Chapitre 33 : Une force inattendue 2

 

 
Elle entendit Dahlia pousser un long soupir de soulagement lorsque la maison de Mira apparut enfin dans leur champ de vision.
Ayra aussi sentit la tension retomber en franchissant le muret de pierres basses qui marquait l’entrée de la propriété.
Lorsqu’elles passèrent la porte, elles tombèrent nez à nez avec Élika et Eren, eux aussi trempés jusqu’aux os.
La chaleur de la maison, pour une fois, lui fit du bien.
Elle jeta un regard furtif à Élika, puis salua rapidement Eren.
Dahlia, toujours pâle, esquissa un demi-sourire, retira machinalement ses chaussures et prit la direction de l’étage.
— Quel temps, n’est-ce pas ? lança-t-elle comme si de rien n’était.
Élika fronça les sourcils en la suivant du regard.
C’était fou, pensa Ayra, comme elle comprenait les choses sans qu’on ait besoin de parler.
— Kael n’est pas avec toi ? demanda soudain Eren.
Ayra sursauta à cette question.
— Non… Il est parti plus tôt aujourd’hui. Il… il n’avait pas l’air bien.
Le visage d’Eren changea immédiatement. La surprise s’y peignit, suivie d’une inquiétude presque palpable.
— Comment ça ? Ce n’est pas son genre… Je devrais peut-être aller le voir.
Mira apparut dans l’entrée, les bras chargés de grandes serviettes.
— Tenez, ça vous fera du bien ! J’ai aussi allumé la cheminée dans le salon. Allez vous sécher !
— Merci, répondit Eren en prenant la sienne.
Mira s’arrêta devant Ayra, l’observa de la tête aux pieds, un sourire taquin au coin des lèvres.
— Eh bien, vous avez tous pris un bain de boue aujourd’hui ou c’est une nouvelle mode à Clairmont ?
En baissant les yeux sur ses bottines gorgées d’eau, Ayra imagina sans peine l’allure qu’elle devait avoir.
— Je suis sûre que ce n’est rien de grave, dit Élika à Eren avec douceur. Ton frère est peut-être juste rentré se reposer…
Elle lui posa la main sur le bras, compatissante.
Ayra arqua un sourcil. Cette familiarité lui sembla étrange. Elle connaissait sa sœur plus réservée — même avec Uriel, elle ne l’avait jamais vue aussi… attentive.
— Hm… Je ne sais pas. Ça ne lui ressemble pas. Je vais aller vérifier, répondit Eren, visiblement troublé.
Il s’avança vers la porte d’entrée.
— Je suis désolé. Je crois qu’on va devoir reporter notre dîner.
Il paraissait sincèrement préoccupé.
— Je comprends, répondit Élika avec un sourire compréhensif.
Il ouvrit la porte. Une bourrasque s’engouffra dans la pièce, faisant claquer les rideaux.
— Mais d’où tu sors, toi ? lança Eren, interloqué.
Ayra sursauta. Elle se retourna brusquement.
Kael se tenait sur le seuil, ruisselant. Ses cheveux, assombris par l’eau, lui collaient au front, dégoulinant le long de ses tempes. Il avait l’air vidé, trempé jusqu’aux os, mais surtout… grave. Comme si le poids du monde s’était posé sur ses épaules.
Il s’appuyait d’une main contre le chambranle de la porte, ses doigts crispés sur le bois, comme s’il avait dû lutter contre lui-même pour revenir jusque-là.
Ayra resta figée.
Il n’était pas rentré chez lui. Pas après Clairval. Alors où était-il allé, dans quel état était-il vraiment ? Et pourquoi ce regard… ce silence plein d’ombre ?
— Non, mais le temps est tellement radieux pour rester sur le pas de la porte, ironisa Eren en attirant son frère à l’intérieur. Il referma la porte derrière lui dans un claquement sec.
Kael resta silencieux, la tête basse. Trempé, ses cheveux sombres collaient à son front, et l’eau dégoulinait de ses vêtements.
— En voilà encore un ! s’exclama Mira, de retour avec un nouveau tas de serviettes.
— Vous me ferez le plaisir de retirer vos chaussures, mes tapis vous remercient d’avance, ajouta-t-elle en désignant les pieds boueux de Kael.
Elle s’approcha de lui, déplia une serviette et la posa sur ses épaules d’un geste presque maternel.
— Allez, retire ces vêtements trempés, tu vas finir par attraper froid !
— Je pense que les autres ne sont pas prêts à voir mon corps d’Apollon, lança Kael, enfin, un demi-sourire aux lèvres.
Mira lui donna une petite tape sur l’épaule.
— Je vais m’arranger avec les garçons pour qu’ils te prêtent quelque chose de sec, va. Tu verras, ils ont bon goût. Elle lui fit un clin d’œil complice.
Ayra, encore trempée, observait la scène en silence. Mira semblait apprécier Kael… même son sarcasme constant. Ce petit échange lui paraissait presque familier.
Élika était montée à l’étage pour se changer, et Eren avait rejoint le salon, attiré par la chaleur du feu.
Seuls Kael et Ayra restaient dans la grande entrée, encore trempés.
Ayra s’efforçait d’essorer un peu ses vêtements, épongée par l’envie d’éviter la fureur silencieuse de Mira si elle laissait une traînée d’eau derrière elle.
Kael, quant à lui, avait retiré sa veste de cuir noire, maintenant détrempée. Il frottait lentement ses cheveux d’une serviette, toujours muet.
Ayra, qui l’observait du coin de l’œil, se risqua à quelques regards furtifs.
Il ne disait rien, mais elle sentait que quelque chose, en lui, grondait.
— Je vois que toi aussi, tu t’es pris la tempête, finit-il par dire.
— Oui, répondit-elle simplement, la gorge serrée. Elle ne savait pas quoi ajouter d’autre.
Il releva les yeux vers elle, une pointe de défense dans le ton :
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien… Je ne pensais juste pas que tu reviendrais. Pas après la façon dont tu es parti.
Elle avait tenté un ton neutre, mais sa voix avait tremblé.
— C’était… personnel.
Il semblait chercher ses mots.
— Oui. Personnel. Répéta-t-elle, sans masquer l’ironie.
Elle s’était détournée, continuant à sécher ses cheveux, mais entendit ses pas s’approcher. Lorsqu’elle se retourna, il était là. Trop proche.
Le hoquet qui lui échappa fut presque imperceptible.
Il leva la main et prit l’une de ses mèches trempées.
— T’as joué sous la pluie ou quoi ?
Sa voix grave, plus douce que d’habitude, la troubla.
Il effleura sa joue du bout des doigts, comme pour en enlever une trace de boue.
— T’as même de la terre sur le visage, ajouta-t-il avec un demi-sourire.
Une goutte d’eau tomba d’une mèche sombre, glissant le long de son front jusqu’à sa joue.
Ayra ne bougea pas. Elle le fixait, troublée. Pourquoi ? Pourquoi revenait-il toujours ? Pourquoi cette proximité constante, ce chaud et froid permanent ?
Elle observa sa mâchoire ferme, ses traits taillés comme au scalpel. Son regard clair, zébré d’or, semblait la sonder.
— T’as perdu ta langue bien pendue de ce matin ? lança-t-il, taquin.
Il rapprocha un peu plus son visage du sien — à peine quelques centimètres les séparaient. Ayra sentit son souffle chaud, teinté de menthe, effleurer sa joue.
Qu’essayait-il de faire ? L’intimider ? La faire parler ? Ou simplement la troubler ?
Le cœur d’Ayra accéléra. Un frisson la parcourut, incontrôlable.
— Que cherches-tu à faire ? demanda-t-elle d’une voix plus ferme qu’elle ne se sentait.
Elle tenta de reculer, mais il glissa une main autour de sa taille pour la retenir. Un hoquet de surprise lui échappa.
— Rien du tout. Pourquoi ? répondit-il avec un sourire espiègle, clairement amusé. Il la testait. Elle le comprit aussitôt.
Alors, elle choisit d’entrer dans son jeu.
Elle s’approcha davantage, jusqu’à ce que leurs nez se frôlent.
— Si tu essaies de m’impressionner… c’est raté, murmura-t-elle d’un ton défiant.
Son regard noir accrocha celui de Kael sans ciller. Il ne bougea pas, impassible. S’il était troublé, il n’en montrait rien.
Mais Ayra, elle, sentait ce chatouillement au creux du ventre. Une chaleur nouvelle. Une tension difficile à ignorer.
Elle leva la main et toucha sa joue avec une lenteur calculée.
— Toi aussi, on dirait que tu as goûté à la boue.
Elle ne baissa pas les yeux. Elle refusait de lui montrer combien cette proximité l’ébranlait. Combien il avait d’emprise sur elle.
Le regard de Kael pétilla. Il tentait sans doute de rester impassible, mais ses yeux, eux, racontaient tout autre chose.
Ayra sentit la chaleur émanant de son corps, irradiant contre elle. L’humidité glacée de ses vêtements ne comptait plus. Il n’y avait que cette proximité, ce souffle, ce frisson sous la peau.
Kael pencha la tête. Leurs lèvres se frôlèrent. Elle tenait bon, refusait de reculer, même si intérieurement, elle brûlait. Il la serra un peu plus fort contre lui.
— Voilà ce que j’ai trou… Oups, je crois avoir interrompu quelque chose !
La voix de Mira, vive et légère, résonna derrière eux.
Ils s’écartèrent d’un bond, comme deux coupables pris sur le fait.
— Tu n’as rien dérangé, Mira, répondit Ayra, un peu trop vite.
Elle attrapa sa serviette à la volée et monta les marches deux à deux, fuyant sans oser un regard en arrière. Elle sentait ses joues en feu.
Derrière elle, elle entendit Mira, impassible, indiquer la salle de bain à Kael.
Ayra accéléra le pas. Il lui tardait de retrouver un peu de solitude — et de calme — pour affronter le tumulte intérieur que ce moment venait de déclencher.
 
 
 
 
 
 
 
 
Kael était dans la petite salle d’eau que Mira lui avait indiquée.
Il s’efforçait de retirer ses vêtements trempés, qui lui collaient à la peau comme une seconde couche. Il les maudissait. Ils semblaient lourds, imbibés d’eau et de boue, presque aussi épuisants à retirer que la soirée elle-même.
Il se sentait vidé.
Ce qu’il venait de vivre — cette foudre surgie de nulle part — l’avait déchargé d’une grande partie de son énergie habituelle. Il avait l’impression que ses muscles ne répondaient plus avec la même force.
Il ne se souvenait même plus clairement de comment il était arrivé chez Mira.
Tout était flou, noyé dans les restes d’adrénaline.
Il se rappelait seulement avoir pensé à Ayra. Se demander si elle était bien rentrée. Savoir qu’elle avait quitté Clairval seule, dans le noir, avec un Varnak dans les parages… Ça l’avait rendu fou.
Il connaissait ces créatures.
Et il savait qu’un Varnak ne lâchait jamais sa proie facilement.
Surtout s’il s’était senti défié ou empêché.
Après avoir repris un semblant de souffle, il avait rassemblé le peu d’énergie qu’il lui restait pour retourner à Clairval. Mais c’était désert. Le feu s’était éteint.
Alors, instinctivement, il avait pris la direction de la maison de Mira.
Il se rappelait vaguement avoir croisé un homme en pleine rue, hagard, marmonnant en boucle :
— L’enfer est sur Terre… L’enfer est sur Terre…
Et ensuite, il avait atterri sur le perron, trempé, boueux, les nerfs à vif.
Eren lui avait ouvert la porte avant même qu’il n’ait eu le temps de frapper.
Son frère semblait inquiet, presque choqué de le voir dans cet état. Peut-être par son absence. Mais Kael, lui, était trop pris par ce qu’il avait ressenti pour s’y attarder.
Trop tendu, trop chargé, comme si la moindre étincelle pouvait encore déclencher une explosion.
Alors il l’avait vue.
Ayra. Trempée. Éclaboussée de boue. Et surtout, stupéfaite de le voir là.
Son regard l’avait traversé — un mélange de surprise, d’incompréhension… et de reproche.
Et il la comprenait. Il l’avait laissée en plan, sans un mot, après l’avoir quittée brusquement. Elle lui en voulait, forcément.
Mais malgré ça, dès qu’il s’était trouvé à proximité d’elle, une paix étrange l’avait envahi.
Comme si sa simple présence apaisait la tempête intérieure qu’il tentait de contenir.
Elle était son calme dans le chaos, son ancre invisible. Le pansement discret sur ses brûlures internes.
Et elle ne s’était pas dérobée.
Elle l’avait défié du regard, soutenu sa proximité, répondu à son jeu.
Il avait aimé ça. Cette tension, ce feu contenu entre eux, cette manière qu’elle avait de lui tenir tête.
Si Mira ne les avait pas interrompus, il le savait : il l’aurait embrassée.
Il en avait eu besoin.
Pas pour la séduire, ni pour gagner…
Mais pour se reconnecter. À elle. À lui-même.
Ce besoin d’être près d’elle pour se sentir vivant, il ne le comprenait pas. Mais ça fonctionnait.
Il se pencha au-dessus du lavabo et se rinça le visage à l’eau chaude.
Le contact le fit soupirer. Enfin, un peu de chaleur pour contrer le froid logé jusque dans ses os.
Ses épaules se détendirent. Lentement. Presque à contrecœur.
Il enfila le t-shirt et le pantalon ample que Mira lui avait prêtés. Le tissu était un peu large, mais sec — et cela suffisait à le soulager.
La sensation du coton propre sur sa peau lui arracha un soupir discret. Il se sentait enfin un peu plus lui-même.
Il leva les yeux vers le miroir.
Son reflet lui rendit un regard fatigué. Il souffla longuement, comme pour chasser les dernières tensions accrochées à ses épaules. Puis il sortit.
Le sol de l’entrée avait été nettoyé — Mira était sans doute passée par là, rapide et efficace comme toujours. Plus aucune trace de boue.
Même les chaussures avaient disparu, rangées sans qu’il ne s’en rende compte.
Il se dirigea vers le salon, attiré par la lueur douce et vacillante au fond du couloir.
La chaleur du feu, perceptible dès l’entrée, caressa sa peau et lui fit du bien.
Une ambiance feutrée s’en dégageait. Presque apaisante.
Il soupira. Il aimait cette maison.
Chaleureuse, vivante, habitée de souvenirs et d’odeurs rassurantes — tout le contraire du château d’Abyrel, glacial, vide de sens et d’âme.
Ici, il se sentait à l’aise. Presque chez lui.
Eren était déjà installé dans le canapé, vêtu de vêtements secs. Il tenait une tasse fumante de café entre ses mains, les doigts autour de la porcelaine comme pour s’y ancrer.
Il était seul pour l’instant. À la vue de son frère, il releva simplement les yeux.
— Alors, où étais-tu passé ? demanda-t-il, d’un ton calme, presque neutre. Il avait visiblement retrouvé son sang-froid.
Kael s’installa à son tour, se laissant tomber sur le canapé à côté de lui, au plus près de la cheminée.
Il avait besoin de cette chaleur.
— J’ai rien compris, Eren… murmura-t-il enfin, le regard perdu dans les flammes.
— Qu’est-ce que tu racontes ? demanda son frère, intrigué.
Une bourrasque ébranla la maison. Les vitres frémirent sous le coup du vent.
Comme si on n’avait pas déjà eu assez de foudre pour aujourd’hui… pensa Kael.
— Alors ? insista Eren, posant sa tasse sur la table basse.
Kael passa une main dans ses cheveux encore humides.
— La foudre… J’ai expulsé de la foudre. De tout mon corps. J’ai dû fuir à toute allure de Clairval.
Eren fronça les sourcils. Son regard s’assombrit, mais il ne répondit pas tout de suite. Il semblait réfléchir, chercher un sens à cette révélation.
— Comment c’est possible… ? murmura-t-il. Mais la question ne s’adressait pas à Kael, plutôt à l’univers lui-même.
Kael se pencha en avant, accoudé à ses genoux, la tête dans les mains.
— Je comprends rien… souffla-t-il.
Il s’interrompit net. Des pas résonnaient dans l’escalier.
Quelqu’un descendait.
Ayra entra. Ses cheveux, relevés en partie par une pince, laissaient retomber quelques mèches humides sur sa nuque. Elle avait enfilé une robe ample à manches longues, légère, dont le tissu flottait autour de ses genoux. Silencieuse, elle s’installa à l’extrémité du canapé, le plus loin possible de Kael. Une distance volontaire, presque glaciale.
Kael le remarqua aussitôt. Ce retrait, ce silence, cette retenue soudaine. Et ça l’agaça.
Depuis la cuisine, on entendait le tintement discret des couverts. Mira, sans doute.
Élika descendit à son tour. Sa queue de cheval haute disciplinait ses boucles blondes, parfaitement alignées jusqu’au milieu de son dos. Son allure était droite, contrôlée, presque militaire. Elle jeta un regard circulaire, analysant la pièce, les visages.
Élika alla s’asseoir près d’Eren, sans un mot. Ce simple geste fit serrer la mâchoire de Kael. Il détourna les yeux, le regard sombre, et se mit à tapoter nerveusement du bout des doigts sur sa cuisse.
Un instant plus tard, Mira fit irruption dans le salon, les bras chargés d’un grand plateau garni d’en-cas fumants et de boissons aux teintes étranges. Des vapeurs sucrées s’en échappaient, contrastant avec l’atmosphère pesante de la pièce.
Personne ne parla. Comme si les mots eux-mêmes étaient trop lourds à porter. La journée avait vidé chacun d’eux, à sa manière.
La maison vibra soudain, secouée par une nouvelle bourrasque. Une plainte grave monta dans les poutres, semblable à un grondement sourd. Le monde dehors semblait aussi tendu que ceux rassemblés ici.
— Les autres ne viennent pas ? demanda soudain Ayra à sa tante, rompant le silence.
— Ils ont préféré manger plus tôt. Chacun avait encore du travail, répondit Mira en posant doucement le plateau.
— D’accord… souffla Ayra, avant de se lever. Sans un mot de plus, elle se dirigea vers la fenêtre. Elle y planta son regard, perdu dans l’obscurité ruisselante.
Kael l’observa un instant. Il n’avait pas envie de la laisser s’éloigner ainsi, comme si rien ne s’était passé entre eux. Il capta au passage quelques bribes de conversation entre Eren et Élika : des histoires de péripéties, de tronc d’arbre… visiblement, la journée avait été mouvementée pour tout le monde.
Il s’approcha d’Ayra et s’arrêta à ses côtés, regardant à son tour la pluie battante s’écraser contre les vitres.
— L’enfer est sur terre, dit-il d’un ton calme.
Ayra sursauta, comme frappée de plein fouet par ses mots. Elle se tourna vers lui, visiblement troublée.
— Pourquoi tu dis ça ? demanda-t-elle vivement. Sa main s’était instinctivement portée à sa poitrine. Ses yeux grands ouverts cherchaient une réponse immédiate.
— C’est un homme que j’ai croisé tout à l’heure, expliqua-t-il. Il ne cessait de crier cette phrase en boucle.
— Pourquoi as-tu l’air aussi choquée ? ajouta-t-il en l’observant attentivement.
— Pour rien, répondit-elle un peu trop vite, croisant les bras, nerveuse, en détournant de nouveau les yeux vers l’extérieur.
— Non. Ce n’est pas pour rien, Ayra. Je commence à te connaître, insista-t-il en lui attrapant doucement le bras, l’obligeant à lui faire face.
Elle soupira longuement, résignée.
— Ce monsieur… je l’ai croisé. Il était poursuivi.
Elle baissa les yeux, puis les releva vers la pluie.
— J’ai reconnu ce cri… viscéral. J’étais avec Dahlia. On s’est cachées.
Kael serra les mâchoires. Le Varnak. Elle y avait encore été confrontée. Par miracle, il ne l’avait pas repérée. Elle avait frôlé le pire.
Elle poursuivit, d’une voix plus basse :
— Je suis soulagée que ce vieux monsieur ait réussi à rejoindre Clairmont.
Ses bras étaient toujours croisés, comme une barrière instinctive, protectrice.
Kael sentit la colère monter. Pas contre elle, mais contre lui-même. Il s’en voulait. Il aurait dû être là. Il l’avait laissée seule. Elle aurait pu se faire attaquer… ou pire.
Saleté de foudre, grogna-t-il intérieurement, amer.
Il ne savait plus quoi lui répondre.
Elle avait eu peur. Et il n’avait pas été là.
Tu m’étonnes qu’elle était en colère… pensa-t-il, amer. Comment je suis censé me rattraper après ça ?
La fenêtre vibra soudain sous la force du vent.
Quelques branches fines, malmenées par la tempête, vinrent frapper la vitre, produisant un cliquetis sec et nerveux.
— Une chose est sûre, lança Mira depuis la cuisine, d’un ton sans appel : personne ne sort de cette maison ce soir !
— Mais Mira, on ne va pas abuser de ton hospitalité, protesta Eren. Kael et moi sommes plus robustes que cette satanée tempête !
— Il n’y a pas de mais qui tienne ! répliqua-t-elle sans même lever la tête.
— Bien, si tu le dis… répondit-il en haussant les épaules, presque amusé.
Kael sourit. En peu de temps, il avait compris que Mira n’était pas une femme qu’on contredisait facilement. Maternelle, oui, mais avec un sacré caractère. Il appréciait ça.
Pour alléger l’atmosphère, il se pencha vers Ayra avec un sourire en coin :
— Tu m’offres une place dans ton lit ?
Ayra le fusilla du regard, hautaine.
— C’est cela, oui ! répondit-elle avec un sourire narquois.
Il passa son bras autour de ses épaules dans un geste joueur, presque naturel.
— Allez… fit-il en la secouant doucement.
Il la sentit se raidir brièvement sous son contact. Juste un instant. Pas de rejet, pas de recul. Un frisson peut-être, une simple alerte de son corps, qu’elle ne contrôlait pas vraiment.
Elle ne dit rien, mais son sourire resta accroché à ses lèvres. Un peu forcé ? Peut-être. Pourtant, elle ne s’éloigna pas.
Et ça, Kael le remarqua.
Il sentit un regard appuyé sur eux. En se retournant, ses yeux croisèrent ceux d’Élika.
Elle le fixait d’un air sévère, presque glacial.
Ce regard… il le connaissait bien. Il lui filait toujours un frisson, comme un rappel que la grande sœur veillait, prête à dégainer au moindre faux pas. Il savait qu’elle ne le portait pas dans son cœur. Elle ne le cachait même pas. Et quelque part, il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir.
Mais ce soir, après la tempête dehors et celle en lui, il avait besoin d’évacuer la tension autrement.
Alors il la provoqua.
Un sourire en coin, il passa son autre bras autour du cou d’Ayra et l’enlaça doucement par derrière, comme s’ils observaient ensemble la pluie tomber, complices. Son menton effleura le haut de sa tête.
Ayra eut un léger sursaut de surprise mais ne bougea pas. Il sentit son cœur battre un peu plus vite.
Il tourna alors le regard vers Élika, toujours impassible, et soutint son regard comme un défi silencieux.
Qu’elle comprenne ce qu’elle voulait. Ce soir, il ne lâcherait rien.
Ayra lui donna une tape sur les bras, pas bien violente, juste assez pour signifier qu’il abusait.
— Je peux savoir ce que tu fais ?
Il se pencha légèrement et lui souffla à l’oreille, un sourire dans la voix :
— Rien… juste titiller ta sœur.
Ayra leva les yeux au ciel, faussement exaspérée.
— Tu n’es pas possible !
Mais elle riait. Son rire léger, spontané, fit naître une chaleur familière dans la poitrine de Kael.
Une petite victoire.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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