Chapitre 39.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Chapitre 39

« Mais t'inquièèèète joli coeur, elle va pas rester insensible ! Allez, arrête de faire la tronche, tu gâches mon petit déj. 

- Il y a de quoi se réjouir, appuya Apollo intensément soulagé ce matin.

- Certes, lâcha laconiquement Valérian. Nous sommes tous en vie.`

- Ben voilà ! Tu vois quand tu veux ! se réjouit Murdock, Et mange tes tartines.»

Sirotant son cappuccino, Sibéal écoutait d'une oreille distraite la discussion ou plutôt le monologue que servait le demi-nain au triton. Son capitaine était d'excellente humeur, comme si leur aventure risquée l'avait enjaillé plus que terrifié. Il s'amusait à piquer la sensibilité de Valérian sur le sujet hautement inflammable qu'était devenue Anak. Mais il n'était plus dans sa posture acide, il avait adopté son chambrage habituel, léger et amusé. Le triton ne semblait pas percevoir de grande différence, toujours sur le grill et, mornement, en train de prendre le petit déjeuner. Sibéal supposait que le tête-à-tête avec Anak à l'hôpital n'avait pas eu l'effet escompté. Et même si elle le savait coupable d'avoir manipulé la navigatrice, les actes comptaient autant que les paroles. Il avait risqué sa vie et trahit son groupe pour venir au secours de la Sioux.

« Il faut que la pression retombe, lui souffla-t-elle gentiment. »

Etonné de cette remarque en aparté, le triton eut un regard reconnaissant. Sibéal lui sourit gentiment. Il était dans une situation délicate, et si la rencontre avec Hanabi et Kenneth lui avait appris quelque chose c'était que cette compétition était aussi importante pour la survie de l'humanité que pour les sirènes, pour une raison qui lui échappait. Et que lui avait choisi le camp des humains.

« Au fait, vous avez réussi à maîtriser rapidement les deux autres sur le Yak ? s'enquit Oriag par-dessus son café. Ya eu un coup de feu au début, on a eu peur...

- Le coup de feu ? C'est l'autre là quand Murdock lui en a collé une... t'aurais dû nous voir... c'était du gâteau ! se vanta Nialh.

- Tu parles, rétorqua Murdock, j'ai cru que t'allais chialer en voyant Wanda. T'arrêtez plus de t'excuser et de lui demander si ça allait ! Une vraie serpillère !

- Hé ! Elle était blessée, j'étais soulagée que ça soit pas pire ! se défendit-il.

- Elle et Anak n'ont rien de grave, assura Sibéal. Elle m'a envoyé un message quand ils sont rentrés sur le Yak. Et Chad a pu sortir de l'hôpital. »

Nialh fut saisi d'un frémissement, il jeta un petit coup d'œil coupable à sa sœur. Elle serra doucement sa main de la sienne. Il était d'autant plus soulagé qu'il pensait que c'était de sa faute. Il était persuadé d'être celui qui avait conduit le Kozak au Yak. Lui qui les avait mis en danger par son imprudence. Sibéal avait beau répéter que ça aurait pu arriver à n'importe qui, et n'importe quand, que ce n'était pas de sa faute... Le poids sur ses épaules ne s'était réellement délesté que lorsque l’entièreté de l’équipage du Yakta avait été réuni sain et sauf sur le catamaran. L'émotion intense qui avait dévasté l'expression de son frère avait valu toutes les excuses du monde.

« On aurait dû leur faire payer, marmonna-t-il en mâchant ses tartines. 

- On a eu de la chance que ça tourne en notre faveur, temporisa-t-elle.

- Et apparemment on doit remercier l'prince charmant pour ça ? félicita Murdock, c'est bien mon grand ! »

Il lui balança sa paluche dans le dos pour accompagner son compliment, Valérian manqua de s'étrangler dans son thé qu'il renversa à moitié sur lui, à moitié sur la nappe. Il toussota le plus élégamment possible, provoqua l'hilarité du demi-nain. L'échange déclencha un rire communicatif autour de la table. Sibéal se laissa aller dans le fauteuil, ses membres, dénoués de toute tension, étaient encore douloureux de leur altercation musclée. Elle leva les yeux sur le Modsognir qui paressait à quai. Intact. Elle ferma les yeux pour mieux apprécier cet instant paisible.

Ils étaient au café du port, sous un ciel nuageux et un vent des fous. Tenochtitlan était une bourgade aztèque renommée pour les bourrasques continuelles qui balayaient son ciel toujours grisâtre. Toute l'année, les sports de glisse étaient les bienvenus dans les écoles et pour les compétitions. Des enfants dans des chars à voiles faisaient la course sur la plage devant eux.

« C'était complètement insensé par contre de foncer sur le Kozak... souligna Oriag. Le catamaran aurait pu faire sombrer les deux navires…

- Alors ça, faudra en parler à Yakta, se dédouana Murdock. Une vraie orque qui protège ses petits! 

- C'est sûr qu’on a pas la même capitaine... grommela Nialh.

- Oh p'tit bichon, sois pas jaloux, répondit amusé Murdock.

- Je suis pas jaloux…

- Allez va, je m'faisais du mouron aussi !

- Vraiment ? Plissa-t-il des yeux avec méfiance.

- Evidemment. »

Sibéal adressa un petit sourire à son frère ébahi. Elle contempla Murdock sirotant son café comme s'il venait d'annoncer la météo du jour. Une émotion vive piquait sa poitrine. 

« J'étais pas sûr que tu m’tires pas dans le dos... Avec toi on sait jamais !”

Nialh allait pousser une exclamation heurtée quand Sibéal la retint en lui attrapa le bras. Cette remarque était pour Murdock le moyen de désamorcer un étalage de sentiments qu’il aimait éviter par des pirouettes. Son frère comprit, prit une tartine. Il adopta un petit air ravi sur le visage qui agaça leur capitaine.

Apollo qui ne lâchait pas son téléphone, prêt à bondir pour monter sur le Yak et retrouver Chad, se releva soudainement. Une expression lumineuse lui barrait le visage.

« J'vais voir Chad, annonça-t-il.

- Va donc réveiller ta belle au bois dormant, fit leur capitaine avec un petit geste de la main, tu l’as mérité Polochon ! »

Sibéal se leva à son tour, et s'empressa à sa suite pour espérer trouver Anak. Valérian lui adressa un petit regard incertain et triste. 

« Ben alors prince des îles, tu vas pas aller voir la gamine ? »

OoOoOo

Le visage tuméfié d'Anak enfin débarrassé de la crasse et soigneusement tartiné de crème à l'arnica était une vision dont Sibéal se rassasiait pour oublier celle du couteau d'Ulmer sous la gorge de son amie. La Sioux lui tenait avec effusion les doigts depuis de longues minutes.

«J'étais sûr que tu allais comprendre mon message, répétait-elle, j'en étais sûre !

- Je suis désolée que ça n'ai pas été aussi vite que prévu, s'excusa Sibéal.

- Chad arrêtait pas de dire que c'était foutu ! secoua-t-elle de la tête, mais j’étais sûre que non. Sibby, t'as été géniale !

- C'est grâce aux autres, assura-t-elle, une fois qu'ils m'ont cru ils ont remué ciel et terre pour vous retrouver. On a cru qu'on vous avait manqué à Kosh, j'ai pensé que c'était de ma faute...

- J'ai cru qu'on y retournerait jamais, grimaça Anak.

- On aurait suivi la piste du Kosh, assura-t-elle, c'est le bon site, hein ? »

Anak hocha la tête, un sourire lumineux se dessina sur les lèvres de Sibéal. Elle avait vu juste, elle avait tout deviné du message et des indices laissés par Anak. La Sioux avait posé les petits cailloux aux endroits exacts où elle était certaine que Sibéal puisse les trouver sans que le Kozak comprenne. Et tout allait pour le mieux maintenant…

Elle glissa le regard sur Apollo et Chad, échoués sur la banquette du carrée de Yak. Un rayon timide de soleil perçait à travers la verrière pour tomber sur le visage de son ami sans pour autant le décider à se décaler, de peur de déranger Chad. Ce dernier, la tête sur sa cuisse, était assoupi. Les doigts d'Apollo caressaient délicatement ses boucles.

Sibéal et Anak échangèrent un regard entendu.

« Tu lui as sauvé la vie, il te remerciera peut-être pas mais c'est vrai, assura-t-elle.

- Tu as sauvé celle de mon frère, secoua-t-elle la tête. 

- Et je le referai sans hésiter ! Assura-t-elle fermement. »

Elle jeta un petit coup d'œil aux alentours, de crainte que cette promesse soit tombée dans les oreilles de Yakta. Sibéal eut un petit rire.

« Pas besoin, je l'ai pas fait pour te remercier, secoua-t-elle la tête, pas moi en tout cas. Tu es mon amie. »

Un sourire lumineux éclôt sur les lèvres d'Anak.

« Toi aussi, Sibby. »

La Sioux serra fermement sa main à nouveau, l'œil brillant. Sibéal hocha la tête avec chaleur. Évidemment qu'Anak n'aurait pas dû partir comme ça dans la nuit sans lui dire au-revoir, évidemment qu'elle n'avait pas supprimé son message sanglotant sans un mot, évidemment qu'elle aurait répondu à ses appels de jour comme de nuit. Elle était devenue son amie, et sa loyauté n'avait pas d'obstacle. Sibéal reçut cette certitude et cette bouffée émue, avec intensité.

« C'est très touchant tout ça mais si vous pouviez aller renifler sur vos sentiments ailleurs, siffla Chad, Y’en a qui essaye de récupérer. »

Sibéal et Anak eurent un gloussement commun.

« En effet, chuchota-t-elle à la Sioux, il reprend vite du poil de la bête. »

OoOoOo

Yakta avait meilleure mine que la veille au soir. Ses traits s'étaient relâchés, et une nuit de sommeil paisible lui avait permis de retrouver son habituelle stature. Elle était venue en fin de matinée, une expression soulagée et heureuse sur le visage. Elle avait exprimé avec force de sincères remerciements. Sa voix chargée d'émotion avait vivement touché Sibéal. Murdock avait évacué ces paroles d'un geste distrait de la main. Assurant qu'il n'avait jamais cru qu'elle pouvait rompre leur association, et arguant avec humour qu'elle avait trop besoin du Mod pour la sortir des emmerdes. Cette boutade acceptée, Yakta et lui s'étaient attelés à vérifier les endommagements sur le catamaran qui auraient pu être provoqués par le choc entre le Yak et le Kozak. 

Reposant paresseusement dans les filets du catamaran, Sibéal et Anak avaient amené des coussins pour profiter de l'air marin à défaut du soleil. Nialh et Wanda jouaient à un jeu de cartes avec animation.

« Hé, c'est pas parce que t'es en convalescence que faut te permettre de tricher !

- Comme si j'avais besoin de tricher, argua-t-elle avec suffisance. 

- Mais bien sûr... 

- Et tu me dois bien ça j'te signale que c'est toi qui nous a ramené Vanessa sur le dos ! »

Elle avait pris un petit air entendu derrière ses cartes pincées dans ses longs ongles. Nialh eut une grimace dépitée. Elle lui adressa un clin d'œil agacé mais désabusé pour le dérider, n'exprimant absolument pas la moindre accusation. Il n'en fallut pas plus pour le déculpabiliser et lui faire abattre dramatiquement ses cartes, recevant un regard noir de sa partenaire. Seul l'œil gonflé, sous le fond de teint de Wanda, et la plaie à ses lèvres laissait percevoir ce qu'elle avait enduré. 

« Est-ce qu'on va devoir retourner à Kosh ? Frémit Sibéal, pour y plonger ?

- Non, assura Anak, Mohvo a pris les clichés le jour où on est revenu dessus avec le Kozak. Il a tout dans la carte mémoire de son appareil. On a tout ce qu'il nous faut. Et eux n’ont rien.

- Tant mieux, fit-elle rassurée. »

C'était un peu bête mais revenir sur le lieu où ils avaient confronté le Kozak ne lui disait absolument pas. Comme si les autres y étaient encore ou pouvaient y revenir pour les retrouver. Wanda poussa un exclamation outrée, jeta vexée ses cartes sur la couverture avant de se décider à se lover dans les coussins et sous son large chapeau pour ignorer l'air ravi de Nialh. Ce dernier préféra ne pas aller l'enquiquiner plus, et se posa entre elle et Anak avec entrain.

« Bon c'est quoi la prochaine étape ? 

- La prochaine étape ? On va souffler deux minutes déjà ! S'exclama Anak. En tout cas c'est ce qu'ont prévu Yakta et Murdock non ?

- Faut qu'ils vérifient que le Yak a rien eu et puis on a encore des photos à étudier... soupira Sibéal.

- Ah ben super tiens, ça m'avait manqué, grommela-t-il.

- Autant profiter de cette journée de repos ! Assura la Sioux. »

Se faisant, elle se lova avec un soupir contenté dans les coussins et le filet. Sibéal abaissa les rebords de son chapeau pour somnoler paisiblement, légèrement bercée par la brise qui agitait le filet.

« Au fait Sib.

- Hum ?

- Murdock m'a posé des questions à propos de Gauvain. »

Sibéal se raidit, et releva lentement son chapeau de son visage pour glisser un regard en biais à son frère. Il la fixait, la mine sérieuse. Semblant sentir la tension entre eux, Anak avait tourné une attention muette sur eux.

« Il voulait savoir ce que tu avais fait.

- Tu as dit quoi... ?

- Que tu l'avais téje bien comme il fallait, exulta-t-il avec appréciation. »

Anak lui adressa un regard surpris. Les épaules de Sibéal s'affaissèrent honteusement, sa gorge nouée de ressentiment envers Gauvain.

« Ce n'était pas la première fois, expliqua-t-elle piteusement, il m’avait déjà trompé et... je sais pas combien de fois mais... il s'est bien foutu de moi. Et il m'a menti ouvertement, il m’a vraiment pris pour une potiche... et il m’a dit que c'était de ma faute.

- Comme si tu l'avais poussé à coucher avec ses groupies ! s'agaça Nialh, il a un tel melon ce connard, figure toi Nanak qu'il a même nié ! Il a joué sa précieuse !

- Sérieux ? Écarquilla-t-elle les yeux. Quel crétin !

- Enfin, grimaça Sibéal, c'est fini maintenant.

- Comment tu l'as appris ? demanda gentiment Anak. »

Les yeux de Sibéal dérivèrent en direction de Murdock et Yakta avant de se reporter tristement sur la Sioux.

« C'est Murdock qui me l'a dit. 

- Ah…, lâcha Anak, ça a pas dû être facile de te l’avouer…”

Sibéal repensa au ton excédé et blessé de Murdock, à l’air qu’il avait eu pour lui signifier qu’il ne voulait plus être son ami. Elle baissa piteusement les yeux sur ses chaussures, le cœur lourd.

“ Au moins… au moins tu l’as pas découvert par inadvertance, souffla-t-elle gentiment.

- Oui, c’est sûr, fit-elle faiblement.

- Ce chanteur d'opérette est un enfoiré ! asséna son frère, j'te l'avais dit qu'il fallait te mettre avec Apollo, lui il brise le cœur de personne ! »

Sa remarque la dérida, et le fit pouffer avec lassitude. Nialh eut un geste exagérément dramatique, posant son coude sur l'épaule d'Anak avec un air faussement désespéré. 

« Mais c'est foutu maintenant, il est sacrément amoureux de Chad. Nanouille... qu'est-ce qu'on peut faire ?! » 

Sibéal secoua la tête, amusée et nullement dupe de la théâtralité de son frère. Anak fit mine de profondément réfléchir, le menton coincé entre son index et son pouce et les yeux en l'air. 

« Il en vaut pas la peine, leur assura Sibéal amèrement. 

- Comment ça ? Tu vas le laisser s'en sortir comme ça ? S'exclama outrée Wanda.”

La médecin s’était redressé sur ses coudes et la dévisageait avec désapprobation.

“Il mérite pas qu'on s'intéresse plus à lui….

- Tssss, n'importe quoi, la coupa-t-elle avec autorité. »

Wanda sortit aussitôt son téléphone, pianota dessus en faisant tiqueter ses ongles sur l'écran avec l'air de quelqu'un qui a une idée en tête. Une petite mine supérieure plaquée sur son visage, elle marmonnait :

« Il doit bien avoir insta ce chanteur.»

OoOoOo

« Tant mieux si vous allez bien ! Je m'étais inquiétée !

- Je suis désolée Ea, je t'ai appelé dès que j'ai pu, s'excusa Sibéal. On était en nav et...

- Et ton amie, elle n'a rien ? »

Sibéal songea aux blessures d'Anak, mais préféra pour la tranquillité d'esprit de sa grande sœur ne rien en dire. Tout comme elle avait éludé les détails houleux de leur venue à la rescousse du Yak. Elle se contenta de lui assurer que tout était rentré dans l'ordre et de lui décrire le paysage venté et grisâtre de la ville aztèque. 

« Et avec Murdock ? S'enquit gentiment Eanna, vous vous êtes réconciliés ? »

La question fut comme un baquet d’eau froide à la figure de Sibéal. Ces derniers jours, l'adrénaline et l'inquiétude avaient repoussé ce qui lui paraissait secondaire à la sécurité du Yak au fond de son esprit. Le retour à un certain apaisement charriait avec lui un sentiment de tristesse frustrée. Et un écho inquiet. Même s'ils avaient mis de côté ce qu'ils s'étaient dit pour retrouver Anak et sauver le Yak… Murdock lui avait signifié explicitement qu'il n'y avait pas de retour en arrière après sa décision et son refus. Cette perte était tellement douloureuse à accepter mais.. il l'avait consolé, l'avait empêché de craquer lorsqu'elle avait imaginé Anak blessée ou perdue pour toujours...

« Je ne sais pas... avoua-t-elle. 

- D'accord... En tout cas, il faudra me présenter Anak et son équipage, rebondit gaiement Eanna. Maintenant j'ai très envie de les rencontrer !

- Promis, je lui en parlerai, certifia-t-elle en retour. »

Du coin de l'œil, elle vit le trio de sirènes descendre sur le quai et se diriger vers le Modsognir. Laureline en tête, suivie d'Esteban et de Fran à la mine fermée, ils semblaient s'être mis d'accord. Intriguée, elle souffla un au revoir urgent à sa sœur avant de raccrocher et de presser derrière eux. Après avoir grimpé sur le Mod, elle s’arrêta dans les marches. Elle les trouva plantés dans le carré faisant face à Yakta, Anak, Oriag et Murdock assis autour de la table et d'une carte. Les deux capitaines les toisaient avec circonscription. Valérian, adossé à la cloison, restait en retrait avec incertitude. Mais il n'avait pas décidé de se mettre à leurs côtés.

« Vous acceptez de nous aider ? répéta Anak. Maintenant ?

- Alors que vous nous avez laissés seuls face au Kozak ? ajouta Yakta froidement.

- J'croyais que vous étiez des observateurs impartiaux, railla Murdock à Fran.

- Les choses ont évolués, reconnut-elle.

- Tiens donc.

- Mon frère nous a forcé la main, finit Laureline en regardant son jumeau. Et puisque le contrat a été rompu, et qu’il faut intervenir, il nous semble approprié de nous allier à vous.»

Yakta haussa les sourcils avec méfiance et rancœur, Murdock les dévisagea avec froideur. Ils n’étaient sortis de leur réserve que pour venir au secours de l’un des leurs, que pour servir au mieux leur propre intérêt. Le seul en qui les équipages humains pouvaient avoir confiance, était celui qui avait choisi de se mettre en danger pour eux. Valérian se redressa lentement, adressa un hochement de menton pour Murdock avant de se poster à côté d'Anak.

« On peut leur faire confiance, explicita-t-il.

- Vraiment ? Parce que la seule chose qui les a décidés à nous aider c'était quand l'un des leurs était en danger, rétorqua Oriag. Ils s'en fichent bien des humains.

- Nos sorts sont liés, assura Fran secouant la tête. Nous ne vous trahirons pas.

- Nous avons besoin de toutes les forces possibles pour briser la malédiction, ajouta Esteban.

- Ah ouais ? Grinça Murdock dubitatif.

- On s'en sort très bien sans vous, fit Yakta froidement.

- Il me semble que nous vous avons aidé à vous débarrasser du Kozak, siffla Laureline. L’auriez-vous oublié ?

- Bien sûûûûûr, vous prépariez un petit plan dans votre antre et vous attendiez le bon moment pour en sortir c'est ça hein ? ironisa Murdock avant de claquer sèchement, M'faites pas rire.

- Vous les avez regardé tabasser mon équipage sans broncher, accusa Yakta en direction de Esteban, nous vous avons accepté à bord et vous les avez regardé frapper mes filles et poignarder Chad.»

Sibéal les dévisagea, ce trio trop beau pour être humain. Ils lui parurent sincères dans leur proposition même si leur intérêt restait brumeux. Et c'était peut-être ça qui pouvait faire pencher la balance. Elle descendit de la dernière marche de l'échelle et sortit du silence. Elle se dressa devant la haute stature de Laureline qui semblait avoir pris le rôle de leader des sirènes. Elle se sentit terne, minuscule, insignifiante face à la magnificence terrible qui se dégageait de la jumelle de Valérian. Mais elle pouvait obtenir d'elle la pièce qui manquait pour comprendre, elle croisa les bras sur sa poitrine :

« Si vous voulez notre confiance, vous n'avez qu'à être honnête.

- Comment ça ? plissa des yeux Laureline. Il n'y a...

- Dites-nous quel est votre intérêt, coupa-t-elle, La mer va tout avaler, détruire l'Humanité que vous détestez. La malédiction est dans votre intérêt. Pourquoi vous voulez la briser ? »

Anak se balançait soudainement nerveusement sur elle-même, jeta des petits coups d'œil à Valérian. Yakta lui adressa un regard, semblant comprendre qu’elle avait la clé. Le triton ne disait rien, il n'avait plus rien à prouver. Il laissait le choix à sa sœur et ses acolytes. Le visage parfait de Laureline se stria progressivement de lames de tristesse. Cette brutale mélancolie prit au dépourvu Sibéal mais ne sembla pas attendrir Murdock, Oriag et Yakta. Le trio, mutique, les toisait avec intransigeance.

« Laureline, souffla Fran, ça ne change rien. Il faut unir nos forces, c’est la meilleure chose à faire. »

La grande blonde rejeta avec agacement quelques cheveux derrière son épaule, son regard intensément bleu les transperça de la colère froide qu'il contenait.

« Une partie de notre peuple est vouée à mourir avec vous, lâcha-t-elle enfin.

- Comment ça ? Fit Oriag perplexe. ça n’était pas dans la malédiction.

- Certains vivent depuis si longtemps cachés parmi vous, à cause de vous, cracha-t-elle. Qu’ils ne peuvent plus reprendre leur forme aquatique. 

- Mais... pourquoi ? souffla Sibéal sidérée.

- Nous n'en savons rien, secoua tristement de la tête Esteban. 

- Ce mal se répand de plus en plus au fur et à mesure des générations pour ceux vivant sur la terre ferme, expliqua Fran, bientôt toutes les sirènes auront perdu leurs nageoires. »

L'extinction de ceux qui pouvaient reprendre forme aquatique signait celle de tout un pan de leur race. Les traits de Valérian étaient lourds de tristesse, il toucha délicatement l'épaule de sa jumelle. Elle eut un regard humide de colère et de frustration. Sibéal comprit, elle-même était atteinte. 

« Briser la malédiction est l'unique moyen de sauver ceux de notre espèce qui sont condamnés à rester bipède, explicita Esteban.

- Alors, sommes-nous dignes de votre confiance, humains ? Grinça Laureline. 

- Vous ne servez que vos intérêts, lâcha Yakta.

- Ce sont les mêmes que les nôtres, défendit Anak.

- En effet, acquiesça sa capitaine.”

La Sioux échange un regard avec Murdock avant d’ajouter en se retournant vers les sirènes.

“on va dire que c'est un début. »


 

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