Bosquet de la Galerie d'Eau
Des cris féminins s'élevèrent rapidement dans les airs car le vicomte avait mal choisi son itinéraire et avait croisé la reine en promenade avec sa suite. Son cheval cabra et l'homme chut à terre, provoquant panique et désordre chez les dames du palais.
Charles arriva sur ces entrefaites et sauta de sa monture en dégainant son épée.
— En garde lâche ! J'aurais été bien avisé de finir le travail quand j'en avais l'occasion ! Votre langue est diabolique, mais votre esprit est pire encore !
— Je vous avais averti Val-Griffon, on ne se frotte pas à plus fort que soi sans être de sa mesure ! rétorqua le vicomte en tirant son épée.
— Quelle était votre intention en prenant ma place de piqueur !
— L'envie de me défaire d'un objet lourd dans une pente raide, dit-il d'un air moqueur en sortant un poignard aux armes des Val-Griffon de son gilet. Vous auriez été définitivement perdu aux yeux du roi... ricana Sanloi faisant exploser la colère de Charles.
— Assez ! Monsieur, aujourd'hui vous paierez et fort cher !
Chacun ayant une motivation de revanche, le combat débuta avec rage et se déclina en des bottes d'escrimes à une allure soutenue. Les lames s'entrechoquaient avec violence, le fer crissait et provoquait des frayeurs aux dames tapies dans un coin qui se pressaient les mains pour ne pas se pâmer.
Le vicomte était adroit et habile, Val-Griffon connaissait son adresse pour l'avoir déjà enduré et privilégia de bien garder sa défense. Son adversaire fit une fente, Charles riposta, lui décocha un coup d'estoc qui lui perfora l'épaule et arracha une injure au vicomte. Celui-ci répondit avec hargne et tailla net le poignet de son adversaire qui retint à grand-peine un cri de douleur.
Charles serra les dents, prit garde à la lame du vicomte qui sifflait à son oreille comme un chant funeste et envoya Sanloi dans l'eau d'un bassin d'un coup de pied. Furibond, il se releva et revint à la charge !
Ils s'envoyaient au Diable tandis que leurs épées se rapprochaient toujours plus dangereusement de leurs organes vitaux : le duel irait jusqu'à la mort.
L'affrontement féroce et sanglant continua après l'arrivée du roi et du Dauphin. Les gardes de la prévôté de l'Hôtel encerclèrent les bretteurs et guettaient l'ordre de Sa Majesté pour fondre sur eux et les arrêter.
Un public nombreux se pressait derrière les gardes, les dames retenaient leur souffle, et parmi elles, Édith était blanche comme un linge. Être en état d'arrestation et se battre en duel(1) devant le roi de France, décidément, Val-Griffon désirait ardemment mourir !
Michou, posé sur une branche commentait avec énergie le combat aux canards qui arrivaient.
Une imprudence survint sans crier gare, Charles baissa sa garde au mauvais moment et le vicomte en profita pour le désarmer d'un geste sec, envoyant valdinguer son épée aux pieds de la foule. Il allait l'abattre lorsqu'Édith la ramassa en vitesse et fit rempart de son corps pour protéger Charles qui lui hurlait de fuir ! Elle pointa l'arme sur Sanloi qui la dévisageait, hostile.
Le vicomte se savait perdu, les gardes avaient dégainé leurs épées et étaient prêts à bondir. La tension était insoutenable. Un mot du roi et il était fait, alors il tenta une dernière folie, et attaqua Édith, qui inexpérimentée, fut désarmée d'un coup. Il s'empara d'elle et lui glissa son épée sous la gorge et toisait la foule qui le fixait entre effroi et tremblements. Alarmé et excédé, le Dauphin mit la main sur la garde de son épée pour intervenir, cependant Montausier le saisit et lui défendit de bouger !
Pas tant que le roi n'avait rien dit.
— Si vous ne me laissez pas partir, je la tue et j'en ferai autant de chacune de ses dames ici présentes !
— Lâchez-la ! hurla Charles qui s'était redressé d'un bond malgré la douleur de son poignet ensanglanté.
— Un pas de plus et je l'expédie au Ciel ! dit le vicomte, menaçant.
Un filet de sang coula le long du cou de la prisonnière. Édith sentit une douleur vive lui mordre la chair, il ne plaisantait point. La vue du sang augmenta la tension dans la foule et la duchesse de Montpensier qui venait d'arriver sur les lieux, bouscula Marie d'Humières à côté de la Montespan. En proie à toutes les inquiétudes, elle s'avança pour délivrer la jeune fille et fut arrêtée par le regard noir de Sanloi.
Le vicomte pressa encore un peu plus sa lame, Édith crispa son visage de douleur, le fer devint écarlate et goutta à terre, souillant la terre de taches rouges.
— Un pas de plus et elle est morte !
La Grande Mademoiselle recula en serrant les dents et se tourna vers le roi, furibonde.
— Mon cousin !
— Si je donne l'ordre ma cousine, il tuera votre protégée, dit laconiquement le roi en ne lâchant point du regard Sanloi.
Depuis le début, Sa Majesté l'examinait en faisant montre d'un calme surhumain, presque froid, presque détaché, afin de trouver une faille dans le comportement et les intentions du vicomte.
Celui-ci n'avait pas l'envie de laisser vivre sa prisonnière, se disant qu'un meurtre de sang-froid occuperait un bref instant l'attention de tous. Il prépara son geste ultime sous les yeux d'une foule livide et à cran. Esperanza qui était aux pieds de la reine comprit avant tout le monde l'ignominie que s'apprêtait à faire le vicomte et fondit vers le criminel en aboyant.
Elle sauta pour lui mordre le mollet, las, son saut était mal placé et elle reçut un grand coup de pied dans le ventre, l'envoyant en l'air. Elle retomba brutalement à terre dans un couinement à fendre le cœur, immobile.
Cette scène arracha la reine à sa terreur et elle courut en larmes et en cris vers sa petite chienne. « Esperanza amor » répétait-elle avec le plus grand désespoir.
La sacrifice de la petite épagneule permit au roi de donner l'ordre aux gardes qui se jetèrent vers le vicomte. Dans la précipitation, il recula, glissa sur de la terre molle, perdit l'équilibre et jeta un regard à Marie d'Humières, avant de tomber dans un grand trou derrière lui. Il atterrit au sol dans un bruit mat, entre des d'arbres point encore plantés et des pelles, son corps se brisa : sa vie s'endormit. La Grande Mademoiselle ferma les yeux, tout était fini.
Elle courut prendre Édith dans ses bras et pleurait de soulagement de la trouver encore en vie devant elle et plus elle la serrait, plus elle la grondait de son courage et l'en félicitait en même temps.
Édith la serra fort puis s'empressa d'aller voir Esperanza, étendue sans vie à terre, les dames du palais de la reine ayant empêché la souveraine de toucher un corps mort... et la pauvre reine pleurait tout son désespoir dans les bras de la duchesse de Noailles.
Édith pleurait autant que la reine et souleva en tremblant la petite épagneule.
« Esperanza... Esperanza... Tu m'entends... dis-tu m'entends ? »
Elle répéta cela désespéramment jusqu'à ce qu'elle sente une main se poser sur son épaule. Elle leva la tête, les yeux tout en larmes et découvrit le roi, le visage contrit, les yeux mouillés, triste. Elle se redressa et fit la révérence, Esperanza contre elle.
— La France n'oubliera jamais ce que vous avez fait, mademoiselle de Montgey, dit Sa Majesté.
Faute de pouvoir répondre, elle hocha la tête. Son affliction l'envahissait trop.
— Je vous suis reconnaissant d'avoir donné l'alerte, mademoiselle de Montgey.
— Votre Majesté... il n'y avait point que moi dans ce combat, Charles... Charles !
Édith le chercha immédiatement du regard et retint un cri en le voyant ! Charles était à genoux, les mains dans le dos, les poignets liés, les épées des gardes entourant son cou ! Édith chancela et fut soutenue par Monseigneur qui arrivait, la demoiselle n'arrivait point à prononcer une parole tant le choc de savoir Charles prisonnier, l'anéantissait.
— Votre Majesté, dit le Dauphin, monsieur de Val-Griffon a prouvé sa fidélité à ma personne et a réussi à déjouer les perfidies du vicomte, grâce pour lui.
Le roi garda le silence un moment et finit par ordonner :
— Relâchez-le messieurs, monsieur de Val-Griffon rentre en grâce et l'on peut lui pardonner son excès de fougue de ce jourd'hui. Il a prouvé sa loyauté à Monseigneur ainsi que son innocence.
Les gardes le libérèrent et Charles s'élança vers Édith qu'il prit dans les bras, rongé d'inquiétude ! Le Dauphin lui lança un regard d'amitié et Val-Griffon le lui rendit, soulagé que toute cette affaire se close ainsi.
Le roi sourit et attendit qu'il lâche la demoiselle qu'il cramponnait pour poursuivre.
— Mademoiselle de Montgey, monsieur de Val-Griffon, je vois que votre attachement à Monseigneur est sincère et je me réjouis du discernement de Monseigneur mon fils pour trouver au milieu de mille visages, des visages amis. Vous avez mon accord pour ce qui est de rester dans son entourage.
Charles est Édith s'inclinèrent et remercièrent Sa Majesté pour cet honneur, tandis que le Dauphin rayonnait de joie, il retrouvait ses amis et personne ne pourrait y redire, pas même Montausier !
Avant de partir, le roi sortit de sa poche un luxueux mouchoir et le noua autour du cou ensanglanté de la jeune fille qui sursauta !
— Votre Majesté, c'est... c'est trop d'honneur !
Le roi sourit et lui remit la main sur l'épaule.
— Allez donc voir mon premier chirurgien de ma part, il vous soignera, vous aussi monsieur de Val-Griffon.
Ils le remercièrent encore et firent la révérence quand il s'éloigna d'eux et de son fils. Lorsqu'Édith se releva, elle sentit un petit coup de pattes contre son corps baleiné et se pencha pour voir un miracle ! Esperanza bougeait, faiblement, mais elle bougeait !
« Esperanza ! Esperanza ! C'est bien toi ! Oh mon Dieu tu es en vie !! » dit Édith ses larmes redoublant sur ses joues.
« Oui ! Oui ! Il m'avait assommée toutefois me revoici ! »
« Oh c'est la reine qui va être contente ! »
Et Édith s'élança dans l'allée, Esperanza dans ses bras en cherchant Sa Majesté la reine. Lorsque la pauvre Marie-Thérèse entendit qu'on l'appelait, elle se retourna, un mouchoir pressé sous ses yeux, abattue. Au moment elle ouït l'aboiement d'Esperanza, elle jeta son mouchoir et courut vers sa petite chienne qui remuait dans les bras d'Édith !
— C'est oune miracle ! C'est oune miracle ! Bénis souyez-vous madoumoiselle de Montgey !
Le roi qui s'en revenait au château, abandonnant la chasse au loup, sourit en apprenant la bonne nouvelle, tandis que Michou se trémoussait sur sa branche de bonheur ! Avec cette histoire, il tenait l'affaire du siècle !
GLOSSAIRE :
(1) Les duels étaient interdits sous peine de graves sanctions, dont la mort.