Chapitre 34 : Les supplices du Fleuve

Le Grand Fleuve des Rêves prenait sa source dans les profondeurs de Ginnungagap, le gouffre né de la collision des terres incandescentes de Musspelheim et des montagnes gelées de Jötunheim. Il jaillissait d'entre les roches, puissant et magnifique, propageant dans son courant la douleur des Géants brûlés et celles des Démons noyés. Leurs sangs entremêlés sillonnaient les Sept autres Royaumes, tel un réseau de veines nourrissant les organes d'un titan.

Leur complainte attirait les âmes exténuées des Vivants, qui, à la nuit tombée, se confiaient au flot noirci par le sacrifice. Le Fleuve les entraînait, aussi aisément que l'océan balaie les marins tombés de leur navire. Pour les esprits qui trouvaient la force de se hisser à la surface, les berges révélaient ce que même les Nornes ne voyaient pas. Les désirs, les vices, les regrets, les culpabilités. Tout ce que les Vivants enterraient et n'osaient murmurer, par peur ou par fierté. Ce qu'ils nommaient Cauchemars, le Fleuve les leur imposait sans relâche. Là persistait l'héritage du Feu, celui qui ne s'éteint qu'après avoir été affronté.

Les Rêves n'en étaient que pour les âmes pures, étrangères à la souffrance, et elles se faisaient rares. Porteur de corruption, Yggdrasil tapissait le lit du Fleuve de pêchés, de fautes et de rancunes. La légèreté et le soulagement n'y étaient qu'illusoires.

Pourtant, Sygn y croyait. Enfoncée dans les ténèbres tièdes, lavée des tensions et des entorses, son corps ne pesait plus rien. Ses vêtements flottaient autour de ses membres, suspendus dans l'espace et le temps. Son cœur battait et chacune de ses percussions se propageait dans ce grand Tout qui l'accueillait. Elle était le centre de cet univers, la Déesse-Mère d'un monde stérile. Il lui était difficile de savoir jusqu'où portrait sa vision dans cette poche grise et uniforme. L'écho lointain des chants de Ginnungagap absorbait tourments et réflexions. Le Fleuve nettoyait les plaies et Sygn gagea que bientôt, elle oublierait en avoir jamais eus. Une éternité paisible se profilait.

Seulement, tel n'était pas le dessein du Grand Fleuve.

De sa brume, se détacha le spectre gracieux d'une créature familière. Le cœur de Sygn tressauta et le Fleuve gronda. C'était le grondement de la foule qui acclame son champion, l'excitation avant une apparition annoncée.

Spiegel venait d'apparaître. Huit longues nageoires avaient germé de ses flancs mais Sygn l'aurait reconnue au milieu d'une harde de mille chevaux. Spiegel avait l'aisance d'un animal marin ; ses mouvements tranquilles évoquaient ceux d'une baleine, l'ondulation délicate de sa crinière, celle de la chevelure d'une sirène. Un voile tissé d'écume et d'algues diaphanes soulignait sa nage, sa danse posée sur la voix du Fleuve.

Plus que tout, Sygn désirait l'étreindre et ressentir la chaleur de son large poitrail. Le Fleuve se mit à battre lourdement contre ses oreilles. Elle n'y parvenait pas. Spiegel était un insaisissable fantôme et elle, une statue qui s'enfonçait, appesantie par d'imprononçables excuses. Les larmes qui salaient ses joues pouvaient être les siennes ou celles des Géants et des Démons. Le Fleuve la confinait avec ses regrets, lui volait sa tristesse et la privait d'indulgence. Son eau n'était peut-être faite que de cela. De tout ce qu'elle avait perdu et qu'elle ne pouvait plus retrouver. Siegfried l'attendait peut-être au fond de l'eau. Peut-être avait-il envoyé Spiegel pour la guider jusqu'à lui. Peut-être la regrettait-il ? Peut-être l'attendait-il à la Maison-dans-l'Arbre. Peut-être avait-il abandonné ses grandes ambitions.

Le ballet de Spiegel s’estompa. La jument se tenait suspendue aux côtés de sa cavalière. Les bulles d'air soufflées par ses naseaux remontaient lentement, claires et rondes comme des lampions montant vers le ciel. Là-haut, se distinguait le halo clair d'une lune qui brillait jusque dans ses yeux, que le monde des Vivants gorgeait constamment de ténèbres.

Pendant de longs instants, Sygn ne fit que contempler les maigres filets d'argent qui transperçaient l'eau. Elle imaginait ce grand œil, ouvert et blanc, appartenant au premier Géant Ymir ou à l'Ancien dieu Yggdrasil. Veilleur ou Juge mais détenteur de toutes les réponses.

Son regard se porta sur Spiegel. L'immuable fidélité de la jument lui brisait le cœur. Elle comptait s'éloigner et c'était comme si, en retour, Spiegel n'avait aucun reproche à lui adresser.

Le vrombissement du Fleuve s'atténua.

Sygn esquissa un premier mouvement. Un maigre courant glissa le long de ses côtes. A la brasse suivante, ses bras et ses jambes repoussèrent le fond avec plus de force. Le ciel ne se rapprocha pas pour autant. L'Oeil la narguait. Pour autant, elle ne renonça pas à le défier. Remonter à la surface était la seule chose à faire, elle l'avait déjà accomplie, elle s'en souvenait maintenant, alors elle pouvait bien recommencer.

Elle progressa, peut-être de quelques mètres, qu'elle perdait plus vite qu'elle ne les avait gagnés. Son corps tout entier se démenait mais ses vêtements gonflés l'étranglaient. Alors que le découragement aurait dû survenir, une poussée la projeta soudainement en avant.

Du bout du nez, Spiegel repoussa sa Sorcière jusqu'à entendre son souffle de Vivante brasser toute l'énergie du monde en une seule bouffée.

L'herbe lui piquait les mains et les genoux mais Sygn resta agenouillée, échine courbée dans l'attente de son procès. Le grand œil dans le ciel battit le temps de laisser passer un nuage. Une fois qu'il fut passé, aucun courroux ne s'abattit. L'heure n'était pas encore venue, comprit-elle en se redressant. Les courbatures figées par l'hiver l'assaillirent toutes en même temps et ce fût là le seul châtiment de son audace.

Et c'est alors que lui revint l'accord passé avec Loki.

Lui, qui aurait dû se trouver là et qui n'y était pas.

Étrangement, son absence ne lui inspira ni agacement ni déception. Loki avait parlé de cauchemars terribles, hérités d'une vie longue et de rencontres cruelles et ici, à la surface, les gémissements endoloris remplaçaient les chants maussades.

Tête baissée, Sygn s'élança sur le sentier qui longeait la berge, sans se donner la possibilité d'hésiter. Ils avaient un accord.

Une brûlure vive lui dévora les tibias en quelques minutes. Elle serrait les poings pour l'étouffer, chassant ses craintes comme elle aurait chassé une nuée de mouches ; et comme une nuée de mouches, elles revenaient à la charge, plus excitées encore. Et si l'image de Siegfried se dessinait sur l'autre rive ? Et si Lazare ? Et si Spiegel ? Et si Torunn ? Si elle croisait encore son expression terrifiée par la vision du trépas de son fils ? Ses pas s'accéléraient. Les voix stridentes d'une chorale composée de souffrances et de suppliques grinçaient sur ses os.

Elles provenaient d'une caverne.

 

Les membres cloués sur autel par le poids de ses entraves, Loki se débattait à grands cris. Son visage bouillonnait. Cloque après cloque, la chair fondue éclaboussait ses épaules. L'acide avait réduit la masse rousse de sa chevelure à quelques poignées de braises effritées, autour desquelles sursautaient les étincelles quand sa tête heurtait la pierre. Ses veines et ses nerfs se nécrosaient sous sa peau craquelée, sur le point de se à briser comme la coquille d'un œuf. Un mélange des larmes, de bile et de sueur recouvrait Loki, attirant à lui la poussière fumante de la caverne. Le supplice punissait ses actes, il accablait aussi sa nature d'une terrifiante laideur qui lui donnait l'air d'un animal enragé, dénué d'intelligence. La douleur l'en avait spolié et, non repue de son esprit, elle jouait à déchiqueter son corps.

A ce cauchemar, il ne manquait rien. La souffrance irradiait au plus profond de ses os brisés, la chaleur putride l'étouffait et au-dessus de lui, enroulé à un relief de la caverne, le serpent crachait son venin, heureux de récolter les hurlements du condamné, tic-tac sordide d'une horloge organique devenue folle.

Loki ressentait les minuscules dents de l'acide, rongeant les tissus qui se reconstruisaient d'eux-mêmes. Lorsqu'elles ralentissaient, qu'il reprenait enfin son souffle, une nouvelle vague l'engloutissait. Loki donna satisfaction à son bourreau jusqu'à ce que la brûlure dans sa gorge n'achève de consumer sa voix. Les larmes n'apaisaient en rien le mal, bien au contraire, elles jetaient du sel sur les plaies.

Les secondes s'écoulèrent.

La langue bifide du reptile ne siffla pas entre ses crochets.

Sur le visage de Loki, seule une affreuse démangeaison s'étendait, endiguant peu à peu la terrible brûlure de l'acide. Avec prudence, il rouvrit les yeux. Il n'eut pas à les plisser à cause de l'éblouissante danse des flammes. Une ombre fraîche l'enveloppait. Sygn, bras tendus au-dessus de sa tête, recueillait le venin dans un bol.

Loki ne put que contempler son ombre soyeuse. Il n'osa pas l'interpeler car il savait que de sa bouche, ne ruissellerait qu'un répugnant filets de glaires. Il ne voulait pas qu'elle s'en aille. Il la voulait auprès de lui aussi longtemps que cela durerait. Quand elle lui adressa un regard, il n'eut aucune certitude qu'il ne s'agissait pas là d'une nouvelle ruse, d'un nouveau tour destiné à lui faire croire à une trêve pour mieux l'achever. Sa poitrine se gonflait et s'affaissait rapidement, ramenant autant d'air neuf dans ses muscles pétris de crampes que possible.

Pourtant, le venin ne coulait plus. Il ne coulerait pas avant de remplir le bol.

« Vous êtes venue, parvint-il à dire, à bout de souffle.

— Nous avions convenu de nous retrouver, ne vous en souvenez-vous pas? »

L'épuisement chiffonnait les joues de la Sorcière. Ses bras tendus tremblaient et l'équilibre du bol semblait de plus en plus précaire.

« C'est moi qui devais vous sortir de... du..

— Du Fleuve, compléta Sygn en tournant ses yeux indulgents vers le bol à demi rempli. Ce n'est rien. J'ai réussi à en sortir, c'est ce qui compte. »

Sa mine était contrite et son teint, d'une pâleur cadavérique. L'air putride de la caverne faisait fondre ses muscles sur ses os grêles. Loki secoua vivement la tête pour chasser cette vision. Il se concentra tout entier à reformer l'image de la Sorcière, tel qu'il l'avait rencontrée dans le Jardin de Torunn. Loki invoqua le souvenir de ses joues rougies par la gêne, de ses yeux gris comme des perles de rosée et de sa silhouette plus robuste que ne le laissaient entrevoir ses couches de vêtements.

« Loki, vous devez vous lever et partir d'ici.

Le cliquetis des chaînes répondit pour le démon.

« Ecoutez-moi. Vous pouvez le faire. Faîtes-moi confiance.

— Ne voyez-vous donc pas que...

— Vos chaînes ne sont ancrées à rien ! Celui qui vous a causé ce cauchemar, il se moque de vous ! Essayez ! »

Le bol était presque plein. Le nouveau jet de venin ricocha sur la céramique et projeta un postillon sur la joue de Loki. Sygn, déjà éprouvée par les caprices du Fleuve, s'impatientait.

« Vous m'avez demandé de vous croire, c'est votre tour ! »

Loki n'y croyait pas mais il tenta de se redresser. La douleur le transperça comme une épée chauffée à blanc. Il s'agissait seulement de l'éveil brutal de muscles depuis longtemps contraints à l'immobilité. Son dos se déroula, une vertèbre à la fois, grinçantes comme les rouages d'un vieux mécanisme laissé à l'abandon.

Le bol échappa à Sygn ; il éclata à ses pieds et le venin disparut dans une brèche. Le serpent émit un sifflement victorieux, il gonfla sa gorge d'une nouvelle ration de poison et quand il cracha, Loki ne ressentit rien. Le visage crispé, il s'était attendu à encaisser une nouvelle vague qui ne vint pas.

Sygn l'avait arrêtée, d'un revers. Un simple revers qui ne lui tira aucun cri. Loki resta interdit. C'était comme se trouver minuscule derrière une digue, qui, en dépit de la fureur de l'Océan, ne tremblait pas. Elle avait bondi sur l'autel pour le protéger. Lui. Ne semblant attendre ni remerciements ni rien d'autre, elle tirait sur les chaînes qui pendaient vers le sol. Et Loki ne put que le constater de ses yeux : la Sorcière avait dit la vérité. Les chaînes ne consistaient qu'en une demi-douzaine de maillons, cliquetant les uns contre les autres. Il revit tous ses cauchemars, toutes ces heures à implorer la clémence pour un châtiment qu'il n'avait jamais envisagé de repousser.

Fébrile, il fut à peine plus consistant qu'une poupée de chiffon quand elle le tira de l'autel. Dans un vertige, il se laissa entraîner vers la sortie, manquant à chaque pas de trébucher.

Dehors, le torrent glacé de l’air hivernal figea ses poumons et engloutit l'écho de ses hurlements. Il n'y eut plus rien. Tout à coup, c'est le vide qui se répandit dans son esprit, dans son corps, dans son être tout entier. Loki se voyait, penché au-dessus de lui. Le monde vacillait sous ses pieds. Son visage moite se tourna vers Sygn et tout à coup, ses jambes se brisèrent.

Il s'éveilla, adossé au tronc d'un arbre, les poignets et les chevilles allégées du métal des chaînes. N'en persistait que la marque noire du métal.

Sygn se tenait à quelques pas, agenouillée au bord de la berge. Elle plongea un morceau d'étoffe arraché à sa propre tunique dans le Fleuve et revint, pour lui éponger le front, laver son visage de toute la souffrance qui perlait encore de ses yeux et de sa bouche.

Le regard éteint, les membres flasques, Loki voyait le mal qui le libérait enfin de son joug. Du bout des doigts, il griffait son spectre fuyant. Son torse se souleva tout à coup. La vie revenait en lui. Il effleura maladivement son visage. Intact. La brise flattait sa peau d'un doux voile. Sa fièvre chassée, il savoura cet instant de paix.

« Suis-je à redevenu beau ? » demanda-t-il à Sygn.

La Sorcière pouffa, en le lui confirmant du bout des lèvres tandis qu'elle essorait le linge.

« Le Serpent vous a touchée, se souvint Loki.

— Cela n'a pas d'importance.

— Il vous a blessée ? »

Sygn posa sur lui ce regard indulgent, plein de patience, qu'elle réservait souvent à Lokten. Lèvre pincée, elle plaça le bras devant son visage, exposant ainsi la manche de sa veste dont le cuir, était intact, lui aussi.

« Quand le venin m'a touchée, il ne m'a rien fait. Ce n'était que de l'eau. Quand le bol est tombé, la roche n'a pas fondue, elle n'a pas brûlé, elle était simplement mouillée. Ce serpent était semblable à vos chaînes. Ce cauchemar est bâti sur vos souvenirs et sur rien d'autre. Il parvient à vous atteindre parce que vous vous rappelez ce que ça fait. Une part de vous a créé ce supplice et vous êtes le seul qui puisse le défaire.

— Ne pensez-vous pas que j'ai déjà essayé ? Rétorqua Loki avec amertume. Me pensez-vous assez fou pour m'infliger ce que les Ases se complaisent déjà à me faire ?

— Je ne voulais pas dire que...

— Le Borgne ! s'écria-t-il. Le Borgne ! C'est lui qui me fait ça ! Regardez là-haut si vous ne me croyez pas ! C'est son Œil ! Son Œil Maudit ! J'aurais dû le lui crever quand j'en avais l'occasion ! »

Sygn baissa la tête tandis qu'elle enroulait son linge encore humide et le fourra dans sa poche. Elle avait la gorge nouée par l'impression d'avoir mal agi. Toutes les excuses mourraient dans sa bouche et la peur lui montait aux yeux en même temps que la colère dans la voix de Loki.

« Le Borgne est mort, murmura-t-elle. Sa Malédiction va se dissiper et vous serez bientôt libéré. Vous n'aurez plus besoin de personne.

— De tous ceux qui avaient des raisons de l'achever, j'étais celui qui en cumulais le plus ! s'écria-t-il avec furie, ses yeux révulsés transperçant le ciel. J'ai été celui qu'on a accusé et celui qu'on a cloué vivant. Pourtant, je n'ai pas touché à un seul cheveu du Vieux. Jamais. Savez-vous pourquoi ? »

Sygn secoua mollement la tête. Sa bouche tremblait à la peur de dire quoique ce soit d'autre.

« Le courroux d'Odin n'était rien face à celle dont il devait me protéger »

Un frisson lui courut des reins à la courbe de son cou. Son regard remonta le courant, attiré par la voix charmeuse qui chantait dans la langue ancienne des dieux, sur l'autre rive. Il fit un pas avant de, brutalement, se jeter au sol dans une posture pieuse et implorante.

Pieds nus dans les hautes herbes de l'autre rive, se tenait une idole vêtue d'une longue robe de lin blanc, voilant à peine sa voluptueuse nudité. Sa lourde chevelure bouclée dévalait la pointe de ses épaules et tombait de part et d'autre de sa gorge.

« L'idole à la peau dorée, marmonna Loki d'une voix étouffée, craignant d'être entendu. La chimère façonnée par les crimes d'Yggdrasil, née de la Terre et des Tempêtes. Mère de la Création et Fille de la Destruction. La confidente instruite et sauvage qui arracha tous les secrets du Seidr. Elle est la semeuse et la faucheuse. L'Enchanteresse qui par deux fois, affronta les Bûchers. Elle qui porta trois de mes enfants, gémit Loki. Elle sait ce que j'ai fait. Elle sait ce que je lui ai pris. Angrboda. »

Entièrement statique à l'exception de son bras droit, l'Enchanteresse écarta le col de sa robe. Une plaie sombre creusait la rondeur de sa poitrine.

« Je lui ai pris son cœur et elle viendra prendre le mien. Elle arrive, murmura Loki dans une complainte déchirante. Elle arrive... »

Sa grande carcasse s'enroula sur elle-même, secouée par les spasmes de la folie qui émergeait d'entre plis de son esprit. Les muscles de son visage contractés par le mal, le démon geignait :

« Empêchez-la, je vous en supplie. »

La main pâle et délicate de Sygn se fraya un chemin entre les membres recroquevillés et froids du démon, comme la silhouette prudente d'une biche entre l'ombre griffue des arbres. Une phalange à la fois, Sygn obligea Loki à desserrer le poing. Elle réchauffa le dos de sa main puis la pressa contre la peau tendue de son torse. Dessous, un organe palpitait, il bondissait, il grognait en se jetant contre les barreaux osseux de sa cage.

« Votre cœur est là, vous entendez comme il bat ? Il se démène pour se faire entendre. Ecoutez-le. Il est là et elle ne vous le prendra pas. Je ne la laisserai pas faire. »

Sur l'autre rive, le regard ardent de l'Enchanteresse embrasa le Fleuve. Sa voix s'éteignit peu et à peu et elle s'enfonça dans la brume, avec la démarche paisible de ceux qui n'ont pas encore renoncé.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez