Chapitre 38 - Jin

Notes de l’auteur : Bonjour :D Aujourd'hui, c'est piraterie, alors quelque petit rappel de vocabulaire au cas où :
Bâbord : à gauche quand on regarde vers l'avant du bateau
Tribord : à droite quand on regarde vers l'avant du bateau
Les bouées de pare-battages : des bouées attachées tout autour du bateau qui protègent des chocs
CW : maladie, description de remèdes pénibles
Bonne lecture !

Ils n’avaient pas encore atteint le milieu de la nuit, et la situation était déjà devenue terrible.

Lorsque Jin passait la majorité de son temps dans la Toile, ses nausées et étourdissements étaient encore parfaitement supportable. Quelques heures sur les terres, une poignée de jour au grand maximum, restaient vivables tant qu’elle restait protégée par la combinaison.

Mais les journées se faisaient longues. Trop longues.

Elle se réveilla en sueur, se précipita hors de ses couvertures pour vider son estomac dans un des baquets prévus à cet effet, dans une des cabines sous le pont. Les mains gelées et le front en feu, il lui fallut plusieurs longues minutes pour réussir à stopper ses tremblements et se remettre sur pied. Lentement, elle grimpa l’escalier étroit et raide qui menait sur le pont, et s’appuya sur la rambarde. Elle manquait d’air, dans son scaphandre - alors puisqu’elle était de toute façon déjà touchée, pourquoi ne pas retirer cette horrible combinaison trop grande une bonne fois pour toute ? Jin attrapa la tirette cachée dans une poche, et le mécanisme libéra le casque, puis la languette qui ouvrait le devant de la combinaison. Elle s’en extirpa maladroitement, et repoussa le tout le plus loin possible d’elle, avant de s’appuyer de nouveau sur la rambarde pour prendre une grande inspiration.

Ses poumons se resserrèrent, et elle se plia en deux, prise d’une quinte de toux. Lorsqu’elle parvint enfin à calmer sa respiration, sa vue était trouble, et sa tête tournait. Assaillie par des vertiges, ses mains dérapèrent de la rambarde, mais elle sentit une paire d’aile l’empêcher de glisser par-dessus bord.

— Mais qu’est-ce que tu fais, enfin ? murmura Sia.

— Je voulais… Plus d’air…

— Mais la combinaison ?

Jin lui adressa un sourire désolé, et Sia eut beau dresser ses plumes en signe de protestation, ses yeux noirs et jaunes trahissaient surtout de l’inquiétude.

— Tu aurais dû le dire avant. 

La maegis n’avait rien à répondre à sa soeur. Elles avaient déjà eu des conversations similaires de si nombreuses fois par le passé, qu’il n’y avait plus rien qui ferait changer ni Jin ni Sia d’avis. Même s’il était parfaitement possible de vivre avec le Mal avec le bon traitement, grâce à l’expertise du Maître des Remèdes et de ses nombreux collègues, Jin en avait toujours peur.

Le Remède n’en était pas un. C’était une série de sortilèges, mixtures, opérations et exercices, qui n’avaient rien de faciles ni de bénins. Les personnes qui le suivaient avaient un taux de survie incroyablement élevé, en comparaison de ceux qui ne le suivaient pas - mais tout ceux que Jin avaient rencontrés avaient eu l’air si fatigués, si éloignés d’eux mêmes, que la maegis n’avait jamais pu se résoudre à les rejoindre, malgré l’insistance de Sia. Sa soeur était la seule à savoir, jusqu’à cette nuit. Elle avait toujours voulu que Jin suive le Remède, parce qu’aussi difficile qu’il était, c’était sa seule chance de vivre une longue vie à peu près normale.

Mais Jin ne pouvait plus faire demi-tour, à présent. Essayer d’en guérir sur le tard était tout aussi dangereux que laisser la maladie suivre son cours normal. Personne ne voulait d’un autre cas Treiz Mazteroff.

Alors, elle ne répondit rien. Elle observa le ciel noir en silence - et aussitôt, fronça les sourcils.

— Sia… c’est les hallucinations où plusieurs bateaux sont en approche ?

— Je les vois aussi.

Jin se dirigea vers la lorgnette fixée au tableau de pilotage, et chercha dans l’obscurité des indices de l’identité des navires. Elle déglutit, lorsqu’elle identifia les rayures de ses voiles.

— Des chasseurs de la Toile, murmura-t-elle.

Aussitôt, Sia poussa un puissant croassement, et Jin se précipita sous le pont pour rejoindre sa soeur. La réponse de Suzette retentit dans les airs, suivit du grincement de l’échelle déroulée vers la surface, du claquement des ailes de corbeaux, et des tintements du village qui se réveillait, tout en bas.

Jin attrapa l’épaule de sa soeur pour la secouer, et se piqua les doigts sur ses épines.

— Erin, réveille-toi ! 

Elle ouvrit les yeux, un éclat peiné lorsqu’elle croisa son regard. Erin n’avait rien dit, au sujet du Mal, mais Jin savait qu’elle n’avait pas bien pris la nouvelle. Elle devait s’en vouloir, de n’avoir rien vu, et encore plus de ne pas avoir l’énergie d’intégrer cette nouvelle information à ses calculs.

— Maman a envoyé des chasseurs.

Des pas firent grincer les planches, sur le pont, puis elle entendit les voix de Sia et Del, puis celle de Suzette.

— Monte, souffla Erin. Je ne peux rien faire.

Elles échangèrent un dernier regard - il y avait tellement de choses, qu’elle aurait aimé lui dire, tellement d’autre pour lesquelles elle n’avait pas les mots ni le courage - puis Jin courut à l’étage. Le souffle court, elle n’était plus si sûre de pouvoir aider non plus, dans son état. Mais ils auraient besoin d’autant d’aide que possible, et elle ne pouvait pas laisser tomber sa soeur encore une fois.

— … aucun moyen de savoir qui ils suivent ? demanda Del à Zakaria.

— Pas vraiment, non. Ça pourrait être n’importe lequel d’entre nous.

Nodia signa, plusieurs lignes entrecoupées, ses gestes hachés et inquiets. On se sépare ?

— Non, trancha aussitôt Lo. Peut-être que leurs sortilèges nous suivent tous. Cela ne ferait que nous affaiblir.

— Et le village ? couina Sehar.

Nodia regarda l’échelle, comme si elle était tentée de redescendre immédiatement pour défendre ce lieu qui l’avait vue grandir, qu’importe le reste. Pendant quelques instants, personne ne prononça un mot. Dans le ciel noir, les navires n’étaient encore à peine plus qu’une lueur.

— Ils sont trois, constata Jin. Des petits calibres comme le nôtre.

— C’est trois fois plus que nous, grimaça Del.

Nodia secoua la tête, pointa vers le bas. Nous avons des canons, au village. Pas de munitions, mais trois valenis en pleine nuit.

Jin fronça les sourcils - qu’est-ce que cela voulait dire ? - mais les traits de Zakaria se détendirent aussitôt.

— Si on repousse ces trois là, ça nous laisse de la marge pour partir, conclut le prince. Nodia, Sehar et moi, on redescend pour armer les canons. Suzette, tu pilotes l’Oursin, joue l’appât, emmerde-les mais ne cherche pas à attaquer. Sia, tu l’assistes. Jin, Del, vous restez avec elles et vous dressez autant de boucliers que nécessaires. Lo ?

Lea faune resta pensif quelques secondes, puis iel haussa les épaules.

— Je préférerais garder les sabots sur terre, mais je serais plus utile là-haut. 

— Alors au travail !

Nodia disparut par l’échelle, aussitôt suivie par Zakaria, alors que Sehar hésitait, totalement dépassé par les évènements. Un câlin maladroit de Del dans sa lourde combinaison lui donna assez de courage pour finalement suivre sa demi-soeur et le prince par l’échelle.

— Ta soeur est réveillée ? demanda Lo.

Jin acquiesça, et iel descendit sous le pont sans attendre. Les deux corbeaux étaient déjà en poste, et il ne restait donc plus qu’elle, et le jeune maegis, qui ne semblait pas particulièrement ravi de sa compagnie.

— Tu as retiré ta combi et tu fais une sale tronche.

— J’ai vomi, admit-elle.

Il grimaça, son attitude étrangement adoucie. Il ouvrit la bouche, mais fut coupé dans son élan par un croassement de Suzette.

— Jin à tribord, Del à bâbord ! Asseyez-vous et attachez-vous, je veux pas vous voir debout les sales gosses, ça va s’couer !

Del écarquilla les yeux, et Jin obéit aussitôt. Elle prit une corde, s’installa sur un des étroits bancs d’observations accrochés le long de la rambarde, et s’y attacha le plus solidement possible. Un coup d’oeil à bâbord lui indiqua que Del avait fait de même, ses gestes précipités et maladroits et les nuages dans son scaphandre en pleine activité.

Dans le village, toutes les lumières s’étaient éteintes. Même en tendant l’oreille, elle n’entendait plus rien, pas même un souffle.

Au loin, les trois lueurs qui s’approchaient s’éteignirent à leur tour.

Ne restait plus, dans l’obscurité, que l’Oursin éclairé. Un parfait appât dans les ténèbres.

Jin inspira, serra ses doigts sur la rambarde. Lo et Erin étaient remontés, et sous les instructions silencieuses de Suzette, s’étaient attachés côte à côte à l’arrière. Qu’avaient-ils prévus de faire, dans l’état où était sa soeur ?

Elle sentit les tremblements de l’air avant que le son ne déchire le silence.

Le premier coup de canon explosa contre le bouclier d’un des navires, et la magie d’ombre consuma le sortilège avec un chuintement qui sonnait comme un hurlement de terreur. 

Jin retint son souffle, sa propre magie au bout des doigts.

Son coeur s’était arrêté - ou bien le temps, ou bien le monde entier.

Puis, d’un seul élan, le ciel se colora de sortilèges qui fendaient dans leur direction. Suzette bascula le navire pour les esquiver alors que les deux maegis chargeaient leurs boucliers. Jin n’eut que quelques secondes pour constater qu’ils avaient bien fait de s’attacher, avant que l’Oursin ne plonge proue en avant. 

Après cela, elle n’eut plus le temps de penser à rien d’autre que les salves qui pleuvaient sur eux.

— Oh non non non… Jin ! Attrape !

Elle tourna brusquement la tête, pour voir la salve que Del n’avait pas réussi à parer et qui filait vers elle. Elle n’avait pas le temps de la dévier vers l’extérieur…

— Rebondit ! avertit-elle.

La salve revint vers Del, qui avait réussit à incliner son bouclier pour enfin envoyer le sortilège mourir dans les airs.

Les canons n’avaient cessés de résonner, et mangeaient morceau par morceau les boucliers des chasseurs, dont les mages peinaient à rétablir les sortilèges et attaquer à la fois. En position de défense, l’Oursin était finalement à l’avantage. 

— Lo, Erin, le troisième nous a contourné par bâbord ! avertit Sia, un cordage dans le bec pour accompagner les manoeuvres brutales de Suzette.

— On l’a !

Du coin de l’oeil, elle vit une dizaine de sphères projetées en l’air atterrir vers la silhouette sombre du navire des chasseurs, aussitôt suivies de cris de détresse. Elle n’avait pas vu ce qui avait ainsi causé leur terreur mais n’eut aucun mal à le deviner, lorsque le navire fila devant elle la proue vers le sol, brusquement ensevelis de lianes acérées qui s’insinuaient entre les planches et alourdissaient la structure.

— Et de un ! se réjouit Suzette.

Les deux autres navires avaient l’air de penser que l’Oursin était devenu un véritable danger, désormais. Ils se positionnèrent en parallèle, et avancèrent au même rythme et à grande vitesse, sans doute pour les coincer au milieu et les aborder. Mais si Jin avait pu deviner leurs intentions, Suzette risquait encore moins de laisser passer une telle tactique.

— Remettez-moi de l’énergie dans l’accélérateur ! croassa-t-elle.

— De l’énergie dans l’accélérateur ! répéta Sia pour l’arrière.

Jin abandonna aussitôt ses boucliers, et concentra toute sa magie dans le sortilège qui animait leur navire. Elle sentit celle de Del, de Lo, et une version corrompue et inconnue de la magie d’Erin se joindre à elle. Leur bateau fila à pleine vitesse entre les deux autres, racla les bouées du pare-battage contre les leurs, et émergea, miraculeusement intact, hors de leur portée. 

Désormais parfaitement alignés, les deux navires ennemis étaient devenus des cibles parfaites pour les canons d’en bas. Trois tirs simultanés torpillèrent le bateau à bâbord, sa coque enfin entamée sous les sortilèges brûlés par les attaques répétées, et il bascula contre l’autre. Erin et Lo lancèrent de nouveau des sphères dans leur direction, et les deux navires subirent le même sort que le premier, la proue en avant pour s’écrouler plus loin.

— Bam ! jubila Suzette. Et de trois ! Bon débarras !

Les silhouettes des passagers qui sautaient par-dessus bord se découpèrent sur les éclats lumineux des derniers sortilèges. Dans les bois, les habitants de Pied-de-Troll, armés et furieux, les attendraient sûrement avec l’accueil qu’ils méritaient. Jin se sentit basculer en avant - retenue par les cordes, la nausée qui l’avait prise ne l’entraîna pas plus bas. Tous les sortilèges qu’elle avait enchaîné avec trop peu de sommeil derrière elle la rattrapaient déjà. Ses yeux papillonnèrent, et alors que les cris de victoire de Del et Sia retentissaient dans les airs, elle perdit connaissance.

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Nanouchka
Posté le 19/04/2022
Victooooire ! On n'est pas si sans défense que ça ! Bon, on s'évanouit beaucoup, mais c'est pour la bonne cause.
Je ne ressens pas encore d'attachement fort à Jin ni Erin ni Sia. Il est possible que ça vienne, on a le temps, d'autant que ce sont les personnages qui sont arrivés en dernier.
AnatoleJ
Posté le 24/04/2022
Ils se sont bien battus, ça mérite une sieste improvisée :D
Oui, il reste encore du temps ! (et sinon, ce n’est pas trop grave, il y a toujours des favoris dans un casting, donc il faut bien des moins appréciés pour aller avec ^^)
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