Chapitre 39 : Aelia

Par Talharr

Aelia :

Sur un promontoire dominant les montagnes et collines alentours, Aelia vivait un cours qu’elle n’aurait jamais osé rêver.

    — Récitez après moi, dit Sylros. Kra’zhaal rokthar vel’shaan. Mor’zar eth’kaan.

Autour de lui, des pierres s’élevèrent en silence.

    — Kra’Zhaal… roksthar… vel’shaan ? Mor’zar… eth’kaiin ? répéta-t-elle maladroitement.

Rien. Pas le moindre caillou autour d’elle.
Elle baissa les yeux vers son maître, qui soupira.

    — Ce sera plus long que prévu…

    — Ce n’était pas ça ? demanda-t-elle, dépitée.

C’était sa toute première leçon de magie. Sylros lui avait affirmé que si elle réussissait, elle le sentirait dans tout son corps. Mais pour l’instant, seul le vent frais sur ses joues lui donnait des frissons.

    — Je répète, lentement. Kra’zhaal rokthar vel’shaan. Mor’zar eth’kaan. Fermez les yeux, concentrez-vous, ressentez la force de la roche, expliqua le mage.

Ressentir… des cailloux ?

Aelia ravala la question, de peur qu’il ne mette fin aux séances. Elle obéit, les paupières closes, cherchant à saisir l’essence de la roche.

    — Kra’zhaal rokthar vel’shaan. Mor’zar eth’kaan.

Un étrange frisson la traversa. Son corps chauffait, comme si un nouveau sang coulait dans ses veines. Elle ouvrit brusquement les yeux : quelques pierres tombèrent devant elle.

Sylros souriait.

    — Tout n’est pas perdu. C’est un bon début. La peur ne vous aidera pas à contrôler vos pouvoirs. Ce que vous ressentez est normal. Mais n’oubliez pas : la magie a un prix.

Elle se sentit soudain vidée.

    — Nous reprendrons demain. Allez vous reposer, jeune Hirondelle.

Aelia descendit du promontoire et gagna la petite plaine où le campement avait été dressé.

Elle aperçut Arnitan. Il revenait de la chasse, un bouquetin sur l’épaule. Il le déposa près du feu, le visage illuminé d’un sourire. Il riait avec Céleste et Draiss — un éclat qu’elle n’avait plus vu depuis le conseil d’Alhadran.

Son cœur se serra. Enfin.

Depuis des jours, elle avait tenté de l’approcher, de l’apaiser, mais il l’avait toujours repoussée. Elle comprenait sa douleur : elle aussi avait cru avoir perdu sa mère, avant de découvrir les mensonges.

    — Qu’est-ce que tu attends ? lança une voix taquine derrière elle.

    — Hein ? Je… rien du tout, bredouilla Aelia en rougissant.

Arlietta la fixait, sourire en coin.

    — Lordan a raison, tu mens très mal, Lia.

Sa servante et amie avait insisté pour les suivre dans les Terres Abandonnées, malgré toutes les tentatives d’Aelia pour l’en dissuader.

    — En tout cas, il a l’air d’aller mieux. Je vais aller lui parler, rit Arlietta.

    — Ça ne va pas rendre Lordan jaloux ? répliqua Aelia.

    — Ne serait-ce pas quelqu’un d’autre que ça rendrait jalouse.

Arlietta lui fit un clin d’œil, puis s’éclipsa vers le feu.

Aelia retint son souffle. Elle osa un regard : sa servante chuchotait quelque chose à Arnitan. Celui-ci leva les yeux vers elle… et se mit à avancer dans sa direction.

Il se dirige vers moi ?!

Arlietta, derrière, souriait jusqu’aux oreilles. Tu me le paieras…

Arnitan s’arrêta à quelques pas, la tête basse. En la relevant, ses yeux bleus accrochèrent les siens, et elle sentit ses jambes faiblir.

    — Je… je m’excuse pour ces derniers jours, dit-il d’une voix hésitante. Je n’ai pas été digne de mon rôle. Mais je compte me rattraper. Mériter ma place dans ce groupe.

    — Pourquoi ne la mériterais-tu pas ? Parce que tu crois encore…

    — Non. J’ai compris. Je sais qui sont les coupables. Nous les ferons payer en gagnant la guerre. En détruisant leur dieu.

Un sourire éclata sur les lèvres d’Aelia.

    — Je suis contente de te revoir.

    — Content d’être de retour, répondit-il doucement.

Ils se fixèrent en silence, les mots suspendus.

Puis Arnitan reprit :

    — J’espère que ta mère va bien. Je suis sûr que nous la retrouverons.

    — Je l’espère aussi…

Elle détourna les yeux, pensant aussi à son frère disparu.

    — Désolé, je ne voulais pas… commença-t-il en voyant sa tristesse.

    — Ne le sois pas. Je vais bien, assura-t-elle en souriant.

    — Je ne sais pas comment tu fais. Tu es bien plus forte que je ne le serai jamais.

Ces mots la transpercèrent. Tout bruit autour d’elle s’évanouit.

    — Oh… merci. Je pourrais dire la même chose de toi. Tu es incroyablement courageux

Il rougit, tirant nerveusement sur ses cheveux.

    — Arnitan ! hurla Draiss, hilare.

    — Quoi encore ? s’exclama-t-il en se retournant.

    — Regarde la tête du bouquetin !

Draiss lui tenait la gueule ouverte pour la faire « sourire », la langue tirée. Arnitan tourna la tête vers elle, le visage moitié souriant moitié dépiter. La scène arracha un éclat de rire à Aelia — un vrai rire, qu’elle n’avait pas ressenti depuis des mois.

Le reste de la journée s’écoula dans la bonne humeur. Même Sairen et Lordan s’étaient joints à eux. Gabrielle avait grondé Draiss pour avoir « joué avec la nourriture », ce qui avait déclenché une nouvelle vague d’hilarité.

C’était peut-être leurs derniers instants de légèreté. Il fallait en profiter.

La nuit étoilée recouvrit le camp. Ils dînèrent des bouquetins préparés par Gabrielle, Céleste et Arlietta. Autour du feu, Brelan, chef de la troupe, exposa le plan des jours à venir, épaulé par Calir — toujours aussi étrange, mais courtois.

    — Dans trois jours, nous atteindrons la Forêt Sans Morts, annonça-t-il. Nous pourrions passer par le royaume de Tyril, mais la forêt est plus sûre. Moins nous serons vus, plus vite nous avancerons. Les Terres Abandonnées sont à trois semaines, un mois tout au plus. Préparez-vous.

Tous acquiescèrent. Puis chacun gagna sa tente, laissant les guerriers de Cartan prendre les tours de garde.

Dans la sienne, partagée avec les trois autres femmes du groupe, Aelia s’endormit vite, bercée par le vent. Depuis plusieurs nuits, ses cauchemars l’avaient quittée.

Pas cette fois.

Elle suffoquait, prisonnière d’une forêt dense. Autour d’elle, des yeux jaunes luisants. Des cadavres au sol… ses compagnons. Lordan, Arlietta, Calir, Brelan, Sairen… Arnitan. Tous morts. Son souffle se bloqua.

Un homme encapuchonné avançait vers elle. Derrière, un souffle pestilentiel, un rire glaçant.

    — Ne t’inquiète pas, petite Hirondelle. Cela n’arrivera qu’à la fin du voyage, susurra une voix rauque.

Des rires sifflants l’encerclèrent. L’image éclata, et Aelia se réveilla en sursaut, trempée de sueur. Ses compagnes dormaient encore.

Elle sortit prendre l’air. S’assit près du feu, les bras serrés contre elle.

Je n’ai rien pu faire…

Quelques minutes plus tard, Arnitan la rejoignit. Il s’assit sans un mot, son épaule frôlant la sienne. Elle frissonna.

    — Cauchemar ? demanda-t-il.

Elle hocha la tête.

    — Pareil. Un horrible cauchemar, souffla-t-il.

Elle ne répondit pas, sa présence suffisait. Elle posa sa tête sur son épaule. Le monde s’évanouit à nouveau.

Arnitan eut un léger sursaut, mais il la laissa faire. Et pour elle, c’était tout ce qui comptait.

Un vent doux fit voler ses cheveux dorés contre lui.

Plus loin, deux gardes veillaient sur le camp. Un autre mouvement attira son regard : Calir, debout dans l’ombre. Ses yeux brillaient dans la lueur du feu. Puis il s’éclipsa dans sa tente, avalé par la nuit.

Vraiment bizarre.

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Scribilix
Posté le 03/09/2025
Salut,
tu m'étonnes quelle galère Aélia, c'est imprononçable sa magie. Très bon chapitre encore une fois, je n'ai relevé encore aucune faute de forme ou autre ca se lit très bien. Peut-être que c'est parce que tes chapitres sont courts mais je me faisais la réflexion qu'il était plus long ce second tome. Après ca reste accrocheur et c'est plus simple à suivre maintenant que tous les protagonistes sont réunis dans leur quête vers les terres abandonnées.
Je continue ;)
Talharr
Posté le 03/09/2025
Hello :)
Hahaha oui la magie de ce monde est compliqué
Ah très content que les chapitres soient "de nouveau" plutôt réussis ^^
Oui c'était pas facile de jongler entre les différents endroits, il ne reste plus qu'Erzic et Rhazek qui sont autre part.
Pour l'instant il n'est pas plus long, c'est juste que les chapitres sont plus courts pour que je puisse raconter le plus d'éléments, sans je l'espère que ça ne perde le lecteur aha avec le plan que j'ai fait il doit me rester encore 13 - 14 chapitres à écrire donc au niveau des mots on devrait être au même niveau que le tome 1 ^^
Merci de ton retour
A plus ! :)
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