Chapitre 34

Notes de l’auteur : MAJ : seconde partie du chapitre précédent. Nous continuons à suivre Elara et Lirion.
ça sera leur dernier chapitre dans le premier tome

Palais de la mer éternelle, Citée d'Ys – Brocéliande

 

— Bonjour Aeronwy ! salua Elara en entrant dans le laboratoire de la Harpie aux cheveux flamboyants.

Aeronwy leva les yeux de son travail et se précipita pour l’accueillir.

— Je suis ravie de te revoir aussi vite. Un Korrigan qui était dans la salle du trône est venu me raconter ce qu’il s’est passé cet après-midi. Certains vieux Brocéliandins ont dû être choqués par tant d’insolence.

— Je ne suis pas devenue une grande conférencière en restant muette. Et rien de tel que de jauger la situation au palais en provoquant l’assemblée.

— Et qu’as-tu appris ?

— En un coup d’œil, j’ai pu voir qui semblait m’apprécier, qui ne se positionne pas et qui ressent de l’animosité à mon égard. C’est un début.

— Tu es terrifiante…

— Je suis anthropologue. C’est mon travail d’observer et d’analyser. D’ailleurs, ce sera ma mission au Palais en tant que consultante. Après notre discussion avec la Reine, nous avons mieux défini mon rôle.

— Nous aurons l’occasion de nous voir régulièrement. Je suis contente qu’il y ait enfin une humaine qui travaille au Palais, comme autrefois.

— Je suppose que ces humains ne sont plus de ce monde, si ça date d’avant la fermeture du pays. Est-ce qu'il reste des traces d’eux ?

— J’ai des échantillons de descendants d’humains, mais à part ça, il faudra chercher à Avendel.

— Il me faudrait un logement là-bas… répliqua Elara, pensive.

— Bon courage pour faire accepter l’idée à Lirion. Les Hoper ont beaucoup de mal à rester loin de leur compagne ; ça devient presque une obsession.

— J’envisageais simplement d’avoir une chambre pour quelques jours, si nécessaire. Je ne compte pas habiter seule. Je pourrai synchroniser mes absences avec les moments où il part en mission. Je ne pense pas que ça lui posera de problème.

Un petit ricanement retentit alors qu’un Hoper aux cheveux blond platine et teint hâlé entrait dans la pièce.

— Je suis prêt à prendre les paris, répondit Mael avec son habituel sourire jovial.

— Bonjour Mael ! Je vais vous laisser, répondit Elara, observant les échanges de regards entre le Hoper et la Harpie. À la prochaine fois !

La brunette décida de faire un tour dans son futur lieu de travail pendant que Lirion était occupé avec d’autres gardiens. Elle se dirigea vers la salle Kestell Coed, un des lieux emblématiques du palais qu’elle avait hâte d’admirer.

Cette salle monumentale, de forme arrondie, était surplombée d’un dôme en verre avec en son centre un arbre gigantesque. Elle servait à la fois de salle de rassemblement, de hall et d’espace de repos, et grouillait généralement de monde, d’après les livres d’Alenvel.

Sur place, Elara fut sans surprise époustouflée par la grandeur du lieu. Des milliers d’oiseaux et de fées occupaient l’arbre, et elle laissa son regard vagabonder pour observer la foule : Sylvestres, Draobs, Harpies, Korrigans, et bien d’autres évoluaient dans cet espace comme dans une fourmilière.

Un détail attira son attention : une jeune femme brune, assise sur un banc, semblait mal à l’aise et regardait souvent vers l’extérieur. Elle ressemblait à une humaine. Elara, intriguée, se dirigea rapidement vers elle. Une humaine dans le palais, gardée par un Teirionnour aux cheveux blond pâle, l’un des Aevarn au service de la Reine, c’était suspect, surtout que personne ne lui en avait parlé, ni Aeronwy, ni la Reine.

Le garde fixa un instant Elara avant de la laisser passer. Elle s'installa face à la jeune humaine.

— Bonjour, ça vous dérange si je m’installe ici ?

La jeune femme leva deux grands yeux bleus, surprise.

— Oh ! Vous êtes une...

— Une humaine, effectivement. Je m’appelle Elara Ziani, bientôt Drindod.

— Noémie Cavalier, répondit-elle en lui serrant la main alors qu’Elara s’asseyait à côté d’elle.

— Comment êtes-vous arrivée en Brocéliande, si ce n’est pas trop indiscret ? demanda Elara avec douceur.

— C’était un accident. J’ai failli me noyer et Calys m’a trouvée… Mais en ce moment je suis ici. Je crois que mes amies sont aussi dans ce monde, enfin, j’espère. On m’a dit que je ne peux pas les chercher pour ma sécurité, expliqua Noémie, les yeux chargés d’émotion.

Elara observa la jeune femme. Elle devait avoir une vingtaine d’années et semblait être une victime des fameuses failles. Elle hésitait à faire des promesses à Noémie concernant ses amies, car elles pourraient avoir connu un destin tragique comme les humains d’il y a 40 ans. Elle préféra garder le silence sur ce point pour l’instant, se promettant de lui en parler quand elle en saurait plus. Elles auraient l’occasion de se revoir puisqu’Elara allait passer du temps au Palais.

— Si la Reine vous a assigné un garde, il doit y avoir de bonnes raisons. Mais si vous voulez discuter un peu, ce sera avec plaisir en attendant le retour de mon compagnon.

— Votre petit ami vient d’ici ? demanda timidement Noémie.

— Oui, répondit Elara avec un sourire. C’est un Hoper. Nous allons nous marier.

— Vous êtes heureuse ici ? Vous n'avez pas peur ?

— Je vais travailler au Palais et Lirion est un amour. Donc, non, je n'ai pas peur. Mais certains Brocéliandins n'apprécient pas les humains, et je ne dirais pas que le royaume est sûr actuellement. Vous avez quelqu'un sur qui compter ici ?

— J’ai Calys… je crois. Je ne sais pas. Je pense qu’il m’aime, il a dit qu’il me protégerait. Mais mes amies me manquent, ma famille aussi. Je devrais être contente d’être en sécurité ici, mais je me sens un peu perdue et il me manque lui aussi, s'emballa Noémie avant de baisser les yeux. Je suis désolée de vous embêter avec mes histoires.

— Vous ne m'embêtez pas, répondit Elara en apercevant Lirion qui lui faisait signe de loin. Nous pourrons discuter la prochaine fois que je viens au Palais, si vous voulez.

— Oui, ça me ferait plaisir ! sourit la jeune femme.

Lirion salua brièvement Noémie, qui lui répondit par un sourire timide, puis prit Elara par la main pour l'emmener à l'extérieur du Palais.

— Lirion, il faudra que je me renseigne sur les humains actuellement en Brocéliande… Noémie recherche ses amies.

— Mael vient de me dire qu’une des résidences Pennel a installé un camp pour regrouper certains humains qu’ils trouvent.

— Tu penses que je pourrais aller voir ? Ça m’inquiète.

— Je lui demanderai demain. Pour l’instant, rentrons. La journée a été chargée.

Elara acquiesça, et ils se dirigèrent vers leur destination pour la soirée : un hôtel huppé près de la muraille de la cité d’Ys.

Lirion devait donner un concert dans le hall de l'hôtel, en remerciement pour la superbe suite que la tenancière avait préparée pour eux cette nuit. Elara, assise dans une alcôve confortable, écoutait avec plaisir Lirion chanter et jouer, reconnaissante envers l'univers pour cette rencontre qui avait changé sa vie et qui transformerait son futur. Après sa discussion avec Noémie, elle réalisait sa chance inouïe.

Après leur repas, ils découvrirent que leur chambre était la plus haute de la cité des oiseaux, offrant une vue imprenable. Une multitude de nichoirs s’étendaient au-dessus de leur tête dans des tours couvertes de végétation, où des vignes et des fruits entrelacés retombaient en grappes. Un Tylwyth Teg rouge se délectait d’un fruit juste au-dessus d’une passerelle partant de leur terrasse et reliée à la muraille de la ville.

— Tu veux voir la mer ? demanda Lirion, le visage serein.

Elara acquiesça en souriant et traversa avec lui la passerelle qui vacillait avec le vent.

— Heureusement que je n'ai pas le vertige ! C'est très haut.

— Je m'étais préparé à te porter, je suis presque déçu, répondit-il en souriant.

— Je sais que tu ne l'es pas. Tu n'aimes pas quand j'ai peur.

Elle lui rendit son sourire alors que leurs doigts s'entrecroisaient plus fermement.

— J'ai demandé une chambre reliée à la muraille. Le coucher de soleil est spectaculaire ici. J'y venais souvent quand j'étais plus jeune, pour me changer les idées.

ls s'installèrent pour admirer le coucher de soleil tandis que la mer se levait, ses vagues s’écrasant contre les rochers en contrebas. La vision du soleil plongeant dans l’horizon rougeoyant, accompagnée du bruit fracassant des vagues, était à la fois sublime et sauvage. Une tempête se levait, obscurcissant le ciel avant que la mer n'engloutisse le soleil couchant, et Elara sentit un frisson la parcourir. Elle se couvrit les épaules d'une étole qu'elle avait prise dans la chambre, tandis que Lirion levait le nez, semblant capter quelque chose dans l'air.

— Quelqu'un a besoin d'être apaisé… dit-il.

— C’est loin d’ici ? demanda Elara.

— Sur la côte, par là-bas ! Il désigna une direction de la main. C’est le domaine Dourgrenad. Je pense que c’est le gardien, vu la puissance qu'il dégage. Il n’était pas présent à notre réunion aujourd’hui.

Elle prit son visage entre ses mains et l’attira pour l’embrasser.

— Je vois que ça t'inquiète. Vas-y, je t’attendrai à l'hôtel. Ne prends pas de risques inconsidérés.

Il hocha la tête et se mit à courir avant de se métamorphoser en Hoper, fendant l’air à une allure impressionnante. Elara le regarda s’éloigner alors que le vent se levait, puis se dépêcha de retourner à leur chambre avant que la passerelle ne devienne impraticable à cause des rafales.

Elle ne parvint à se réchauffer qu’après un bain chaud et attendit le retour de Lirion. La tempête faisait rage dehors, et elle sentait l'inquiétude monter en elle. Enroulée dans une couverture, elle entrouvrit la fenêtre pour écouter les râles du vent. Ses paupières commençaient à brûler de fatigue lorsque l'ombre reconnaissable du Hoper se posa devant elle.

Elle se redressa brusquement pour l'aider à entrer, et alors qu'il retrouvait sa forme humaine, elle le serra contre elle, consciente de la gravité de son expression.

— Il est dans un terrible état, le cœur brisé, murmura Lirion, encore essoufflé. Il commençait à devenir violent. Je n’ai rien pu faire pour le calmer.

Elara lui caressa doucement le dos, cherchant à apaiser son souffle erratique.

— Tu ne peux pas effacer la souffrance si elle est trop vive, dit-elle. Ne culpabilise pas. Je sais que tu as fait de ton mieux.

— C'est ma mission... répondit-il, la voix tremblante.

Ils se blottirent l’un contre l’autre sur le lit, Lirion jouant distraitement avec les longs cheveux encore humides d’Elara.

— Nous irons le voir demain, si tu veux, proposa-t-elle. Peut-être que je pourrais lui parler ?

— Oui, acquiesça-t-il faiblement. Tu sais, pendant un instant, j'ai imaginé ce que ce serait si tu retournais sur Terre pour de bon.

Elle sentit sa vulnérabilité, détestant le voir si désemparé alors qu’il donnait tant pour les autres, pour elle, l’aidant à se relever de la tristesse qui l'avait rongée depuis un an. Elle saisit sa main et embrassa tendrement ses jointures.

— Lirion, je t'aime. Ne sois pas triste, s'il te plaît. Je ne pars pas. On trouvera une solution pour ce gardien.

Il la serra plus fort, enfouissant son visage dans son cou pour y déposer un baiser.

— J'ai besoin de toi, murmura-t-il, la voix tremblante, sa tête reposant dans le creux de l'épaule d'Elara.

— Moi aussi, j'ai besoin de toi, répondit-elle en sentant les larmes de Lirion mouiller son cou.

Elle le serra fermement contre elle, lui murmurant des mots doux pendant de longues minutes, jusqu’à ce qu’il retrouve un peu de calme.

— Et tu vas devoir me supporter pendant de nombreuses années, reprit-elle doucement. Avec la longévité que je vais acquérir en vivant en Brocéliande.

Elle l'entendit pouffer de rire dans son cou entre deux reniflements.

— Tu n’as pas le droit de me faire rire, gloussa Lirion, chassant ses larmes du revers de sa main en redressant sa tête.

— Ne t’en fais pas, tu es toujours aussi attirant, même avec le visage gonflé et les yeux injectés de sang, le taquina-t-elle.

Il lui lança un sourire éblouissant qu’elle lui rendit.

— Dormons, ma chérie. Avec tous les projets que tu as en tête, il nous faudra bien plusieurs vies pour tout accomplir !

— Commençons déjà par demain : retourner voir le gardien, nous renseigner sur les humains, mon audience avec la Reine, et s’il reste du temps, tu pourras m’abreuver d’hydromel et me chanter une sérénade, répondit-elle en riant.

Il la regarda de ses yeux ambrés, rayonnant comme le plus heureux des Hoper que Brocéliande ait vu naître.

 

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