Chapitre 37
Oriag avait étalé une immense carte sur la table du carré qu'elle étudiait avec concentration, un crayon coincé derrière l'oreille tandis que de l'autre elle raturait et traçait le papier fripé. Nialh était à ses ordres, penchés sur une tablette, à éplucher les données météorologiques, secondé par Valérian à sa droite sur l'ordinateur. La navigatrice était en train de calculer le périmètre dans lequel le Yak pouvait se trouver selon la dernière donnée connue, à savoir leur départ de Dakar en début de soirée dix jours plus tôt. Sibéal préparait café sur café, et les lui apportait à chaque fois avec un espoir renouvelé dans la poitrine.
« Sibéal, marmonna-t-elle, tu peux me filer les relevés que t'as fait des instruments ? »
Elle s'empressa de farfouiller dans la table de navigation pour en sortir son petit cahier ainsi que le carnet de bord de Murdock au cas où. La navigatrice s'en saisit, les sourcils froncés. Nialh, ses lunettes de repos sur les yeux, était blafard à la lumière bleue de l'écran tandis que Valérian notait sans discontinuer les variations de vents demandés par Oriag. Il semblait profondément reconnaissant envers elle de lui donner une tâche dans laquelle il s'était jeté pour se vider l'esprit. Sibéal reprit machinalement sa propre mission, lire un à un les noms de tous les ports au nord des archipels pour tenter de faire résonner en elle un écho, celui tronqué qu'avait murmuré Anak à son oreille. Elle faisait défiler les ports sans y entendre la moindre reconnaissance, s'enfonçant progressivement dans le marasme du désespoir que seule la vision d'Oriag, Nialh et Valérian attelés à leur propre tâche contenait encore.
« C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, s'agaça Nialh, à ce train-là... »
Valérian leva un regard tranchant sur lui, pour l'empêcher de formuler sa pensée. Son frère, dont l'inquiétude rampante sapait les nerfs, se tue et replongea dans ses données. Fran préparait une collation en silence, le regard lourd de reproches pour le triton sans pour autant se braquer. Ils s'étaient accordés une demi-nuit de sommeil pour reposer leurs esprits échaudés par la nouvelle et pouvoir mettre en place efficacement un plan. Sibéal que le soutien de Murdock puis de tout son équipage, avait rassuré s'était effondrée dans son lit. Mais depuis qu'ils étaient levés à six heures du matin, ils s'activaient sans pour autant avoir un début d'idée.
« Où on en est ? »
Perdue dans ses pensées, Sibéal n'avait pas vu descendre dans le carré Apollo et Murdock revenus d'Ålesund. C'est le bantou qui avait brisé le silence, d'une voix tendue. Oriag secoua la tête, s'assit sur la banquette tandis que les deux autres se penchaient sur la carte raturée et griffonnée en zones de différentes couleurs.
« On a établi un périmètre grosso-modo qui équivaut à dix jours de nav' non-stop depuis Dakar en fonction des vents et de la houle, expliqua la navigatrice.
- Il est hautement improbable qu'ils aient fait dix jours de navigation, précisa Valérian.
- En effet, hocha-t-elle la tête, on table plus sur sept-huit jours puisqu'ils ont dû s'arrêter à un port pour qu'Anak puisse être capable d'appeler Sibéal.
- Mais même en ayant ça en tête c'est juste long et hasardeux, fit sombrement Valérian.
- On essaie de recouper avec les données du vent et de la houle, ajouta-t-elle, pour établir les conditions de navigation et affiner les lieux atteignables en huit jours...
- Et alors ? Coupa Murdock.
- Ça va prendre du temps, lâcha Nialh. Une éternité.
- Du temps, ils n'en ont probablement pas autant qu'on l'espère, finit sombrement Valérian.
- Et plus on attend, plus le temps de navigation potentiel s'allonge... ajouta Sibéal inquiète. Et je... je n'arrive pas à me souvenir de ce qu'elle a dit comme nom pour le port. »
Un accent coupable lui nouait violemment la gorge, elle baissa les yeux piteusement pour les river sur la liste des ports. Les autres n'insistaient pas mais ils faisaient peser beaucoup de leur espoir sur un éclair de souvenir. Elle se mordillait le pouce, irritée contre elle-même. La Sioux avait prononcé une syllabe, une simple fichue syllabe et c'est de celle-ci dont elle ne se souvenait plus.
« On est allé alerter les autorités portuaires de la fédération des Archipels, fit Apollo. Ils ont pris la déclaration...
- On en tirera rien, lâcha Murdock, ils ont d'autre chats à fouetter qu'un potentiel rapt et une disparition d'un navire dont ils ne sont même pas sûrs qu'on l'ai pas inventé.
- Ils vont se renseigner pour savoir dans quel port un bateau de ce nom a amarré... tenta Apollo avec espoir.
- Vu le morcellement politique entre les îles, ça va prendre du temps, acheva fermement Murdock, et d'toutes façons, ils nous en diront rien, on est pas de la famille des « disparus ».
Il accentua son agacement par la mimique des guillemets. Ces obstacles bureaucratiques avaient tendance à le rendre particulièrement exécrable. Aucun d'eux n'avaient les moyens de contacter la famille de Yakta, réalisa sombrement Sibéal.
« En revanche, on a trouvé de quoi nous armer. »
L'annonce de Murdock au lieu d'alléger l'atmosphère ne fit que la plomber encore plus. En dehors de Murdock qui avait fait son service militaire, compris dans l'éducation des nains, et Apollo qui avait servi cinq ans dans l'armée bantou, ils ne savaient pas se servir d'une arme. Apollo avait proposé de les conduire au centre de tir d'Ålesund dans l'après-midi. Sibéal avait la boule au ventre rien qu'à l'idée de devoir menacer quelqu'un d'un révolver, alors de là à viser pour pouvoir proprement tirer...
« ça ne sert à rien tant qu'on sait pas où aller, marmonna Nialh. Sib, t'es sûre qu'elle a rien dit de plus ? Elle a pas donné un indice ? Rien du tout ? »
Elle secoua la tête, étouffée par le poids que le désarroi de son équipage faisait peser sur elle. Apollo se pencha sur elle, autant pour la rassurer que pour la presser et Valérian leva un regard faussement en maîtrise qui lui broya le cœur. Murdock les rabroua sèchement.
« Laissez-la respirer deux secondes, ça va pas aider.
- Tout ça ne sert à rien si on ne sait pas où on va, lâcha Oriag. Refais-toi la conversation, Sibéal.
- J'essaie, gémit-elle en porta ses mains à ses tempes. Mais... j'étais tellement perdue par son charabia... je n'ai pas fait attention à ce foutu port.
- Ce charabia, comme tu dis. Elle disait quoi ? Insista Oriag.
- Qu'elle était bourrée... et qu'elle avait été malade...
- Malade ? Répéta Valérian, comment ça ? A cause de l'alcool ?»
Sibéal redressa la tête en une exclamation.
« Elle a a dit qu'elle avait été malade en mer ! »
Le visage de Valérian sembla se détendre sous le coup d'un espoir brûlant, elle crut qu'il allait la secouer par les épaules pour lui faire cracher le moindre des mots qu'Anak avait prononcé mais Oriag fut plus rapide en bondissant sur Nialh pour lui arracher la tablette et les données météorologiques.
« On peut supposer qu'elle voulait nous donner une indication sur la force de la houle et du vent. Elle a appelé ya combien de temps ? Deux jours ?
- Oui, murmura Sibéal. »
La navigatrice marmonna pour elle-même en bantou et commença à griffonner vivement sur la carte pour rayer tout un pan des Archipels et tracer le sens des vents au crayon vert. Ils la fixaient tous avec attention, elle redressa le visage en fixant Sibéal avec avidité.
« Et ensuite ? Elle a dit quoi ? »
Les yeux noirs et vifs d'Oriag étaient plantés dans les siens, impérieux. Ceux d'Apollo et de Valérian lui brûlaient le front. Sibéal resta figée, repassant à nouveau la conversation dans sa tête. Elle grimaça à la négative.
« C'est... c'est tout, avoua-t-elle.
- Ya forcément autre chose que t'as oublié, pressa Nialh.
- Je... je ne pense pas...
- Muluru ! jura brusquement Apollo en se détournant. »
Elle le regarda s'éloigner, le cœur gonflé de regrets et d'excuses.
« Peut-être que tu t'es pas rendue compte qu'elle disait quelque chose d'autre, insista Valérian. Elle a parlé de quoi d'autre ?
- Elle n'a rien dit d'autre, elle a juste parlé de son mal de mer et... et du port.
- Tu es sûre ? Refais-toi à nouveau la conversation, appuya-t-il avec rigueur, ça va te venir. »
Elle se sentait sous une pression trop intense, prête à la faire éclater de colère, d'excuses et de larmes irritées. Apollo avait le dos tourné, le visage perdu dans ses doigts. Valérian semblait prêt à la disséquer pour obtenir une réponse qu'elle n'avait pas. Il ouvrit la bouche à nouveau:
« JE NE SAIS PAS ! rétorqua-t-elle brusquement, Je ne sais pas, d'accord ?! Moi... moi aussi je... moi aussi je suis morte d'inquiétude ! Moi aussi je veux qu'on les retrouve sains et saufs et je... je suis désolée, je suis désolée si je n'ai pas la réponse mais... »
Elle sentait un sanglot de colère et de frustration lui étrangler la gorge, se perdre sous ses paupières. Elle le ravala avec irritation. Elle aussi imaginait le pire, elle imaginait le visage en sang d'Anak et le Yak sombrer au fond de l'eau. Elle se fichait bien de la malédiction, de la rançon, des sirènes. Elle voulait juste retrouver son amie en vie.
« C'est tout ce qu'elle m'a dit. C'est... tout ce qu'elle m'a dit. Je... je suis désolée. »
Elle se redressa brusquement, faisant tomber la trousse d'Oriag au sol avec fatras. Elle rejoignit précipitamment sa cabine, en claquant violemment la porte comme si le bruit allait débloquer quelque chose. Elle s'accroupit avec un gémissement, se recroquevilla sur elle-même pour faire disparaître la voix d'Anak dans sa tête un instant, pour prendre du recul et trouver. Rien qu'un instant de répit... mais c'était toujours les mêmes mots, toujours les mêmes phrases en boucle, encore et encore. Elle donna un coup de pied rageur dans sa chaise pour évacuer un peu de la pression. Avant de s'y effondrer en plongeant son visage entre ses mains.
Et si c'était de sa faute et qu'ils ne les trouvaient jamais ? Est-ce qu'elle était passée à côté de quelque chose ? D'un petit indice qu'elle ne voyait pas... ou est-ce qu'Anak n'avait rien ajouté et qu'il n'y avait juste pas le moindre indice ?
Ces pensées la tétanisaient.
« Sib ? »
Murdock était planté dans l'encadrement de la porte, il avait une expression indulgente. Sibéal se crispa et secoua la tête.
« Je suis désolée, murmura-t-elle.
- Ya peut-être rien de plus.
- Il y a forcément quelque chose de plus !
- Non, pas forcément, asséna-t-il fermement.
- Je suis passée à côté... je suis passée à côté de quelque chose... »
Il s'approcha prudemment et s'accroupit en face d'elle, plantant fermement ses yeux dans les siens. Il ne lui en voulait pas, comprit-elle, il ne cherchait pas à la culpabiliser ou à lui extorquer quelque chose qu'elle n'avait pas. Elle aurait préféré que ça soit le cas, au moins elle aurait pu se croire être en possession de la clé. Elle était prête à fondre en larmes.
« C'est pas de ta faute, okay ? C'est la faute de personne.
- J'arrête pas de me dire... que j'aurais dû...
- T'as fait tout ce que tu as pu, et maintenant on va les trouver avec ce qu'on a. Oriag va ratisser le terrain, peu importe combien de temps ça prendra mais on va leur mettre la main dessus.
- Et si c'est trop tard ? souffla-t-elle désespérée.
- Ça ne sera pas de ta faute dans tous les cas, d'accord ? »
Elle aurait aimé avoir cette certitude, elle sentit des larmes silencieuses rouler sur ses joues. Elle les essuya rageusement.
« J'arrête pas de me repasser cette conversation, mais... c'est vraiment tout ce dont elle a parlé, de sa cuite et de son mal de mer... elle l'a même dit deux fois. Elle a répété que ça avait été un vrai cauchemar.
- Un cauchemar ? fronça des sourcils Murdock, la mer devait être sacrément démontée.
- Oui..., elle tourna les yeux vers lui avec espoir. Tu crois que c'est un indice ?
- On va s'en contenter. Un cauchemar, hein ? Ben on va partir sur ça.
- Oui c'est ce qu'elle a dit... un cauch... »
Elle se figea. La voix d'Anak résonnait à ses oreilles, assourdissante. Un cauchemar. Un cauche-mar! Pas un enfer, mais un cauche-mar.
« Sib ? Qu’est-ce que t’as compris ? »
Elle l'ignora, se redressa vivement. Elle ouvrit brutalement le tiroir de son minuscule bureau. Les magazines s'étalèrent par terre, emportant avec eux les vinyles et livres de poches. Ils vinrent s'écraser lourdement sur le plancher. Elle farfouilla à l'intérieur, dégagea des cassettes audios qu'elle jeta vivement sur son lit et sortit son petit carnet de notes. Elle le feuilleta rapidement, faisant claquer ses pages avec brusquerie. Les noms des monstres, les dessins des Moluques, un croquis du temple de Comor et les inscriptions traduites. La liste des cités englouties et... Là. Son doigt s'arrêta. Un rire nerveux lui échappa, elle s'accrocha avec avidité à son écriture. C'était évident, l'évidence même.
Un sourire étincelant sur les lèvres, elle se tourna vers lui.
« Murdock, je sais où ils sont. »
OoOoOo
Le Modsognir filait sur une mer calme, profitant du vent arrière pour prendre sa pleine vitesse. La soirée n'avait que commencé mais la nuit était déjà parsemée d'étoiles brillantes. Leur immobilité calme apaisait l'atmosphère. Sibéal et Nialh, emmitouflés dans leurs polaires et leur coupe-vent, étaient lovés l'un contre l'autre alors que le vent les harcelait. Ils venaient de finir de virer de bord sur les ordres de Murdock, tandis que le reste de l'équipage tentait de dormir ou du moins de se reposer pour faire face à ce qui les attendait à Kosh.
« Tu penses qu'ils vont bien ? »
Sibéal eut un petit regard pour son frère, sa tignasse agitée par la bise lui tombait sur le front et sur ses yeux sombres. Elle ravala sa propre inquiétude pessimiste pour lui tenir gentiment les doigts.
« On va les sortir de là.
- Ces connards se sont pas contentés de simplement les menacer, hein ? Insista-t-il.
- Je ne sais pas...
- Nodens...
- Yakta et Anak sont capables de gérer n'importe quel crétin, assura-t-elle.
- Pas Moh et Wanda... souffla-t-il. Et l'autre Chad a intérêt d'aller bien.
- Je ne te savais pas si attaché à lui, murmura-t-elle en tentant de le dérider.
- Pas moi, grogna-t-il, mais Polo est amoureux. Faudrait pas qu'on lui abime, ça va lui faire de la peine. »
Sibéal eut une expression satisfaite vis-à-vis de son frère. Elle posa sa tête sur son épaule, laissa ses yeux se perdre dans les éclats de lune sur les petites vagues qui dessinaient la mer. Il resta à se ronger les ongles machinalement.
« Tu feras attention hein ? lâcha-t-elle. »
Elle ne savait pas vraiment à quoi elle faisait allusion, juste que peu importe le plan que Murdock et Apollo voudraient appliquer cela les exposerait tous. Et Nialh et elle étaient de loin les moins aptes à faire face à l'adversité. Même s'il s'en était honorablement sorti au stand de tir où les avait conduit l'ex-militaire bantou. Il allait se mettre en danger et ça lui pesait... Elle-même avait systématiquement manqué la cible, et chaque balle à côté de la silhouette l'avait un peu plus plongé dans la certitude qu'elle allait être un poids mort pour son équipage dans cette entreprise périlleuse.
« Tu restes derrière Polo et Murdock, lui répondit-il. Promis ?
- Oui, assura-t-elle avant de tenter sans réussir à être plus légère, et toi pas de folie pour les beaux yeux de Wanda.
- J'vais essayer. Ça va être difficile. »
Elle lui donna un petit sec entre les cotes pour le rappeler à sa promesse, il eut un faible rire. Elle ne pouvait se départir de la certitude qu'il était impulsif et émotionnel avant toute chose. Elle devait compter sur les autres pour encadrer et protéger son frère. Ils devaient croire les uns en les autres pour réussir. Elle s'accrochait à cette pensée avec force.
Murdock apparut dans l'encadrement du carré, sa silhouette se découpait dans la lumière qui en sortait pour projeter son ombre sur eux. Ils levèrent les yeux vers lui, il leur désigna du menton une tâche sombre à l'horizon.
« On y est ? se redressa-t-elle. »
Le petit chapelet d'îles grossissait à vue d'œil, ils s'approchaient de lui à pleine vitesse. Murdock décéléra, par prudence et leur fit affaler le génois pour se contenter du moteur lorsqu'ils furent en approche. Le sang de Sibéal battait fortement à sa clavicule, elle cherchait frénétiquement des yeux la forme blanche du Yak parmi les rochers. Elle avait peur de tomber sur eux par inadvertance, de les jeter dans la gueule de leurs ennemis trop vite. Elle avait encore plus peur de ce qu'ils trouveraient en les retrouvant. Elle espérait qu'Anak n'ai rien, qu'ils aient fait assez vite...
Murdock finit le tour de l'îlot principal, puis de ceux périphériques. Rien. Son cœur dégringola dans sa poitrine.
Le Yak n'était pas là.
OoOoOo
Après conciliabule au petit matin, ils avaient décidé de ne pas repartir aussitôt du site de Kosh. Oriag avait besoin de temps pour réduire les possibilités du périmètre pour traquer le Yak et le Kozak. Face à découragement du reste de l'équipage, Murdock avait argué qu'ils n'étaient peut-être pas en retard mais en avance. Pour donner le change, il leur avait fait mouiller le voilier de l'autre côté de l'îlot, certes au vent mais hors de vue du site. Sibéal l'avait dévisagé, peu dupe de sa tentative pour les réconforter. Ils les avaient loupé.
Allongée sur le dos dans sa cabine, elle fixait le plafond en bois vernis avec lassitude. Elle était certaine qu'Anak avait volontairement glissé cet indice, que Kosh avait une signification. Elle avait été si sûre de l'y trouver. Tout ce bel espoir avait été réduit à néant... Pourquoi Anak lui avait glissé cela dans cet appel si elle n'était pas sûre que Sibéal puisse l'y retrouver... si ça n'était pas important ? Elle ne voyait qu'une autre explication à cela. Kosh était le bon site, celui de la fresque sous le temple abandonné de Comor. Et Anak avait voulu qu'elle le sache, que le Modsognir le sache. Elle se redressa, son cerveau fourmillait d'idées. Incapable de se mettre au repos malgré la nav' de nuit. Le Kozak avait abordé le Yak pour la même raison qu'ils avaient envoyé Vanessa séduire Nialh : ils voulaient obtenir des informations pour récupérer la rançon. Le Yak avait dû donner cette information précieuse, que Kosh était le bon site, peut-être pour sauver leurs vies et donner de la valeur à celles-ci...
On toqua à la porte de sa cabine, son frère entra. Les cernes courraient sous ses yeux clairs. Il n'avait pas dû dormir davantage qu'elle.
« Sib ? Tu veux un truc ? Fran a préparé des acras.
- Non, secoua-t-elle la tête songeuse. »
Elle le sentit s'asseoir avec un soupir sur sa chaise, tourner sur lui-même en trifouillant dans ses magazines Metal hurlant.
« C'est le bon lieu, asséna-t-elle fermement, j'en suis certaine.
- Sûrement, hocha-t-il la tête avec dépit, mais on les a loupé.
- Non, se redressa-t-elle, on ne les a pas loupé.
- Comment ça ?
- Peut-être bien que ce n'était pas un lieu de rendez-vous que nous a glissé Anak. Peut-être qu'elle voulait nous dire que Kosh était la bonne cité. Celle de Comor !
- Et alors ? Fronça-t-il les sourcils, elle veut qu'on continue sans eux ? C'est mort.
- Elle veut peut-être qu'on suive une piste ! »
Il arrêta de tripoter ses affaires. Il resta pensif deux secondes, puis un petit éclair d'espoir traversa son regard. Il se tourna vers elle avec admiration, elle bondit hors du lit et lui ouvrit la marche jusqu'à la cabine de Murdock. Elle frappa et entra sans attendre. Leur capitaine arrêta de se sécher les cheveux avec sa serviette de bain, et les dévisagea en arquant un sourcil.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? Ils sont arrivés ?
- On a eu une idée ! S'écria Nialh. Enfin Sib mais...
- On est au bon endroit, assura Sibéal.
- Okay, on se calme les frangins, s'assit-il, Allez-y.
- Kosh c'est peut être une piste à remonter, s'empressa Sibéal. »
Murdock la fixait, attendant plus d'informations. Nialh s'impatienta :
« C'est le bon site, celui qu'on cherche et c'est peut-être ça qu'a voulu nous dire Anak ! Et le Kozak doit être au courant aussi.
- Ils sont sur l’indice suivant, assura Sibéal, on sait où ils vont. Enfin, pas encore mais...
- Suffit de fouiller le tas de pierres, comprit Murdock. Et on les traque.
- Exactement ! s'exclama Nialh. »
L'idée n'avait pas eu le temps de faire le tour du navire que déjà l'équipage s'était mis en branle. Apollo et Oriag avaient sorti aussitôt le matériel de plongée tandis que Sibéal et Nialh gonflaient le zodiak. Murdock remontait l'ancre pour se rapprocher du site.
« On va vite savoir si c'est ça en tout cas, sourit Oriag sur le pont.
- C'est le cas, affirma Sibéal. »
La navigatrice hocha la tête, concentrée sur l'équipement et la sécurité à mettre en place pour la plongée. Apollo que l'activité semblait sortir de sa torpeur l'écoutait avec espoir. Elle se sentait emplie d'une confiance débordante, elle était certaine que ce site c'était le message. Anak paraissait tout à coup à portée de main.
Pour gagner du temps, Valérian et Fran étaient pudiquement allés se déshabiller à la poupe pour plonger directement dans l'eau et les devancer. Sibéal fut surprise de voir la chevelure blonde-blanc, luisante d'eau émerger près de la proue du navire. Oriag, debout au-dessus du triton fronça les sourcils.
« Tout va bien ? »
Valérian avait une mine indescriptible sur le visage, Sibéal se redressa aussitôt. Le cœur battant.
« Trois navires approchent. »
OoOoOo
Ils avançaient sans rien dire entre les arbres, traversaient le petit îlot pour atteindre la plage en contrebas. Apollo menait la marche tandis que Murdock la fermait. Sibéal frissonnait d'adrénaline et de froid sous le coup du vent frais qui faisait se balancer les palmes des cocotiers. Ses muscles étaient tendus, ses mains crispées sur les anses de son sac à dos où ils avaient mis une partie du matériel de plongée. Ils dépassèrent le panneau rouillé indiquant le début de la zone protégée et la défense de s'y rendre. Sous ses semelles les graviers laissèrent peu à peu place au sable fin. Ils s'arrêtèrent à la lisière des arbres. La nuit était sombre et la lumière de la lune à moitié pleine dissimulée par les nombreux nuages.
Sibéal se pencha pour aider Nialh à sortir le zodiaque. Ils le déplièrent en silence tandis qu'Apollo et Oriag enfilaient les combinaisons de plongée. Ils savaient tous ce qu'ils avaient à faire. A partir du moment où les deux bantous seraient sortis du couvert des cocotiers, il n'y aurait pas de retour en arrière. Seule Fran, le regard lourd de compassion et de reproches pour Valérian, était restée sur le Modsognir.
Murdock mit précautionneusement deux révolvers dans le sac de plongée, le ferma hermétiquement et le leur tendit. Ils étaient prêts. Oriag et Apollo adressèrent un sourire nerveux et un mouvement de menton à leur encontre. Son cœur eut un raté inquiet lorsqu'ils quittèrent les arbres pour se dépêcher jusqu'au rivage. Ils disparurent bientôt entre les vagues. Ils atteindraient les trois navires en même temps qu'eux, une fois que le zodiaque serait gonflé.
Nialh, incapable de supporter cette attente, tournait machinalement en rond tandis que Sibéal et Murdock se relayaient en silence pour gonfler le petit bateau à moteur allégé de son moteur. Valérian se déshabilla lentement, Sibéal détourna les yeux pudiquement pour les porter sur le catamaran. Ils étaient là, elle avait dû mal à y croire elle-même mais ils étaient là.
Valérian avait nagé jusqu’au Kozak pour en apprendre plus et les espionner discrètement. Il était revenu en milieu d'après-midi avec des informations inquiétantes. Ils avaient séparé l’équipage du Yak et un des prisonniers retenu sur le Kozak était grièvement blessé. A quel point, il n’en savait rien. Il n’avait pas eu le choix. Ils ne pouvaient pas attendre d'avoir un meilleur plan. L’un d’eux était en danger et peut-être… Sibéal ne voulait pas penser à ce qu'avait subi l'équipage de Yakta, pas avant de les avoir sortis de là. Ça ne servait à rien, il fallait qu’elle reste concentrée sur ce qu'elle devait faire.
« On y va, lança Murdock avec autorité. »
Elle inspira profondément, se saisit d'une des poignées en plastique. Ils se pressèrent jusqu'aux premières vagues. Valérian plongea dans l'eau salée alors qu'ils grimpaient dans l'embarcation. Sans moteur, la poussée du triton était essentielle pour atteindre rapidement et silencieusement le trio de bateaux. Les écailles de sa longue et sinueuse queue brillaient sombrement sous l'eau. Comme un serpent de mer. Sibéal guettait, inquiète, un signe et un mouvement depuis les ponts du Kozak, du Yak et du Mamui Ata. Rien.
Elle se repassait en boucle tout ce qu'avait appris Valérian. Il y avait cinq membres, ce qui confirmait ce qu'avait expliqué Nialh. Elle avait oublié leur noms, seule celui de Vanessa la seule femme et Ulmer, le capitaine du navire, lui revenaient. Deux membres de l'équipage de Yakta étaient retenus sur le Kozak. Un blessé. Dans le cagibi, à l'arrière. Ils avaient vérifié sur les plans du modèle de navire qu’ils avaient trouvé grâce au code de matricule du navire. De ce qu'avait vu Valérian, Yakta et Mohvo étaient sur le Yak avec deux autres membres de l'équipage d'Ulmer. Murdock et Nialh devaient se charger d'eux. Apollo, Oriag, Valérian et elle avaient la charge de prendre le contrôle du Kozak.
Les nageoires puissantes de Valérian les poussèrent avec régularité jusqu’aux navires. C'était la partie la plus osée, la plus incertaine. Sibéal retint son souffle comme s'il pouvait à lui seul attirer l'attention. Rien. Ils passèrent devant la proue du Yak, il y avait une petite lueur dans les filets du catamaran. Ils ne discernèrent qu'une ombre.
« Okay, murmura Murdock, approche-toi encore un peu. »
Valérian les poussa doucement jusqu'à la poupe du Mamui Ata. Le demi-nain les amarra dessus. Ils quittèrent le zodiaque, courbés et se plaquèrent silencieusement contre le rebord en plastique du bateau. Sibéal se détendit sensiblement, d'ici personne sur le Yak, à quelques brasses du navire, et du Kozak, plus loin encore, ne pouvaient les deviner parmi les ombres. Valérian assis sur les premières marches fixait l'eau avec attention. Comme s’il devinait dans le chant des vagues une approche. C’était sûrement le cas.
« Ils sont là. »
Apollo et Oriag apparurent enfin, redressant leurs têtes or de l'eau. Le triton les aida à s'asseoir à sa place, se contentant de de nager à la verticale de façon stationnaire. Sibéal, Murdock et Nialh quittèrent leur vêtement pour découvrir leurs propres combinaisons achetées à Ålesund. Ainsi exposée, Sibéal fut prise d'une bouffée de tremblements, autant d'impatience que de mauvais pressentiments. Murdock leur tendit les revolvers dans leurs pochettes hermétiques. Il pesait lourd entre ses mains, elle essaya de se souvenir des conseils d'Apollo avec angoisse. Le blanc complet.
Angoissée, elle leva les yeux sur son frère. Il était pâle dans la pénombre. La vision de son corps inanimé dans la tempête lui revint en plein visage, lui étrangla la gorge. Elle porta son attention sur Murdock, il lui signifia sa promesse d'un geste du menton.
« Il faut y aller, murmura Apollo, vous connaissez le signal, Valérian, Sibéal ? »
Il hocha la tête. Elle resserra les lunettes de plongée sur ses propres verres, son cœur battait si fort qu'elle n'entendait plus le clapotis des vagues.
« Valérian ? »
Son souffle se coupa, tous ses membres se crispèrent. Elle se retourna. Là, à mi-chemin dans les escaliers, se dressait Esteban. Il les dévisageait avec étonnement. Eux, en combinaison, Valérian dans l'eau et l'arme de Murdock pointée sur lui. Sa gorge se noua douloureusement. S'il tirait, ils perdaient l'effet de surprise. Elle porta un œil suppliant à Esteban, lui et Valérian se fixaient sans rien dire. Une joute mentale se jouait, dans laquelle la menace du revolver semblait ne pas avoir d'importance. Le regard bleu de Valérian avait un éclat aussi dur que l'acier.
Esteban leva lentement les paumes de ses mains. Il se détourna et descendit lentement et silencieusement les marches menant à l'intérieur du navire. Le souffle de Sibéal restait suspendu à un cri, un signe, une trahison.
« Il ne dira rien, souffla Valérian.
- Hum... lui aussi c'est un observateur impartial ? Lâcha dubitatif Murdock l’arme toujours en joue.
- En quelque sorte. On peut lui faire confiance. »
Il fallait bien s'en contenter. Apollo et Oriag descendirent dans l'eau, et s’éloignèrent. Sibéal quitta ses chaussures et s'y glissa à son tour. La fraîcheur de la mer lui arracha une grimace. Elle jeta un dernier regard à son frère et Murdock avant de tendre la main à Valérian. Nialh lui adressa un petit geste. Le triton l'entraîna à sa suite sous l'eau. Elle enroula ses bras autour de son torse, planqua du mieux qu'elle put son torse à son dos. Instinctivement elle ferma les yeux, comme pour lutter contre la vitesse de l'eau contre ses paupières. Puis les rouvrit lentement. Seule la chevelure nouée du triton était visible, et de plus en plus proche maintenant, la coque rouge du Kozak.
Lorsque ses doigts se posèrent sur le métal, elle put enfin redresser la tête et aspirer une bouffée d'air avec avidité. Ils étaient à la proue, Oriag et Apollo devaient se charger de la poupe. Valérian l'aida à grimper sur les anneaux de l'ancre. Ils étaient froids et glissants sous ses orteils. Elle posa sa main à plat sur le ponton, comme pour inconsciemment vérifier qu'il n'y avait personne. Elle prit une inspiration et d'une dernière poussée se hissa dessus. Elle resta statufiée un instant, l'oreille tendue dans un battement rapide de cœur. Pas un son, rien n’indiquait qu'elle avait été découverte. Rien. Elle prit plusieurs profondes respirations.
Elle sortit silencieusement du petit sac hermétique les deux revolvers, le t-shirt et le short de sport sec pour Valérian. Il se hissait plus difficilement qu'elle sur la chaîne, handicapé par sa queue. Elle tendit la main pour l'aider à le hisser. Avec son aide, il parvient à s'asseoir dans un souffle coupé par l'effort sur le ponton. Il avait besoin de quelques minutes pour retrouver forme humaine. Le temps qu'il fallait à Oriag et Apollo, et là-bas près du Mamui Ata à Murdock et Nialh.
Son sang battait furieusement à ses oreilles, refusant cette attente insupportable. Elle tremblait de froid et se mordillait le pouce en comptant les secondes qui s’égrainaient. Valérian avait enfilé le t-shirt, ça allait être le moment. Elle longea, penchée, le bastingage du Kozak en prenant soin de ne pas se cogner à un élément. Elle fut bientôt dans la courbe de l'avant du navire. Ses yeux se plissèrent, elle ne voyait personne sur le pont. Elle se pencha un peu plus, et enfin discerna la forme d'Oriag qui s'était débarrassée de ses palmes. Bientôt le signal… Elle revint à reculons sur ses pas et se figea d’horreur.
Une silhouette se dressait dos à elle, toisant Valérian. Elle ne voyait que la chevelure noire et lisse. Son souffle se coupa, elle se sentit défaillir. Ce n'était pas Vanessa, ce n'était pas...
« … non ça j'arrive pas à y croire, toi parmi tous les nôtres ! siffla la voix.
- Hanabi...
- Tais-toi, claqua-t-elle plus fortement, Kenneth ne peut plus et toi... et ta sœur est aussi menacée ! Notre espèce court à sa perte et tu... tu trahis notre dernière chance ! »
La sirène, l'une des deux à bord du Kozak. Elle avait dû sentir leur approche. Sibéal discerna alors le petit harpon de pêche qu'elle tenait dans les mains. Elle le pointait sans état d'âme sur Valérian dont le calme ne fit que l'inquiéter plus encore. Elle semblait loin de la compréhension d'Esteban. Cachée derrière le pare-battage, Sibéal tremblait de la tête au pied. Elle cherchait en vain comment l'arrêter. Son cœur cognait furieusement dans sa poitrine. Ses doigts se serrèrent avec horreur sur le revolver. Pas ça…
« Si tu tires, tu interviens toi aussi, rappela-t-il froidement.
- Si je tire..., répéta-t-elle irritée, c'est toi qui ne me laisse pas le choix. Retourne d'où tu viens Valérian, me force pas à ça. Tu nous conduis au bord du précipice. Va-t'en avant de faire une erreur encore plus énorme.
- Je ne repartirai pas. C'est ma décision, c'est hors de question.
- Ta décision va tous nous condamner.
- Tu n’en sais rien.
- Tu es si égoïste. »
Valérian décocha un regard dans sa direction, Sibéal tressaillit. Hanabi retira le cran de sécurité. Sibéal bondit, abattit maladroitement la crosse de son arme sur la nuque de la sirène. Celle-ci poussa un cri aigu qui fit défaillir de peur Sibéal. Elle se retourna brusquement. Ses yeux sombres se plantèrent avec fureur sur elle.
« C'est une blague, cracha-t-elle. T'es avec des humains ? »
Sibéal recula, l'arme pendait stupidement à ses mains. Elle l'agita pour tenter de la dissuader d'approcher. La sirène lui balança un coup au visage. Sous le choc, Sibéal trébucha dans les cordages avec fracas. Valérian, de nouveau sous sa forme humaine, se jeta sur Hanabi. Il la plaqua au sol, le harpon lui échappa des mains. Sibéal donna un coup dedans pour l'éloigner. Un mouvement des deux autres, et il fila en dans la mer en un bruit qui sonnait avec énormité à ses oreilles.
Elle se tétanisa, horrifiée. Une seconde.
Un coup de feu déchira la nuit.
Elle se tourna vers l'autre navire. Murdock. Nialh.
« Sibéal ! s'écria Valérian. »
Il tentait de maîtriser Hanabi devenue telle une furie. Elle l'insultait et lui griffait le visage. Sibéal visa, hébétée et tremblante. Respire, chuchotait la voix d'Apollo, respire et coupe. Coupe avant d'appuyer. Mais elle... elle était incapable de tirer. Elle en aurait pleuré.
“Traître ! cria Hanabi.”
Le triton libéra son poignet et l’assomma la sirène dans un coup de poing qui sembla le surprendre lui-même. Lorsqu'il se redressa, Sibéal se saisit de son arme. Ils échangèrent un regard. Ils n’avaient plus le temps de faire dans la dentelle, ni dans la discrétion. Elle se dressa au-dessus du hublot de plafond de la cabine à l'avant, le chemin le plus rapide pour le cagibi. Elle visa la vitre qui éclata, le son de la balle était assourdissant. Valérian, la main dans la pochette hermétique, se débarrassa des éclats de verre et sauta à l'intérieur. Une fois dans la cabine, Sibéal chercha frénétiquement son regard. L'arme en joue, tremblant entre ses mains. Un soutien-gorge traînait sur le dossier de la chaise. Il n'y avait rien. Des bruits de pas précipités s'éloignaient. Les draps étaient chauds.
Elle ne devait pas atteindre le cagibi. Vite. Vite.
Ils se précipitèrent dans le couloir étroit. Valérian tira. La balle alla se loger en un bruit sourd au-dessus de l'arcade. Il y eut des cris plus loin, un fracas de vaisselle. Son sang bourdonnait si fort à ses oreilles, elle n'arrivait plus à respirer. Oriag et Apollo maîtrisaient, ils maîtrisaient. Valérian et elle devaient se charger de Vanessa.
« Arrête ! cria Valérian, ARRETE-TOI ! »
Il tira à nouveau, la lampe explosa et Vanessa s'immobilisa. Valérian la visait, essoufflé. Sibéal respirait de façon erratique derrière lui. La jeune femme lut quelque chose dans le frémissement des épaules du triton et eut un petit sourire.
« Alors, t'attends quoi ? »
Ce n'était pas dans le plan. Valérian, aussi perdu que Sibéal, examina Vanessa rapidement. Ses yeux tombèrent sur la clé enfoncée dans la serrure. Sa voix se raffermit et claqua froidement dans le couloir.
« Éloigne-toi. »
Vanessa eut un rire nerveux, et fit un pas en arrière. Il la pressa de faire vite, elle était d'une telle lenteur… Sibéal jetait des coups d'œil frénétiques derrière eux. La crosse rapait la paume de sa main. Elle avait les paumes moites et les doigts engourdis. Seule sa respiration bruyante et saccadée lui parvenait. Elle s'attendait à voir débarquer Ulmer ou un autre, être incapable à nouveau de tirer et... Elle fixait l'angle du couloir. Ses genoux tremblaient.
Un mouvement de Valérian, qui tenait en joue Vanessa, la ramena à la réalité. Il savait ce qu'ils devaient faire, la ramener dans la cuisine où Oriag et Apollo avaient dû maîtriser les deux autres. regrouper l’équipage. Elle brûlait d'envie d'ouvrir la porte, là tout de suite, de laisser seul Valérian. Mais si jamais...
« Sib ?! S'écria la voix d'Oriag. Tout va bien ? »
Elle lui parvenait de loin, lui donna envie d'éclater en sanglots de soulagement. Sibéal baissa son arme, les membres cotonneux.
« Et vous ? »
Lorsqu'elle lui répondit pas l'affirmative, Valérian attrapa le bras de Vanessa avec fermeté et la traîna sous la menace de son arme loin de la porte. Il planta son regard dans celui de Sibéal. L'éclat dur avait disparu pour ne laisser que celui de l'angoisse. Elle hocha la tête avant qu'il n'ai pu s'exprimer :
« Sors-les de là. »
Elle tourna vivement la clé, et ouvrit avec brutalité la porte du cagibi. Une forme était allongée sur un sommier de fortune. Dressée devant, comme un bouclier, Anak.
Elle la dévisageait ébahie. Échevelée, le visage sale, un petit gémissement stupéfié lui échappa.
« Sibéal... »
Le souffle qu'elle retenait, passa enfin ses lèvres.
« Tout va bien, tout va bien, j’ai… j’ai eu ton message, murmura-t-elle. On est là. »
Le sanglot déchirant de soulagement qui échappa à Anak lui broya le cœur. Elle entra vivement et l'enlaça avec effusion, lâcha enfin les larmes qu'elle-même retenait.
« Tout va bien. »