Chapitre 38 - Djoka

Djoka gisait sur le dos, confortablement affalé sur l’immense canapé de la pièce. Une brise glaciale caressait doucement sa peau et hérissait ses poils, mais il l’ignorait, refusant de rabattre les manches de la chemise qu’il avait remontées sur ses bras. Depuis quelque temps, il délaissait son échiquier, attendant impatiemment que les choses se mettent en place d’elle-même.

Sa respiration calme et endormie était la seule chose encore ordonnée autour de lui. La pièce était ravagée. Plongée dans une quasi-obscurité, elle dissimulait pourtant à peine les meubles défoncés et les innombrables morceaux de verres éparpillés sur les épaisses dalles de pierres. Voilà à quoi son impatience le réduisait, un être incapable de contenir sa rage. Malgré tout, l’échiquier était toujours là, au milieu des débris, sans la moindre égratignure.

Dans le coin le plus sombre de la pièce, une présence familière restait tapie dans l’ombre, bien à l’abri des regards. Elle observait Djoka avec avidité et convoitise, curieuse de voir comment il allait réagir aux informations qu’elle lui apportait.

— Tss… Tss… Regarde-moi dans quel état tu as mis cette pièce, désapprouva la présence.

Djoka resta de marbre, mais elle savait très bien qu’il était parfaitement éveillé, il n’aurait jamais pu dormir en de telles circonstances. Elle le détailla plus attentivement, nullement gênée par la pénombre du lieu. La faible lueur d’une bougie vacillante semblait sculpter sa silhouette dans le noir, lui prêtant un air apaisé qu’il ne possédait pas.

— C’est étrange, reprit-elle, lorsque tu sembles assoupi tu as vraiment l’air d’être un homme tout ce qu’il y a de plus innocent.

Cette fois, un large sourire étira ses lèvres. Sans se relever pour autant, il rajusta le chapeau usé qui lui cachait le visage de ses longs doigts gantés.

— Parce que tu trouves que je ressemble encore à un homme ? Décidément, je ne sais pas si je dois me sentir flatté ou insulté.

— Probablement un peu des deux, mais qui s’en soucie.

Djoka soupira longuement, toujours enfoncé dans les coussins du canapé.

— Ma chère amie, aurais-tu fait tout ce chemin dans le seul but de me provoquer ? Si j’étais toi, je m’abstiendrais. Comme tu peux le voir à ce qui t’entoure, mon humeur a déjà été dans de meilleures dispositions.

— Vraiment ? Moi qui pensais que tu m’accueillerais à bras ouverts, ravi de pouvoir mettre un terme à ton impatience.

Les yeux de Djoka s’ouvrirent immédiatement et il se redressa d’un bond. Sans qu’il eût besoin de la chercher, il fixa ses pupilles dans l’obscurité, comme s’il avait pu distinguer la présence dans le noir où elle se dissimulait. Contrairement à sa forme physique, repérer son aura était un jeu d’enfant pour lui.

— Elle a rêvé ?

— Oui, c’est fait.

— Raconte-moi ! Qu’a-t-elle vu ?

Au lieu de lui répondre tout de suite, le frémissement d’un rire s’éleva entre eux.

— En quoi est-ce si important ? S’amusa la présence.

— Ça ne te regarde pas. Maintenant, réponds-moi.

— Pourquoi t’obstines-tu dans cette direction ?

— LA FERME ! hurla-t-il.

La voix de Djoka résonna avec violence entre les murs de pierre. Il se tenait debout, les poings serrés, la partie visible de son visage déformé par la haine. Sa colère était contagieuse et atteignait la pièce entière, faisant tout trembler autour de lui. Des objets qui avaient été épargnés jusque là gisaient à présent sur le sol, brisés. Il vibrait de rage.

Toujours dans l’ombre, la présence ne se sentait nullement menacée par les sautes d’humeur de son interlocuteur, attendant simplement que l’orage passe. Elle était habituée depuis longtemps à cet étrange comportement et s’en délectait, c’était peut-être pour cette raison qu’une part de lui tentait encore de se contrôler devant elle. Après quelques instants, Djoka changea du tout au tout, comme si rien de tout cela ne s’était passé, arborant de nouveau une sérénité inattendue et pourtant sincère.

— Je t’en pris, dis moi ce que tu sais, demanda-t-il, tout sourire.

— Son guide s’est enfin montré. Il lui a d’abord fait revivre plusieurs souvenirs de son enfance puis a emprunté un visage familier avant de se montrer à elle.

— Je sais déjà tout ça ! Que lui a-t-il montré ?

— Elle a vu plusieurs endroits qui lui sont inconnus. Des plaines recouvertes de neige, une forêt aux feuilles rouges, une cité aux pierres noires. L’esprit-guide lui a montré des bribes de l’avenir et du passé, mais il n’est pas difficile d’envisager qu’elle se dirigera bientôt vers le Royaume de Piques.

Djoka massa doucement ses tempes, contrarié. Il était clair que cette information ne lui convenait pas, malgré tout, il semblait faire un effort surhumain pour ne pas exploser une fois de plus.

— Elle va à Lignis, n’est-ce pas ?

— Ce n’est pas encore écrit, mais c’est plus que probable.

À présent, Djoka faisait les cent pas dans la pièce. Il ne supportait plus d’être immobile et tournait en cercle autour de son échiquier, prenant bien soin de ne pas l’effleurer malencontreusement. Les jointures de ses mains serrées blanchissaient à l’abri de ses gants pâles, un mince reflet de la frustration qui l’étreignait réellement.

— Bon sang ! s’emporta-t-il. Doit-elle vraiment aller là-bas ? Ne pourrais-je jamais l’empêcher ?

— À quoi bon ? Ce n’est pas ça qui va déranger tes plans. Ta réaction est tout bonnement irrationnelle. Humaine en somme. C’est touchant.

Djoka fixa de nouveau le fond de la pièce, furieux. Il n’avait pas besoin de la voir pour parier qu’elle affichait un sourire parfaitement sadique.

— Ne soyez pas désagréable, ma chère.

— Je vous assure que tel n’était pas mon but, répondit la présence d’une voix désagréablement mielleuse, amusée par le changement dans sa manière de s’adresser à elle.

— Bien. Si vous n’avez rien d’autre à m’apprendre, mon échiquier doit être mis à jour.

— À vrai dire, il reste encore une petite chose. L’organisation que vous m’avez demandé de surveiller commence à bouger. Ils sont inoffensifs pour l’instant, mais les choses ne devraient pas tarder à devenir intéressantes. D’après ce que je sais, une réunion devrait bientôt avoir lieu à la frontière entre les Royaumes de Carreau et de Cœur.

Djoka suspendit son geste et se retourna, la dame blanche toujours dans le creux de sa main. Un large sourire malfaisant naquit sur son visage tandis que ses yeux se plissaient d’excitation. Il reposa délicatement la dame à sa nouvelle place avant de s’adresser une dernière fois à son informatrice.

— Parfait. Il est enfin temps que je quitte mon antre.

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Elly
Posté le 14/12/2023
Lui, ça faisait un bon bout de temps qu'on l'avait pas vu, je l'avais un peu oublié. Leur façon de pister les rêves d'Annya est inquiétante. Qu'il laisse notre protagoniste tranquille ! Après, Djoka a l'air de tenir à Annya donc peut-être n'est-il pas une menace, mais la voix inconnue ne dit rien qui vaille. Par contre, je suis intriguée de ce qu'elle va découvrir en rêve, ça a l'air important.
Némériss
Posté le 15/12/2023
Djoka est en arrière plan pour le moment, mais il va prendre de l'importance au fil de l'histoire ! Quant à savoir s'il sera une menace ou non, je te laisse le découvrir x)
On approche petit à petit de la réponse ;)
Encore merci pour tes commentaires, ils m'aident beaucoup =D
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