Soreth se hissa silencieusement au-dessus de la balustrade. Même au cœur d’une nuit sans lune, être discret demandait une maîtrise parfaite de son corps et, plus encore, une patience sans limites. Car s’il était difficile d’attendre lorsqu’il ne se passait rien, c’était pire à quelques pas de deux mercenaires vigilants.
— La cloche vient de sonner deux heures et il ne s’est toujours rien produit, râla le premier spadassin du balcon en triturant la corde de son arc. Es-tu sûre que la lettre parlait d’aujourd’hui ?
— Certaine, répondit sa partenaire d’une voix lasse. Tu peux retourner la lire si tu veux, mais j’en profiterai pour prendre ta chaise. J’en ai ma claque de ce tabouret.
Le guerrier grommela sans voir l’ombre qui avançait précautionneusement dans son dos, et porta le regard sur le bâtiment en face de lui.
— Bah, on nous a engagés pour rester là de toute façon.
Il marqua une pause, passa une main sur sa barbe mal rasée et ajouta.
— Tout de même, j’aimerais savoir qui est assez riche pour nous payer plus de deux mois à ne rien faire.
— Moi pas, répliqua son interlocutrice tandis que Soreth s’accroupissait à moins d’un mètre d’elle. Ce genre d’information ne peut nous attirer que des problèmes. Surtout vu la façon dont on nous a demandé de nous occuper des fouineurs.
Le prétorien retint un sourire en dégainant silencieusement sa dague, les ennuis allaient trouver les mercenaires plus vite qu’ils le croyaient. Sans un bruit, il bondit sur la guerrière et lui frappa la tempe de son pommeau. Elle s’écroula avant d’avoir pu réagir, et il en profita pour désarmer son équipier surpris d’un coup de pied et placer sa lame sous sa gorge.
— Pas un geste, pas un mot.
Le spadassin acquiesça, effrayé par l’homme encagoulé qui se tenait devant lui, et posa ses mains sur sa tête. Soreth lui cogna aussitôt la mâchoire, l’envoyant rejoindre les rêves douloureux de sa camarade.
Il ligota ensuite les mercenaires avec les cordes de leurs arcs, les bâillonna, leur banda les yeux, et les traîna dans la pièce qu’ils occupaient depuis plusieurs jours. Une fois sûr qu’ils ne viendraient pas le déranger, et satisfait de ne pas avoir eu à les tuer, il s’approcha de la balustrade et guetta la rue à son tour.
La grande avenue était plongée dans la pénombre, et il n’y subsistait que quelques lanternes pour permettre aux patrouilles de se repérer. Théoriquement composées de soldats de Hauteroche, ni ces dernières ni le couvre-feu n’auraient dû être un obstacle pour une opération supervisée par deux capitaines de la cité. Hélas, le quartier sud était sous les ordres de Jarrett, et les troupes qu’il y avait déployées tenaient assurément plus du brigand que du militaire.
Soreth scruta l’obscurité pendant plusieurs minutes, cherchant le moindre mouvement parmi le bosquet de la place centrale, les vastes demeures qui la bordaient, et l’hospice du port à son extrémité. Haut de trois étages et long comme six maisons, le gigantesque bâtiment aux colonnes torsadées était l’un des établissements plus célèbres de la ville, de nombreux marchands fortunés y passant leurs vieux jours. Le père de Solveg, sire Hayin, avait revendu une partie de son entreprise de transport pour s’y acheter un appartement deux ans auparavant. Il s’occupait depuis à construire des miniatures et rédiger des essais sur le commerce, non sans interférer de temps à autre avec la politique de la cité.
Quand il fut convaincu que la voie était libre, le prétorien souffla dans l’appeau qui pendait à son cou.
— Hou-Hou.
Le hululement de la chouette des neiges résonna dans la nuit, puis Soreth compta jusqu’à dix et recommença deux fois.
Un instant plus tard, deux silhouettes en armure traversèrent la place et s’arrêtèrent au pied des lions de marbre qui gardaient l’hospice. À gauche le lieutenant Kakeru, reconnaissable à son bouclier ovale et au marteau de guerre qui reposait sur son épaule. À droite Malia Preris, dont la réputation à la lance avait depuis longtemps dépassé la frontière de Hauteroche.
Conscient que trois personnes ne suffiraient pas à protéger Hayin, chacun avait convenu de la nécessité d’obtenir des renforts. Solveg ne disposait d’aucun proche auquel elle pouvait se fier, mais Morgane s’était portée garante pour sa femme et Lyne avait proposé que Kakeru les rejoigne, le dévouement de l’Erellien n’étant plus à prouver. Soreth, écarté de la mission à cause de son rang, avait ensuite adjoint un éclaireur au groupe : lui-même.
Une dizaine de minutes après que les Malia et Kakeru soldats se soient installés, les portes de l’hospice s’ouvrirent et quatre ombres en descendirent les marches : Lyne, parée de son casque et de son armure de garde royale, Morgane, dont le bouclier était décoré du symbole des capitaines de Hauteroche, Solveg, ses deux lames tirées au clair, et Hayin, un manteau passé à la hâte sur son pyjama.
Les nouveaux arrivants rejoignirent rapidement leurs camarades, puis Lyne, Kakeru et Morgane se mirent en première ligne, laissant Malia et Solveg se placer autour d’Hayin à l’arrière. Ils s’élancèrent ensuite vers l’est d’un bon pas. Si tout se déroulait comme prévu, ils atteindraient la cachette la plus proche en une trentaine de minutes.
Pendant que les militaires descendaient la rue, contournant précautionneusement son bosquet et s’avançant discrètement vers le premier carrefour, Soreth s’aida de la balustrade pour grimper sur le toit du bâtiment qu’il occupait. Il se déplaça ensuite avec dextérité sur ses ardoises, que le froid et la neige avaient rendues glissantes, et rejoignit à son tour le croisement, juste au-dessus de ses équipiers accroupis.
Il s’y allongea, rampa jusqu’au rebord et jeta un bref coup d’œil en contrebas. N’y ayant rien aperçu de particulier, il répéta l’opération plus lentement et scruta minutieusement les ténèbres de l’allée. Une fois sûr de lui, il siffla trois fois pour prévenir que la voie était libre.
Tandis que ses alliés traversaient pour aller l’attendre dans l’ombre d’un nouvel édifice, Soreth se redressa, balaya les flocons accrochés à son pantalon et grimpa sur l’arête du toit afin de prendre de la hauteur. Un couple de chauves-souris effrayé s’envola à son passage, mais il n’y prêta pas attention, trop concentré sur le saut qu’il allait réaliser. Un sourire naquit tout de même sous sa cagoule quand il se rendit compte que le regard de Lyne était braqué sur lui, puis il inspira profondément et s’élança.
Il eut un instant de doute, comme à chaque fois, mais la vue des pavées fut vite remplacée par celle des ardoises enneigées, et il se réceptionna souplement sur la maison qui lui faisait face quelques secondes auparavant. Sans perdre de temps à vérifier que ses camarades étaient repartis, il enjamba une cheminée encore tiède et atteignit un nouveau croisement, plus étroit, qui menait dans une arrière-cour silencieuse. Il s’allongea et alla discrètement examiner cette dernière. L’endroit lui sembla au premier abord aussi endormi que le reste de la ville, mais un tintement étouffé attira son attention. Il se glissa alors furtivement de l’autre côté du toit afin d’avoir une meilleure vue et inspecta à nouveau la place.
Un puits occupait son centre et des appentis en chêne bordaient l’ensemble de ses murs intérieurs. En temps normal, ils devaient permettre aux habitants d’échapper aux rigueurs du climat. Pour l’instant, ils servaient à camoufler une demi-douzaine de combattants. Accroupis en deux groupes dans l’obscurité et se voulant tout aussi discrets que lui, ces derniers étaient trahis par quelques mouvements involontaires et, surtout, les cliquetis métalliques de leurs cottes de mailles.
Même s’il était soulagé d’avoir repéré l’embuscade, Soreth grimaça sous sa cagoule. Comme il le redoutait, Mascarade avait prévu leur tentative et envoyé des mercenaires expérimentés plutôt que des bandits pour tendre une embuscade à Solveg et ses alliés. Cela n’allait pas faciliter l’opération. Sans un bruit, il posa son arc dans la neige à côté de lui, y adjoignit trois flèches, et attrapa son appeau. Le premier hululement n’intéressa guère les spadassins. Le second non plus. Le prétorien n’en demandait pas plus. Il laissa retomber son sifflet contre sa poitrine, reprit son arme et encocha un premier trait.
Si Morgane avait été claire sur une chose, c’était qu’il n’y aurait pas d’affrontements sans sommation. Lancer une opération secrète dans sa ville lui faisait suffisamment horreur pour qu’elle ne veuille pas courir le risque de tuer ses troupes à cause des manigances de Mascarade.
Soreth ne mit donc pas longtemps à entendre sa voix résonner dans la ruelle qui menait à l’arrière-cour.
— À vous qui vous cachez dans l’ombre, je suis Morgane Preris, la capitaine du quartier est, et je vous ordonne de vous montrer.
Les mercenaires échangèrent des regards surpris, et une vague de murmures affolés parcourut leurs rangs : personne ne leur avait dit qui ils allaient affronter. Presque arrivée à leur niveau, l’héroïne reprit.
— Il n’y aura pas d’autres sommations. Sortez maintenant ou vous serez considérés comme hostiles à Hauteroche.
Il y eut de nouveaux chuchotements, mais aucun des spadassins ne lâcha son arme. Depuis son poste d’observation, Soreth vit l’archère du groupe encocher une flèche et soupira en pensant à ce qui allait suivre. Malgré cela, il banda son arc à son tour, visa la malheureuse, et tira pour ne pas lui laisser le temps d’en faire de même.
Le trait traversa l’épaule de sa cible, lui arrachant un cri de douleur et terrifiant ses partenaires. Soudainement conscients qu’ils n’étaient plus chasseurs mais proies, ils formèrent un cercle défensif dans la cour tandis que l’escouade de protection d’Hayin les chargeait.
Kakeru frappa le premier et déstabilisa l’un des guerriers d’un violent coup de marteau sur son bouclier. Lyne en profita pour lui perforer la cuisse, et il tomba au sol tandis que Morgane repoussait ses équipiers de plus en plus désorganisés. Derrière la capitaine, Malia fit tournoyer sa lance, et une troisième combattante chuta dans la neige rougie par le sang. Avisant une ouverture juste à côté, Soreth décocha une seconde flèche. Elle percuta l’avant-bras d’une mercenaire et l’empêcha de se protéger d’une coupe de Lyne. La malheureuse s’écroula à terre, la mâchoire fendue, rapidement suivie par un autre de ses camarades, qui avait cru bon de se faufiler dans le dos des militaires sans réaliser que Solveg y était aussi.
Dès qu’il fut certain de l’issue de la bataille, le prétorien rangea son arc et rejoignit le sommet du toit sur lequel il se trouvait. Le combat avait été bref mais bruyant, et il devait vérifier qu’aucune troupe ne venait à leur rencontre.
Un nouveau saut, moins difficile que le précédent, lui permit de traverser la ruelle. Une fois de l’autre côté, il se hâta le long des faîtages d’ardoises, toujours à l’affût des guetteurs adverses, mais moins soucieux de sa discrétion qu’auparavant.
D’après les plans qu’ils avaient étudiés, l’allée donnait sur une grande place située à une dizaine de minutes de la cachette d’Annelle. Hélas, lorsque Soreth atteignit l’esplanade, il constata qu’une quinzaine de mercenaires s’y trouvaient déjà. Alertés par les bruits du combat comme il le redoutait, ils avaient tous sorti leurs armes et discutaient de la meilleure conduite à tenir. Bien que curieux de leurs conclusions, le prétorien ne prit ni le temps de les écouter ni de retrouver son souffle et fit demi-tour afin de prévenir ses camarades que leur itinéraire était compromis.
L’escouade d’Hayin progressait lentement en l’absence de son éclaireur, mais son rythme changea dès que Lyne vit revenir son équipier. Comprenant à son allure que le plan ne se déroulait pas comme prévu, elle enjoignit le groupe à se presser et les fit bifurquer vers la droite, sur un trajet alternatif.
Rassuré par son initiative, Soreth cessa de se préoccuper d’eux et dévia sa course pour s’approcher d’une petite cheminée en tuile. Il y attacha l’une des extrémités de la corde qu’il portait à la ceinture et noua l’autre à une flèche-grappin. L’idée de jouer les funambules ne lui plaisait guère, mais il manquait de temps pour trouver mieux. Les bruits de pas des mercenaires résonnaient déjà au loin.
Une fois son nœud terminé, il visa une gargouille en forme de chèvre et tira. Le trait la toucha sans s’y accrocher et heurta les pavés dans un désagréable tintement métallique. Soreth remonta le grappin en laissant échapper un juron. Les spadassins n’étaient plus très loin, et il entendait maintenant les cliquetis de leurs armures. Tout en s’efforçant de rester calme, il ajusta à nouveau sa cible et décocha sa flèche. Elle vola cette fois entre les cornes de la statue, racla la pierre blanche de ses crochets aiguisés, et s’immobilisa autour de l’animal. Aussi soulagé que pressé, Soreth retendit sa corde, tout en tirant dessus pour en tester la solidité, puis s’élança au-dessus de l’allée.
Le trajet fut court, bien que trop long au goût de ses bras et de ses jambes, et, la tête en bas, le prince se retrouva rapidement face à la gargouille enneigée. Il lui adressa un sourire de remerciement pour ses efforts, puis l’agrippa de ses mains gantées et se contorsionna afin de se hisser sur sa gouttière et le toit qui la jouxtait.
Il se glissait tout juste sur ses ardoises quand les premiers mercenaires apparurent en contrebas. Ils s’interrogeaient sur la destination des fuyards maintenant que les bruits du combat s’étaient tus, et vérifiaient méticuleusement chaque recoin sombre à leur recherche. Incapable de les retenir seul, Soreth pria ses ancêtres pour qu’ils partent dans le mauvais sens, et, tout en rampant pour rester hors de leur champ de vision, se dirigea aussi vite qu’il le pouvait vers ses camarades.
Il les retrouva cinq cents mètres plus loin, en train d’engager une patrouille à l’entrée d’un grand carrefour. Mieux préparés que leurs malheureux prédécesseurs, ceux-ci avaient disposé trois spadassins équipés de pavois sur leur première ligne, deux hallebardières en renfort derrière eux, et un archer en retrait, prêt à profiter de la moindre ouverture. Face à cela, l’escouade de protection d’Hayin avait hésité à rester dans la ruelle pour ne pas se faire déborder, puis opté pour une approche plus directe en se rappelant des poursuivants qui les talonnaient.
Une flèche fonça sur Malia pendant qu’ils chargeaient, mais l’écu de Lyne la dévia avant qu’elle atteigne sa cible, et elle retomba sur les pavés enneigés au moment où les rangs se percutaient. Les lances s’abattirent sur les boucliers, les lames tintèrent au milieu des grognements de rage, mais tous les combattants tinrent bon et une mêlée sans pitié débuta au cœur de la nuit.
Au-dessus du fracas des armes, Soreth tira sur l’archer ennemi afin de s’en débarrasser rapidement. Il le toucha cependant sous un mauvais angle, et le projectile rebondit sur son plastron de cuir bouilli sans le blesser. Malgré la surprise, sa cible le chercha aussitôt du regard et décocha dès qu’elle le vit. Le trait siffla aux oreilles du prince, qui s’était baissé par réflexe, puis il sortit une nouvelle flèche en grimaçant. Tant qu’il n’aurait pas neutralisé son adversaire, il ne pourrait pas aider ses partenaires en contrebas.
Au cœur de la bataille, Lyne dévia une hallebarde d’un coup de bouclier et frappa le bras qu’elle venait de dégager. La spadassine qui lui faisait face para l’attaque pour son équipière, mais ne revint pas assez rapidement en position pour empêcher Morgane de lui entailler le genou. Elle laissa échapper un grognement de douleur, puis se remit en garde sous la protection de ses camarades, que ni le marteau de Kakeru ni la lance de Malia ne réussirent à ébranler. Conscients qu’ils avaient le nombre et le temps pour eux, les spadassins évitaient de se montrer trop avides, se contentant de se défendre en attendant l’arrivée des renforts.
Depuis les hauteurs, Soreth échangea plusieurs tirs avec l’archer avant de le toucher à la cuisse, le faisant chuter sur les pavés et l’empêchant de tirer à nouveau. Tandis qu’il encochait un autre trait pour l’éliminer définitivement, il aperçut une hallebardière, que Kakeru venait de frapper au bras, s’éloigner du combat. Il supposa qu’elle n’était plus en état de se battre, ajusta sa cible sans s’en préoccuper, et ne changea d’avis que trop tard, quand il la vit sortir un cristal blafard de sa bourse. Il tourna alors brusquement son arc, mais la flèche ne s’enfonça dans l’épaule de la guerrière qu’après qu’elle eut brisé le calix.
Un frisson parcourut l’échine de Soreth, et il sentit l’énergie corrompue déferler dans le corps de la mercenaire. Sidération, peur, souffrance. Une dizaine de voix crièrent simultanément. Il n’y eut que lui pour les entendre. Les muscles paralysés, le cœur battant la chamade, il regarda la spadassine arracher le trait comme elle l’aurait fait pour une épine et empoigner son arme dans un rictus menaçant. La situation était en train de dégénérer.
Pendant ce temps, l’escouade d’Hayin avait profité de la blessure de l’archer et l’absence de la hallebardière pour étendre son front. Laissant leurs camarades s’occuper de trois combattants, Morgane et Malia s’étaient concentrées sur le même, un guerrier barbu aux larges épaules. Malgré son expérience, celui-ci n’était pas de taille à affronter le duo et se trouva rapidement en mauvaise posture, coincé entre les tourbillons de la lancière et la défense inébranlable de sa femme. Il commit alors l’erreur de trop, et exposa son flanc à la capitaine en s’avançant dans une feinte de Malia. Une lueur de désespoir traversa ses yeux quand il comprit, puis une pointe d’acier lui perfora l’abdomen et il s’écroula au sol en gémissant. Sans plus se préoccuper de lui, les combattantes retournèrent vers les leurs tandis que la mercenaire au calix chargeait Kakeru.
Tout en essayant d’encocher une flèche de ses mains tremblantes, Soreth regarda la spadassine courir dans la mêlée et percuter le bouclier du lieutenant avec une force surhumaine. Le bruit fut assourdissant, et Kakeru se retrouva projeté plusieurs mètres en arrière tandis que les restes de son écu s’éparpillaient dans la neige.
Les membres de l’escouade réagirent aussitôt. Pendant que Lyne et Morgane bloquaient les trois derniers spadassins, Malia et Solveg se ruèrent sur la furie. Averties du danger par le sort de leur camarade, elles ne cherchèrent pas à l’affronter directement et lui tournèrent autour en esquivant ses assauts, espérant qu’elle se fatigue ou commette une erreur.
Soreth pria ses ancêtres pour que cela suffise et, les mains toujours tremblantes, s’efforça d’oublier la bataille pour se remémorer les exercices de son maître. Il inspira profondément, laissa les berdaris s’écouler à travers lui, leur offrit un peu de chaleur pour les apaiser. Elles se montrèrent réticentes au début, peu enclines à partager les angoisses qui l’animaient, mais il finit par les amadouer avec les embruns de Lonvois et les cris des jeunes goélands dans les falaises, et elles se calmèrent peu à peu. Comme les fois précédentes, il sentit ses pensées dériver vers la grotte et son passé. Il accepta cette fois sa peur, elle était tout ce qu’il y avait de plus normal, et se remémora les paroles de Lyne. Il était en sécurité. Elle le protégerait. Ils se protégeraient.
La flèche fila dans la nuit et élimina l’archer blessé avant qu’il ne tire sur Morgane. Soreth soupira de soulagement. Il était de retour à temps. En contrebas, Malia dévia adroitement la pointe de la hallebarde de son adversaire, mais, surprise par sa vitesse, fut touchée au bras par un deuxième assaut, et évita de justesse une troisième attaque. Tandis qu’une quatrième se préparait, Solveg se jeta sur leur ennemie, lui entaillant profondément le mollet et la ralentissant assez pour qu’elle rate la lancière, puis s’éloigna d’une roulade. Cela aurait suffi à la mettre hors de danger d’une humaine normale, mais la spadassine n’en était plus une grâce au calix et, d’un bond, elle enfonça la hampe de son arme dans l’estomac de la capitaine. Celle-ci se redressa en chancelant, le souffle coupé, l’esprit obscurci, inconsciente de la lame qui s’élevait dans son dos.
Le temps sembla alors se suspendre. Pendant que Malia et Soreth criaient à Solveg de s’enfuir, elle se retourna seulement pour voir la hallebarde s’abattre sur elle. Ses yeux s’étrécirent de terreur, ses lèvres se figèrent dans une grimace horrifiée, puis l’acier fendit l’air et mordit les omoplates d’Hayin, qui venait de se jeter devant sa fille.
Le marchand hurla de douleur tandis qu’un sang vermeil inondait son manteau et roula à terre avec Solveg. Leur ennemie voulut continuer à les attaquer, mais elle battit en retraite quand une flèche de Soreth se planta dans son aine et que la lance de Malia balaya l’espace qui la séparait de la capitaine.
À quelques pas de ce triste spectacle, Lyne obligea son adversaire blessée à bloquer sa lame et la fit chuter en arrière d’un coup de pied sur son pavois. Dorénavant sans défense face à l’avancée de l’Erellienne, la seconde hallebardière retraita alors qu’elle se lançait à ses trousses, abandonnant son deuxième camarade à Morgane. Celle-ci en profita pour tailler deux fois à hauteur de visage, feinter une attaque basse et, au moment où le mercenaire décalait son bouclier pour parer, lui envoyer la tranche de son écu dans la mâchoire. Il recula, sonné, et trébucha sur sa partenaire qui tentait de se relever. Ils retombèrent tous les deux dans la neige et hurlèrent en voyant l’héroïne de Hauteroche s’approcher.
Autant ralentie par sa blessure au bras que son ennemie l’était par la flèche plantée au-dessus de sa cuisse, Malia évita une frappe à destination de sa tête et riposta en entaillant le poignet de son assaillante d’un moulinet de lance. Cette dernière ne sembla toutefois pas s’en rendre compte et, sans même ciller, essaya de lui faucher les jambes. La militaire sauta habilement en l’air pour l’esquiver, et retomba à terre au moment où un trait de Soreth percuta le plastron de la mercenaire. Il ne s’enfonça pas dans ses chairs, mais fut suffisamment puissant pour la faire vaciller et offrir à Malia l’ouverture dont elle avait besoin. Bondissant sur la gauche, elle feinta une coupe verticale en direction du front de la hallebardière, la transforma en estoc à l’instant où celle-ci s’apprêtait à parer et, quand elle voulut se dérober, frappa son genou de la hampe de son arme. Il y eut un bruit mat, et la jambe de la spadassine céda sous elle tandis que Malia évitait sa riposte d’une volte-arrière.
Durant quelques secondes la soldate sembla jouer avec son ennemie, esquivant ses assauts et contre-attaquant avec moins de vigueur qu’auparavant, puis Kakeru, qui avait profité de la confusion pour se faufiler derrière la mercenaire, abattit de toutes ses forces son marteau sur son casque. Elle s’écroula dans la neige, terrassée par l’impact. En la voyant à terre, les trois survivants de son groupe perdirent le peu de combativité qu’il leur restait et s’enfuirent sans que qui que ce soit essaye de les arrêter. Ils n’avaient pas le temps pour cela.
Haletants et épuisés, les membres de l’escouade se réunirent autour d’Hayin, dont Solveg s’efforçait de ralentir l’hémorragie.
— Comment va-t-il ? demanda Lyne d’une voix peinée.
— Il perd trop de sang, et sa blessure… il lui faut un guérisseur rapidement.
— Alors, ne traînons pas. L’un des meilleurs d’Erellie nous attend au point d’extraction.
La garde royale tourna ensuite son regard vers ses autres coéquipiers, et s’attarda plus longuement sur le bras de Kakeru et l’épaule ensanglantée de Malia.
— Pouvez-vous encore vous battre ?
Il y eut un bref silence, puis les deux combattants secouèrent la tête.
— Je peux à peine tenir mon marteau, répondit le lieutenant d’une voix désolée. Elle m’a eu comme un bleu.
— J’ai aggravé ma blessure pendant l’affrontement, renchérit Malia, je ne sais pas combien de temps je pourrais continuer.
La remarque fit naître une lueur d’inquiétude dans les yeux de Morgane, et elle se rapprocha de sa compagne.
— De toute façon nous n’allons pas vous laisser ici. Cela serait encore plus dangereux.
— Si je puis me permettre, reprit Kakeru avec un sourire malicieux, vous devez aller vers l’est et moi j’ai des amis vers l’ouest. Malia et moi ferons un peu de bruit en espérant diviser vos poursuivants, puis nous nous cacherons là-bas. Cela ne sera pas très difficile à deux.
L’héroïne les dévisagea sans conviction, peu encline à s’éloigner de sa femme, mais celle-ci la rassura d’une voix douce.
— Ne t’inquiète pas, mon amour, tout ira bien. Et puis, nous n’avons pas le choix si nous voulons sauver sire Hayin et contrarier les plans de cette ordure de Mascarade. Nous avons enfin une chance de le faire. Il est hors de question que nous la laissions filer.
Morgane soupira, toujours hésitante, puis hocha la tête avec résignation.
— Ne faites rien de stupide tous les deux. Je tiens à vous retrouver entiers quand nous en aurons fini.
Les militaires acquiescèrent, puis la main de Malia glissa sur celle de sa partenaire et ils s’éloignèrent dans l’obscurité.
Dès que Solveg eut bandé son père, Morgane le hissa sur son dos et emboîta le pas à Lyne, qui ouvrait la marche. Soreth s’apprêtait à l’imiter quand il sentit un flocon atterrir sur son visage. Il leva alors les yeux vers le ciel, et constata qu’une épaisse masse nuageuse s’y était installée, assombrissant les étoiles et floutant tout ce qui se trouvait à quelques mètres d’eux. Ce n’était pas une mauvaise chose pour passer inaperçu, mais cela fonctionnerait dans les deux sens et leur petit groupe ne survivrait pas à une embuscade. Le prétorien laissa échapper un soupire et escalada le toit le plus proche. Il avait hâte que la nuit se termine.
Au bout de quelques minutes de marche, l’escouade évita de justesse une patrouille en se cachant dans une arrière-cour à l’odeur de poisson. L’attente réveilla Hayin, qui murmura quelques mots étouffés à sa fille et remercia Morgane pour son dévouement. La capitaine de quartier est répondit par un bref grognement, sans que le prince sache si elle était plus gênée par l’état du marchand ou les larmes de Solveg, puis ils reprirent leur route.
Ils progressèrent encore un moment, qui parut une éternité pour Soreth, occupé à surveiller les alentours lorsqu’il ne sautait pas d’un toit glacé à un autre, et atteignirent le dernier carrefour de leur itinéraire. Maintenant habituées à travailler avec leur éclaireur, les militaires se stoppèrent dans l’ombre d’une ruelle et attendirent qu’il leur indique que la voie était libre.
Pour ce faire, Soreth bondit au-dessus d’une petite allée et se réceptionna silencieusement sur un balcon richement décoré. Accroupi derrière la balustrade ciselée, contre laquelle se dressaient de nombreuses statues, et tous ses sens aux aguets, le prétorien scruta attentivement la tempête. Une poignée de secondes s’écoulèrent sans que rien ne se passe, puis il aperçut une lumière fugace à travers le rideau neigeux.
Il se hissa alors avec une infinité de précautions sur le toit voisin et rampa au milieu des flocons pour se rapprocher du carrefour. Cela lui suffit à discerner un mouvement sous une poterne, puis, plus à gauche, une silhouette dans la nuit. Quelqu’un les attendait.
Hélas, l’escouade n’avait pas d’autre choix que de se battre : c’était le seul chemin qui permettait d’atteindre la cachette d’Annelle. Il ne leur restait qu’à espérer que les mercenaires ne soient pas trop nombreux et, surtout, qu’ils n’aient pas un second calix.
Incapable de le savoir pour le moment, le prince rejoignit la terrasse aux statues, qui lui offrirait une meilleure protection, et porta l’appeau à ses lèvres.
— Hou-Hou. Hou-Hou.
Ses camarades comprirent le message, et Morgane déposa délicatement Hayin dans la neige. Il laissa échapper un grognement de douleur alors que sa fille lui murmurait quelque chose à l’oreille, puis les guerrières se dirigèrent vers le carrefour en courant. Plus le combat durerait, plus la santé du marchand se détériorait.
Au-dessus d’elles, Soreth dégainait discrètement son arc lorsqu’une flèche percuta les ardoises à côté de lui. Il s’accroupit aussitôt contre la balustrade et encocha un trait en maugréant. Il était déjà repéré.
Prudemment, il se glissa derrière le couvert de la statue d’une commerçante célèbre, regarda ses camarades se placer pour affronter quatre mercenaires armés de bouclier, et essaya d’estimer la position de leur archère à partir de la leur. Dès que ce fut fait, il pivota sur lui-même, confirma la présence de sa cible où il l’espérait, et décocha dans sa direction. Le projectile lui heurta le flanc, mais il ricocha contre sa brigandine, et elle se replia à l’abri d’un parapet avant qu’il puisse tirer une seconde fois.
Profitant de ce répit, le prétorien cherchait une opportunité dans la mêlée en contrebas quand un trait fendit la nuit et lui entailla l’épaule gauche. Il laissa échapper un cri de douleur et plongea à l’abri en jurant entre ses dents. Deux archers au milieu d’une tempête de neige, il avait dû offenser l’un de ces ancêtres. Ignorant le sang chaud qui coulait le long de son bras, il ramassa la flèche qu’il avait perdue et se faufila derrière la statue d’un diplomate à la barbe abondante. Il avait bien fait de choisir ce balcon.
Un hurlement déchira la nuit. Soreth espéra que ce ne soit pas l’une de ses camarades, puis, malgré la douleur qui irradiait son biceps, il banda son arme et chercha un mouvement dans les ténèbres. Il décocha dès qu’il crut avoir trouvé sa cible, mais l’impact du métal sur la pierre lui indiqua qu’il l’avait raté. Il se replia sans tenter un deuxième tir, et se faufila derrière la statue d’un soldat au garde-à-vous alors qu’un projectile pulvérisait la main levée du diplomate, projetant des dizaines d’éclats de plâtre dans les airs.
Il sortit une nouvelle flèche de son carquois, puis se stoppa net en sentant les environs se charger d’énergies corrompues. Il maudit aussitôt Mascarade et ses calix, puis ferma les yeux et se concentra pour purifier le flux qui empoisonnait son être.
Oublier l’urgence. Ramener les berdaris. Leur offrir le bruit du vent dans les montagnes et les scintillements du soleil à midi. Revenir dans la grotte. Ne pas y rester. Lyne le protège et en garde la porte.
Il inspira profondément en rouvrant les paupières et se redressa à recherche d’une cible. Grâce à ses dons de shaman, il n’eut aucun mal à sentir l’énergie qui déferlait dans le corps de l’archère, toujours tapie derrière sa poterne. Il savait néanmoins qu’il n’avait aucune chance de l’abattre du premier coup, et préféra choisir son partenaire, installé dans les hauteurs. Maintenant qu’ils avaient échangé quelques tirs, il était convaincu qu’il se trouvait à une quinzaine de mètres de lui, abrité entre deux toitures de taille différente.
À demi caché derrière sa statue, Soreth l’attendit patiemment, sans céder à l’envie de regarder l’affrontement en contrebas, et lui transperça la gorge dès qu’il le vit apparaître. Tout en s’écroulant dans les ombres, celui-ci lâcha son arme pour porter vainement la main à son cou.
Si le prétorien se sentit soulagé de s’être débarrassé de l’un de ses adversaires, cela ne dura pas. En dessous de lui, l’archère au calix décocha un trait qui brisa le bouclier de Lyne et l’envoya rouler dans la neige. Les trois mercenaires encore en vie en profitèrent pour avancer sur Morgane et Solveg, qui n’eurent d’autres choix que rompre l’engagement pour éviter de se faire submerger.
Soreth retourna alors derrière la statue abîmée du diplomate, et scruta la mêlée pour y trouver une ouverture. S’il pouvait permettre à l’une de ses équipières d’approcher la tireuse, le combat tournerait à leur avantage.
Dans la ruelle, Lyne se releva couverte de neige et, empoignant son épée à deux mains, chargea l’un des poursuivants de Solveg, un colosse muni d’un grand marteau de guerre. Il esquiva sa coupe d’un bond sur le côté, puis abattit son arme pour lui briser les mains. Surpris par leur disparition soudaine, il roula en arrière pour éviter de justesse l’attaque remontante de la prétorienne. Même s’il n’était pas hors de combat, cela suffit à la capitaine du quartier ouest pour se retourner contre sa seconde ennemie, qui se trouva rapidement dépassée par la dextérité avec laquelle elle se déplaçait autour d’elle.
Une nouvelle flèche siffla dans la nuit, mais Morgane s’y déroba d’une volte, tout en repoussant le spadassin avec lequel elle luttait depuis plusieurs minutes. Celui-ci riposta en essayant de lui trancher la jambe, mais elle la souleva pour laisser passer sa lame et frappa à son tour. Il recula tandis que son cri résonnait dans l’allée. Repérant au même moment la faille qu’il cherchait, Soreth se détourna du duel pour se concentrer sur l’adversaire Lyne.
Juste après s’être relevé, le colosse avait dû parer en hâte deux attaques de la prétorienne, et se retrouvait maintenant déséquilibré, à la merci de son prochain assaut. Celui-ci ne vint pas d’elle, obligée de contourner la ligne de mire de l’archère au calix, mais Soreth en profita pour lui tirer dessus. Incapable d’utiliser son bouclier, le mercenaire se plia en deux lorsque le projectile lui perfora le flanc, et ne redressa la tête que pour voir l’épée de Lyne s’abattre sur lui. L’acier trancha ses chairs dans un fracas métallique, puis il tomba à la renverse et la soldate s’en détourna pour charger la tireuse.
Celle-ci, qui visait Morgane, la remarqua au dernier moment et décocha instinctivement une flèche dans sa direction. Elle rebondit sur l’armure d’argent de Lyne, mais la propulsa une nouvelle fois à terre, lui arrachant un grognement rauque alors qu’elle percutait les pavés. Pendant qu’elle se dépêchait de se relever, Soreth tira plusieurs traits pour la couvrir, chacun lui déchirant un peu plus l’épaule. Le premier blessa sa cible à la jambe, le second siffla au-dessus de sa tête, et le troisième s’enfonça dans sa poitrine. Cela ne suffit pas à la mettre hors de combat, mais lui fit oublier la prétorienne, et obligea le prince à se jeter au sol tandis que la statue qui lui servait de protection explosait dans un épais nuage de poussière et de gravats.
Couvert de plâtre, Soreth rampa laborieusement vers le bord de la terrasse et constata que l’archère avait dégainé son épée pour se battre avec Lyne. Heureusement, si elle la surpassait en force et en vitesse, elle était loin d’avoir sa technique. La lame bâtarde de la garde royale tourbillonnait dans la nuit et harcelait sans cesse son adversaire pour ne pas lui permettre de pousser son avantage. En faisant cela la prétorienne s’exposait aux ripostes, mais, comme elle prenait soin de protéger ses faiblesses, toutes rebondissaient sur son armure sans la blesser gravement. Si ce n’était pas une stratégie valable à long terme, elle finirait par s’épuiser ou par se faire toucher, Lyne faisait confiance à ses équipières pour triompher avant que la situation ne dégénère.
La suite lui donna raison, car, avant que Soreth obtienne un angle de tir dégagé, les capitaines de Hauteroche rejoignirent la garde royale pour l’aider dans son combat. Encerclant l’archère, elles se lancèrent dans un déluge d’assauts, d’esquives et de feintes, rougissant la neige autour d’elle et la laissant vacillante sur ses jambes fatiguées. Morgane et Solveg attaquèrent ensuite de concert, alors que Lyne retardait sa frappe. Le rythme déstabilisa la mercenaire, et elle contra les deux premières lames, mais reçut la troisième de plein fouet dans l’estomac. Elle hoqueta de surprise et s’effondra dans la rue.
L’escouade se désintéressa aussitôt des corps éparpillés et, tandis que Soreth se faufilait de toit en toit pour atteindre l’intersection et que les autres surveillaient le carrefour, Morgane alla chercher Hayin, que chacun espérait encore en vie.
Solveg laissa échapper un sanglot lorsqu’elle revint et attrapa la main livide de son père. Le marchand essaya de répondre par sourire, mais n’y parvint pas et fut pris d’une quinte de toux ensanglantée. Une larme roula sur la joue de la capitaine, puis elle ravala ses pleurs et demanda à ses équipières.
— S’il vous plaît, dites-moi ce que je dois faire ?
Lyne et Morgane échangèrent un regard, puis la prétorienne hocha lentement la tête. L’héroïne n’eut pas besoin de plus pour comprendre, et elle s’avança dans la ruelle étroite.
— Nous sommes presque arrivés, Solveg. Passe devant et assure-toi que la voie est libre. Je te suis avec ton père et les Erelliens nous couvriront.
La jeune capitaine s’exécuta et disparut en courant dans la venelle. Morgane attendit une trentaine de secondes, puis elle s’élança à son tour. La vitesse et les chocs tirèrent des gémissements à Hayin, mais cela poussa l’héroïne à accélérer plutôt qu’à ralentir. Elle savait que le temps leur était compté et, en dépit de ses sentiments envers Solveg, n’avait pas prévu de la laisser tomber.
Pendant qu’un silence uniquement troublé par le sifflement du vent et la chute des flocons gagnait la place, Soreth rangea son arc et prit appui sur une gargouille pour rejoindre son équipière. Sa blessure compliqua sa descente, mais il y avait à moitié paré en choisissant une façade remplie de décorations. Il put ainsi utiliser un monstre grotesque pour atteindre un relief sculpté, le longer en ne s’aidant que de son bras valide, attraper à deux mains le socle d’une statue de lion, ce qui lui arracha un grognement douloureux, et glisser jusqu’aux pavés le long d’une colonne en plâtre.
Lyne l’accueillit d’un signe de tête, puis observa avec inquiétude son épaule ensanglantée.
— Est-ce que cela ira ?
— Il le faudra bien. Comment te sens-tu ?
— Épuisée et couverte de contusions, mais je n’ai rien de plus grave qu’une côte cassée.
Soreth acquiesça, soulagé que les combats n’aient pas plus blessé sa partenaire, puis il dégaina son arc, se dirigea de l’autre côté de la rue, et s’installa dans un recoin sombre, à quelques mètres de Lyne.
Ils restèrent immobiles un long moment, concentrés sur le carrefour enneigé devant eux. Le vent leur apportait de temps à autre les gémissements des mercenaires mourants, mais, même s’ils auraient voulu les aider, ils ne bougèrent pas. Si ce n’était pas difficile pour Soreth, il voyait que Lyne avait plus de mal à se retenir et ne s’en étonnait guère. Malgré sa colère et le danger, elle était plus prompte que lui à secourir les inconnus. Cela changerait peut-être avec le temps, mais il ne l’espérait pas. Il l’aimait bien ainsi.
Au bout d’une quinzaine de minutes, des bruits de pas se firent entendre dans une rue adjacente. Lyne tourna la tête vers son équipier, et il lui fit signe de le rejoindre. Morgane avait suffisamment d’avance, ils n’avaient plus besoin de se battre. Elle s’exécuta aussi silencieusement qu’elle le pouvait, puis ils se hâtèrent de disparaître dans la nuit. Leur mission était terminée. Il ne leur restait qu’à prier pour qu’Hayin survive à sa blessure.
J'étais partie pour lire en vitesse, puis j'ai vu ta note, du coup je vais prendre mon temps et revenir lire tranquillement plus tard ^^
Félicitations et bon courage !
Je relis ton chapitre avec plaisir avant de lire le suivant ^^.
Comme toujours tu gères très bien l'action je n'ai rien remarqué de perturbant dans les enchaînements, c'est très fluide et visuel :)
J'aime bien aussi le fait que Soreth est en hauteur, c'est intéressant pour bien comprendre ce qu'il se passe, et ça permet une construction de chapitre qui change :)
Quelques petites remarques au passage (je pinaille désolée):
> Je trouve que parfois, Soreth voit "trop bien" pour quelqu'un qui regarde un combat de haut, de nuit, sous la neige qui tombe et avec des gens encagoulés/encasqués
> "— Moi pas, répliqua son interlocutrice tandis que Soreth s’accroupissait à moins d’un mètre d’elle. Ce genre d’information ne peut nous attirer que des problèmes. Surtout vu la façon dont on nous a demandé de nous occuper des fouineurs."
>> Autant j'aime beaucoup le début de la réplique, autant la dernière phrase me fait un peu "ah, l'auteur essaie de me faire monter la tension"
> " Une dizaine de minutes après que les Malia et Kakeru soldats se soient installés,"
>> Malia et Kakeru sont déguisés en soldats ? Je n'ai pas souvenir de t'avoir vu utiliser ce type de construction donc j'ai un doute si c'est ce que tu voulais ^^'
> "Mascarade avait choisi des mercenaires expérimentés plutôt que des bandits pour garder Hayin."
>> Je n'avais pas compris que Hayin était réellement "gardé" (tu dis qu'il est menacé, potentiellement sous surveillance il me semble mais pas "gardé") et selon le début du chapitre où ils arrivent à le sortir de sa "maison de retraite" (raccourci pour faire simple) sans soucis, je ne ressens pas le "gardé". En plus aucun des mercenaires / brigands n'ont spécialement l'air de vouloir récupérer Hayin ou le tuer... Bref je comprends bien l'intention, et effectivement il faut planquer Hayin à un endroit sécurisé et pour ça il faut traverser un quartier aux mains de l'ennemi, mais je n'ai pas eu l'impression que tout ces mercenaires étaient là pour garder le papi ^^'
> "Il les retrouva cinq cents mètres plus loin, en train d’engager une patrouille à l’entrée d’un grand carrefour."
>> Micro-détail, mais 500m, ça me parait vraiment très loin...
> "Repérant au même moment la faille qu’il cherchait, Soreth se détourna du duel pour se concentrer sur l’adversaire Lyne"
>> je pense qu'il te manque un "de" avant "Lyne"
Voilà voilà :D
Je file lire la suite !
Merci pour ton retour et tes remarques pertinentes ! Je me rend compte que je manque un peu d'explications sur les pourquoi du comment des plans de Mascarade, et qu'il va falloir que je sois un peu plus clair ^^
Les deux premiers mercenaires sont bien là pour garder Hayin, c'est un peu l'objectif de leur dialogue (dont la fin ne tombe pas très bien), mais effectivement les autres mercenaires/faux soldats sont plutôt là pour s'occuper de ceux qui pourraient éventuellement aider Solveg à sauver son père.
Ta remarque sur la précision de la vision de Soreth est très pertinente, je me suis fais la même, hélas je ne me sens pas capable de mélanger l'obscurité à des descriptions précises du combat. J'aurai peut-être du partir sur quelque chose de plus floue... en même temps c'est un peu dommage maintenant :P il faudra que je prenne un peu de recul là-dessus.
À bientôt !