J’attends, accroupie contre un mur dans la cour de la base, le début de l’opération. Hans et son frère discutent plus loin. Je n’ai pas envie de les rejoindre. Je préfère rester seule. C’est l’unique moyen pour moi de me détendre. Le groupe de Tellin est parti tôt ce matin. Il était accompagné d’une escouade d’une quinzaine de soldats. Je trouve ça peu, mais je ne m’inquiète pas pour lui. Notre mission est un peu plus délicate que la sienne. Nos mouvements ne doivent pas paraitre suspects aux yeux des rebelles. Il faut les prendre par surprise. Mes doutes concernant les informations des rebelles ne se sont pas dissipés. Au contraire, ils se sont accrus lors de ces trois derniers jours. Tellin m’a affirmé que les éclaireurs envoyés pour vérifier les environs n’avaient rien constaté de suspect. Seulement, je n’arrive pas à m’ôter cette impression sur le fait que tout va trop bien. Je tente d’atténuer cette anxiété qui ne me quitte plus. Je dois surement m’inquiéter pour rien. Pourquoi paniquer ? Nos plans sont solides. Nos troupes sont composées par l’élite. Malgré cela, je n’arrive pas à me calmer. Je sais que c’est un peu tard pour penser à tout ça. L’opération commence dans moins de deux heures, nous ne pouvons plus faire marche arrière et, pourtant, ce serait peut-être le mieux à faire. Je revois Luna en pleurs. Elle a plus l’habitude que moi de ce genre de mission et cela ne l’empêche pas de craquer. Je ne suis pas croyante, mais si quelqu’un existe là-haut, faite que tout se passe bien. Luna arrive dans la cour. Je me relève. Il est temps d’y aller. Ma sœur aborde son expression de chef de guerre. L’attaque repose sur ses épaules. La moindre erreur de sa part peut causer notre perte. Sa faiblesse de la dernière fois n’est plus visible. Son regard survole notre groupe. Je le trouve particulièrement dur. Nous devons être une trentaine. D’après les éclaireurs, les rebelles sont un peu moins nombreux, mais rien n’est moins sûr. Luna se place sur l’estrade pour faire un dernier discours au groupe.
- Chacun a reçu son ordre de mission ? demande-t-elle.
Nous approuvons d’un hochement de tête.
- Bien ! Soldats, je serais brève. Nous devons stopper la menace qui se trouve à nos portes. Respectez à la lettre votre rôle dans cette mission. Je serais votre guide. Faites-moi confiance comme je le fais pour vous. Je vous le répète une dernière fois : l’échec n’est pas une option.
Luna lève son poing vers le ciel.
- Aujourd’hui, nous serons vainqueurs !
Une clameur s’élève. Je ne bouge pas. Je ne fais rien pour montrer mon enthousiasme. Je fais tache parmi mes coéquipiers. Je ne vois pas pourquoi je devrais m’extasier face à cette allocution alors que la mort nous guette peut-être à l’extérieur. Je suis désolée, Luna, mais je ne crois plus en ces discours de victoire. Pour moi la seule réalité qui compte, c’est le moment même. Je m’écarte du groupe et attends que tout ça passe. Je ne veux pas que mon pessimisme démoralise les troupes de ma sœur. Elle a besoin de soutien. Luna descend de son piédestal. Elle se dirige vers moi. Je crains qu’elle me hurle dessus pour mon comportement, mais elle se contente de me serrer une dernière fois contre elle. Je n’ai pas le temps de lui dire quoi que ce soit qu’elle est déjà hors d’atteinte.
Nous nous mettons en route une heure avant le lancement de l’opération. Nous devons attaquer les rebelles avant qu’ils se dirigent vers la base. Leur camp n’est pas très loin du nôtre. Je dessine mentalement une carte de la zone d’action. Il faut faire attention à ne pas aller trop vers le nord, car il y a un ravin très profond. Hans a été clair, si quelqu’un tombe, il n’a aucune chance de survivre. La partie Sud est plus propice pour le combat. Je regarde notre troupe. L’armée nous a donné des vêtements moins voyants. La couleur de nos vestes se rapproche de celle de la neige. Discrétion est le mot d’ordre de cette mission. Hans se place à côté de moi. Il se baisse pour murmurer :
- Nerveuse ?
- Toujours. Pas toi ?
- Si. Bonne chance.
- La chance n’a rien avoir avec ça.
- Je sais, mais je le dis quand même. Courage alors si tu préfères.
- Rien irait mieux, répliqué-je un peu trop sèchement.
Hans fait la grimace. Je m’en veux légèrement. Pourquoi dois-je toujours être aussi froide avec lui ? Quand bien même je suis soucieuse, ce n’est pas une raison pour m’en prendre aux autres. Pour finir notre discussion de manière positive, je me rattrape :
- Mais merci. Fais attention à toi.
Il me sourit.
- J’y compte bien.
Son bras s’enroule autour de mes épaules. Ce geste me déconcerte quelque peu. Hans se baisse davantage pour arriver à la hauteur de mon oreille :
- À notre retour, on se retrouvera chez Luna pour fêter notre réussite. Tu n’as pas intérêt à ce qu’on vienne te récupérer chez Vincent. Sois prudente.
Je relève la tête vers lui. Je retiens avec peine les larmes qui me montent aux yeux. J’ignorais qu’il était si agréable de savoir que quelqu’un s’inquiète pour vous.
- Je te le promets, soufflé-je.
Le sourire de mon collègue s’élargit. Il se redresse puis accélère le pas pour rejoindre son frère. Je retrouve ma solitude, mais une douce chaleur m’a enveloppé le cœur. Je tiendrai cette promesse, peu importe ce qui arrive. Nous serons tous les quatre en vie ce soir.
Nous encerclons le camp rebelle. Ils sont en train de finir leur repas. Luna est couchée sur le ventre et regarde sa montre. Je lis sur ses lèvres qu’elle fait le décompte. Tout le monde retient son souffle. Prudemment, je relève la tête pour analyser la situation. Une quinzaine de personnes est visible. Certaines sont allongées par terre. J’imagine que les autres sont dans leurs tentes, car du bruit provient de différents endroits. Mon côté parano reprend le dessus et je me dis qu’ils font beaucoup de vacarme. Ils ne sont pas très discrets. Tellin avait peut-être raison. Ils sont plus stupides que l’on croit. Je remarque que les gens qui sont à l’extérieur ont leurs armes à leurs pieds. Rectification, ils ne sont pas complètement idiots. Je reporte mon attention vers Luna. Le décompte final est proche. Je la vois articuler :
Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux…
Sa mâchoire se contracte et ses yeux se ferment brusquement. Cela ne dure qu’une fraction de seconde avant qu’elle ne se reprenne et qu’elle rouvre ses paupières. Seule la rage est visible.
Un !
Elle se lève d’un bond et lance l’attaque. Nos meilleurs tireurs lancent une salve de balles. La moitié des rebelles ne parviennent pas à éviter les projectiles. Il s’agit pour la plupart des gens couchés. Un son métallique émane de leurs corps lorsqu’une balle les touche. Il m’interpelle. Étrange. Sans plus attendre, je m’élance à mon tour. J’évite les attaques ennemies, tout en gardant les yeux rivés sur ces rebelles couchés. Je dois savoir d’où provient ce bruit. Un rebelle s’interpose entre moi et mon objectif. Je sors un poignard et le lui plante dans la gorge. Il s’effondre mort en émettant un gargouillement atroce. Je n’y prête pas davantage attention. J’arrive à la hauteur du cadavre d’un des hommes couchés. Aucune trace de sang n’est visible. Je retire le drap qui le recouvre et tombe nez à nez avec un mannequin qui ressemble à ceux avec lesquels je m’entraine. Une horrible vérité se faufile dans mon esprit. Je tourne ma tête pour faire un rapide calcul de nos assaillants. Personne n’est sorti des tentes. Je m’engouffre dans l’une d’entre elles. Un bruit assourdissant l’emplit, mais seul un enregistreur se trouve à l’intérieur. Je sors pour prévenir Luna, mais il est trop tard. Une bombe explose et les rebelles sortent de nulle part. Je savais que quelque chose clochait, mais j’ai préféré me taire. Pourquoi ? Maintenant, je vais le payer cash. L’heure n’est plus aux lamentations, le piège s’est déjà refermé. Le mot d’ordre n’est plus la victoire, mais la survie.
Je regarde autour de moi. Les autres soldats commencent à comprendre ce qu’il se passe. Nous sommes devenus la proie. Je lis l’hésitation et la peur dans leurs yeux. Tout se bouscule dans mon esprit, je n’ai plus les idées claires. Que dois-je faire ? Fuir ? Attaquer ? Je cherche ma sœur dans la bataille. Je la trouve en train de se battre. Elle a gardé son sang-froid. Elle hurle, mais je n’entends rien. Une balle m’érafle le bras et me sort de ma léthargie. Je me remets en marche. Il faut que je me ressaisisse. Mes coéquipiers tombent au sol, entrainant de temps à autre leur adversaire dans leur chute. Mon instinct prend le dessus et je frappe. Je veux vivre. Je refuse de mourir ici. Les rebelles se débrouillent bien en combat rapproché, mais face à moi ils ne font pas le poids. Une dizaine a déjà péri sous mes coups. Maintenant, ils hésitent à m’attaquer. Je dégaine mon semi-automatique et tire. Je ne ressens plus rien. C’est comme avec les cobayes, mon humanité a disparu. Les rebelles sont toujours plus nombreux. D’où viennent-ils ? Je m’abaisse pour éviter un tir. Du sang m’éclabousse le visage. Un soldat s’est fait exploser la tête. Je retiens le haut-le-cœur qui monte dans ma gorge. J’ignore depuis quand l’attaque a commencé. Nikolaï traverse mon champ de vision pour disparaitre aussitôt. Je m’élance tout de même dans sa direction. La neige fondue mêlée au sang ralentit ma progression. Mes chaussures sont trempées, mais cela m’est bien égal. Je glisse et m’étale au sol. Dans le chaos, des gens me piétinent. Un goût métallique m’emplit la bouche. Je me suis mordu la lèvre. L’angoisse continue à augmenter. Si je ne sors pas très vite de cette situation, c’en est fini de moi. Je tente de me lever. Un rebelle me remarque et me frappe dans les côtes avant de sortir son arme pour m’abattre. J’esquive de peu et lui plante ma lame dans le ventre. Son corps s’affale sur moi. Je le dégage avec difficulté, puis reprends mon avancée. C’est une véritable boucherie. Je relève les yeux et retrouve ma sœur. Elle se défend toujours. Je remarque qu’elle jette fréquemment des regards en arrière. Pourquoi fait-elle ça ? Tout à coup je comprends : le ravin se situe là. Je m’élance pour lui venir en aide. Je lui crie de faire attention, mais rien n’y fait. Quelqu’un tire sur Luna et la touche à l’épaule. La violence de l’impact la fait basculer à la renverse. Luna disparait dans le vide. Les paroles de Hans me reviennent en mémoire « Si quelqu’un chute de là, il n’a aucune chance de survivre. » Mes yeux fixent l’endroit où se trouvait Luna, ma sœur adorée. Je ne peux pas croire qu’elle n’est plus là.
Je compatis avec Elena : elle SAVAIT que les infos avaient été trop faciles à trouver, et ça puait l'embuscade à plein pif. Elle devrait faire davantage confiance à son instinct. D'un autre côté, entre la façon dont la traite son père et la façon dont la traite Tellin, pas étonnant qu'elle manque de confiance en elle. Je me demande quand même s'il n'y a pas une entourloupe. Le comportement de Luna avec elle avant la bataille, son post-it sur les cartes alors qu'elle semble quand même ne pas la considérer comme une incapable, son murmure après leur bière... je me pose des questions ! haha
Petits details : "ils font relativement beaucoup de vacarmes" rien n'est incorrect, mais l'apposition de "relativement" et "beaucoup" est un peu lourde. Vacarme peut-il etre pluriel?
"basculer à la reverse" : renverse, je crois?
Bon courage pour la suite, tu nous laisses au milieu d'un suspense insoutenable!