Chapitre 37 - partie 1

Notes de l’auteur : Afin d'améliorer le confort de lecture sur PA, j'ai coupé ce chapitre en deux parties.

Assis derrière son bureau, Soreth feuilletait des documents de moindre importance tandis que Lyne s’impatientait sur l’un des bancs du cabinet. À moins d’un jour de l’attaque elle n’avait qu’une envie : parcourir Hauteroche et dénicher Mascarade. Son équipier avait réussi à la contenir la veille, parce qu’elle était épuisée, mais depuis qu’elle avait récupéré elle ne tenait plus en place.

— Tu sais, déclara le prince d’un ton amusé, fixer méchamment ce tableau n’accélérera pas la venue d’Annelle.

Un sourire traversa le visage encore balafré de la prétorienne, et elle tourna le regard vers son ami.

— J’ai connu un vieux domestique qui prétendait l’inverse. Je ne l’ai jamais vu y arriver, mais il avait une sacrée volonté.

Elle marqua ensuite une pause, comme pour réfléchir, puis demanda pour la quatrième fois de la matinée.

— Es-tu sûr que nous ne devrions pas aider Morgane à visiter les autres cachettes de Mascarade ?

— Il n’y a rien de compliqué à ce qu’elle fait, opina patiemment Soreth, elle n’a qu’à suivre de la liste que nous lui avons rapportée de l’entrepôt et Beorthne lui dira s’il y a quelque chose à trouver.

— Tout de même, cela fait beaucoup d’endroits à voir, elle pourrait manquer de temps ou rater un indice. En plus, il doit y avoir d’autres abris. Mascarade n’en donnerait jamais l'inventaire complet à quiconque.

— À moins que tu doutes du talent de Morgane, impliquer l’Erellie n’y changerait rien. Jarrett pourrait même l’utiliser contre nous. Les cachettes, c’est un moyen de collecter des preuves, de démanteler le réseau de notre ennemi et, avec un peu de chance, de lui faire croire que nous ne sommes pas au courant de plus. Il pense que nous ignorons l’existence de son armée, c’est notre seul avantage et nous devons être prêts à intervenir dès que nous aurons compris comment il compte l'emmener à la porte sud.

Lyne acquiesça d’un air las et s’enfonça au milieu des coussins.

— Je déteste attendre… et je donnerais cher pour savoir comment un millier de bandits vont traverser les plaines sud sans que personne ne sonne l’alerte. J’espère qu’Annelle en aura un peu plus à nous apprendre cette fois.

Reposant par la suite les yeux sur l’océan déchaîné du tableau, elle ajouta dans un soupire.

— La mer me manque. J’aimerais bien marcher sur les falaises avec toi.

Les lèvres de Soreth se retroussèrent, et il abandonna sa lecture pour rendre son regard affectueux à sa partenaire. Il s’apprêta ensuite à répondre positivement à son invitation, mais referma la bouche sans un mot lorsque Kakeru s’annonça à la porte.


 

Quand le lieutenant entra dans la pièce en boitant, le bras encore en bandoulière, Soreth lui adressa une grimace compatissante.

— Une fois de plus, merci pour votre aide là-bas, les choses auraient mal tourné sans vous.

— Merci, Votre Altesse, mais ne soyez pas si désolé pour mes blessures. On n’obtient pas un grade comme le mien sans prendre quelques coups. Je suis ravi d’avoir été utile, et j’espère que sire Hayin s’en sortira. Je ne pensais toutefois pas ce Mascarade si puissant. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu de calix employé sur un champ de bataille.

— Saneth ne s’est-il pas trop inquiété ? demanda Lyne pendant que son confrère s’asseyait à côté d’elle.

— Un peu, mais il savait à quoi s’attendre en épousant un soldat. En plus, cela lui fait une bonne excuse pour rentrer plus tôt du travail.

Un sourire amoureux traversa le visage de Kakeru, puis il retrouva son sérieux et se tourna vers Soreth.

— J’ai pris la liberté d’augmenter le nombre de gardes dans l’ambassade, Votre Altesse. Avec ces militaires corrompus, je me fais du mauvais sang pour les nôtres.

— Vous avez bien fait. Les représailles de nos ennemis arriveront tôt ou tard. Est-ce pour cela que vous vouliez me voir ?

— Hélas non, Votre Altesse.

Le lieutenant sortit un carré de papier usé de sa besace et le posa sur le bureau.

— On vient de m’informer que les caravanes de ravitaillement étaient bloquées à moins d’une journée de la ville. Une cinquantaine de brigands leur barrent la route, sans toutefois chercher à les attaquer. C’est à n’y rien comprendre.

— Merde ! lâcha Lyne en serrant les poings. Cela ne finira donc jamais !

Soreth acquiesça avec plus de retenue. Il ne soupçonnait pas l’existence de l’armée de Joyce quand il avait requis l’aide du royaume, et n’avait pu dire aux siens de se préparer en conséquence.

— Nous avons grandement besoin de cette nourriture pour apaiser les esprits, mais il est inutile de risquer des vies pour cela. Demandez aux forts les plus proches d’envoyer des troupes. Ces bandits ne se sacrifieront pas s’ils pensent qu’ils n’ont aucune chance.

— C’est une bonne idée, même si elle va retarder la caravane de quelques jours.

— Dans ce cas, déclara Soreth sans trop y croire, il faudra compter sur les habitants de Hauteroche pour ne pas se sauter à la gorge d’ici là.

— Espérons-le, opina Kakeru en se levant et en se dirigeant vers la sortie, le conseil a toujours été le cœur de la ville, mais maintenant qu’il ne bat plus pour elle les gens ne savent pas vers qui se tourner.

Il soupira longuement, salua ses interlocuteurs d’un signe de tête et ajouta en posant une paume sur la clenche de la porte.

— Puissiez-vous arriver à le ranimer avant que tout cela ne finisse mal.


 

Tandis que les pas du lieutenant s’éloignaient, on frappa à nouveau à la porte du bureau. Non sans un certain amusement, Soreth vit sa partenaire déchanter en constatant qu’il ne s’agissait pas d’Annelle, mais de Trisron, puis se redresser subitement en s’apercevant qu’Yllan l’accompagnait. Elle jeta aussitôt un regard paniqué à sa cotte de mailles, regrettant sans doute de ne pas avoir mis son armure officielle, avant de se lever pour serrer chaleureusement la main de leur invité.

— C’est un plaisir de vous recevoir, déclara Soreth en quittant à son tour son fauteuil.

— Merci, Votre Altesse, salua le capitaine d’un air soucieux. Je suis désolé de vous déranger, mais il fallait que je m’entretienne rapidement avec vous.

Le prince acquiesça tout en s’interrogeant sur ce que le héros pouvait lui vouloir, puis proposa à chacun de s’asseoir. Lui près de Trisron, Yllan à côté de Lyne, qui en avait presque oublié son impatience.

— Que pouvons-nous faire pour vous ? demanda-t-il quand chacun fut installé.

— En premier lieu, accepter mes excuses. Surtout vous, dame Lyne.

Un silence surpris gagna la pièce, et Yllan se tourna vers la garde royale.

— J’aurais dû davantage vous écouter lors de notre dernière rencontre. Je pensais être trop vieux pour m’occuper de la politique, mais vous aviez raison. Il est inutile de veiller sur l’extérieur d’une ville qui se désagrège de l’intérieur. J’espère seulement qu’il n’est pas trop tard pour réparer mes erreurs.

— Je suis contente que vous vous en soyez rendu compte, répondit Lyne qui s’efforçait de ne pas sourire. Je craignais d’avoir été trop brusque.

— Pas du tout, c’était exactement ce qu’il fallait pour me réveiller. Sans vous, je n’aurai pas prêté attention aux ambitions de Darsham, et je n’aurais pas compris qu’il avait perdu le contrôle de sa marionnette.

Les prétoriens échangèrent un regard intrigué.

— Parlez-vous de Riil ? s’enquit Soreth.

— Absolument. Il y a eu un incendie dans les docks hier, et ce crétin a persuadé ses soutiens que les ouvriers et les ouvrières du quartier sud en étaient responsables. Depuis il a monté sa propre milice afin de « nettoyer le secteur de sa crasse ».

— Quoi ?! s’exclama Lyne en manquant de se lever. Comment ose-t-il menacer ces gens ? Ne pouvez-vous rien faire contre lui ? Cela doit être illégal d’armer un groupe avec ce motif.

— La loi nous autorise effectivement à intervenir. Hélas, Carassielle nous en empêche.

Le prince fronça les sourcils et posa les yeux intrigués sur Trisron. Il avait entendu parler de tension durant la nuit, mais les choses étaient pires qu’il le pensait.

— Nous avons appris il y a une quinzaine de minutes qu’elle a équipé ses propres troupes pour répondre à Riil, expliqua le diplomate. Ils sont cependant aussi énervés contre lui que contre les militaires de la cité, et bloquent les rues du quartier.

— Nous n’avons plus de nouvelles de Jarrett depuis, poursuivi Yllan, et aucune idée de la situation à l’intérieur. Certains conseillers veulent que nous chargions, mais je crains que cela ne fasse qu’aggraver nos ennuis. Comme vous l’avez dit, ils ont raison de se méfier de nous.

Une grimace traversa le visage de Soreth, puis il porta une main à sa tempe en sentant venir une migraine. Le plan de Mascarade se révélait finalement. Il avait réussi à couper le quartier sud du reste de la ville, tout en protégeant Jarrett d’une éventuelle arrestation. Si le conseil traînait, les troupes du capitaine corrompu laisseraient l’armée de Joyce piller le secteur. Et s’il forçait le passage, il y aurait tout de même suffisamment de morts pour les dispositifs.

— Il ne sortira rien de bon d’un assaut, soupira Yllan sans se douter de la justesse de ses propos, et vous avez eu des idées pertinentes jusqu’à maintenant. En auriez-vous d’autres à partager ? Je ne me comporterais pas comme un idiot cette fois.

Les Erelliens hochèrent la tête, puis le silence retomba tandis que chacun réfléchissait à la situation. Le retournement du capitaine était rassurant, mais tant que Carassielle et les siens bloquaient le secteur aux militaires, l’armée de Joyce et Jarett auraient les mains libres. Il fallait les convaincre de laisser passer des soldats de Hauteroche, même sans preuves tangibles ou certitudes quant à l’allégeance du conseil. Cela n’allait pas être évident, si tant était que ce soit possible.

Finalement, pendant que Soreth luttait pour organiser ses pensées malgré la douleur, Lyne se racla la gorge et déclara.

— Je sais que les politiciens ne sont pas doués pour reconnaître leur tords, mais vous devriez commencer par vous excuser.

La proposition arracha un sourire au prince, et deux regards intrigués se tournèrent vers son équipière.

— Êtes-vous sérieuse ? demanda Yllan. Ne risquons-nous pas de paraître faibles ?

La prétorienne haussa les épaules.

— Une société équilibrée n’est pas basée sur la force, mais sur la confiance. Or, elle ne peut pas exister sans la remise en question. Tolvan l’a bien compris et personne n’a jamais douté de ses compétences.

— Ce n’est pas bête, acquiesça Trisron, mais il va falloir être rapide. Dès que le sang coulera, plus personne ne sera prêt à vous entendre.

Le vieux héros passa une main dans sa barbe grise, puis dévisagea pensivement ses interlocuteurs.

— C’est une drôle de solution, mais c’est exactement pour cela que je suis ici. Je vais aller voir le conseil pour que nous préparions une lettre d’excuse. Même si certains n’apprécieront pas, je ne crois pas que nous ayons le choix.

— À la fin de votre discours, n’hésitez pas à ajouter que la première caravane d’aide alimentaire erellienne arrivera d’ici quelques jours. Cela devrait améliorer à votre tentative d’apaisement.

— Merci, Votre Altesse, je n’y manquerai pas.

— Vous devriez aussi rendre visite aux autres ambassades, renchérit Trisron, elles ont toutes réclamé des provisions.

Un sourire discret se dessina sur le visage d’Yllan, puis il se leva pour s’incliner devant les Erelliens.

— Il y a moins d’une heure, je n’attendais plus qu’une guerre civile. Maintenant, j’entrevois un peu d’espoir. Que vos ancêtres soient loués !

— L’espoir est important, répondit Soreth en s’efforçant d’ignorer l’aiguillon qui lui perçait le crâne, néanmoins, il ne durera que si des actes succèdent aux paroles. Les troupes de Jarrett ont eu un comportement inadmissible. Il devra y avoir des sanctions. Tout comme il va falloir que le conseil paye pour ses erreurs et se ressaisisse.

— Vous avez raison, acquiesça gravement le capitaine. Je vais m’y employer. Nous le devons à Hauteroche et à ses habitants.

Le héros salua ensuite ses hôtes, puis, légèrement moins sombre qu’à son arrivée, se fit reconduire vers la sortie.


 

Tandis que la porte se refermait derrière lui, Soreth s’efforça de repousser un peu plus longtemps sa douleur et se tourna vers Trisron, occupé à prendre des notes.

— Il est impératif que vous transmettiez ce dont nous venons de parler à Keyne et Abigaïl.

Le diplomate releva la tête de son carnet pour dévisager son interlocuteur.

— Ne faites-vous pas confiance au capitaine ?

— Non. Et à aucun autre membre du conseil que Morgane et Solveg. J’ai seulement bon espoir qu’au moins un de ces trois-là sera honnête.

— Très bien, Votre Altesse.

Trisron garda un instant le silence, puis demanda d’une voix parfaitement neutre.

— Je n’ai pu m’empêcher de noter de nombreuses brûlures et une forte odeur de fumée lors de votre retour hier soir. La mission d’observation s’est-elle déroulée comme vous le vouliez ?

Les regards des prétoriens se croisèrent, soupesant les informations qu’ils pouvaient partager, puis Lyne laissa échapper un grognement et Soreth secoua la tête, ce que sa migraine lui fit immédiatement regretter.

— Nous espérions mieux et, idéalement, éviter la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Cela n’aura toutefois pas été inutile.

Comprenant qu’il n’obtiendrait rien de plus, l’ambassadeur opina du chef, ferma son carnet et se releva.

— Je vais de ce pas voir les conseillères, puis j’irais rencontrer les autres diplomates. Nous pourrons peut-être faire quelque chose pour bloquer Riil avant qu’il soit hors de contrôle.

— Dans ce cas, déclara Lyne avec soupçon d’inquiétude dans la voix, demandez à Kakeru de vous fournir deux gardes du corps. Vous ne devriez plus vous déplacer seul jusqu’à ce que cette affaire soit réglée.

— Allons, la chambre du conseil n’est pas si dange…

— Écoutez-la, s’il vous plaît. Hauteroche plonge dans le chaos et ceux qui l’y entraînent n’apprécient pas d’être contrariés. Inutile de vous ajouter à une liste déjà trop longue.

Il fallut quelques secondes à Trisron pour digérer l’information, son visage perdant temporairement de ses couleurs, puis il rajusta nonchalamment le col de sa tunique et salua ses interlocuteurs.

Pendant qu’il s’éloignait, sans laisser transparaître ses inquiétudes, Soreth esquissa un sourire. Malgré l’arrogance dont il faisait preuve, sa mère avait bien fait de le nommer à ce poste. Continuer de lutter quand on se trouvait dans la gueule du loup nécessitait bien du courage.


 

Une fois les prétoriens seuls, Soreth ne chercha plus à cacher sa douleur et, toujours assis sur le banc du cabinet, enfouit sa tête entre ses mains. Il ralentit ensuite sa respiration pour se détendre, comme il le faisait pour purifier les lignes d’Eff, puis sentit avec soulagement les bras de Lyne s’enrouler autour des siens. Ses angoisses battirent alors en retraite, et sa migraine s’estompa peu à peu.

Quand il fut finalement remis, les Erelliens discutèrent de la situation du quartier sud, plus grave qu’ils ne l’imaginaient, et de ce qu’ils pouvaient faire pour améliorer les choses. Ils se demandaient si kidnapper Jarrett serait utile pour contrer Mascarade, lorsque des bruits de course effrénée les interrompirent, et que des coups résonnèrent contre l’huis.

— Soreth ! appela Annelle d’une voix pressante. Ouvre, vite !

Le prétorien se hâta d’obéir, surprit par le ton de sa maîtresse, et découvrit un visage qu’il ne lui avait encore jamais vu : essoufflé, paniqué, coupable. Il l’invita aussitôt à entrer, curieux et inquiet de ce qu’elle avait à leur dire, mais elle secoua la tête avant de déclarer fébrilement.

— J’ai besoin de vous. Ewan a disparu !

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Camille Octavie
Posté le 24/04/2023
Bonjour bonjour :D

Je n'ai pas le temps de lire la partie 2 aujourd'hui je suis contente que tu aies coupé ^^

Cette partie est bien construite, il y a une phase de pause, puis on sent que ça redémarre (ouah quel beau cliffhanger hahah je ne l'avais pas vu venir celui là ^^).
Ça donne envie de lire la suite !

Je n'ai pas remarqué de problème de forme ou typos, par contre je ne me souvenais pas que Kakeru était en couple, l'avais-tu déjà dit ? ^^
Vincent Meriel
Posté le 25/04/2023
Bonjour,
Merci pour ce commentaire, vu la taille du chapitre je crois que personne n'aurait eu le temps de le lire s'il n'était pas coupé ^^'
Kakeru est présenté comme marié au chapitre 24 lorsqu'il traîne avec Lyne. Mais c'est plutôt un détail.
À bientô
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