Chapitre 38

Notes de l’auteur : MAJ : 28 juin

Sur la route d’Arborflor – Brocéliande

Deux jours avant

L’Equorix portant Léa, Donnon et les deux fées venait de s'arrêter près d’un ruisseau.
Toujours maussades, suite au drame dans la clairière aux fées, Lia et Ella renouvelèrent leur sort, recouvrant Léa de poudre de fée. Encore secouée par le corrompu, Léa voulait faire profil bas et ne prendre aucun risque avant d’avoir trouvé le druide Hafgan.

Donnon revint après avoir rempli les gourdes et cueilli quelques Avel bien juteuses que Léa aimait tant.

— Nous y sommes presque, le domaine Pennel est à quelques minutes au nord d’ici à dos d’Equorix.

— Et la route par là mène où ? demanda Léa en montrant un embranchement partant vers l’ouest.

— À la capitale, la cité d’Ys. Quand tu seras auprès d’Hafgan, j’irai faire mon rapport au Palais.

Elle acquiesça gravement, touchant son bras en voyant ses traits tirés et son regard soucieux, qu’il tentait de masquer par un masque d’assurance. Les quelques jours passés en sa présence chez Emrys, puis sur la route, lui avaient permis de cerner quel genre de personne il était, et elle commençait à regretter ses taquineries quand il devenait aussi muet et stoïque.

Au domaine Pennel, ils arrivèrent face à une sorte de campement improvisé où des Hoper aux cheveux blonds pâles et des gardes à l'allure elfique étaient stationnés. Des créatures mille-pattes géantes s'ébrouaient dans la boue dans une sorte d’enclos à côté de l’entrée.

— Ce campement n’est pas là habituellement, je vais me renseigner, lança Donnon avant que Léa ait pu demander quoi que ce soit.

Les trois filles restèrent un peu en retrait, jusqu’à ce qu’un Hoper atterrisse à quelques mètres d’elles, entrant dans le campement d’un pas rapide. Donnon était parti depuis un bon moment et Léa décida d’explorer, inquiète d’être repérée en restant sur place.

Si Donnon était accaparé par quelque chose, elle tenterait de trouver Hafgan elle-même et tout rentrerait dans l’ordre.

Elle escalada un mur dont les pierres partiellement descellées offraient des prises pour s'accrocher et longea la bordure de la propriété pour observer une des tentes ; elle était vide, avec quelques caisses entreposées, mais elle entendit du bruit à la suivante.

Lia lui fit signe de ne pas bouger en souriant, et Ella fit une petite grimace avant de lui souffler dessus. Léa crut éternuer mais aucun son ne sortit de sa bouche.

Lia se posa sur son épaule pour parler à l’oreille :

— C'est un sort de « calme » ; tu ne feras aucun bruit pendant quelques temps. Va observer, Ella et moi restons dehors au cas où !

Léa mima un merci silencieux de la bouche et s'engouffra dans la tente suivante, qui contenait une vingtaine de lits de camp sur lesquels des personnes étaient allongées. Elle étouffa un cri muet de surprise et s'approcha pour mieux voir.

Des hommes et des femmes dormaient paisiblement, leur poitrine bougeant lentement, leur souffle caressant sa paume alors qu'elle vérifiait qu'ils respiraient. Certains étaient blessés, des linges imprégnés de bouillies de plantes sur eux, d'autres semblaient indemnes, mais tous étaient alignés comme des sardines, sans surveillance.

Elle secoua doucement les épaules d'un jeune homme qui avait l'air d'être lycéen, mais il ne bougea pas. Réitérant l'expérience avec une femme trentenaire en jogging, puis un homme dont la chemise était partiellement déchirée. Tous étaient dans une sorte de coma.

Elle entendit Lia l'interpeller et n'eut que le temps de se cacher derrière une paroi de tissu tendue avant de voir entrer un garde elfique et un Draob. Tout aussi élégant qu’Emrys mais avec de longs cheveux blancs tressés en une natte complexe, son pelage était également plus clair. Il s'approcha avec grâce d'un homme, touchant son front de ses trois doigts principaux, et une sorte de sifflement strident lui perça les tympans.

Elle se pinça le nez pour déboucher ses oreilles et entendit le Draob discuter.

— Cet humain est également prêt, il ne gardera aucun souvenir, mais il faudra faire revenir une ondine d'ici demain pour prolonger leur sommeil ; je changerai les bandages à ce moment.

— Merci, Hafgan, la Reine Dahut vous est reconnaissante d'avoir fait tout ce chemin.

— Je voulais m'assurer que les humains soient bien traités. Je connais l'inclination de certains Brocéliandins de la cité.

— Nous reprendrons les corps dans l'autre tente dès qu'un espace sera prêt pour les conserver.

Un sifflement de désapprobation retentit.

— Faites en sorte de m'apporter les humains vivants, je vous ai donné assez de remèdes pour les soigner sur place.

— Nous faisons notre possible.

La tente s'ouvrit et un nouveau garde entra.

— Le gardien géant Donnon vous demande à la porte.

Le premier garde fit une légère courbette au druide et sortit.

Ce dernier se mit alors à parler tout seul.

— Tu peux sortir de ta cachette, je ne te ferai aucun mal, dit le Draob à voix basse.

Léa réfléchit un instant. Elle était repérée, et ce druide Draob devait être Hafgan. Elle décida de sortir de sa cachette. Lia, qui était dissimulée, entra dans la tente pour se poser sur l'épaule de Léa, qui se redressait et avançait de quelques pas. Léa fit un signe de tête au druide et lui tendit la lettre d’Emrys qu’elle gardait dans sa poche.

Il la consulta et la regarda avec un léger sourire.

— Mon ami a l’air de beaucoup t’apprécier, Léa. Malheureusement, je ne peux pas t’aider à retourner sur Terre. Comme tu peux le voir, la situation ici est complexe…

Léa se plaça face à lui, l’air dépitée, alors qu'il lui tendait une sacoche qu’il avait récupérée dans une caisse non loin.

— Prends ça, si tu es en danger, cela calmera les assaillants. Reste avec le gardien Donnon et allez au Palais. Là-bas, cherchez une humaine du nom d’Elara Drindod, vous pouvez lui faire confiance. Rester ici sans escorte pourrait être risqué pour toi, même avec le sort d’illusion qui te couvre, dit-il en souriant à l’attention de Lia.

Elle acquiesça, l’air sérieux, et mima un remerciement, faute de pouvoir lui poser des questions sur la scène qu’elle avait vue plus tôt avec les humains.

— Il faut y aller, les Teirionnours vont revenir.

Léa mima des oreilles longues avec ses mains et le Draob sourit, faisant briller ses grands yeux vert lime de biche.

— Effectivement, ce sont eux. Au revoir, jeune humaine, va, vite !

Elle acquiesça et lui sourit avant de s'éclipser avec Lia, qui faisait de grands signes de ses bras pour saluer le druide. Léa se carapata en refaisant le trajet en sens inverse sans se faire repérer et retourna là où Donnon les avait laissées, pour l’apercevoir, l’air contrarié.

Le sort levé, elle pouvait de nouveau parler.

— Où étais-tu ? Je commençais à m’inquiéter, demanda le géant.

— Tu ne revenais pas… Je suis allée voir discrètement et il y avait des humains, plein d’humains maintenus endormis avec leurs souvenirs effacés, dans des lits là-bas.

— Tu as pris trop de risques... Je viens de me renseigner auprès des Pennel et Teirionnours du domaine et des patrouilles s'organisent dans tout le pays pour retrouver des humains. Je ne pense pas que ce soit sûr de te laisser ici, soupira-t-il en fronçant les sourcils, soucieux.

— Oui, c’est ce que m’a dit Hafgan. Il m’a demandé de retrouver une certaine Elara Drindod au Palais.

— Je t’y emmène.

Elle acquiesça et ils repartirent à dos d’Equorix, dans la hâte, en direction de la cité d’Ys. Ils n’avaient pas fait deux kilomètres qu’un autre Equorix surgit et percuta leur monture, les faisant basculer. Donnon attrapa Léa, qui était projetée en l’air, et amortit sa chute de son corps, alors que les deux créatures se battaient en poussant des grognements qui semblaient être leur propre langage.

Léa se redressa et tendit sa main pour aider Donnon à se relever avant de réaliser qu’il était beaucoup trop lourd pour qu’elle le hisse. Il se redressa seul en riant et se tourna vers l’Equorix inconnu qui s’avançait vers eux, des traces de combats zébrant son poil.

— Qu’est-ce que tu veux, Equorix ? demanda Donnon, alerte.

— Léééaaaa... amiiie d'Aaaliccce, dit la créature en s’approchant de la jeune femme.

Elle se figea un instant.

— Comment tu connais Alice ? Qui es-tu ?

— Je ssssuis Georrrge, Aaaaliccce te cccherche.

— Quoi !? Alice est ici ? demanda Léa, sous le choc. Elle ne s’était pas imaginée un instant que ses amies aient pu arriver à Brocéliande, et voilà qu’une créature l’avait identifiée et lui parlait d’Alice, qui aurait dû être avec Noémie dans leur location.

Donnon se plaça entre Léa et la créature.

— Est-ce que cette Alice était seule ou avec un Brocéliandin ?

— Avec ssseees ammmis korrrrigans, Garrrren le ggggéant et un chhhapalu.

Léa s'accrocha à Garen, repensant au géant qui l’avait attaquée. Elle avait peur pour Alice.

— Est-ce qu'ils sont arrivés dans la cité d'Ys ? Garen était-il menaçant avec elle ? demanda Donnon, fronçant les sourcils.

Georges fit une sorte de ronflement bref suivi d'un rire.

— Garrren aimmme Aliccce. Ouiii, là-bas.

Donnon et Léa se regardèrent, surpris par les paroles de Georges. La tension qu’elle ressentait s’estompa. Léa se dit qu'après tout, Alice était la seule à pouvoir dérider ou se faire aimer d'un géant agressif ; elle avait l'art et la manière de débloquer des situations épineuses. Son rire, son attitude solaire lui manquaient. Elle se rendait compte à quel point toute cette aventure la pesait.

Léa caressa la joue écailleuse de Georges et lui parla gentiment.

— Merci de l'avoir accompagnée. Est-ce qu'elle allait bien ?
— Ouuui, un peu trrrriste.
— Si elle me cherche, ça ne m'étonne pas qu'elle se cache derrière un sourire, répondit Léa, les yeux pleins d’émotion.

Elle, qui prenait sur elle pour rester forte, essayant de s’en sortir dans un autre monde, sentait sa volonté s’émousser. Aucun stage survivaliste ne pouvait préparer à cette réalité, cette angoisse de se sentir impuissante dans un contexte totalement étranger. Sentir sa survie entre les mains d’autres personnes l’angoissait, et Donnon la prit doucement dans ses bras, voyant qu’elle faiblissait alors que les deux sœurs voletaient inquiètes, ne sachant pas comment réagir.

— Tu peux compter sur nous, allons-y, Léa.

Elle prit un instant pour se ressaisir, prenant de longues inspirations, et redressa sa tête, déterminée.

— Oui, allons retrouver Elara Drindod au Palais. Je compte sur vous, Lia, Ella, pour me faire une armure de poudre de fée.

— Oui ! répondit Lia, le sourire retrouvé. Tu seras méconnaissable.

Ils reprirent position sur leur Equorix alors que Georges repartait dans la forêt, et au bout d’une heure, ils étaient à la porte du Palais.

Des gardes Teirionnours les laissèrent passer en présence de Garen, et ils parcoururent les couloirs, s’enfonçant dans le Palais.

— Ah, au fait, Donnon, qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en montrant le contenu de la besace que lui avait remise le druide Hafgan.

— Qui t’a donné ça ? Ce sont des balles de confusion…

— C’est Hafgan. Je comprends ce qu’il voulait dire par « à utiliser sur des agresseurs ».

— Certains Teirionnours en usent parfois, quand des Brocéliandins sont incontrôlables.

Ils arrivèrent dans une salle gigantesque, arrondie et surmontée d’un dôme, où en son centre, un arbre monumental étalait ses branches, servant de perchoir à des milliers de créatures. Alors qu’ils s’engageaient dans la pièce, un être volant atterrit juste en face de Donnon. C’était une femme ailée aux pattes d’oiseau, taille mannequin, arborant une chevelure d’un rouge flamboyant et un plumage assorti, moucheté de blanc.

— Donnon ! Je savais que tu allais arriver avec ton invitée. Elara aimerait lui parler, dit la harpie.

— Encore à jouer avec tes bassins pour espionner… Léa, je te présente Aeronwy, annonça le géant.

— La plus belle harpie du Palais, lança-t-elle avec un grand sourire.

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Bleumer
Posté le 02/05/2024
On retrouve un peu d'explications sur le sort des humains qui arrivent dans ce monde avec la mention de lieux de regroupement, peut-être que cela a été mentionné plus tôt, mais comme je te disais précédemment, le fait que je ne puisse pas "feuilleter" le livre librement peut me faire oublier ce genre de détails.
Mais comme je le mentionnais au chapitre précédent, il y a pour moi une incohérence dans le fait qu'elle se pose des questions sur Noémie. Cette dernière n'est arrivée dans ce monde qu'après, pour moi, il n'y a pas de raison que Léa soupçonne sa présence ici (A la rigueur, Morgane pourrait être au courant). Autant, elle peut être au courant de la présence d'Alice car leurs amants sont "liés" car rivaux. Autant l'Ondin de Noémie ne semble pas entretenir de relations avec grand monde, d'autant plus qu'il y a l'air d'avoir plus d'humains que je pensais à tomber sur Aldaria. On se demande aussi à quoi sert ce lieu de regroupement pour humains. Est-ce un hôpital pour les soigner en attendant de les renvoyer? Les humains sont-ils recherchés activement pour être réunis? Ces lieux cachent-ils un but bien plus sombre (oui, je pense à des camps de concentration)?
Papayebong
Posté le 28/06/2024
Bonsoir Bleumer,

Nouvelle mise à jour pour ce chapitre qui a été pas mal remanié. Quelques passages restent identiques, mais j'ai changé la partie avec le Chapalu. Il était plus simple pour elle d'entrer directement au Palais avec Donnon et de "regrouper" les protagonistes en vue de la suite des événements.

J'ai également retiré (je pense) les incohérences concernant la présence de Noémie et Alice.
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