J’erre dans les couloirs de la base sans but précis. L’attaque a été un véritable fiasco. Les pertes sont énormes. De notre groupe, huit personnes sont revenues indemnes. Nikolaï et moi faisons partie du lot. Les autres sont morts ou blessés. Une dizaine se trouve encore aux soins intensifs, dont Hans. Si Nikolaï n’avait pas pris les choses en main, je n’ose même pas imaginer le bilan que nous aurions eu à déplorer. Il a compris que Luna n’était plus là et, malgré la douleur, il nous a ramenés ici en portant Hans sur son dos. J’ai été parfaitement inutile et c’est d’autant plus pénible. Le groupe de Tellin a également essuyé de nombreuses pertes. Le camp était piégé. C’était un leurre. Seule une poignée de rebelles s’y trouvaient, le reste nous attendait, caché au sud. Nous nous sommes fait avoir en beauté. Cette attaque a renforcé mon opinion : le traitre est parmi les officiers. J’ignore qui c’est. Deux sont morts dans l’affrontement. Malgré notre défaite, je n’arrive pas à en vouloir aux rebelles. Je devrais. Ils ont tué ma sœur et blessé Hans, mais je ne peux pas. Pourquoi ? Parce que c’est nous qui sommes responsables de tout ça. Un lourd silence s’est emparé de la base. Chacun fait son deuil. Le combat est fini depuis cinq jours, mais personne ne souhaite en parler. Cela devait être le dernier, mais nous avons échoué. Mes pas me mènent devant l’hôpital. Vincent discute avec les gens de l’accueil. Je vois à sa tête qu’il n’a pas de bonnes nouvelles. Je me rapproche de lui. Une boule s’est formée au creux de mon ventre. Il me remarque et m’attend.
- Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je.
- Le cœur d’un de nos soldats a lâché.
Mes muscles se tendent instantanément.
- Est-ce que c’est…
- Non, me coupe-t-il aussitôt. Ce n’est pas lui.
Le poids qui s’était développé dans ma poitrine s’atténue quelque peu.
- Comment va-t-il ?
- Un peu mieux qu’hier. Il n’a plus besoin d’aide pour respirer.
- Est-ce que je peux le voir ? demandé-je, une note d’espoir dans la voix en espérant que cette fois-ci, il accède à ma requête.
Il pose une main apaisante sur mon épaule.
- Cela ne te fera que souffrir.
- J’aimerais le voir, insisté-je.
Vincent soupire.
- Suis-moi.
Je me mets à ses côtés tandis qu’un mélange de crainte et de soulagement me gagne. Je remarque à ses yeux rouges qu’il n’a pas dû beaucoup dormir ces derniers temps. C’est dur pour tout le monde. Nous nous arrêtons devant une porte. Il me laisse entrer. La pièce est saturée d’une odeur de désinfectant. Je regarde le lit en face de moi. C’est la première fois que je le vois depuis qu’il est rentré ici. Je me mords les lèvres pour ne pas craquer. Il est plus pâle que d’habitude, pourtant son visage est paisible. Je me rapproche et pose ma main sur la sienne. Vincent m’observe. Il ne dit rien. Mon cœur se serre. Je me mets à parler toute seule.
- Salut Hans. Comment ça va ?
Évidemment, il ne me répond pas. Ses dernières paroles résonnent dans mon esprit. « Tu es vivante. » Je n’ai pas compris la suite. Je resserre ma prise sur ses doigts tout en continuant d’essayer de sourire.
- Moi, ça va. Je suis un peu fatiguée, mais rien de grave.
Je m’accroupis pour que mon visage arrive à la hauteur du sien. Ma main est toujours dans la sienne. Elle est tiède. Son toucher me réconforte. Cela me prouve qu’il est vivant.
- Guéris vite pour que l’on retourne s’entrainer ensemble.
Je me relève. Il n’a pas bougé.
- À la prochaine, dis-je joyeusement.
J’ignore qui j’essaye de convaincre, mais dans cette pièce personne n’est dupe, même pas moi. Je quitte la chambre. Vincent me suit. Je serre les poings, mais je ne peux plus me retenir. J’éclate en sanglots.
- Sois forte, Elena, me dit mon médecin.
Il me tend un mouchoir. Je me mouche dedans. Vis, Hans. C’est tout ce que je te demande. Je ne supporterai pas une nouvelle perte.
Sur le chemin pour retourner à mon bureau, je croise Nikolaï. Il ne semble pas avoir dormi plus que moi ces derniers jours. La disparition de Luna a été terrible pour lui, mais il ne laisse rien paraitre. Il préfère sans doute comme moi se cacher des regards pour pleurer. Il m’a énormément soutenu depuis notre défaite. J’aimerais lui rendre la pareille, mais je ne suis pas aussi forte que lui. Nous nous saluons. Je suppose qu’il va voir son frère. J’ignore pourquoi, je ne lui dis pas que j’y vais tous les jours. Je me contente de lui demander des nouvelles comme si de rien n’était. Il ne me fait aucun reproche. Après avoir échangé les banalités quotidiennes, nous nous séparons. J’entre dans mon bureau. Isis s’y trouve. Je lui ai laissé un double de ma clé pour lui prouver ma confiance. J’ai tout de même fermé mes armoires avec un cadenas. On ne sait jamais. Elle se lève à mon arrivée.
- Alors ? me demande-t-elle.
Elle est la seule qui sait pour mes visites.
- Mieux.
- C’est super !
J’aimerais partager son enthousiasme, mais pour le moment je ne broie que du noir. Je m’installe dans mon fauteuil. Je devrais faire mon rapport, mais je n’en ai pas envie. J’ai encore du mal à accepter que ma sœur soit morte. Malheureusement, c’est la vérité. Lorsque nous sommes retournés sur le lieu de la bataille, les corps de nos soldats étaient alignés les uns à côté des autres. C’était macabre. Il n’y avait plus aucune trace des rebelles. Tous nos morts étaient là sauf Luna. L’équipe envoyée a bien essayé de descendre, mais c’était trop dangereux. La seule consolation qu’il me reste est de me dire que désormais ma sœur ne sera plus enchainée à cette base. Isis pose une tasse de thé près de moi. Je la remercie d’un sourire. Si Luna était encore vivante, elle m’ordonnerait de me reprendre et elle aurait raison. Le temps continue à tourner, peu importe la douleur. Toutefois, tout n’est pas aussi simple. Il faudra de la patience pour que la blessure guérisse, mais j’y arriverai. Je bois une gorgée de thé brulant comme pour me donner du courage puis sors une feuille de mon tiroir. Je me lance sans entrain dans la rédaction de ce fichu rapport.
N'ont-ils pas un drone qui leur permettrait de localiser le corps de Luna dans le ravin? Je ne peux m'empecher de me demander si elle n'est pas encore en vie.
Une phrase m'a fait un drole d'effet : "Je m’accroupis pour que mon visage arrive à la hauteur du matelas." Plutot que de parler de matelas, pourquoi pas qqchose comme "a la hauteur du sien"?
"Isis me pose une tasse de thé." La, ca me fait bizarre. Elle pose la tasse pres d'Elena?
Bon courage pour la suite!