre, suffisamment pour faire émerger les racines de la plante. Thalion aurait crié de soulagement, mais il était plus susceptible de crier de douleur qu’autre chose.
Quand le tiraillement dans sa jambe cessa, signe que les filles avaient réussi à trancher la main, le magérien n’eut pas le temps de s’en réjouir car il fila droit sur le tronc visé par le sort. N’ayant rien pour freiner l’attraction, la collision fut violente. Sa tête cogna contre l’écorce si soudainement que seul un son étranglé s’échappa de sa gorge, noyé par le bruit mat de l’impact. Complétement sonné, il demeura inerte sur l’herbe avec l’impression que son crâne s’était fendu en deux. Cally se rua vers lui et s’agenouilla près de son corps encore secoué par le choc. Sa bouche s’articula, mais distinguer sa voix des acouphènes demandait à Thalion un certain effort de concentration. Son crâne l’élançait. Une douleur habituelle mais cette fois-ci due au choc et non à l’usage de sa magie. Des étoiles dansaient devant ses yeux. Il battit des paupières pour les chasser. Sa vue s’éclaircit et son ouïe se restaura.
— Eh, oh, Thalion ! Tu m’entends ? Aglaé, il ne répond pas ! paniqua Cally.
— C’est bon, je vais bien… s’empressa-t-il de les rassurer alors qu’Aglaé se précipitait à son tour vers lui.
En tenant de se remettre debout, il tituba. Les filles le retinrent avant qu’il ne s’écroule. Après avoir autant lutté, ses muscles étaient épuisés, et heurter un arbre ne faisait pas du bien. Néanmoins, être soutenu par deux filles blessa quelque peu son égo. C’était immature de sa part, et si leurs fronts plissés ne témoignaient pas de leur inquiétude, il s’en serait agacé.
Quand le tournis disparut et qu’il put de nouveau tenir sur ses jambes sans tomber, les filles le relâchèrent avec prudence.
— Fais attention, tu as peut-être une commotion cérébrale… s’inquiéta Cally.
— J’en sais rien mais je vais surtout avoir une sacrée bosse demain…
Thalion jeta un coup d’œil à sa cheville. Un peu de sang dégoulinait des griffures, rien d’inquiétant. Aglaé passa la main d’Apocryphos inanimée à Cally qui la saisi du bout des doigts. Quelques racines s’échappaient du « poignet » de la plante, et même si, coupée de ses racines, elle était inoffensive, Thalion redoutait de la voir sauter à sa gorge. La magérienne s’empressa de la mettre dans son sac, aussi méfiante que lui.
— Je peux soigner la blessure, déclara Aglaé en s’agenouillant.
— Ne te fatigue pas, dit-il en reculant. M. Pichon ou Mme Bizaroi s’en chargeront tout à l’heure.
Elle hésita, puis, jugeant que la blessure ne nécessitait pas de soin immédiat, elle hocha la tête en se relevant. Thalion pouvait lire la culpabilité sur son visage. Sans doute regrettait-elle de les avoir mis en danger en les emmenant ici. Aglaé s’apprêtait à s’excuser, mais il la devança.
— C’était une bonne idée de venir ici. Dommage que je n’aie pas sauté assez loin.
Au moins, ils avaient récupéré la main d’Apocryphos nécessaire à la potion sans avoir à fausser compagnie à Aglaé. Cette dernière se contenta de soupirer en secouant la tête.
— Dommage que tu aies fait l’idiot avec les gouttes-de-sang.
Thalion leva les yeux au ciel, sans répliquer. Il reconnaissait avoir sa part de responsabilité, même s’il ne savait que le suc attirait les bêtes.
— Il y a un lac un peu plus loin, ajouta-t-elle. Tu pourras nettoyer tes mains et tes plaies. Enfin, espérons qu’on ne croise pas d’autres créatures sur le chemin.
Avant de partir, Thalion récupéra sa baguette lâchée lors de la collision, et jeta un dernier coup d’œil au marécage. Il n’y avait plus aucune trace du malebête. Son corps avait entièrement été englouti dans la boue. Paix à son âme.
Tout en suivant consciencieusement Aglaé pour ne pas retomber dans un piège naturel, ils s'éloignèrent du marécage. Le sol spongieux disparut et la végétation terne du marécage retrouva son éclat verdoyant. Ils se frayèrent un chemin dans cette nature exubérante jusqu'à rejoindre le lac mentionné par Aglaé. Thalion trempa ses mains dans l’eau cristalline, et l’onde qui se répandit à la surface liquide atteignit des champignons longilignes plantés un peu partout dans l’eau. Leur taille était similaire à ceux des roseaux et leur couleur variait du bleu pastel au gris de lin. Lorsqu’ils entrèrent en contact avec les ondes, de douces mélodies résonnèrent, comme si elles sortaient de nulle part.
— Des sondines, expliqua Aglaé, amusé par l’émerveillement qui se lisait sur leur visage. Elles produisent des mélodies quand les ondes de l’eau se répercutent sur elles.
Pendant plusieurs minutes, Cally et Thalion s’amusèrent à produire différentes mélodies avec les sondines. Qu’ils se détendent après la rencontre avec le malebête ne faisait pas de mal. Sauf qu’ils avaient oublié l’endroit où ils se trouvaient. Oublié que les points d’eau étaient prisés par les bêtes, et que le bruit qu’ils faisaient indiquait clairement leur présence. Ils se figèrent en entendant des grognements dans leur dos.
Encore ? se retinrent-ils de soupirer avant de prudemment se retourner.
Ils tombèrent nez à nez avec un monstre aussi grand que le malebête, mais dépourvu de poil. Son corps humanoïde était fait de pierres couvertes de mousse, le tout soutenu par des racines qui l’enlaçaient. Ses doigts rocheux grattèrent son dos soupoudré d’arbustes et de végétation pendant que son regard vide les fixait. Ce n’était pas une expression pour illustrer une absence de conscience ou d’intelligence, il n’y avait aucun globe oculaire qui occupait les deux trous noirs sur son visage taillé dans la pierre. Sa bouche n’était qu’une crevasse en forme de sourire. Ça aurait pu le rendre avenant si aucune goutte de sang n’en tâchait le contour. Thalion trouverait presque le malebête plus sympathique.
La créature les observait en silence, sa tête bougeant de droite à gauche dans un geste robotique et régulier.
— Un golem, chuchota Aglaé. C’est rare d’en croiser ici. Ils sont hostiles aux humains, mais aveugles. Avec un peu de chance, si on ne bouge pas, il nous prendra pour des arbres.
Tant mieux. Le magérien n’avait pas la force de se remettre à fuir, et le morceau de bois parsemé de cailloux pointus et ensanglantés dans la main du golem le dissuadait amplement de faire le moindre mouvement.
La créature s’approcha de Cally. Son corps massif était si lourd que le sol tremblait à chacun de ses pas. La magérienne serra des dents pour s’empêcher de crier. Ou bien pour éviter de respirer l’haleine fétide du monstre. Posté à côté d’elle, Thalion put sentir des effluves de sang, de pourriture et de cadavres en décomposition émaner de sa bouche. Il ferma brièvement les yeux pour chercher en lui la force de se retenir de vomir.
Le golem émit un grincement menaçant. Thalion craignait qu’il ne soit pas stupide au point de confondre des humains avec des arbres. S’ils faisaient du bruit en s’en allant, le golem devinerait ce qu’ils étaient, et avec un lac derrière eux, fuir allait s’avérer difficile. Il devait agir avant qu’il ne soit trop tard. Quand il sortit sa baguette, Aglaé lui retint le poignet pour le dissuader. Thalion arqua un sourcil, mais ce qu’elle pointa lui fit comprendre la situation dans laquelle ils se trouvaient.
Autour d’eux, les racines des arbres s’agitaient sous terre, faisant craqueler le sol, et les lianes qui pendouillaient aux arbres s’animèrent. Les golems pratiquaient la magie verte ? Quelle misère. Même en lançant un sort pour s’enfuir, le golem pourrait manipuler les lianes pour les retenir ou bien les transpercer avec une racine. Quel sort utiliser ? Épithès ? Pas sûr qu’un jet de magie blanche soit efficace contre cette masse de pierre. Alominès Aïshtès ? L’ouïe semblait être son seul sens actif ce qui rendait le sort peu efficace pour l’effort que ça lui demanderait. N’y avait-il aucune alternative à l’usage de magie rouge ?
À cette pensée, son regard s’éclaira. Thalion glissa sa main dans son panier pour en sortir le fleuh cueilli plus tôt. Les yeux d’Aglaé s’écarquillèrent en le découvrant. Il crut même apercevoir un soupçon d’admiration dans ses yeux ambré. Le magérien jeta le champignon hallucinogène un peu plus loin, suivi d’une pierre pour l’attirer là-bas. Intrigué par le bruit, le golem s’en approcha. Il tendit le bras vers le champignon, mais au lieu de se pencher pour l’attraper, des lianes naquirent du creux de sa paume telles de fines tentacules vertes pour le saisir. Comme Thalion le pensait, le golem balança le fleuh dans sa crevasse buccale.
L’effet fut immédiat. Le monstre se mit à tituber en reculant. Outre les hallucinations sonores, la drogue impactait aussi ses capacités cognitives. Les apprentis magériens en profitèrent pour s’échapper discrètement, sauf que les lianes se tordirent et les racines émergèrent du sol pour les attaquer. Le golem avait compris qu’il avait été piégé et son grincement strident était révélateur de son désir de vengeance. Mais la concentration était essentielle en magie et le fleuh l’avait trop affaibli psychologiquement pour que les racines soient difficiles à contrer. Leur assaut était chaotique et sans aucune stratégie. Comme un gamin qui piquait une crise, le golem utilisa son arme pour taper partout autour de lui sans raison valable. Des crevasses dans la terre se formaient après chaque frappe. Non seulement il maitrisait la magie mieux que Thalion, mais il était aussi puissant. Quelle injustice !
Le groupe parvint à s’en aller sans trop de problèmes, le sol tremblant sous leurs pieds à cause des coups aléatoires du golem par terre.
— Enfin ! s’exclama Cally qui pouvait de nouveau respirer.
— Dépêchons-nous de partir de ce fichu bois, ordonna Aglaé en pressant le pas.
Son ton autoritaire ne laissait place à aucune contestation. Thalion fit la moue. Il comprenait son envie pressante d’en terminer avec cette sortie catastrophique, mais il aurait aimé explorer les zones sécurisées pour chercher des plantes trouvables nulle part ailleurs sur l’île. Le regard suppliant de Cally le dissuada de protester. Elle aussi avait envie de déguerpir d’ici. À un contre deux, c’était peine perdue, et Aglaé était mécontente que rien ne se soit déroulé comme prévu. Elle avait eu une petite expérience de ce que ça faisait de le côtoyer, il pouvait bien lui accorder le plaisir de quitter cette forêt en vie.
Ils s’étaient éloignés, mais pas suffisamment pour être hors de la portée magique du golem. Il avait dû insuffler de la volonté dans son sort, du genre « tuez toutes les créatures vivantes qui s’éloignent de moi » car Thalion vit une fleur à quatre pattes qui gambadaient innocemment se faire empaler. Les racines encore animées par la magie du golem continuaient de les cibler, mais Cally et Aglaé usaient de la magie bleue pour se protéger. Thalion aussi, mais son crâne lui faisait encore mal à cause du choc, il n’avait pas envie d’en rajouter une couche avec ses migraines.
Plus ils s’éloignaient, plus les attaques étaient faibles et s’espaçaient. Même si les assauts devenaient rares, aucun d’eux ne baissait la garde. Ils attendirent un long moment sans racine agressive avant de pouvoir souffler.
— J’ai cru que ça n’en finirait jamais… se plaignit Cally en marchant à côté de lui.
— Je ne pensais pas les golems aussi susceptibles, avoua Thalion.
— Si tu te faisais droguer à ton insu, tu réagirais comment ? l’interrogea Aglaé, l’amie de la nature.
Thalion s’apprêtait à répondre quand un frémissement derrière lui attira son attention. Quand il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, il esquiva de justesse la racine qui projetait de lui perforer le dos. C’est qu’elles étaient coriaces, ces saletés ! Sauf qu’au lieu de s’arrêter, la racine continua sur sa lancée en fonçant sur Aglaé qui se trouvait devant lui.
La scène se poursuivit au ralenti. Thalion vit la jeune fille se retourner au moment où la racine s’apprêtait à transpercer sa poitrine. Il vit ses yeux écarquillés et sa bouche ouverte quand elle prit conscience de ce qui allait se produire. Il vit le choc la paralyser et la terreur colorer son regard. Il se vit pointer sa baguette sur elle, puis le rayon de lumière bleue qui fusa sur elle, mais qui ne venait pas de lui.
— Apoly prosty ! hurla Cally en pointant du doigt Aglaé.
L’incantation de la magérienne déchira l’air au moment même où la pointe de la racine s’enfonça dans la poitrine d’Aglaé. Leur visage se décomposa lorsqu’ils comprirent que c’était trop tard et que le sang s’apprêtait à gicler sur ses vêtements.
Mais la suite fut tout autre.
Aglaé fut projetée en arrière par la racine sans qu’aucune goutte rouge ne voltige autour d’elle. La pointe de la racine était dépourvue de sang. Elle… ne l’avait pas transpercée ? Le regard du jeune homme s’attarda sur la magérienne qui se redressa, l’air ahuri. Elle palpa son torse à la recherche d’une blessure qui n’existait pas. Aucune tâche rouge ne se rependait sur ses vêtements. Le sortilège de Cally avait fonctionné : pendant un court instant, une fine protection avait recouvert le corps d’Aglaé pour la protéger de l’attaque.
Le soulagement fut intense, mais de courte durée. La racine n’en avait pas fini avec eux et décida d’en profiter pour changer de trajectoire. Thalion la vit. Il la vit se diriger droit sur lui. Il se vit amorcer un mouvement pour l’esquiver, sachant que la pointe était trop proche de lui et trop rapide pour qu’il puisse lancer un sort avec sa baguette, avant de se stopper dans son élan.
Il s’immobilisa, et la racine transperça son bras.
Un cri retenti. Était-ce le sien ? Celui de Cally ? D’Aglaé ? Difficile à dire. Pendant plusieurs secondes, son corps fut paralysé par la douleur. Il ne fut plus capable de penser à quoi que ce soit, ni de faire le moindre mouvement. Sa main lâcha sa baguette qui rebondit sur l’herbe. Ses jambes cédèrent au moment où la racine se retira d’un coup sec. Il glapit en s’écroulant au sol, sa main pressant instinctivement la plaie comme si cela atténuerait la souffrance. Sa vue se flouta. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux alors que sa manche s’imbiba d’hémoglobines. Il pouvait sentir des filets de sang s’échapper à travers la déchirure de son vêtement pour glisser le long de ses doigts.
Thalion était conscient, mais avait l’impression d’être déconnecté la réalité. Son cerveau semblait avoir cessé d’enregistrer ce qui se passait. Il mit du temps avant de constater que la racine s’était immobilisée au-dessus de lui. Il battit des paupières en s’efforçant de rendre sa vue plus nette, et vit Cally, le visage crispé par l’effort. Avec ses poings serrés, Thalion crut qu’elle fusillait la racine par rage, puis il comprit qu’elle était simplement concentrée pour faire tenir le sortilège d’immobilisation. Que faisait-donc Aglaé ?
À cette pensée, la racine tomba mollement sur lui. Son souffle se coupa avant qu’il ne réalise qu’elle était bel et bien inerte. Il grimaça. Comme si elle lisait dans son esprit, Cally s’empressa de jeter la racine le plus loin possible. Thalion ne l’avait jamais vu lancer quelque chose avec autant de haine. Quand son regard s’attarda sur sa blessure dégoulinante de sang, elle blêmit.
— Thalion, tu saignes ! s’effara-t-elle, à deux doigts de tourner de l’œil.
— Sans blague ? répliqua-t-il d’une voix rauque.
— Bon sang, tu es irrécupérable ! s’exclama Aglaé.
La magérienne surgit à ses côtés, armée de son couteau. Thalion loucha dessus.
— Juste pour être sûr… Tu ne comptes pas m’amputer, j’espère ?
Elle fronça les sourcils, avant de comprendre en voyant son regard fixé sur le couteau. Elle posa l’objet au sol en secouant la tête.
— J’ai utilisé le couteau pour couper la racine en deux. Elle n’était pas empoisonnée donc je n’ai aucune raison de t’amputer.
Il se détendit en comprenant. En la tranchant, elle rompait son contact avec la magie du golem. Aglaé n’était pas formée pour amputer, mais qui savait de quoi elle était capable si c’était nécessaire pour le sauver. Thalion préférait se méfier. Maintenant que tout soupçon était levé, il retira sa main de sa plaie pour laisser la magérienne l’examiner. Elle fouilla mentalement son répertoire de sorts avant d’en choisir un. À leur niveau, ils n’étaient pas capables de guérir une blessure de cette ampleur, mais Aglaé pouvait au moins stopper l’hémorragie.
Des étincelles vertes émanaient de ses mains posées sur sa plaie. Cally attendait anxieusement, assise à côté de lui, la fin des soins. Les minutes s’agrenèrent dans un silence tendu. La pression était retombée et Thalion avait l’impression que son corps était devenu aussi lourd que de la pierre.
— Ta bague brille, releva soudainement Cally.
Thalion battit des paupières en la fixant, le temps que l’information chemine dans son esprit. Il leva sa main devant ses yeux, et constata effectivement que les inscriptions gravées dans l’argent scintillaient. Pourquoi la bague réagissait-elle ainsi ? Il avait utilisé cette main pour presser sa blessure. Était-ce à cause de son sang qui avait glissé entre ses doigts et tâché la bague ?
Thalion ne put y réfléchir plus longtemps car Aglaé termina les soins.
— N’y touche pas et évite les mouvements brusque le temps qu’on rejoigne les professeurs, l’avertit-elle en le voyant se redresser.
Thalion acquiesça avant de grimacer. Le sang avait cessé de couler et obstruait le trou, mais la douleur n’avait pas disparu.
— Pourquoi tu n’as pas esquivé la racine ? l’interrogea soudainement Aglaé. Je t’ai vu t’arrêter brusquement. Tu aurais pu l’éviter.
Assises de part et d’autre de lui, les deux magériennes le fixaient intensément, si bien que Thalion ne pouvait détourner le regard ou fuir d’une manière ou d’une autre.
— Ça m’arrive d’être stupide…
— Surtout quand c’est pour protéger quelqu’un, n’est-ce pas ?
Thalion ne répondit pas. Cally ne sembla pas comprendre tout de suite, jusqu’à ce qu’elle fît le lien.
— Tu ne voulais pas que l’attaque retombe sur moi comme avec Aglaé ?
Sa voix se brisa à la fin. Il soupira. Voilà pourquoi il aurait préféré passer pour un idiot : il ne supportait pas que les gens se sentent coupables pour quelque chose qu’il avait fait de son plein gré.
Cally garda le silence, une expression dure sur le visage. Elle déglutit plusieurs fois en serrant des poings. Finalement, c’est d’une voix étranglée qu’elle prononça :
— Pour le coup, c’était vraiment stupide de ta part…
Thalion esquissa un sourire. Il ne pouvait pas le nier.
Aglaé le dévisagea longuement, pensive. Embarrassé par cette attention particulière sur lui, Thalion réagit de la façon dont il en avait l’habitude :
— Ne me dis pas que tu viens de craquer pour moi et mon héroïsme inné ?
D’abord étonnée, sa surprise laissa vite place à de l’exaspération. Elle se releva en soupirant, exaspérée.
— J’allais te complimenter, mais je vais m’abstenir, finalement.
— Non, je t’en prie, flatte donc mon égo.
— Il est insupportable, dit-elle en s’adressant à Cally qui aidait le magérien à se relever.
— Je ne te le fais pas dire.
Les filles m’ont toujours adoré.
Ils parvinrent à rejoindre le sentier battu emprunté au début pour cheminer jusqu'à la sortie du bois. Lorsqu’ils sortirent enfin de la Forêt perdue et rejoignirent le groupe, la plupart des élèves avaient déjà rendu leur butin. Une magérienne à la chevelure flamboyante bien connue s’approcha d’eux. Son sourire narquois s’effaça en remarquant sa manche imbibée de sang.
— J’allais vous féliciter d’être revenus vivants, mais visiblement, ça n’a pas été une mince affaire…
Cally parut sur le point de pleurer de soulagement, les jambes en coton. Thalion se contenta d’hausser les épaules. Ce n’était pas plus compliqué que d’échapper à un dragon furibond. Quant à Aglaé, elle se dirigea vers M. Pichon qui l’accueillit avec un large sourire.
— Tout s’est bien passé, Mademoiselle Delacroix ?
— Plus jamais, déclara-t-elle d’un ton solennel en lui confiant son panier rempli, plus jamais je ne fais équipe avec lui. Par pitié, plus jamais… pour ma propre survie.
Eris s’esclaffa devant sa fermeté.
— T’as fait quoi pour la traumatiser à ce point ?
— Elle n’est pas habituée à ma malchance, c’est tout.
— Paradoxalement, tu as la chance de toujours t’en sortir.
— En parlant de chance, tu sais que j’ai trouvé un fleuh dans les bois ? se vanta Thalion avec une fierté non dissimulée.
— Sérieux ? Tu pourrais le revendre super cher ! s’enthousiasma-t-elle. Montre-le-moi !
— Je ne l’ai plus… J’ai dû le sacrifier pour notre survie face à un golem.
Eris plissa les yeux en esquissant la moue.
— C’est ça, ouais. Tu ne l’as pas plutôt bouffé ?
Était-elle en train de remettre en cause sa parole ? Outré par les insinuations de la magérienne, Thalion voulut demander à Cally de témoigner en sa faveur, mais cette dernière se contenta de rire. Son sacrifice les avait sauvés et c’est comme ça qu’on le remerciait ? Sympa.
Puis Nohan arriva et s’effara devant le sang qui tâchait ses vêtements. Il le traîna jusqu’à Mme Bizaroi pour qu’il se fasse immédiatement soigner, ce qui était ironique vu l’état de ses mains couvertes de plaies ensanglantées. Thalion se demanda si lui aussi avait vu sa bague scintiller. Il l’interrogerait plus tard, il était trop épuisé pour ça. Eris l’informa qu’ils avaient tous les deux trouvés les derniers ingrédients, non sans se plaindre qu’arracher la pomme du pommier n’avait pas été facile.
La potion allait bientôt être achevée. Ce n’était qu’une question de jours. L’espoir enflait dans sa poitrine. D’ici la fin du mois, il serait débarrassé de ses migraines, de sa magie défaillante. Que tout se passe bien serait le plus beau cadeau que les dieux pouvaient lui faire pour son anniversaire, le premier mai. Cette année, Thalion s’autorisait à espérer fêter ce jour qu’il avait toujours vécu seul à l’école, entouré de ses amis, sans craindre l’avenir.
Encore beaucoup d'action dans ce chapitre, je me régale ! Par contre, je retiendrais une chose, dans ton monde il faut vraiment se méfier des racines xD
Toutes ces péripéties vont pas mal rapprocher Cally et Thalion, peut-être même Aglaé, qui sait ! Cally commence à voir les bons côtés de Thalion, ça fait plaisir. Quant à la bague...il me tarde de connaître ses réels effets !
Juste une chose, même si j'adore la remarque d'Aglaé à son professeur, je suis assez étonnée que ni elle ni Cally ne prévienne tout de suite un professeur pour la blessure de Thalion. A moins que tu voulais que ce soit spécialement Nohan qui intervienne ? La blessure à l'air quand même assez grave.
Je m'en vais de ce pas lire la suite :)
Ravie que l’action de ce chapitre t’ait plu xD effectivement elles sont plus dangereuses qu’autre chose xD
Oui, c’est pour ça que j’ai mis Thalion avec Cally qui n’est pas le personnage le plus mis en avant, et Aglaé, un personnage qui vient tout juste d’arriver. Je voulais les mettre un peu en scène et faire évoluer leur relation. Pour la bague, tu vas devoir encore attendre un peu mais tu finiras par en savoir plus ;) !
En fait, comme Aglaé s’est déjà un peu occupé de la blessure je me suis dit qu’il n’y avait pas non plus d’urgence, mais peut-être que je retravaillerai cette partie là pour que ce soit plus logique.
Merci pour ton commentaire, j’espère que la suite te plaira ! ^^
Déjà, on a de nouvelles pistes pour comprendre ce qui arrive à Thalion. Ce qu’on apprend laisse penser que quelqu’un aurait réussi à « transmuter » de la magie divine chez Thalion, certainement celle d’Apocryphos. Mais j’ai du mal à imaginer ses parents faire ça… Dans le flashback que tu nous as montré, ils avaient l’air vraiment sympa, et très attaché à leur fils. Je les vois difficilement faire ça. A moins qu’ils aient su avant l’heure que Thalion était un Corbeau, et que ces expérimentations auraient pu l’aider avec sa malédiction ? Mystère mystère. :O
Si je peux me permettre une remarque sur le chapitre 31, je crois que tu pourrais raccourcir un tout petit peu les remontrances d’Eris à l’égard de l’infirmière. C’est logique qu’Eris lui en veuille et très bien d’adresser la question de la responsabilité de Madame Delacroix, mais j’ai trouvé que ça traînait un peu en longueur sur la fin.
Autre remarque sur les deux derniers chapitres. Est-ce que c’est bien utile qu’il se fasse attaquer deux fois de suite dans la forêt ? A peine débarrassé du malbête que Thalion a malencontreusement attiré en faisant l’idiot, voilà qu’ils attirent malencontreusement un golem en faisant les idiots. Ça fait très redite. Pourquoi ne pas avoir compilé tous les évènements que tu dois amener (récupérer la main d’Apocryphos, Cally qui sauve Aglaé, Thalion qui se retrouve blessé et la bague qui fait un truc bizarre) en une seule attaque ?
A part ça, l’expédition est très sympa. C’est cool de voir Thalion team up avec d’autres perso comme Cally et Aglaé. Aussi, c’était marrant de les voir s’amuser et faire les idiots comme de vrais enfants.
Reste plus qu’à préparer la potion. Je sens que le désastre arrive !
C'est vrai que les flashback les montre comme des parents aimants, mais qui sait quelles seraient leur motivations... Pourquoi auraient ils fait ça, telle est la question !
Je vois, j'ai reçu plusieurs remarques sur cette partie, je pense que je vais la retravailler, et peut-être la raccourcir pour la rendre moins lourde.
En fait, je voyais mal compiler tout ça en une seule attaque. Et puis, le malebête qui est quand même proche d'un ourse aurait plus de dégât que des racines et j'ai pas non plus envie que Thalion finisse dans un trop sale état ^^'. Enfin, tu vas me dire qu'en tant qu'écrivaine je trouverai bien un moyen d'arranger le truc, mais bon. Et puis, je voulais étoffer un peu l'univers en montrant plusieurs créatures. Après, je comprends parfaitement la remarque !
En tout cas, contente que le chapitre t'ait plus quand même !
Ah ça, je plains Thalion pour la suite !
Merci pour ton commentaire, j'espère que le prochain chapitre te plaira !
Décidément, les sorties scolaires dans le monde des sorciers s'avèrent immanquablement périlleuses, quel que soit l'univers dans lequel elles se déroulent. On passera sur les professeurs quasi-incompétents qui laissent des premières années se balader librement quand il y a un ours de quatre ou cinq toises de haut qui rôde dans les parages. Cela dit, il faut admettre qu'entre le malbête, les mains d'Apocryphos et le golem de roche, ta forêt perdue gagne aisément sa place sur le podium des destinations touristiques à conseiller à sa belle-mère x)
Bon sinon, on en parle de la poisse monumentale de Thalion ? Sérieusement, qu'est-ce qu'il t'a fait pour que tu lui en fasses baver à ce point ? À sa place, je foncerais m'enfermer dans ma chambre et je refuserais catégoriquement d'en sortir jusqu'à l'arrivée des vacances scolaires. Encore que, il serait bien capable de mourir étouffé par son édredon, ce c*n xD
Plus sérieusement, j'ai vraiment adoré ce chapitre, très bien rythmé et toujours aussi croustillant. Il y a de l'action, du suspense, beaucoup d'humour, un peu d'héroïsme inutile, un soupçon de romance dans l'air et le mystère de la bague qui se rajoute à une intrigue déjà bien chargée. Que demander de mieux ?
...
...
...
...
... Ah, si. Je sais. On veut la suite !
À très vite,
Ori'
Ton commentaire m'a bien fait rire xD !
C'est un passage obligé pour les apprentis sorciers d'expérimenter le danger x) surtout dans un cadre scolaire sinon c'est pas drôle ! Franchement, je suis pas peu fière de ma Forêt perdue xD
Je plaise coupable xD Thalion est juste victime de mon malin plaisir à lui en faire voir de toutes les couleurs x) C'est clair que avec sa malchance, même un objet inoffensif serait capable de porter atteinte à sa personne xD
Je suis contente que tu aies autant apprécié ce chapitre parce qu'il m'en a demandé, du travail, puisque j'ai décidé de modifier toute la dernière partie à la dernière minute xD
Ah ah, j'espère que la suite te plaira parce que ça promet d'être riche en révélation !
Merci pour ton commentaire, à très vite !
Sinon, un super chapitre, très immersif!
Et c'est quoi cette bague?
Vivement la suite
Contente que ce chapitre t'ait plu !
Merci pour ton commentaire, j'espère que la suite te plaira ^^
que la nature peut etre hostile parfois!! La potion est bientot prete j'espère qu'elle fonctionnera et oui on lui souhaite un bel anniversaire.. Je savais bien que la bague n'était pas anodine dans ton histoire, reste à savoir pourquoi elle scintille.
Chapitre bien écrit,
A bientot
Effectivement la nature n’est pas toujours bienveillante !
On l’espère tous… reste à savoir si se sera le cas !
Tu le découvriras bien assez vite !
Merci pour ton commentaire, à bientôt !