Chapitre 35 : Le buffet

Vous savez, lorsque j'étais jeune, j'ai déjà pris un repas avec un seigneur très puissant. A cette époque la famine frappait la région mais il avait pris soin à ce que la table soit garnie de multiples denrées en tous genres. Il y avait de la viande et des légumes, du vin délicat et du fromage avec un sacré caractère. Une tarte à la framboise. Mais ce dont je me souviens le mieux, c'était l'ambiance qu'il y régnait : il y avait un silence cérémonieux teinté d'un respect profond et sincère envers la nourriture. Le seigneur avait conscience de la faim de ses sujets, aussi il avait décidé de savourer un dernier repas frugale avant de partager une partie de ses réserves avec son peuple et de se mettre lui aussi au régime.

Le repas d'aujourd'hui était assez semblable : les gamins savouraient posément ce qu'il y avait dans leur assiette. Quelque chose que je n'avais retrouvé qu'avec ceux qui avaient connu la faim. Ceux qui ont déjà chassé pour pouvoir manger. Ceux qui se préparent tous les jours à l'éventualité d'une nouvelle famine.

La Gamine s'était servie un grand bol de lait de chèvre au miel avec des scarabées secs en guide de céréales. Une tartine à la confiture de figue se faisait grignoter ça et là de temps en temps.

Le Gamin pour sa part savourait un pancake à la crème de marron qu'il avait saupoudré d'écailles de papillon. Il s'était aussi servi une part de tarte à la chenille, à la noisette et aux amandes.

Pour ma part, je croquais des criquets grillés dans un mélange d'épices et des fleurs séchées. Il devait y avoir de la menthe et de la lavande là-dedans.

Le repas se passa en silence.

À un moment, le Gamin tira sur la manche de sa sœur. Elle s'arrêta de manger, le regarda calmement, et lui, la fixant, ouvrit sa bouche en grand. Elle sourit et lui donna une cuillerée de son bol. En échange, son frère lui offrit tout un pancake, il avait dessiné dessus une coccinelle avec de la confiture et des écailles. La pauvre elle ne fit pas long feu.

À la fin, ils burent tous les deux un verre de jus de fruit. Puis la Gamine fit la vaisselle pendant que le Gamin lui apportait les couverts. Moi je rangeais. 

Au moment de partir, le Gamin alla voir Théo. Lui dormait toujours sur le canapé. Le gosse lui frotta les cheveux, sourit et nous rejoignit au seuil de la porte. Les gosses paraissaient anxieux. Le monde extérieur était là, derrière cette porte. Je les regardai un instant et leur dis :

« Vous savez, on a le temps avant d'aller voir d'autres gens. Est ce que vous avez aimé rencontrer Théo et Riton ? »

Ils ne répondirent pas tout de suite, la Gamine interrogea son frère du regard, ce dernier sourit, alors elle me dit : « Ils étaient acceptables. »

« Alors on retournera les voir. En attendant on a des moutons dont on doit s'occuper. Allez, venez, allons travailler. »