- Quelle est ta motivation ? demanda Stéphane à Hélène.
- La haine, répondit-elle. Les Vampires m’ont tout pris. Mes parents, mon frère, ma vie, mon libre-arbitre, mon avenir, ma liberté. Je veux qu’ils meurent, tous. À chaque dénonciation, j’ai un énorme regret : celui de savoir que deux fois sur trois, ma cible survit. Je me fiche des éventuels dommages collatéraux. Si ma route devait croiser celle de chasseurs de Vampires, je leur dévoilerai tout ce que je sais, je leur ferai profiter de mes connaissances, de mon expérience, de mon savoir, de l’intégralité des outils mis à ma disposition.
Hélène vit dans le regard de Stéphane qu'il était très en colère. Elle était dans une pièce close avec un Vampire qui avait envie de la mettre en pièce mais elle devait le faire.
- C'est pour ça que je ne pourrais jamais vivre avec toi, Stéphane. La présence d'un Vampire m'est insupportable. Le simple fait que tu existes m'est insupportable. J'ai trouvé la force de te dénoncer dans cette haine. C'est la seule chose qui m'a permis de survivre. Je déteste les sentiments que j'ai pour toi et je veux juste les oublier parce que jamais je ne pourrai vivre avec toi.
Stéphane se calma soudain. Il observa Hélène et sourit.
- Écoute-moi bien. Tu vas vivre avec moi. Un jour, on va se marier et avoir des enfants.
- Tu n'as pas entendu ce que…
- Tu ne dois jamais répéter ce que tu viens de me dire. Si tu n'es pas morte, ça veut dire que Pandore a décidé de ne pas écouter et il faut en profiter. Je choisis de te faire du chantage.
- Quoi ? s'exclama Hélène.
- Ce que tu viens de me dire devrait te valoir la peine de mort, tu en es consciente. Je le garderai pour moi à la condition qu'on vive ensemble. Je veux que tu fasses en sorte que je devienne invisible et Mickaël aussi. Nous prendrons toutes tes critiques et remarques avec circonspection. Ta parole sera d'or. En échange, ni toi ni moi ne parlerons de cette conversation. Elle n'a d'ailleurs jamais existé.
Hélène se demanda, une fraction de seconde, si Stéphane bluffait. Serait-il vraiment capable de la dénoncer, la condamnant ainsi à mort, alors qu'il l'aimait ? Sa formation lui revint et la réponse la frappa de plein fouet. Bien sûr qu'il pourrait. Il la tuerait même de ses mains sans éprouver le moindre remord.
- D'accord, dit Hélène en comprenant qu'elle n'avait pas le choix.
- Parfait. On va faire les choses lentement, hein ! On sort d'abord ensemble, après on verra pour emménager ensemble, tout ça. À partir du moment où j'aurai quitté cette pièce, je veux que tu me considère comme ton petit-ami et comme rien d'autre. Tu auras donc le droit de me crier dessus, de m'engueuler ou de m'embrasser, selon la situation. La seule chose que tu n'auras jamais le droit de faire, c'est me quitter. Je te veux près de moi et crois-moi, je te surveillerai de près.
Hélène hocha la tête. Stéphane se leva. Lorsqu'il passa à côté d'elle, il murmura :
- Ne m'oblige pas à te tuer. Ça serait du gâchis. Je t'aime.
Stéphane sortit et Hélène fondit en larmes. Pas une seule seconde elle n'avait imaginé que Stéphane réagirait de cette façon. Elle avait espéré qu'il la détesterait, suffisamment pour ne plus l'aimer et s'éloigner d'elle.
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- Elle dort, annonça Stéphane en entrant dans la chambre.
Hélène sourit. Avoir un mari Vampire avait ses avantages : il n'était jamais fatigué et ne perdait donc jamais ses nerfs, même face à leur fille difficile. Pour la seconde fois en trois jours, Émilie avait fait croire de dormir puis avait sorti la console de jeux pour finir sa partie sous les couvertures. L'oreille aiguisée de Stéphane l'avait captée et Émilie avait eu droit à un savon paternel ainsi qu'à une semaine supplémentaire sans sortie.
À douze ans, Émilie entrait dans l'âge difficile. Hélène n'avait jamais eu la chance d'être une enfant normale à douze ans. Elle avait déjà perdu son frère et ses parents. Émilie ne se rendait pas compte de la chance qu'elle avait. Cyril, son petit frère, était un enfant très sage mais à huit ans, il était normal qu'il le soit encore. Tous deux étaient élevés à plein temps par Stéphane qui était père au foyer depuis la naissance d'Émilie. Hélène rapportant largement assez d'argent, Stéphane avait quitté son travail pour se consacrer à sa famille.
Stéphane rejoignit sa femme. Depuis dix-huit ans, le couple vivait heureux, Hélène s'étant doucement faite à l'idée de vivre avec Stéphane. Le Vampire lui avait laissé le temps dont elle avait besoin et finalement, Hélène était parvenue, malgré la terreur, à écouter son cœur. Après tout, elle aimait le jeune homme d'un amour sincère. Vivre avec lui n'était pas trop difficile.
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- Stéphane demande votre présence, indiqua une voix artificielle.
Hélène cligna des yeux. Elle rêvassait. L'annonce venait de la sortir de ses pensées. Elle se leva et sortit pour trouver son mari devant le portail menant au bâtiment où elle travaillait.
- Que fais-tu là ? s'exclama-t-elle surprise.
- Il est presque minuit. Je m'inquiète, figure-toi, et les enfants aussi.
Hélène grimaça. Elle n'avait pas vu le temps passer.
- Tu travailles trop, l'accusa Stéphane. Rentre à la maison. Tes clients seront toujours là demain.
Hélène leva les yeux au ciel.
- Je vais chercher mes affaires et j'arrive, continua-t-elle en soupirant.
- Qu'est-ce qu'il y a ? s'exclama Stéphane. Je t'ai dérangée en pleine recherche ou quoi ?
- Elle ne travaillait pas, indiqua la voix artificielle.
- Merci, ironisa Hélène en retour.
- Tu matais du porno ? proposa Stéphane un peu incrédule.
- Non, répondit Hélène agacée.
- Alors quoi ? Tu faisais quoi au bureau si tard si tu ne bossais pas ?
- Elle pensait, répondit la voix artificielle. Elle fait beaucoup ça depuis quelques temps.
Hélène soupira de plus belle.
- Réfléchir m'est interdit ? ironisa Hélène.
- J'aimerais entrer, indiqua Stéphane.
- Non, répondit Hélène.
- Autorisation accordée, dit la voix artificielle.
Le soupir d'Hélène fut encore plus marqué que les précédents. Elle suivit son mari à l'intérieur. Il attendit que la porte se ferme et que les sécurités soient en place pour parler.
- Rassure-moi, commença Stéphane, tu travailles de temps en temps ?
Hélène ne répondit rien, se contentant de lever silencieusement les épaules.
- Douze dénonciations cette année, indiqua la voix artificielle. Même nombre l'année précédente.
Hélène vit Stéphane se détendre. L'annonce semblait l'avoir rassuré.
- Deux cent quatre-vingt il y a trois ans, quatre cent trente-sept il y a quatre ans.
- Quoi ? hurla Stéphane.
Il regarda Hélène, un instant totalement ahuri, dans une confusion totale.
- Attends, tu déconnes là ? lança-t-il en direction du plafond.
- Je ne fais que te transmettre des données, répliqua la voix artificielle.
- Non mais… Elle ne peut pas dénoncer plus d'un Vampire par jour, lança Stéphane. C'est tout simplement impossible. Tu as dû te tromper.
- Mes données sont correctes, gronda la voix sans cacher son exaspération.
Stéphane resta un instant muet, ouvrant et fermant la bouche, ignorant totalement comment réagir.
- Tu… Tu as… Tu es… Euh… Comment se fait-il que le nombre ait à ce point diminué ces deux dernières années ? choisit finalement de dire Stéphane.
Hélène se mura dans le silence. Tenter de mentir serait vain et stupide. En ne disant rien, elle évitait tout conflit. Stéphane la regarda, cherchant visiblement un moyen légal de la faire parler.
- Fais venir Pandore, s'il te plaît, finit-il par lancer.
- Demande en cours de traitement, répondit la voix artificielle.
- Tu ne peux pas parler normalement ? cracha Stéphane. T'es pas une putain de machine !
- Va chier, répondit la voix sur un ton encore plus mécanique que d'habitude.
Le silence fut total pendant l'attente. La porte s'ouvrit pour dévoiler Pandore qui la referma avec soin.
- Quel est le problème ? demanda-t-il.
- Elle ne travaille plus et je veux savoir pourquoi, indiqua Stéphane. N'ayant pas le droit de m'en prendre en elle, pourrais-tu je te prie la faire parler ?
Pandore regarda sa protégée, soupira, puis indiqua :
- Je pense qu'on me l'aurait dit si elle ne venait plus au travail. De plus, elle est au travail, à minuit passé.
- Passer de plus d'une dénonciation par jour à seulement une par mois me semble assez bien correspondre à "ne plus travailler".
- Plus d'une par jour ? répéta Pandore. Comment réalises-tu ce miracle ? C'est extraordinaire !
Hélène et Stéphane soupirèrent ensemble.
- On s'en fout ! s'exclama Stéphane. Elle refuse de travailler, c'est ça l'important.
- Elle a dénoncé un Vampire par mois, répéta Pandore. J'appelle ça travailler. Une par mois… C'est bien plus que tous les sherva dont j'ai pu entendre parler. Tu n'arrives plus à trouver de Vampires ? Ils apprennent de leurs erreurs et deviennent enfin invisibles ? C'est pour ça que le nombre de dénonciations diminue ?
Hélène ne répondit pas.
- Elle refuse de parler, rappela Stéphane en montrant Hélène, fermée comme une huître.
- Elle n'a pas besoin de parler, précisa Pandore. Son attitude me montre que je suis très loin de la plaque.
Hélène grimaça. Elle connaissait les capacités de Vampires et ne doutait pas que ses battements cardiaques, sa respiration, ses micro réactions ou la dilatation de sa pupille pouvaient offrir à son mentor ce qu'elle refusait de lui dire.
- Tu trouves toujours aussi aisément des Vampires, dit Pandore avant de hocher la tête sans pour autant que Hélène n'ait eu l'impression d'avoir confirmé quoi que ce soit. Tu ne les dénonces donc pas.
- Quoi ? s'écria Stéphane. Tu as trouvé des Vampires sans pour autant les dénoncer ? Mais pourquoi ? C'est une mise en danger flagrante de toute notre communauté. C'est surtout une occasion de moins pour toi de tuer l'un de nous. Je croyais que c'était ta motivation principale.
- Elle a changé, dit Pandore. Autre chose la fait venir chaque matin.
Hélène serra les poings. Même silencieuse, ils parvenaient à obtenir d'elle des réponses qu'elle ne souhaitait pas transmettre. Elle détestait ces gars tout en les admirant. Leur perspicacité et leur capacité d'observation étaient ahurissantes. Les voir lire littéralement dans ses pensées l'abasourdissait.
- As-tu transmis ces noms à des chasseurs de Vampires ? demanda Stéphane. Non, ok, non, continua-t-il alors qu'Hélène ne disait toujours rien.
- As-tu gardé une trace des Vampires trouvés non dénoncés… oui, dans ton bureau, poursuivit Pandore.
Hélène grinça des dents. Elle n'avait strictement rien dit, faisait tout son possible pour se contrôler et pourtant, ils lisaient en elle comme dans un livre ouvert.
- Vous n'allez pas voir ? s'étonna Stéphane.
- Je n'ai ni l'envie, ni la compétence pour fouiller des millions de lignes de code et de fichiers cryptés à la recherche d'une donnée en particulier. De plus, le nom des Vampires en question m'indiffère. Je ne souhaite pas personnellement obtenir cette information.
- Il faut prévenir Gilles, annonça gravement Stéphane.
- J’en conclus que tu n’étais pas à Chichen Itza la semaine dernière et que l’information ne t’est pas encore arrivée, lança Pandore en regardant Stéphane.
- Je n’y ai pas mis les pieds depuis une cinquantaine d’années, pourquoi ?
- Gilles s’est soumis devant Chris. Il a quitté les temples anciens. Une bonne partie des avertis l’a suivi. Ceux qui restent sont désœuvrés.
- Chris ? répéta Stéphane.
- Le premier Vampire, annonça Pandore en hochant la tête. Nous parlons bien du même.
- Comment gérez-vous la situation ? s’exclama Stéphane. Ça doit être la folie du côté des formateurs sherva et des miliciens !
- Stéphane, ça fait déjà douze ans que je suis un sujet de Sa Majesté. Tous les formateurs et les miliciens ont changé d’allégeance depuis un moment. J’étais un des derniers.
Le mari d’Hélène en eut le souffle coupé. Hélène était terrorisée de se trouver ainsi face à deux Vampires clairement en opposition.
- Pourquoi ? Pourquoi ? hurla Stéphane. Pourquoi as-tu trahi les tiens !
- Parce que Chris est un chef prodigieux, indiqua Pandore. Gilles ne participait jamais aux réunions. Il n’en a jamais rien eu à foutre des sherva.
- Parce que Malika, c’était mieux ? Elle parlait dans le vide.
- Quels ont été les changements liés à ce changement d’allégeance ? interrogea Hélène.
- Quoi ? dit Pandore et Stéphane se tut, boudeur.
- Vous venez de dire que l’affiliation des sherva a changé, sans que je le sache, depuis plus d’une dizaine d’années. Je n’ai, pour ma part, vu aucun changement.
Pandore sembla très gêné. Il se tortilla de malaise.