Chapitre 33 : Les yeux clairs
Flore
Privée de la liberté qu’elle avait toujours connue, Flore passait le plus clair de son temps dans les appartements des princes avec Elvire. Leur présence auprès de Themerid leur permettait de se sentir utiles et de tromper l’ennui. Cependant, elles ne décoléraient pas d’avoir dû tirer un trait sur leurs excursions dans Terce. Flore, en particulier, caressait encore l’espoir de rencontrer des bouchevreux, même si elle ne savait comment s’y prendre.
Elles étaient enfermées dans l’enceinte du château depuis huit jours déjà.
– J’ai choisi de rester, dit Elvire, mais finalement, je crois qu’Alix a eu raison de partir avec Venzald et Maître Elric. Même s’ils traversent probablement des moments difficiles, des dangers, au moins elle n’est pas bouclée entre quatre murs !
– C’est vrai, approuva Flore à son poste d’observation habituel devant la fenêtre ouverte, mais nous trouverons peut-être le moyen de nous échapper d’ici.
– À moins de se jeter du haut des remparts, je ne vois pas comment.
Flore répondit par un sourire énigmatique, tandis qu’un valet entrait en s’inclinant. Il tendit un pli à Elvire, puis sortit.
– Une lettre de Mère ! s’écria-t-elle en la décachetant. Elle a dû écrire dès que Père et elle sont arrivés à Tourrière.
– Lis-la-moi, s’il te plaît.
– « Mes chères filles,
Nous résidons pour le moment chez le bourgmestre de Tourrière, qui nous reçoit fort bien.
Nous nous sommes déjà rendus sur le domaine pour voir l’avancement de la reconstruction. Votre père s’en trouve satisfait, mais pour ma part, je ne m’y suis que peu intéressée tant la vision de notre pauvre castel en si mauvais état m’a touchée. Je n’ai pu me résoudre à pousser jusqu’à Boulangue.
Les dernières récoltes ont été meilleures que dans beaucoup d’endroits dans le royaume, la région ne souffre pas trop du manque de blé. Le marché de Tourrière est encore bien achalandé.
En revanche, ce qui change, c’est l’omniprésence de l’Ordre du Haut-Savoir. Partout, pendant notre voyage et ici même, nous croisons des troupes de ses effrayants pélégris aux visages invisibles. Comme tous les gouverneurs, votre père n’a eu d’autre choix que de les laisser s’installer dans la province et de céder la prévôté à l’un de leurs Grands Érudits, un dénommé Cordel Sioma que je n’ai pas encore rencontré. Votre père s’en méfie, comme de l’Ordre en général, car il est toujours persuadé qu’ils sont mêlés à l’attaque qui nous a privés de notre demeure. Nous devons cependant nous y habituer. Il ne faut pas oublier qu’ils approvisionnent le pays en blé. Peut-être ont-ils d’autres projets que, finalement, nous trouverons bénéfiques ? Le bourgmestre, par exemple, m’a parlé de nettoyage des forêts. Je n’ai pas compris en quoi cela consistait, mais votre père paraît approuver.
Avez-vous reçu des nouvelles d’Alix ? Je suppose que si c’est le cas, vous m’écrirez aussitôt. Je suis terrifiée pour elle, pourtant mon esprit ne peut se résoudre à redouter quoi que ce soit d’Elric d’Albérac, cet homme si bon qui a partagé nos vies pendant plusieurs années.
Je vous embrasse très tendrement, mes filles chéries.
Votre mère, Mélie de Hénan. »
– Alors ça y est, l’Ordre est partout ? souffla Flore.
– On dirait bien.
– J’avais l’espoir que Père ne leur permettrait pas d’entrer en Listène. C’était un rêve bien naïf...
***
Abzal
Agacé, Abzal laissa Matifas Bréol s’installer en face de lui. Depuis sa nomination au titre de grand prévôt de Cazalyne, le jeune seigneur prenait ses aises. Il entrait et sortait du cabinet royal avec des airs de propriétaire, sans se faire annoncer, comme si le régent se tenait à sa disposition. Il portait maintenant sans scrupule son habit de cuir vert sombre pour afficher son appartenance au Haut-Savoir. Trop malin pour attaquer de front, il adoptait toujours ses manières onctueuses qui irritaient déjà Abzal avant la mort d’Einold. Sa tête de furet lui déplaisait de plus en plus.
– Seigneur, dit le ministre, je viens requérir votre aval pour lancer le nettoyage. Les habitants — d’abord réticents, il est vrai — semblent s’être habitués à la présence des pélégris dans les rues de notre cité. Nous pouvons donc commencer sans crainte de les effrayer. Le but n’est pas de bouleverser les honnêtes gens.
Abzal ne répondit pas. C’était inutile, la demande de Bréol n’était qu’une formalité. La confiance affichée par le jeune homme montrait qu’il exécuterait le plan de l’Ordre, validation du régent ou pas.
– Seigneur ? insista-t-il.
– Et si je vous dis non ? lâcha Abzal.
Bréol se composa une mine contrite, comme s’il s’adressait à un enfant qu’il se voyait dans l’obligation de punir pour son bien.
– Je me permettrai alors de vous rappeler que nous en avons déjà parlé. Pensez à la satisfaction du peuple qui attend cela depuis des années. Ils reprendront confiance en vous. Un royaume a besoin d’aduler son souverain. Toutes les retombées s’avéreront positives, je vous assure !
– Je ne suis pas leur souverain, grinça Abzal.
– C’est tout comme. Que craignez-vous, finalement ? demanda Bréol, soudain suspicieux. Je préfère ne pas envisager que vous voudriez protéger ces créatures...
Abzal baissa les yeux sur son poing gauche fermé. Ce qu’il craignait ? La punition du ciel. Quel était le prix à payer pour trahir ses semblables ?
– Les erreurs de jugement, répondit-il.
– Dans ce cas, tranquillisez-vous. Je veillerai moi-même au degré d’expertise des magistrats.
Le ministre se leva.
– Allons, puisque ce point est réglé, je vais rédiger mes lettres d’ordre.
Dans le silence qui suivit sa sortie, Abzal ouvrit lentement sa main gauche. Il passa le doigt sur la marque. Il n’avait pas dit non. Il avait laissé Bréol quitter son cabinet pour aller initier son « nettoyage »... Les conséquences de cette conversation le giflèrent avec une telle violence que des larmes tombèrent dans sa paume.
***
Hoel d’Estrante
Hoel d’Estrante observait depuis les remparts les chariots alignés devant les granges du château de Restecœur. Avec satisfaction, il suivait le manège des ouvriers qui allaient et venaient, chargés des lourds sacs de grain qu’ils empilaient dans ses greniers. Grandes Landes, dont le blé constituait la principale ressource, avait souffert très tôt de l’épidémie, mais le gouverneur avait su saisir la proposition fort opportune de l’Ordre. Les Érudits, bien avant de soumettre le même marché au roi Einold, lui avaient promis de renflouer ses propres réserves — et accessoirement, de sauver la population de la famine. Depuis, il n’avait jamais regretté d’avoir destitué son prévôt au profit de l’homme en vert qui se tenait à ses côtés.
– C’est donc entendu ? demanda celui-ci. Nous pouvons commencer ?
– Je ne vois même pas pourquoi vous voulez mon approbation, répondit d’Estrante. Encore une fois : faites ce que bon vous semble, je n’en ai cure, du moment que vos livraisons de blé se poursuivent.
– Je préfère que tout soit dit entre nous, même si je sais que vous adhérez toujours à nos idéaux. Ce dont l’Ordre vous est reconnaissant, d’ailleurs.
– Oui, bien sûr, vos idéaux... répéta ironiquement le gouverneur en tapotant l’épaule de son interlocuteur de sa main à trois doigts. Je souscris à toutes les doctrines, en effet, si elles s’accompagnent de compensations en juste proportion.
Il éclata de rire à son trait d’esprit. L’Érudit frotta la manche de son habit comme pour en chasser toute trace du contact, puis il contempla du coin de l’œil le seigneur Hoel qui s’esclaffait sans retenue, avec un mépris qu’il ne prit même pas la peine de cacher.
***
Albérac
Albérac, Ensgarde, Venzald et Alix avaient atteint la province montagneuse d’Orityne. Le soleil du printemps, réfléchi par les versants arides des aiguilles de roche blanche, brûlait les yeux sans réchauffer les corps des fugitifs. Ils avaient abandonné la charrette dès que Venzald avait pu tenir à cheval, ce qui avait rendu leur progression plus rapide et plus sûre. Ensgarde avait immobilisé le bras gauche du prince par un bandage qui lui enserrait tout le torse. Ils pouvaient emprunter des chemins isolés sans risque de rencontrer de pélégris. Ils se savaient poursuivis, mais l’aventurier, en altitude, évoluait en terrain familier.
Au cœur de la montagne, sur ces sentiers déserts qui offraient à la vue des merveilles, seul l’état de Venzald préoccupait Albérac. Le reste, il le gérait au jour le jour, mais le prince ne sortait pas de son apathie morbide. Le maître d’étude se rappelait Einold, chevauchant en silence, reclus dans son insondable tristesse, indifférent à ceux qui l’entouraient. Les blessures du garçon ne s’effaceraient jamais — la peau resterait boursouflée et luisante, et son épaule gauche comme tronquée — mais elles cicatrisaient. Son corps se fortifiait après la longue période où il était alité près de Themerid. Il semblait plus à l’aise à cheval, après avoir dû s’habituer à monter à califourchon. Pourtant, malgré ces signes encourageants, rien ne le déridait, il avait oublié comment sourire. Il prenait d’un geste automatique la nourriture qu’on lui tendait, suivait les consignes, mais ne répondait pas quand on lui adressait la parole. Régulièrement, des larmes s’écoulaient sur ses joues, sans un bruit. Il ne voyait plus rien autour de lui mais le maître d’étude était certain que c’était l’image de son frère qu’il avait en tête. De son frère encore lié à lui.
Après deux jours où le prince avait voyagé en croupe derrière Albérac, celui-ci avait déniché une monture. Il n’avait pas voulu répondre aux questions d’Alix — qui avait poussé des hauts cris en avisant les armoiries du Haut-Savoir sur le cuir de la selle —, se contentant d’un sourire énigmatique avant de frotter le blason avec la pointe de sa dague pour le faire disparaître. Le roussin alezan, puissant et nerveux, lui rendait sa liberté de mouvement. Il pouvait ainsi partir en éclaireur, chasser, gravir des promontoires pour s’orienter, sans fatiguer le grand coursier bai de Venzald. Alix l’accompagnait souvent, attentive à ses gestes et à ses explications, avide de le seconder — ce dont elle serait bientôt capable.
La jeune fille insufflait au petit groupe l’intarissable énergie de ses douze ans. Elle basculait en un éclair du rire à la colère, s’émerveillait des paysages que leur itinéraire lui offrait ou entonnait une chanson. Aux campements, elle aidait Ensgarde à soigner Venzald, préparait les repas, pansait les chevaux sans une plainte. Et lorsqu’enfin toutes les corvées étaient terminées, elle s’asseyait près du garçon pour le réconforter de son babillage. Albérac appréciait son dévouement à sa juste valeur. Certes, Godmert et Mélie avaient élevé leurs filles et les princes dans la simplicité d’un petit domaine de province, avec une liberté qui expliquait sa débrouillardise, mais Alix avait été servie toute sa vie. Elle n’avait jamais manqué de rien, jamais eu d’effort à fournir pour survivre. Le précepteur en lui s’en voulait de n’avoir jamais deviné le courage et la générosité derrière les caprices de la petite dernière. Il avait passé tant de temps, à Arc-Ansange, à se passionner pour les princes qui ignoraient leurs propres différences et se croyaient aussi semblables dans leur caractère que dans leur apparence ; pour Flore qui cachait sous sa douceur de brise un esprit rebelle et aiguisé ; pour Elvire enfin, si soucieuse de dissimuler ses faiblesses en affichant une volonté de fer. Il en avait négligé les trésors que réservait Alix. Pourtant, dans ce périple, elle était l’âme et le cœur de leur groupe.
Serrés dans leurs capes de chouvre, les cavaliers suivaient une piste pierreuse. Ils n’avaient croisé personne depuis la veille. De temps à autre, Ensgarde demandait à s’arrêter pour ramasser une plante qu’elle reconnaissait et qui pouvait servir dans une préparation. Elle non plus ne se plaignait jamais. Albérac la soupçonnait d’ailleurs de prendre plaisir à cette escapade, malgré l’inconfort et le danger. Ses propres muscles protestaient chaque jour davantage, éprouvés par la chevauchée, et la rebouteuse avait au moins vingt ans de plus que lui. Pourtant, l’œil brillant, son éternel demi-sourire aux lèvres, elle se hissait sur son poney, remontait sans façon son bouffetin qui dévoilait ses bas de grosse laine et se plaçait en queue du groupe sans un soupir.
L’aventurier lui-même sentait croître en lui une frénésie qu’il croyait endormie à jamais. L’urgence, le péril, l’inconnu... il avait vécu avec eux pendant longtemps. Il fuyait aussi, alors. Quelque chose de moins palpable, qu’il n’avait pas réussi à semer. Quand il avait compris que c’était en lui que résidait l’ennemi, il avait fait demi-tour.
La lumière jaunissait. Il faudrait sans tarder trouver un campement. La piste montait doucement depuis plusieurs lieues lorsqu’elle s’interrompit brutalement. Les cavaliers approchèrent de l’endroit où elle disparaissait. Sous leurs yeux, un petit cirque formait un écrin dominé par les aiguilles d’albâtre. En son centre s’étalait, tel un joyau, un lac vert aux eaux si transparentes qu’on devinait les rochers sur le fond. Des veines rouges parcouraient la pierre blanche des parois verticales. Le tableau était saisissant. Les contrastes évoquaient l’œuvre d’un peintre fou qui aurait refusé de diluer ses couleurs. Alix poussa un cri de ravissement. Elle en perdait ses mots. Albérac, dont le cœur s’emballait lui aussi devant la perfection du paysage, sourit de son émerveillement, puis observa le prince. Pas un son ne sortait de sa bouche, mais ses lèvres étaient entrouvertes et ses paupières écarquillées. Enfin, la grâce du décor lui arrachait une réaction.
Le camp fut installé rapidement au bord du lac. Après avoir mangé, Ensgarde s’occupa des pansements de Venzald, tandis qu’Alix, à quelques pas, trempait ses pieds dans l’eau glacée. Albérac sortit un de ses carnets, comme à chacune de leurs pauses. Parmi les notes qu’il avait accumulées au cours de ses voyages, il cherchait les noms de ses relations en Marmane. Une fois la frontière franchie, ils ne seraient pas pour autant en sécurité. Il faudrait se cacher encore. Son dernier passage dans le royaume du sud datait de quinze ans. Il lui faudrait renouer des amitiés dont il se souvenait à peine. Plongé dans sa lecture, il leva tout juste le nez quand Ensgarde retroussa son bouffetin pour lui masser le genou. Il relâcha son attention en sentant la chaleur bienfaisante du baume soulager l’articulation martyrisée. Un souffle de vent fit tourner les pages du cahier. Agacé, Albérac exhala un soupir, puis ses yeux tombèrent sur un croquis esquissé à la hâte des années auparavant. Un cri lui échappa. Sans répondre au regard interrogateur de la rebouteuse, il parcourut attentivement les notes autour du dessin, puis il laissa choir les feuillets. Enfin, il avait retrouvé ce que sa mémoire refusait de lui rendre depuis plus de trois ans !
– Nous changeons nos plans, déclara-t-il. Demain, nous bifurquons vers l’ouest pour rejoindre la côte.
***
Flore
Le valet se retournait sans cesse pour vérifier que le couloir était bien désert. Il goûtait peut-être la chance qui avait amené la demoiselle à lui demander cette faveur, mais pas au point de récolter des ennuis. Flore, derrière lui, se félicitait d’être tombée sur un jeune homme prudent.
Pour la première fois, elle avait pris conscience de ce que sa féminité pouvait lui apporter. Elle avait honte d’en user sur ce garçon, mais elle allait devenir folle, enfermée dans l’enceinte du château. Après tout, elle ne lui avait rien promis, elle lui avait juste parlé d’un petit peu plus près que d’habitude... Elle se jura de ne plus jamais agir ainsi.
Ils dépassèrent à pas de loups l’entrée des archives et les cabinets des maîtres-juristes dont émergeaient des bruits sourds de conversations. Tout au bout du couloir, un soupirail laissait filtrer une faible lumière et les sons habituels de la grande cour. Le valet ouvrit une porte en bois gris, très épaisse, bardée de fers.
– En bas, murmura-t-il en désignant les marches qui s’enfonçaient dans la pénombre, vous suivrez le souterrain jusqu’à trouver un autre escalier. Il vous mènera derrière un puits à trois rues du château.
– Êtes-vous sûr qu’il n’y a que les serviteurs qui connaissent l’existence de ce passage ?
– Oui, le secret est bien gardé : tout le monde croit la porte verrouillée, nous sommes les seuls à savoir qu’elle ne l’est pas. Si quelqu’un le montrait à l’intendant, nous perdrions l’unique moyen de nous distraire un peu pendant nos services.
– Je vous promets de ne rien dire. Maintenant que je l’ai découvert, je ne risquerai en aucune façon de le faire condamner, je vous l’assure.
– Je vous crois. Soyez prudente, Demoiselle.
– Merci, Monsieur, souffla Flore en s’engouffrant dans l’escalier, la lanterne levée devant elle.
Flatté, le jeune homme referma le battant en murmurant :
– Je m’appelle Johan.
Flore soupira d’aise en émergeant derrière le puits. Pour quelques heures, elle était libre d’arpenter les rues de la cité. Elle aurait aimé qu’Elvire l’accompagne mais elle avait préféré vérifier par elle-même pour ne pas donner de faux espoirs à sa sœur. Sa promenade ne durerait pas, se promit-elle. Juste de quoi s’aérer un peu, puis elle reviendrait dès le lendemain avec Elvire.
Elle trouva le quartier très calme. Le puits se situait tout près de la villa de son père, toutefois elle n’avait jamais vu si peu de monde ici en milieu de journée. Les rares passants se hâtaient tous dans le même sens. Ceux qui marchaient par deux échangeaient des propos animés, désignant par des gestes excités la direction où les menaient leurs pas. Intriguée, Flore suivit un homme et un petit garçon vers les niveaux inférieurs de la ville. Peu à peu, elle comprit qu’ils se rendaient vers l’esplanade qui accueillait le plus grand marché de Terce, à mi-hauteur de la colline. Les habitants de la cité affluaient vers ce point. Une foule dense occupait déjà les rues adjacentes. On entendait des cris venant de la place. La jeune fille se demanda s’il était bien sage de s’engager dans cette marée humaine, pourtant, poussée par le flux des marcheurs, elle n’eut d’autre choix que de continuer. Même en se hissant sur la pointe des pieds, elle ne voyait pas plus loin que les épaules de ceux qui la précédaient.
Des claquements de sabots provoquèrent un mouvement de panique. Cinq pélégris fendaient la foule sur leurs montures, sans se préoccuper des piétons. Baissant les yeux pour ne pas risquer d’être reconnue, Flore sentit une vague l’emporter vers le centre de l’esplanade. Désorientée, elle chercha où elle était arrivée. Autour d’elle, des exclamations de joies ou de dégoût retentissaient. Tous les visages étaient tournés dans la même direction, mais elle ne voyait toujours pas ce qui les fascinait. Lorsqu’enfin, un homme se décala, elle se figea, oubliant le brouhaha, les coups de coude qui meurtrissaient ses épaules, la peur d’être ramenée au château et tancée pour son caprice. À quelques pas devant elle se dressait un long échafaud, auquel étaient pendus cinq cadavres, trois femmes et deux hommes. Dans leurs visages violacés, leurs yeux bleu pâle écarquillés semblaient dévisager la foule. Ils avaient perdu toute transparence. De grosses mouches vertes s’y posaient lourdement. Un nouveau mouvement collectif poussa Flore encore plus près. Elle comprit alors pourquoi les morts avaient l’air si étonnés : pour bien montrer les iris délavés, leurs bourreaux avaient découpé leurs paupières.
Flore voulut fuir, la tête lui tournait, elle allait défaillir. Sourde aux protestations, elle se fraya un chemin en fonçant tout droit dans les rangs des curieux. Elle atteignit la rue par laquelle elle était venue au bord de la nausée. Quand elle percuta un gros homme, elle s’excusa machinalement et vit le regard acéré qu’il porta sur ses yeux aussi clairs que ceux des pendus. Elle se perdit dans la foule, puis se mit à courir dès qu’elle le put, s’arrêta pour vomir sous la moue réprobatrice d’une jeune femme et reprit sa fuite effrénée.
Lorsqu’elle poussa la porte des appartements de Themerid, elle tomba dans les bras de Renaude. Il lui fallut longtemps pour se calmer et raconter le spectacle auquel elle avait assisté. Elvire et la vieille nourrice l’écoutèrent la gorge serrée, les yeux humides, fixant sans un mot les prunelles bleues qui faisaient dorénavant de chaque pas hors du château un danger mortel.
Ca m'a bien effrayé quand un homme a vu les yeux clairs de Flore. Tu pourrais peut-être jouer encore un peu plus dessus ? Il y a de quoi faire bien paniquer le lecteur ? Une petite course-poursuite ? Quelqu'un qui l'attrape mais elle fuit en le mordant ? Bref, il y a des choses à faire^^
Abzal devient de plus en plus pathétique, c'est triste de voir peu à peu partir en fumée l'attachant frère du roi de la Partie 1. Un bouchevreux qui lance la chasse aux bouchevreux... enfin aux yeux clairs.
Je m'interroge : qu'est-ce qui pousse l'ordre à autant détester les bouchevreux ? Je comprend l'intérêt de trouver un ennemi pour l'accuser de tous les maux mais moins de complètement l'anéantir. Quand il n'y aura plus de bouchvreux, les gens vont se retourner contre l'ordre non ? Enfin peut-être que l'ordre va calmer les exécutions au fur et à mesure du temps ou se rabattre sur un nouvel ennemi.
"Son dernier passage dans le royaume du sud datait de quinze ans." cool on va découvrir ce qui se passe en dehors de Cazalyne (=
"Nous changeons nos plans, déclara-t-il. Demain, nous bifurquons vers l’ouest pour rejoindre la côte." bon bah j'ai rien dit xD (oublie ma remarque précédente, quoique ça pourrait être cool dans le tome 2 ou un futur nouveau projet d'explorer un peu à l'étranger).
Pour conclure, je veux te dire que lire du très bon fantasy ça m'aide beaucoup à trouver l'inspi. J'ai trouvé plusieurs bonnes idées pour mon nouveau projet en te lisant ^^ (rien que pour ça cette histoire mérite d'être publiée à mes yeux xD)
Pleins d'amour et de courage pour les révisions ^^
Je continue ...
C'est d'ailleurs le même thème que ta question "qu'est-ce qui pousse l'ordre à autant détester les bouchevreux ?" : Ca aussi il faut que je le traite beaucoup plus tôt. En fait, ce n'est pas clairement dit, mais dans ma tête, les bouchevreux sont majoritairement détestés et blâmés pour tous les maux du royaume. Je fais le parallèle avec la façon dont on considérait les juifs en Europe au 19ème siècle et jusqu'à la seconde guerre mondiale : on les tolérait tout juste, mais dès qu'il y avait moyen de les condamner pour quelque chose, c'étaient les premiers à être accusés (cf. affaire Dreyfus, etc...). Les nazis se sont appuyés sur l'antisémitisme ambiant pour désigner les juifs comme l'ennemi à exterminer. De la même manière, l'Ordre focalise toute l'attention sur les bouchevreux. Tu vois l'idée ? Mais bien sûr, il faudrait que je montre beaucoup plus tôt qu'ils sont déjà ostracisés. Et si je montre beaucoup plus l'Ordre de l'intérieur, je pourrai aussi développer leur doctrine (qui est un peu abordée par Albérac dans la P2, mais pas assez) et montrer que pour eux, il y a une hiérarchie de classe, de "race" et de genre.
T'inquiète, on va largement sortir de Cazalyne dans le tome 2 et voir du pays ;)
Ca me fait très plaisir que mon histoire t'ait donné quelques idées ! Je ne sais pas si cette saga "mérite" d'être publiée (je crois que le potentiel éditorial d'un roman dépend aussi beaucoup de la chance et des opportunités, et pas seulement des qualités purement littéraires), mais ça me touche que tu le penses ♥
"T'inquiète, on va largement sortir de Cazalyne dans le tome 2 et voir du pays ;)" Let's go (=
"Je ne sais pas si cette saga "mérite" d'être publiée" oui ce n'est pas le meilleur terme, mais on se comprend^^
Durant la fuite de notre quatuor, tu nous permets de souffler un peu, de respirer l’air des montagnes devant un magnifique paysage habilement décrit qui parvient même à tirer Venzald de sa torpeur.
La petite Alix est en train de s’affirmer ; elle aussi est courageuse et loyale. Elle aurait facilement pu faire capoter le plan d’Albérac quand ils étaient encore au château. Mais malgré son jeune âge, elle a l’air de comprendre qu’elle est dans le bon camp.
Quant à Hoel, il pourrait bien se joindre à la rébellion le jour où il y en aura une. Mais il ferait mieux d’être plus discret, autrement il va être réduit au silence avant d’avoir pu se rendre utile.
Coquilles et remarques :
— Le marché de Tourrière est encore bien achalandé. [Normalement, « bien achalandé » veut dire « qui a beaucoup de clients », le chaland étant le client ; l’usage par extension que tu en fais est considéré par l’Académie française comme un abus de langage.]
— Il entrait et sortait du cabinet royal [Il entrait dans le cabinet royal et en sortait ; comme on dit « entrer dans » et « sortir de », tu ne peux pas enchaîner ces deux verbes de cette manière.]
— Je veillerai moi-même au degré d’expertise des magistrats [Il s’agit de compétence et non d’expertise ; voir ici : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/DNP0312]
— pour aller initier son « nettoyage » [commencer ou entreprendre ; voir ici : http://www.academie-francaise.fr/initier]
— Le reste, il le gérait au jour le jour [il y faisait face, il s’en occupait, il y veillait, il l’affrontait ; voir ici : http://academie-francaise.fr/gerer]
— Pourtant, dans ce périple [voyage, trajet, parcours, odyssée : un périple est un voyage circulaire ; voir ici : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/DNP0185]
— des exclamations de joies [de joie]
— Lorsqu’enfin, un homme se décala [Je ne mettrais pas la virgule.]
— un long échafaud, auquel étaient pendus [Je ne mettrais pas la virgule.]
— Elle atteignit la rue par laquelle elle était venue au bord de la nausée [Ici, en revanche, je mettrais une virgule après « venue ».]
Contente que cette description t'ait plu aussi (je l'aime bien). Il fallait quelque chose de frappant pour que Venzald réagisse enfin un peu !
En effet, Alix s'affirme et ce n'est pas fini. J'ai une affection particulière pour elle, d'ailleurs.
Pour ce qui est d'Hoel, il est vraiment très secondaire. Son point de vue a surtout pour but que tout le monde ne voit pas du même œil l'avènement de l'Ordre. En ce qui le concerne, il le vit plutôt bien.
Albérac qui retrouve son souvenir sur le blé, yes ! Plus qu'à aller à la côté, ah ah ah.
Alix, pleine de ressources et d'énergie, ils vont en avoir besoin.
Et la chasse aux bouchevreux est officiellement lancée.... Albaz, tu vas signer ton arrêt de mort....
Quant à Flore, en effet, il vaut mieux qu'elle reste enfermée. Mais va-t-elle s'y résoudre ?
Pauvre Flore, j'ai eu peur pour elle à un moment. La vision des pendus sans paupières, berk !!! Mais bon, je connais la nécessité de ce genre de violence dans les histoires, alors je ne vais pas juger ! C'est pas comme si je venais de marquer au fer rouge l'une de mes protagonistes âgé de 16 ans x).
Abzal, faire ça à son espèce.. Berk !!! il me déçoit de plus en plus.
Ah ah ! Tiens j'y avais pas pensé au marquage au fer rouge ! C'est assez trash aussi ;)
Abzal descend de plus en plus bas, oui.
Merci pour ta lecture et tes commentaires
Et quelle horrible idée de découper les paupières 😱😱
Je me demande vers quelle nouvelle destination notre petit quatuor se dirige....