Jardins de Versailles
Édith atteignit à toute allure le parterre d'eau devant la façade du château et vit au loin l'équipage de chasse du roi, celui-ci en tête, chapeau à plumes blanches flottant dans le vent, allait bon train vers son grand œuvre cynégétique. Il descendait le Tapis Vert et sur son passage, les courtisans s'amassaient pour regarder défiler cet étrange cortège imprévu.
Impossible de prendre cet itinéraire !
Édith fonça vers les parterres du Midi et dévala quatre à quatre les marches de l'escalier qui menait aux allées latérales ! Elle n'avait jamais eu aussi peur de sa vie, mais son besoin de justice l'emportait sur tout le reste !
Elle, la fille qui parlait aux bêtes, avait un devoir tacite envers eux : ne jamais les trahir et les abandonner, fût-il au péril de sa vie !
Elle enfila l'allée droite qui s'élançait devant elle et fut rejointe par Val-Griffon qui surgit au carrefour du bosquet de la Salle de Bal.
— Où allez-vous comme ça ? lui demanda-t-il en courant à ses côtés.
— Intercepter l'équipage de chasse ! Le roi va lancer une chasse aux loups !
— Seigneur ! Vous n'y pensez pas sérieusement !
— Si je n'essaie pas, je ne pourrai jamais me le pardonner ! Le Grand loup blanc ne mérite pas d'être exterminé ! Et vous cachez-vous ! Je vous rappelle que vous n'êtes pas le bienvenue dans les parages !
— Je reste ! Il n'est pas question que vous affrontiez le roi seule !
— Val-Griffon ce n'est pas le moment !
— Je reste, vous dis-je !
L'équipage de chasse s'approchait maintenant du bassin du Miroir.
Édith soupira et enragea, le temps jouait en leur défaveur !
— Coupons par la gauche ! cria-t-elle en changeant de trajectoire.
— Je vous suis !
— Malheureusement !
— Je vous en prie !
Elle ne pouvait décemment lui crier qu'elle était folle d'inquiétude de le voir se jeter au devant de la mort, avec comme motivation, un sentiment de chevalerie !
L'équipage de chasse fut immobilisé par des travaux encombrants, le chantier de réparation des jets d'eau au bassin du Miroir encombrait les voies de circulation et cela pour leur plus grande fortune !
Édith et Charles le rattrapèrent et se cachèrent dans le Jardin du roi, juste en face du bassin. Réfléchissant avec célérité, la demoiselle cherchait une manière d'aborder le roi mais rien ne lui venait ! Son esprit refusait de répondre !
Désespérée, elle fouilla les environs du regard et aperçut dans le ciel, volant gaiement, Michou !
« Pourvu qu'il me voie ! » pensa-t-elle en faisant de grands gestes pour attirer son attention derrière un large tronc d'arbre.
« Michou ! Michou ! Tu m'entends ? »
— Hé, ce n'est pas votre merle noir qui vole là-haut ? lui fit remarquer Val-Griffon.
— Si ! J'essaye de l'appeler mais il ne répond pas et le convoi va repartir !
— Essayez de l'appâter !
— Avec quoi ?
— Des vers ? répondit-il bêtement.
— Peuh ! Michou ne raffole rien de plus que les potins... Charles, dit-elle avec sérieux en se tournant, pardonnez-moi, c'est pour l'attirer...
Elle le poussa dans l'herbe et se jeta sur lui ! Elle l'embrassa fougueusement, priant pour que son plan fonctionnât sans quoi, elle se tuerait ici de honte ! Val-Griffon était statufié sous elle, perdu par ce revirement de situation qu'il n'avait pas vu venir.
Quelques minutes plus tard, Édith entendit la voix du Salut !
« Mais c'est qu'ils sont brûlants ces cocos ! Voyons voir le menu des galipettes de plus près ! »
Michou s'approcha et se posa sur une branche.
Édith s'arracha aux lèvres de Charles, rouge pivoine, et fusilla du regard le merle noir pour l'avoir ignorée !
« Tu pourrais répondre quand on t'appelle ! »
« Édith ! C'est toi la vorace de gentilhomme ! Eh beh mon vieux, tu es pleine de ressources cachées ! Oh ! J'ai une bonne nouvelle pour toi, j'ai remporté tous les paris sur ta tête ! Tu vaux de l'or ma petite, les ragots avec toi, ça rigole pas ! Que du haut de gamme ! »
« Veux-tu être sérieux deux minutes ! Nous sommes dans un sacré pétrin et j'ai besoin d'aide ! Si je n'arrête pas l'équipage que tu vois là-bas, le Grand loup blanc sera traqué et tué ! »
« Eh bien vas-y ! » lui répondit-il du tac-au-tac.
« Michou !! Si j'y vais Charles me suivra ! S'il se sacrifie... il sera arrêté par les gardes et... et... je le perdrai... Aide-nous, je t'en supplie ! »
« Ça va, j'ai compris ! fit Michou en chauffant ses ailes. Je ne te promets rien mais je vais tenter quelque chose ! J'espère qu'ils vont m'entendre, les copains sont au bosquet de la Girandole à se la couler douce ! »
Le petit merle noir s'éleva dans les airs, gonfla son poitrail. Édith se boucha les oreilles sous le regard interloqué de Charles qui entendait simplement l'oiseau chanter un peu fort, mais très délicatement.
« MARCELLLLLLLLLL !!!! LES FILLES !!!! » hurla Michou.
Quelques minutes plus tard, apparurent dans le ciel, Marcel le colvert suivit de quatre cannes. Le merle noir leur fit un rapide résumé de la situation et termina par :
« Marcel faut empêcher le roi de décamper, faut se mouiller le plumage, l'affaire est corsée ! »
« Entendu ! On laisse pas les amis dans la panade, ça se fait pas, foi de colvert ! Allez monte Michou ça va leur en boucher un coin aux p'tits gars ! »
« Ah mon Marcel tu as toujours le coin-coin approprié à la situation ! » fit Michou en se posant sur le dos du canard en plein vol.
— Alors ? Ils vont nous aider ? demanda Val-Griffon à voix basse à Édith.
Celle-ci ne pipa mot et pressa la main de Charles, complètement dépassée par la discussion des deux oiseaux. C'était vraiment un autre monde...
— Préparez-vous... Ils vont nous faire une entrée mémorable...
Et ce ne fut rien de le dire. Marcel en tête, Michou sur le dos, suivit des quatre cannes commencèrent à cancaner si fort que cela attira l'attention de tous les membres de l'équipage de chasse, le roi également. Fort de leur succès, les canards tournèrent dans le ciel, piquèrent vers le bassin du Miroir et glissèrent sur une bonne longueur, envoyant le plus d'eau possible sur les chasseurs.
Ceux-ci se poussèrent en râlant, créant du désordre dans les rangs alignés, ce qui n'empêcha pas les canards de continuer leur raffut pour maintenir tous les regards sur eux.
Ce fut alors qu'un cheval arriva au galop, c'était Monseigneur, talonné par Bossuet peu à l'aise sur son canasson et de Montausier, furieux sur le sien.
Il vint vers le roi et lui fit la révérence.
— Votre Majesté, j'ai une rectification de la plus haute importance à vous faire.
— Monseigneur mon fils, répondit-il, je suis occupé pour l'heure, revenez à mon retour.
— Sauf votre respect, Votre Majesté, ce que j'ai à dire, ne peut attendre... il en va de la vie d'innocents.
Édith et Charles, que cette arrivée impromptue avait estomaquée, s'étaient rapprochés en douce dans les feuillages et écoutaient tout à quelques pas de l'équipage.
— Il n'y a nul Grand loup blanc. Ceci était l'œuvre des hallucinations qui me tenaient prisonnier d'un délire à cause de la boisson droguée que j'avais bu.
— Encore un méfait éclairci de monsieur de Val-Griffon, dit le roi, soyez garanti, il sera châtié en conséquence !
Charles perdit ses couleurs en oyant ces mots.
— Monsieur de Val-Griffon n'y est pour rien Votre Majesté, c'est un autre homme qui nous a attaqué car monsieur de Val-Griffon était la principale victime de l'affaire, son agresseur m'a confondu avec lui...
— Comme chose est-ce possible ? fit remarquer le roi peu enclin à entendre l'innocuité de ce Val-Griffon que l'on prenait pour premier prince de France.
— Je ne le sais, mais cet homme portait un masque et...
— Et ?
— Il avait des griefs contre monsieur de Val-Griffon.
— Lesquels ?
— Beaucoup Sire, puisqu'il s'agit de monsieur de Sanloi.
Le roi tira les brides de son cheval, soudainement agacé par ce nom en disgrâce.
— Monsieur de Sanloi est revenu contre votre ordre à la Cour avec une idée de vengeance envers monsieur de Val-Griffon, qui n'a point aboutie grâce à la clairvoyance de celui-ci. Il l'a mis en déroute à Fontainebleau avec la promesse de ne plus jamais reparaître à la Cour et pour l'avoir épargné, il s'est vu piégé par ce fou qui l'a drogué, ainsi que moi-même, aux trompettes des anges, un puissant hallucinogène, qui mal dosé, est fatal.
Pendant que le Dauphin faisait héroïquement son discours, que Montausier fut interrogé sur ce fameux témoignage et vendu sa source comme étant Sanloi lui-même -qui par un déguisement de laquais- l'avait honteusement abusé ; la garde de l'Hôtel arriva à toute allure, le marquis de Sourches en tête.
— Votre Majesté, nous avons été prévenus que [...]
Charles donna un coup de coude à Édith, l'empêchant d'entendre ce que racontait le Grand prévôt et lui glissa : « Il y une anomalie dans l'équipage de chasse ! Il y a le bon nombre de piqueurs à cheval ! »
— Et ?
— J'en fait parti ! Ma place aurait dû être vacante !
— Ils vous ont sûrement remplacé au pied-levé ! renchérit Édith.
— Impossible ! Quand on est nommé, il faut prêter serment dans les mains du Grand Louvetier et croyez-moi, il dorlote ce cérémonial ! Il n'aurait pas laissé quelqu'un prendre ma place pour un sou. Pour preuve, il n'y a pas mon père qui est lieutenant !
— Qui est celui en trop ?
— Lui là-bas, avec le foulard cramoisi, lui souffla-t-il.
— Charles regardez ! Il lui manque un doigt ! chuchota-t-elle en sentant son cœur s'emballer.
— Mon Dieu, vous avez raison ! Et si c'était...
— Oui c'est bien Sanloi ! D'ailleurs, il a l'air de plus en plus mal à l'aise... Il va... Mais oui il va s'enfuir !
Le départ impromptu du piqueur à cheval arrêta net la conversation de Monseigneur avec le roi et Sa Majesté fronça les sourcils en regardant s'éloigner cet étrange cavalier. N'y tenant plus Édith bondit de sa cachette et cria à découvert : « C'est lui qui a agressé le Dauphin ! C'est Sanloi ! »
Cette alerte dispersa une grande agitation chez les membres de l'équipage de chasse et avant que Sa Majesté ne donne l'ordre à la garde de l'Hôtel de poursuivre le fuyard, Charles les avait devancé. Il avait volé un cheval à une jeune recrue et galopa à bride-abattue vers le bosquet de la Galerie d'Eau.
Édith et Michou sur ses talons !