Chapitre 36

Notes de l’auteur : Désolé pour le rythme de parution décousu, mais ça avance ^^

Tandis que Zmeï marchait dans les rues enneigées, il renâcla et jeta un regard intrigué à sa cavalière, comme pour l’interroger sur ce qui la préoccupait autant. Lyne lui flatta l’encolure afin de le rassurer. La nuit avait seulement été longue.

Elle avait veillé de nombreuses heures aux côtés de Solveg pendant que Beorthne s’occupait de son père. Puis, une fois le marchand stabilisé, elle s’était efforcée de la réconforter et de lui faire prendre du repos. Malgré sa trahison, la prétorienne n’arrivait pas à en vouloir à la capitaine. Surtout maintenant qu’Hayin oscillait entre la vie et la mort. S’opposer à Mascarade n’était pas sans risques, et Lyne n’était plus aussi certaine que la veille du choix qu’elle aurait fait à la place de Solveg.

À cela, il fallait ajouter que Morgane avait continué de les aider malgré l’échec relatif de la mission. Elle avait ainsi partagé des duplicatas des laissez-passer et les itinéraires qu’elle avait exclus des patrouilles du quartier ouest afin de permettre à Morgane et Annelle de les exploiter contre leurs adversaires. Hélas cela prenait du temps, et il restait à peine deux jours avant l’attaque.

Aussi fatiguée que dépitée, Lyne resserra sa cape autour de sa cotte de mailles, qui remplaçait son armure d’argent bien trop voyante, et fit ralentir Zmeï pour que Soreth, dont l’ensemble en velours azur était caché par une étoffe noire et argent, les rattrape. Ils n’avaient presque pas parlé depuis la fin de la soirée. Elle espérait que cela lui remonterait le moral.

— Ton épaule va-t-elle mieux ? demanda-t-elle autant par sollicitude que pour lancer la conversation.

— Oui, j’ai passé quelques heures avec des smeros sur le bras, et elle n’est plus douloureuse que lorsque j’y touche. Elle devrait être refermée d’ici quelques jours.

La garde royale hocha la tête d’un air appréciateur. Les guérisons qu’assuraient les pierres d’Eff et les dons du galweid étaient à la fois impressionnantes et bienvenues.

— Avec un peu chance, Morgane ne remarquera pas que tu as la même blessure que l’archer d’hier soir.

— Ne t’inquiète pas pour cela. Notre chère capitaine a trop à penser en ce moment.

— Ça ne doit pas être facile pour elle, acquiesça Lyne avec compassion. Je n’ai pas d’armée à gérer, ce n’est pas ma ville, et je me sens déjà dépassée. Je ne sais pas comment vous faites tous les deux pour avoir l’air aussi tranquilles.

Soreth réfléchit un instant, puis répondit en grattant le front de sa jument.

— L’habitude. Morgane a survécu à une guerre et vingt ans de paix. Cela aide à relativiser. Parfois, il ne faut pas se demander si on peut réussir. Il faut juste y croire et tout donner.

— Penses-tu donc que nous arriverons à arrêter l’attaque et à attraper Mascarade ?

— Tant que nous sommes ensemble, acquiesça le prince, rien n’est impossible.

Lyne sentit la chaleur lui monter aux joues et ses lèvres se retrousser pour dessiner un sourire idiot. Elle hésita à le cacher, mais céda finalement à ses émotions. Personne ne risquait de les reconnaître ici, et il n’y avait pas de mal à être heureux.


 

La porte qui séparait les quartiers est et sud était plus gardée que d’habitude, mais les prétoriens la traversèrent sans difficulté grâce aux laissez-passer de Morgane. Ils se dirigèrent ensuite vers l’échoppe suspecte qu’avait repérée Soreth et qu’ils devaient inspecter avec la capitaine.

Malgré sa fatigue, Lyne espérait que l’opération se déroulerait mieux que celle de la veille : leur petit groupe avait autant besoin d’informations que d’une victoire. La tension avait encore augmenté en ville durant la nuit, suite à l’attaque d’une patrouille du centre et aux rumeurs déclenchées par le sauvetage d’Hayin, et les habitants de Hauteroche semblaient plongés dans ce marasme propre à l’attente des catastrophes.

Le quartier sud en était l’exemple le plus parlant, avec ses tavernes silencieuses aux portes brisées, conséquence des fouilles hypocrites de Jarrett, et ses attroupements de badauds amaigris, qui se taisaient lorsque les prétoriens passaient à porté de voix. Il était pourtant aisé de deviner la nature de leurs discussions, car de nombreux graffitis, dessinés au charbon ou à la craie, jonchaient les murs enneigés et résumaient avec plus ou moins de subtilité les pensées des citadins : « Soldat, pourquoi agresses-tu les tiens ? » demandait l’un d’eux à côté d’une brasserie saccagée, tandis qu’un peu plus loin un autre ressemblait presque à une épitaphe « Harien est tombé, mais Carassielle nous sauvera ! ». Sur la devanture d’un magasin fermé, quelqu’un s’était essayé à l’humour « Affamé si tu as faim, mange ton conseiller, il ne sert à rien », alors qu’en dessous on avait adopté une approche plus directe « Mort à Darsham et tous ses chiens ! ».

En à peine une semaine, le quartier sud était devenu l’épée de Damoclès de Hauteroche, et le Nord, comme ils s’en étaient aperçus la veille, était en passe de l’imiter. Effrayé par cette situation, le Centre ne cessait d’appeler à plus d’ordre, tandis que l’Ouest et l’Est se divisaient sur la conduite à suivre et que le conseil se montrait incapable de fédérer qui que ce soit.

Habituée à la solidarité Erellienne, Lyne s’étonnait encore de la facilité avec laquelle Mascarade avait détruit la ville, mais voyait parfaitement en quoi cela servait ses objectifs. Plus les gardes seraient désorganisés, plus ils réagiraient lentement lorsque Joyce attaquerait. Hélas, le seul moyen de calmer les esprits était de mettre la main sur une preuve du complot, de préférence quelque chose de moins réfutable qu’un livre de comptes, une bouteille de poison et quelques laissez-passer obtenus sous la menace.


 

Les prétoriens retrouvèrent Morgane à deux rues de la boutique. Elle les y attendait avec six soldats de confiance, quatre femmes et deux hommes. En théorie, un capitaine n’avait le droit de lancer une opération sur le territoire d’un autre que pour contrer un danger immédiat. Ce n’était pas le cas ici, mais il était peu probable que Jarrett porte l’affaire devant le conseil. Surtout si leur fouille s’avérait concluante.

— Bonjour à tous et à toutes, salua Soreth en descendant de cheval avant d’ajouter pour donner le change, et merci de nous avoir proposé d’assister à votre intervention, capitaine. J’espère qu’elle nous permettra de mieux juger les menaces qui pèsent sur la ville.

— Je suis contente que vous ayez accepté, Votre Altesse. Un peu d’aide serait bienvenue pour ouvrir les yeux de mes confrères.

Tandis que les soldats dévisageaient les nouveaux arrivants, des murmures parcoururent leurs rangs. Même s’ils étaient habitués à côtoyer Morgane, ils n’avaient probablement jamais rencontré de prince, et encore moins un comme Soreth. Lyne leur adressa un sourire compatissant en ajustant son bouclier. À leur place, elle n’aurait pas apprécié de s’occuper d’un noble pendant une telle opération. Surtout s’il n’était là que pour le décorum. Morgane dut aussi y penser, car elle se tourna vers ses troupes avant qu’elles se mettent à maugréer.

— Je sais ce que vous vous imaginez, mais ne vous inquiétez pas. La sécurité du prince sera la seule responsabilité de sa garde du corps. Je m’en assurerai personnellement.

Des lueurs de soulagement traversèrent les regards des militaires, preuve de la loyauté qu’ils accordaient à leur cheffe, et ils acquiescèrent silencieusement.

— Néanmoins, reprit l’héroïne, ce n’est pas une raison pour ne pas l’aider. Vous êtes là parce que j’ai confiance en vous. Ne me décevez pas.

— Oui, capitaine ! répondirent les soldats à l’unisson.

— J’aime mieux ça.

Morgane leur adressa un sourire empreint de fierté tandis que Lyne s’efforçait de dissimuler son admiration, puis fit claquer sa langue dans sa bouche.

— Nous avons deux objectifs : être moins idiots que les nouveaux du Sud, et plus efficaces. Pour le premier ça ne sera pas dur, évitez seulement de brutaliser les gens. Vous êtes là pour les protéger, pas les piller. Pour le second, il va surtout falloir être rapide. On ne doit pas les laisser détruire les preuves. Cela vous paraît réalisable ?

— Oui, capitaine !

Deux soldates se placèrent devant Morgane pendant que les prétoriens rejoignaient l’arrière, puis la troupe se mit en marche.


 

L’extérieur de la boutique ressemblait exactement à ce qu’avait décrit Soreth. Des murs sur lesquels la mousse commençait à pousser, des volets ocre à la peinture écaillée, et une modeste porte sur laquelle était posée, comme pour les défier, une pancarte avec l’inscription « ouvert ». Après s’être assuré qu’il n’y avait pas une seconde issue, les militaires encerclèrent l’entrée sous les regards des passants intrigués, puis s’engouffrèrent dans l’échoppe. Les prétoriens les suivirent plus tranquillement, soucieux de préserver les apparences malgré l’impatience de Lyne.


 

Une fois à l’intérieur, ils constatèrent que les soldats s’étaient déjà éparpillés dans la pièce étroite à l’odeur d’encens. Deux d’entre eux étaient agenouillés devant la porte de l’arrière-boutique, qu’ils essayaient de crocheter, tandis que trois autres se tenaient au milieu des bouquets de plantes séchées, les armes à la main, et que, derrière un comptoir en désordre, la dernière ceinturait une vieille femme aux cheveux blancs pendant que Morgane l’interrogeait.

— Pourquoi avez-vous attaqué mes troupes ? Et qu’est-ce qu’un sabre pareil fait entre vos mains ?

— Vous n’avez pas le droit de faire ça ! répondit l’apothicaire en se débattant. J’en référerai au capitaine Jarrett !

— Moi aussi, répliqua Morgane en tapotant l’insigne qui ornait ses épaulières, au prochain conseil. Ne vous inquiétez pas, cette opération est parfaitement légale. Il ne vous sera fait aucun mal tant que vous coopérerez.

La marchande cessa peu à peu de bouger, puis une grimace traversa son visage lorsqu’elle comprit enfin à qui elle s’adressait. Cela suffit à l’héroïne, qui opina du chef en direction de sa camarade à la peau brune.

— Place cette dame en détention provisoire, Arya. Soit vigilante, mais inutile de la rudoyer tant qu’elle ne tente pas de s’échapper.

La militaire hocha la tête tandis que sa prisonnière s’agenouillait d’elle-même, elle avait saisi l’allusion. Au même moment, un cliquetis se fit entendre derrière les prétoriens, et le garde qui crochetait l’arrière-boutique poussa une exclamation satisfaite. Il avait réussi.


 

La porte les mena dans une petite pièce carrée, mal éclairée, où se trouvaient une autre entrée et un grand escalier. Une fois certains que le local ne recelait aucun danger, deux soldates s’attaquèrent à la serrure du bas et les trois dernières montèrent prudemment à l’étage.

Alors que Lyne se demandait si elle devait les suivre, Soreth s’approcha d’elle et lui murmura à l’oreille.

— Il y a un trou dans les flux sous le cagibi. Tu devrais l’inspecter.

Elle retint un sourire, les talents du galweid étaient redoutables, et s’avança vers le rangement aux pieds des escaliers.

— Que fais-tu ? l’interrogea Morgane qui surveillait les opérations depuis l’entrée.

— Je vérifie une théorie. Ça ne devrait pas être long.

La capitaine hocha la tête et Lyne espéra que son ami ne se soit pas trompé. Elle n’avait aucune envie de se ridiculiser devant son héroïne.


 

Le minuscule placard contenait un balai en paille usé, un vieux seau poussiéreux et une pile de chiffons que la prétorienne n’aurait pas voulu toucher du bout de l’épée. S’il n’y avait rien de suspect à cela, du moins au vu du reste de l’échoppe, leur disposition, tassée les uns sur les autres dans un recoin, l’intrigua. La raison aurait commandé qu’ils soient étalés pour sécher. La négligence qu’ils traînent devant l’entrée. Pourtant, quelqu’un les avait délibérément rangés ainsi, peut-être pour faire de la place, peut-être pour cacher quelque chose. Lyne surmonta donc sa répugnance et, sous le regard amusé de son ami et celui de plus en plus curieux de Morgane, vida rapidement le contenu du cagibi.

Comme cela ne révéla ni trappe ni mécanisme, la garde royale entama la seconde phase de son plan et inspecta les irrégularités du débarras. Elle passa une première minute à maltraiter un anneau de fer, une deuxième à presser un galet rose, puis remarqua finalement une pierre banale, mais anormalement usée en bas du mur gauche. Elle appuya dessus en priant ses ancêtres et, à sa grande satisfaction, la vit s’enfoncer de quelques centimètres. Aussitôt, un cliquetis métallique résonna dans le placard.

Sans plus se soucier des regards intrigués des militaires, Lyne sortit à quatre pattes du rangement, dont une partie tanguait étrangement, posa les mains sur ses dalles grisâtres et, alors que Morgane et Soreth approchaient, les tira triomphalement vers elle. Elles résistèrent quelques secondes, puis glissèrent dans un grondement sourd sous le sol de la pièce.

Une échelle de bois les attendait en dessous, plongeant vers les entrailles obscures du bâtiment.

— Bien joué, la félicita son partenaire.

— En effet, renchérit Morgane, très impressionnant, Lyne. Te sens-tu prête à l’explorer avec moi pendant que mes soldats s’occupent du reste ?

Malgré son enthousiasme, la capitaine voulait de plus en plus travailler avec la prétorienne depuis qu’elles s’étaient battues côte à côte, celle-ci retint sa réponse et adressa un regard hésitant à Soreth.

— Ne t’en fais pas pour moi, la rassura-t-il en opinant du chef, je suis sûr que l’engouement des gardes ne les empêchera pas de me protéger au besoin.

Elle acquiesça en réprimant un sourire, elle ne savait pas qui protègerait qui en cas de problème, empoigna le premier barreau de l’échelle, et descendit avec détermination vers ce qui semblait être un tunnel mal éclairé.


 

Seulement deux torches, de chaque côté de murs irréguliers et humides, permettaient à Lyne de distinguer le corridor dans lequel elle arriva. Large de deux mètres et long d’une dizaine, il avait été bâti pour contenir des assaillants en surnombre, que ce soit pour la guerre ou la contrebande. L’une de ses extrémités était close, tandis qu’une lumière vacillante et des sons étouffés indiquaient que l’autre tournait sur la gauche. Quant à l’odeur d’encens de l’échoppe, elle avait été remplacée au fur et à mesure de la descente par celle de la pourriture, à laquelle s’ajoutait maintenant un soupçon de putréfaction. Aussi discrètement qu’elle le pouvait, la prétorienne resserra son bouclier, dégaina son épée, et avança dans la pénombre pendant que Morgane descendait à son tour.

Une fois certaine que rien n’allait les attaquer, Lyne s’arrêta au coude du tunnel pour laisser le temps à l’héroïne de la rejoindre et jeta un regard sur ce qui se trouvait derrière : un petit couloir, vaguement protégé par une grille de fer entrouverte, et une grande pièce, qu’elle ne distinguait que partiellement et dont des voix inquiètes s’échappaient.

— Es-tu sûr d’avoir entendu quelque chose, Briane ?

— Puisque je te le dis ! Ce n’est pas moi qui suis sourde ici.

— Je sais, mais personne ne devait venir avant ce soir alors…

— Alors c’est louche ! coupa la femme avec exaspération. Par Eff ! Fais ce qu’on te demande pour une fois, et verrouille cette foutue porte comme on te l’a ordonné.

— Ouais, ouais. C’est juste… j’aime pas trop l’idée d’être enfermé avec cette fosse ignoble.

— Moi non plus Tolett, répondit une troisième voix, mais elle a raison. Il faut qu’on détruise les preuves si des soldats arrivent. On n’aura pas le temps de le faire si on n’a rien pour les ralentir.

— En plus, ajouta Briane, si ce crétin de capitaine revient il va encore en profiter pour nous crier dessus, et cette fois je ne me retiendrais pas. J’ai pas roulé ma bosse aux quatre coins du continent pour me faire insulter par un merdeux à peine sorti de l’école.

Le silence retomba, puis une chaise racla le sol de pierre.

— Très bien. J’y vais.

Lyne grimaça dans l’obscurité, les guerrières n’allaient plus pouvoir attendre les renforts, et tourna un regard interrogateur vers Morgane. Celle-ci y répondit en dégainant son épée, puis elles s’élancèrent en direction de la grille.


 

Une expression de surprise passa sur le visage de Tolett quand il aperçut les militaires qui courraient vers lui, mais il ne chercha pas à s’enfuir et se rua plutôt vers la porte en hurlant.

— Des soldats !

Malheureusement pour lui, il atteignit l’entrée en même temps que Lyne. L’impact du bouclier de cette dernière contre les barreaux résonna comme un coup de tonnerre, et le mercenaire vola en arrière avant de s’écraser sur le sol poussiéreux. Il essaya péniblement de se relever, mais la botte de Morgane rencontra son menton et il s’écroula pour de bon.

Satisfaite de leur arrivée fracassante, Lyne balaya le reste de la pièce du regard et, mettant de côté l’étrange dispositif qui en occupait la majorité, se concentra sur les deux spadassins qui lui faisaient face. Au cri de leur camarade, ils avaient attrapé deux glaives aiguisés chacun et se tenaient maintenant entre les militaires et une table remplie de nourriture, de cartes à jouer et de parchemins.

— Plus un geste, déclara Morgane en se plaçant à gauche de sa partenaire, vous êtes en état d’arrestation. Je suis la capitaine du quartier est et ceci sera votre seule sommation. Lâchez immédiatement vos armes !

La menace arracha un rictus retors à Briane, et elle interpella son confrère d’une voix sarcastique.

— Tu as entendu ça, Darion ? La patronne va être contente si on lui ramène la tête d’une conseillère.

Le bandit acquiesça d’un ricanement désagréable, puis il sauta avec agilité sur l’héroïne de Hauteroche tandis que son équipière chargeait Lyne.


 

La garde royale para deux attaques habiles qui visaient ses flancs, puis riposta d’une fente verticale. Son adversaire esquiva d’une volte à gauche et, dans le même mouvement, essaya de lui couper le mollet. Lyne l’évita en levant la jambe, puis, tandis que la lame sifflait sous sa botte, déséquilibra la mercenaire d’un coup de pied dans la hanche et tenta de lui trancher l’abdomen.

L’épée n’atteignit pas sa cible, qui se déroba d’une roulade arrière, mais la prétorienne en profita pour se tourner sur sa droite et frapper Darion à hauteur d’épaule. Il la bloqua au dernier moment, occupé par son combat contre Morgane, et offrit ainsi à la capitaine l’espace dont elle avait besoin pour lui entailler le biceps gauche. Il grogna, aussi bien de surprise que de douleur, puis son arme tomba au sol dans un vacarme métallique et un sang vermeil se mit à couler le long de son bras.

Lyne ne fut pas certaine de ce qu’il se passa ensuite, car elle dut se recentrer sur Briane. Consciente que le temps jouait contre elle, celle-ci redoubla de violence afin de briser la prétorienne, au moins, de la faire suffisamment reculer pour obtenir une ouverture contre Morgane.

En guise de réponse, Lyne adopta une posture plus défensive, bloquant les attaques sans se laisser déborder et ne ripostant que pour regagner du terrain. Si cela poussa la mercenaire à se montrer plus entreprenante durant quelques échanges, où ses glaives manquèrent de blesser la garde royale de peu, cela la poussa aussi à s’épuiser avant elle. Ses frappes perdirent peu à peu en force et en vitesse. Son visage se fit plus rouge, sa respiration plus haletante. Finalement, Lyne se prépara à reprendre l’avantage.

Après avoir dégagé une lame d’un coup de bouclier et l’autre d’une parade circulaire, elle bondit d’estoc en visant le plexus de Briane. Morgane cria au même moment un avertissement indistinct et, pendant que la pointe de l’épée de la prétorienne fondait sur sa cible, une dague fendit l’air et lui percuta le pectoral. Elle fut déviée par sa cotte de mailles, mais ricocha vers son visage et lui entailla la pommette avant de retomber au sol.

La surprise stoppa net l’assaut Lyne. L’esprit embrouillé par la douleur, elle bloqua hâtivement une première attaque au niveau de son flanc, puis une seconde à quelques centimètres de sa gorge. Elle sentit ensuite le genou de Briane s’enfoncer dans sa cuisse, et perdit l’équilibre quand la mercenaire lui faucha les jambes.

La chute lui coupa le souffle, mais elle ne prit pas le temps de le retrouver et roula immédiatement sur le côté pour éviter la lame de son adversaire. Elle para alors un assaut de son bouclier et, sans chercher à se relever, profita de sa position pour frapper le tibia de Briane aussi fort qu’elle le pouvait. Celle-ci chancela tandis que Lyne se redressait, puis elles se remirent en garde, les yeux brillants d’une même volonté de vaincre.

— Ça suffit ! vociféra soudainement Morgane en les figeant sur place. Rendez-vous maintenant !

Un rictus narquois déforma le visage couvert de sueur de Briane. Tout en gardant un œil sur Lyne, elle tourna la tête vers la capitaine pour l’insulter, et perdit aussitôt de sa superbe. Darion gisait sur les pavés à quelques pas d’elle, la gorge ouverte, les vêtements maculés de sang.

— Vous pourriez peut-être tuer l’une de nous, reprit l’héroïne d’une voix dépourvue de fatigue, mais il serait stupide de croire que vous nous aurez toutes les deux.

Briane grimaça en considérant les options qui s’offraient à elle, puis lâcha ses armes et leva les mains au ciel.

— Très bien. Je me rends.


 

Assise à la table où jouaient les bandits une quinzaine de minutes auparavant, Lyne laissait un jeune militaire blanc soigner ses blessures, pendant que Morgane et Soreth interrogeaient les prisonniers et que deux soldates inspectaient la pièce. Plutôt commune avec son bureau, ses vieilles caisses de provisions et son matériel de couchage, la salle aurait paru anodine sans la trappe rouillée dans son coin gauche, d’où s’échappait une immonde odeur de pourriture, et l’étrange dispositif qui l’occupait au deux tiers. Il était composé de quatre piliers d’orichalque gainés de fer, placés en carré, et d’autant de tiges du même alliage, qui se rejoignaient au niveau d’un modeste autel en bois au milieu de la structure, où un calix brillait pâlement. Corrompu, d’après le regard que lui avait jeté Soreth, il était probablement ici pour tester l’assemblage et sa capacité à absorber les berdaris.

Impressionnée par le coût du dispositif, ainsi que par l’installation d’un réseau d’orichalques dans les rues du quartier comme le soupçonnait Beorthne, Lyne se demandait si quiconque en ville pouvait rivaliser avec la fortune de Mascarade. C’était aussi le cas des militaires chargées d’étudier la structure, qui ne cessaient de siffler d’approbation et de plaisanter à l’idée de s’enfuir avec. La prétorienne savait qu’elles n’en feraient rien, Morgane les avait entre autres choisis pour leur intégrité, mais cela en disait long sur leur ennemi et sa capacité à soudoyer ceux dont il aurait besoin.

La capitaine et Soreth revinrent peu après que le soldat ait fini de nettoyer les plaies de sa patiente.

— Ce n’est pas si mal, commenta Morgane en s’arrêtant devant elle, même si j’aurais aimé que nous en obtenions davantage. Les informations sur ce Mascarade semblent plus rares que l’orichalque ici.

— Ils ne l’ont évidemment jamais vu, précisa Soreth pour sa partenaire, mais ils nous ont listé des compagnies de mercenaire qu’il a recruté. En outre, et même si cela n’aura d’intérêt que lorsque nous serons sûrs du conseil, ils sont disposés à témoigner contre Jarrett si nous les protégeons.

Lyne hocha la tête avec satisfaction, tirant sur la plaie qui lui balafrait la joue, et attrapa la gourde d’eau que lui tendait son équipier.

— Comment te sens-tu ? demanda celui-ci pendant qu’elle buvait.

— Cela ira, tant que je ne souris pas.

Le prince eu une moue déçue, elle le soupçonnait d’être incapable d’arrêter de plaisanter, et Morgane acquiesça d’un air rassuré.

— Je ne connais pas beaucoup de soldats qui auraient pu battre ces mercenaires. C’est dommage que tu aies déjà un emploi, je t’en aurai bien proposé un dans l’armée de Hauteroche.

— Merci, répondit Lyne alors que la chaleur lui montait aux joues. C’est un honneur de travailler avec vous.

Une lueur de fierté traversa le regard de l’héroïne, puis elle se tourna vers le dispositif tandis que Soreth dévisageait ses interlocutrices d’un œil amusé.

— Il semblerait que cet endroit soit destiné à recueillir des flux d’Eff, reprit la capitaine d’une voix neutre, mais je ne comprends pas d’où ils peuvent provenir.

— Nous non plus, mentit Soreth sans une once d’hésitation. Je suppose que c’est lié à l’attaque et au plan de Mascarade.

Silencieuse, Lyne se pinça les lèvres et s’absorba dans la contemplation des cartes à jouer éparpillées sur le bureau. Elle avait promis à Beorthne de ne pas révéler son secret, mais tromper Morgane ne lui plaisait pas. Surtout après les compliments qu’elle venait de lui faire.

— Votre galweid pourra-t-il inspecter cette… chose ?

— Bien sûr, acquiesça Soreth avant de tourner un regard compatissant vers sa partenaire et de changer de sujet. Il y a une excavation sous la trappe et plusieurs corps à l’intérieur. Il faudra le certifier, mais nous pensons qu’il s’agit des disparus… au moins en partie.

Une bille amère se forma dans la gorge de la prétorienne, et ses yeux se posèrent sur l’entrée de la fosse. Elle n’avait pas un instant cru pouvoir retrouver les familles en vie, mais savoir qu’elles avaient fini entassées dans un trou la révoltait. Il n’y avait pas de limite à l’horreur de Mascarade. Pas de crimes trop épouvantables pour lui. Il fallait que cela cesse. Les dents et les poings serrés, elle se retourna vers son équipier.

— Avons-nous quelque chose d’utile dans l’immédiat ? Quelque chose pour le trouver ? Pour le faire payer.

— Arrêter Jarrett serait prématuré et étudier les corps va demander beaucoup de temps. Ils sont très abîmés. Néanmoins, la caisse qui contenait les catalyseurs portait une marque verte en forme de fer à cheval. Cette information n’aurait rien donné seule, mais en la recoupant avec les notes de Rampegral nous avons découvert l’entrepôt d’où elle provenait. Morgane y a envoyé des soldats et nous propose d’aller les rejoindre. T’en sens-tu capable ?

Lyne hocha la tête sans prendre le temps de vérifier ses blessures. Si le hangar stockait des calix, les militaires auraient besoin de l’aide de Soreth, et si Mascarade le faisait surveiller, elle ne serait pas de trop non plus.

— Soyez prudents, déclara Morgane tandis que la prétorienne se levait, même si Son Altesse dispose de deux excellents protecteurs, je n’aimerais pas m’occuper de la paperasse qu’entraînerait la mort d’un prince.

— Le bon côté, plaisanta Soreth en s’éloignant, c’est que plus rien ne vous empêcherait de les engager.

Le sourire de Lyne l’élança, mais elle répondit sur le même ton, désireuse de se changer les idées.

— Pourvu que rien ne vienne nous tenter alors. Un accident serait vite arrivé.

Les lèvres de Morgane se retroussèrent et elle adressa un clin d’œil à la guerrière.

— Finalement, ça ne doit pas être si dur d’enterrer une enquête.


 

Afin d’être plus discrets, les prétoriens laissèrent leurs montures dans l’une des rares auberges encore ouvertes du quartier sud, sans doute à cause de son prestige, et Soreth remplaça sa cape argentée par un lourd manteau marron. Ils s’approchèrent ensuite de l’entrepôt, une gigantesque construction en pierre prolongée par des grues en bois du côté du Limes, et s’aperçurent immédiatement que quelque chose clochait.

À l’inverse des dépôts alentour, qui fourmillaient d’activité en ce début d’après-midi, celui-ci était désert, captif d’un silence funèbre. Les surveillants s’étaient volatilisés des guérites, les dockers avaient abandonné les couloirs de chargements, et il ne restait pour preuve du passage des conducteurs que les sillons de leurs véhicules dans la neige.

Lyne réprima un frisson devant l’entrée, la scène lui rappelait Brevois par trop d’aspects, et s’efforça de garder son calme. La conclusion la plus logique était que les gardes de Morgane aient vidé l’entrepôt avant de le fouiller. Il n’y avait rien de mal à cela. Rien de dangereux non plus. Et même s’il était étrange qu’ils n’aient pas laissé l’un des leurs à l’extérieur, ils n’étaient peut-être pas assez, ils ne devaient pas être plus de six afin de rester discrets, ou simplement trop pressés. Malgré cette éventualité, Soreth paraissait partager les inquiétudes de sa partenaire, car il était aussi tendu qu’elle et ne tarda pas à empoigner la dague cachée dans sa manche. Elle l’imita en dégainant son épée, puis ils se faufilèrent dans la cour dépeuplée.

Le silence y était encore plus pesant, mais rien ne sembla vouloir le troubler. Pas même une embuscade. Légèrement soulagés, les prétoriens se dirigèrent vers la vieille porte entrebâillée du bâtiment.

Ses gonds grincèrent sur eux-mêmes, puis révélèrent un large couloir pavé, bordé par des salles de stockage et de vie. La plupart étaient ouvertes et éclairées, mais ils n’y trouvèrent nulle trace de travailleurs ou de soldats, comme si les occupants et occupantes étaient partis sans avoir le temps de les fermer. Dans ces conditions la politesse aurait voulu que les Erelliens se fassent connaître, mais ils n’eurent pas besoin de se concerter pour décider que c’était une mauvaise idée. Tout était trop calme. Trop figé. Les bonnes manières attendraient.

Lorsque Lyne passa devant le réfectoire, situé entre une salle de détente et la cuisine, son regard fut attiré par ses tables dressées et ses assiettes encore pleines d’un épais potage. Elle pénétra dans la pièce, intriguée, et, tandis que Soreth inspectait les environs, retira l’un de ses gants pour plonger l’index dans la soupière la plus proche. Elle était tiède malgré la fraîcheur des lieux. La prétorienne essuya sa main et tourna les yeux vers son équipier.

— Ils sont partis il y a une trentaine de minutes, sans même prendre le temps de finir leur déjeuner. Penses-tu que les troupes de Morgane aient pu les faire fuir aussi vite ?

Soreth secoua la tête et brandit un manteau élimé qu’il avait ramassé dans un coin.

— Ils n’abandonneraient pas un repas ou des vêtements à cause des soldats. Du moins, pas de ceux de la capitaine.

— J’ai l’impression qu’on arrive après la tempête, soupira Lyne. J’espère que les gardes vont bien.

Soreth acquiesça, puis se figea, fronça les sourcils et renifla plusieurs fois. Sa protectrice l’imita et sentit aussitôt ce qui le perturbait. Une forte odeur d’alcool et de bois brûlé imprégnait l’air.

— Il semblerait que la tempête ne soit pas terminée, jura le prétorien. Dépêchons-nous !


 

Quand ils atteignirent le premier étage, une épaisse fumée avait déjà envahi les lieux. Malgré leurs gorges irritées et leurs yeux embués de larme, ils coururent aussi vite qu’ils le pouvaient vers le bureau du propriétaire. Les gardes de Morgane devaient s’y trouver, et ils avaient clairement besoin d’aide. Ils progressèrent un moment entre les caisses entreposées là, ignorant les crépitements de plus en plus secs et la température grandissante. Ils n’avaient pas le temps de s’en soucier. Seuls les soldats importaient. Finalement, alors que des flammes orangées commençaient à lécher le mur nord, ils repérèrent la porte à moitié entrouverte du cabinet.

Ils s’y engouffrèrent sans hésiter, aucun assassin ne serait assez stupide pour s’y embusquer, et manquèrent de trébucher sur le corps d’un jeune militaire, étendu face contre terre.

Ils échangèrent un regard inquiet, puis Lyne se pencha pour vérifier le pouls du soldat pendant que Soreth fouillait le reste de la pièce. Ne trouvant nulle trace de vie, elle retourna le défunt et constata qu’on lui avait perforé l’abdomen à plusieurs reprises, par surprise s’il fallait en croire l’expression incrédule qu’il arborait.

— Il est mort ! cria-t-elle à son partenaire autant à cause des crépitements que pour évacuer sa colère.

— Il y en a deux autres ici, répondit le prince d’un air écœuré, Mascarade a dû prévoir notre venue.

Il balaya des yeux la bibliothèque derrière lui et ajouta.

— Ils ont aussi pris les livres de comptes. Nous arrivons trop tard…

Lyne hocha la tête avec résignation. Les sbires de Mascarade devaient être partis depuis longtemps lorsque les prétoriens avaient remarqué la fumé, et n’avaient assurément laissé aucun gardes en vie. Elle s’apprêta ensuite à se lever, consciente qu’elle n’avait ni le temps de s’appesantir sur la situation ni de sortir les cadavres, quand son regard s’arrêta sur le poing fermé du militaire. Elle lutta quelques secondes pour le lui ouvrir, autant intriguée que désespérée de donner un sens à sa mort, et y découvrit une clef délicatement ciselée.

— Un coffre ! s’exclama-t-elle en se redressant. Cherche un coffre ! Vite !

Soreth s’exécuta sans poser de questions, et ils se mirent à fouiller les lieux de plus en plus envahis par la fumée.

Lyne terminait d’inspecter sans succès un buffet de provisions, quand son partenaire lui apporta une magnifique cassette en bois. Elle y glissa la clef en retenant son souffle, et le retrouva lorsqu’un cliquetis rassurant s’éleva de la serrure. L’écrin contenait une bourse, une plume à écrire multicolore, et un petit livre en cuir que le Soreth rangea dans l’une de ses sacoches.

— Bien joué, la félicita-t-il avant de se diriger vers la sortie. Allons-y !

Quittant le bureau pliée en deux pour respirer à travers la fumée, le cœur lourd à l’idée de laisser les soldats derrière elle, Lyne constata à travers les volutes épaisses que l’intégralité du mur ouest était en feu et se demanda s’ils avaient bien fait de chercher le coffre. Ils avaient un labyrinthe de caisses à traverser, et, même s’ils se révélaient utiles, les documents ne serviraient à rien s’ils brûlaient avec eux.


 

Les prétoriens atteignaient tout juste la première moitié de l’étage, le visage couvert d’un mélange de cendre et de sueur, quand un craquement sinistre ébranla l’entrepôt. Ils se jetèrent instinctivement au sol, juste avant qu’une poutre enflammée s’écroule à quelques mètres d’eux et qu’un nuage de braises ardentes leur frôle le crâne. Ils se relevèrent ensuite rapidement, et constatèrent avec horreur qu’une partie du toit venait de s’effondrer. Ébouriffant alors leurs cheveux et confirmant leur pire crainte, le vent s’engouffra dans le bâtiment pour attiser un feu qui l’était déjà trop.

Ils repartirent immédiatement de plus de belle, courant aussi vite qu’ils le pouvaient entre les caisses, ne se laissant ralentir ni par les flammes ni par le manque de visibilité, mais arrivèrent trop tard aux escaliers. Ils étaient déjà transformés en une immense fournaise, au pied de laquelle ils s’arrêtèrent de justesse.

— Merde ! jura Lyne tout en se protégeant le visage de la chaleur.

Elle recula ensuite de quelques pas, balaya les alentours rougeoyants du regard, et se stoppa sur la même porte que Soreth : l’accès à la grue à quelques mètres d’eux.

— On devrait survivre au saut, analysa le prétorien entre deux quintes de toux. En tout cas, on a plus de chance que si on reste ici.

La garde royale hocha la tête et commença à retirer son armure pendant que la chute d’une nouvelle poutre faisait vibrer le plancher.

Elle eut le temps d’enlever son gambison avant qu’ils n’atteignent la sortie, et ôta ses tassettes tandis que Soreth tirait l’épaisse barre qui la bloquait. L’ouverture provoqua un troisième appel d’air, mais ils ne s’en soucièrent pas. Il était trop tard pour faire demi-tour.


 

Le vent frais apaisa les brûlures de Lyne, mais son bénéfice fut vite contrebalancé par l’angoisse qu’elle éprouva en se retrouvant une quinzaine de mètres au-dessus des pavés, sur le mât d’un appareil impropre à l’escalade. Elle n’avait heureusement qu’à se cramponner et ramper, tandis que Soreth nettoyait le chemin vers le sommet des cordes et du verglas. Il n’y avait que là-bas qu’ils pourraient se jeter dans le Limes sans danger. Ou au moins, avec l’espoir de survivre.

Déjà au tiers de son ascension, Lyne se hissa d’un demi-mètre supplémentaire à l’aide d’un câble, plaqua ses pieds contre des butées et se poussa encore de quelques pas. L’opération agrandit les trous de sa chemise déchirée, et un frisson la parcourut lorsqu’un courant d’air glacé lui balaya les flancs. Elle s’efforça néanmoins de ne pas y prêter attention, du moins pas plus qu’à sa peau griffée ou à ses doigts douloureux, et saisit une nouvelle arrête pour continuer son avancée.

C’était un plan idiot. Elle le savait. Son corps gelé le savait. Et même les foutus canards qui l’observaient progresser maladroitement depuis le fleuve le savaient. Hélas, ils n’en avaient pas d’autres. Il suffisait d’un coup d’œil à l’entrepôt dévoré par les flammes pour s’en convaincre. Mascarade les avait contraints à choisir entre le bûcher et la noyade. Elle ne l’oublierait pas lorsqu’elle lui mettrait la main dessus.

Après une dizaine de minutes et bien plus d’échardes, Soreth parvint au sommet de la grue. Il se releva juste assez pour regarder son amie, qui peinait derrière lui, et lui adresser un sourire encourageant. Elle le lui rendit, malgré la douleur de ses joues à vif et son cœur qui battait la chamade, puis elle le vit articuler deux mots, qu’elle n’eut aucun mal à deviner, et l’observa tomber avec angoisse. Le fleuve l’absorba dans un bruit sourd, presque couvert par les crépitements de l’incendie.

Tandis que les remous se calmaient en dessous d’elle, Lyne se hissa à l’endroit où s’était tenu son partenaire et, comme son corps tremblait autant à cause du vent que de la fatigue, prit quelques secondes pour récupérer. Elle en profita pour scruter les flots, mais ne s’étonna pas de ne pas y trouver Soreth. Le courant était puissant. Il devait déjà être loin.

Elle inspira profondément. Cela serait juste un mauvais moment à passer. Elle retrouverait son équipier peu après, et ils sauraient se convaincre que ce n’était pas la chose la plus dangereuse et stupide qu’ils avaient faite depuis le début de leur mission. Un sourire se dessina sur ses lèvres à cette idée, puis elle se laissa glisser à son tour.

Il y eut un bref choc, un froid immense, et finalement l’obscurité crasseuse du fleuve. Lyne s’y débattit pendant d’interminables secondes, la poitrine en feu, avant de réussir à rejoindre la surface. Elle continua alors de se démener pour regagner la rive, consciente qu’elle n’en serait bientôt plus capable, et, avec ses dernières forces, s’accrocha à l’amarre d’un bateau de pêche.


 

Des ouvrières l’y trouvèrent quelques minutes plus tard et n’hésitèrent pas à se mouiller pour la hisser hors du Limes. Elle resta allongée un moment au milieu d’elles, trop occupée à cracher cendres et eau pour leur répondre, puis elle les remercia avec gratitude et échangea le contenu de sa bourse contre une de leur cape en laine.

Elle les salua ensuite, pleine de déférence pour leur bienveillance, et se dirigea vers l’auberge où les prétoriens avaient laissé leurs montures. Avec un peu de chance, Soreth l’y attendait déjà.

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Camille Octavie
Posté le 11/04/2023
Rebonjour,

J'avoue que je n'ai pas tout compris XD
Les soldats sont arrivés dans une embuscade, se sont fait tuer, et les hommes de mascarades sont partis en mettant le feu ? Et c'est à ce moment que Lyne et Soreth arrivent ?
Mais combien de soldats devaient faire la perquisition du hangar ? Ou sont les autres ? Une partie des soldats se sont retournés contre les autres ?
En fait je pense que tu souhaites en garder une partie mystérieuse, et ça se comprend bien, mais du coup, comme ils n'ont pas fait le tour de l'entrepôt ou autres, je n'ai pas compris pourquoi la seule sortie c'était la grue vers un fleuve que je ne me souviens pas avoir vu avant ^^' C'est dommage parce que tu sous-entend que c'est aussi un piège de Mascarade qui essaie de se débarasser d'eux.

Le reste est toujours aussi bien :) Et surprise ! Pas de Soreth au point de ralliement mouhahaha quel suspense !

Et ? Lyne a perdu sa belle armure du coup ?

Quelques détails au fil de ma lecture:

> "Aussi fatiguée que dépitée, Lyne resserra sa cape autour de sa cotte de mailles, enfilée pour plus de discrétion,"
>> C'est juste je pense, mais ça m'a donné l'impression que c'était la cotte de mailles qui est censée lui apporter de la discrétion et pas la cape.

> "Soreth réfléchit un instant, puis répondit en grattant le front de sa jument."
>> Ils sont à pieds ? Si oui je pense qu'il faudrait le dire clairement, là pour moi ils étaient à cheval, et gratter le front de sa monture quand on est assis dessus, c'est tout à fait faisable, mais ça limite la discussion en attendant je pense.

> "— Ne t’en fais pas pour moi, la rassura-t-il en opinant du chef, il y a assez de gardes ici pour me protéger."
>> Du coup comme avant tu dis que la protection, c'est la responsabilité de Lyne, je trouve cette réplique un poil incohérente. Surtout que la capitaine descend dans le passage secret aussi. Évidemment, Lyne n'aime pas le laisser sans protection, donc ce n'est pas l'échange en tant que tel qui pose soucis, mais vraiment plus la réponse / formulation.

> "Ils avaient un labyrinthe de caisse à traverser, et, même s’ils se révélaient utiles, les documents ne serviraient à rien s’ils brûlaient avec eux."
>> "de caisses" au pluriel ?

> "Ébouriffant alors leurs cheveux et confirmant leur pire crainte, le vent s’engouffra dans le bâtiment pour attiser un feu qui l’était bien trop."
>> la fin de phrase me "sonne bizarre" parce que on ne dit pas vraiment "un feu bien attisé". Je me permets quelques idées pour nourrir ta réflexion : "pour attiser un feu qui n'en avait déjà plus besoin" ou "pour attiser un feu qui n'attendait que cela" ou "pour attiser un feu déjà bien trop agressif" ?

A bientôt !
Vincent Meriel
Posté le 14/04/2023
Re-bonjour,
Encore un retour des plus intéressant et sur lequel il va falloir que je me penche ^^
Ce n'est pas évident d'être clair sur la scène de l'entrepôt vu que les personnages eux même ne savent pas vraiment ce qu'il se passe, mais je vais voir si je peux expliquer un peu plus de choses.

En attendant quelques réponses :

> "C'est juste je pense, mais ça m'a donné l'impression que c'était la cotte de mailles qui est censée lui apporter de la discrétion et pas la cape." => c'est exactement cela et la réponse à pourquoi elle n'a pas son armure d'argent. C'est beaucoup trop voyant !

> Les grues sont décrites lorsqu'ils arrivent au niveau de l'entrepôt, ça remonte peut-être un peu au niveau de la lecture.

> Morgane a envoyé une poignée de garde effectivement, ça serait bien de le dire.

> Le feu a été lancé pendant que Lyne et Soreth exploré le RDC, ils ont ratés les coupables par contre. Cela serait surement bien de l'expliciter aussi.

J'espère que cela te laissera un peu moins de questions, je vais voir comment intégrer tout cela dans le texte ^^

En attendant bonne journée et à (plus ou moins) bientôt :P (j'ai relu 50% du prochain chapitre ! J'y crois !)
Camille Octavie
Posté le 23/06/2023
Bonjour, c'est re-moi XD Je reviens lire la suite et donc je reprends quelques chapitres avant pour me remettre dans l'ambiance
Vincent Meriel
Posté le 23/06/2023
C'est un plaisir de te revoir ! J'essaye de poster la fin du roman d'ici la fin de cette semaine ou de la prochaine (selon mes disponibilités ^^)
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