Chapitre 40 : Arnitan

Par Talharr

27 Keldar de l’an 1297

Arnitan :

Vingt-cinq jours de marche déjà. Ils avaient quitté les monts rocheux pour le silence oppressant de la Forêt Sans Morts. Et pour le moment toujours pas la moindre trace des Terres Abandonnées.

Calir répétait depuis des jours qu’ils y étaient presque. Chaque fois, son enthousiasme grandissait, étrange, inquiétant. Mais après tout, il avait insisté pour venir : peut-être se réjouissait-il d’avoir tenu sa promesse.

Les journées s’égrenaient, rythmées par les mêmes rituels. Arnitan avait repris l’entraînement, croisant parfois le bois avec Lordan, Sairen… ou Aelia.
Toujours la même issue : sa lame de bois posée contre sa gorge, ses yeux verts levés vers lui, sans peur. Mais avec autre chose. Une émotion qu’il n’osait nommer. Gêné, il riait, et rompait le combat.

C’était une très belle jeune femme. Il le savait, elle lui plaisait. Et cela semblait réciproque. Pourtant, il ne pouvait pas. Le pourrait-il un jour ?

Il faudra que j’en parle à Brelan… non, il dirait que je suis un idiot…

La nuit, parfois, il dormait paisiblement. Mais souvent revenait le cauchemar : un souffle de mort, des corps jonchant le sol, et cette silhouette qui avançait vers lui. Toujours la même. Et toujours, au réveil, Aelia près du feu, elle aussi hantée. Était-ce une simple peur ? Ou une prémonition ? Ils n’en parlaient pas. Le silence suffisait.

Ce matin-là, Arnitan avançait, grelottant encore du froid qui s’attardait, regrettant une fois de plus que Brelan et Calir aient refusé les chevaux qu’on leur avait proposés. Les arbres, eux, semblaient épargnés par l’hiver. Pas une feuille morte à terre.

    — Eh bien, petit frère ? Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Céleste en le rejoignant, caressant Patan.

    — Rien. Je réfléchissais… cette forêt n’a rien de naturel.

Elle leva un sourcil moqueur.

    — Tu veux devenir herboriste, maintenant ?

    — Surtout pas. Passer mes journées avec Gabrielle ? Autant me condamner à des cauchemars !

Un peu plus loin, l’intéressée grommela, les surveillant du coin de l’œil. Arnitan pria pour qu’elle n’ait rien entendu.

    — Tu crois qu’on va trouver quoi dans les Terres Abandonnées ? reprit Céleste.

    — Aucune idée. Je ne sais qu’une chose : mon rôle. Pour le reste… rien.

    — On verra bien, dit-elle avec un clin d’œil. Piré aurait adoré ce voyage.

Arnitan baissa les yeux.

    — Il nous aurait étripés après deux jours de marche. Il me manque. Man aussi… J’espère qu’ils vont bien.

    — Bien sûr. Ils sont à la capitale. Rien ne peut leur arriver, répondit-elle doucement.

Si seulement la sécurité existait encore…

Ils marchèrent un moment en silence. Puis Céleste reprit :

    — Tu sais… je vois bien comment vous vous regardez, toi et elle. Je sais que c’est compliqué, mais…

    — De quoi tu parles ? fit Arnitan, vraiment perdu.

    — D’Aelia. Tu n’as jamais su cacher tes sentiments, et elle est encore pire.

    — Quoi ?! Mais non… je…

    — Si. Je sais. Écoute, je suis ta sœur, je veux ton bonheur. Gwenn aussi l’aurait voulu. Prends le temps qu’il te faut. Mais promets-moi de continuer à vivre. À aimer.

Elle lui sourit et s’éloigna vers Gabrielle qui l’appelait.

Arnitan leva les yeux vers Aelia. Elle riait avec Sairen, Lordan et Arlietta. Leurs regards se croisèrent. Son cœur bondit… puis retomba, comme happé par un souvenir. Comme avec Gwenn.

Je ne peux pas. Je n’ai pas le droit.

Et alors, une voix claire résonna en lui.

Bien sûr que tu peux. Tu le dois. Je ne suis plus de ton monde, mais je serai toujours là, à tes côtés. Ne laisse pas ma mort t’arrêter de vivre. Ce serait une seconde mort pour moi. Je t’aime, Arnitan, pour toujours. Alors vis. Je t’en conjure.

Il se figea, la gorge serrée. Son regard fouilla la forêt, espérant voir une lueur rousse. Rien. Pourtant, il l’avait entendue. Aussi clairement que si elle avait été là.

     — Qu’est-ce que tu cherches ? demanda Draiss, qui s’approchait.

    — Rien… J’ai cru… laisse tomber.

    — Ah. Je vois.

Arnitan détourna les yeux. Encore un silence pesant. 

    — Tu te rappelles de la fois où Gwenn nous avait lancé l'eau sale des poissons dessus ? dit Draiss, la voix tremblotante. 

    — Oui. Elle était fâchée parce qu'on était allé jouer sans elle.

Ils sourirent tous les deux. 

    — Et quand elle nous a couru après dans tout Krieg avec Rif en hurlant qu'elle voulait nous étriper ? se souvint son ami. 

    — On l'avait peut-être mérité cette fois-ci. 

    — Tu as pas tort. On avait quand même mis pleins d'araignées chez elle. 

Ils rirent en se rappelant tous ces bons souvenirs. 

    — Elle me manque aussi, tu sais ? 

    — Je sais, Draiss. Il n'y a pas un jour où je ne revois pas la scène où elle disparait devant mes yeux. Et à chaque fois, je m'en veux de ne rien avoir pu faire, de lui avoir dit qu'elle était l'Hirondelle...

    — Qu'elle fut la vraie ou la fausse Hirondelle, je sais qu'elle serait quand même venu te sauver. C'est moi qui m'en veux. J'ai à peine essayé de la retenir... elle avait qu'une idée en tête et si je l'avais suivi, peut-être que rien ne lui serait arrivé. 

    — Erzic ne voulait que l'Hirondelle, il t'aurait tué, Draiss. Je suis heureux que tu sois là avec moi. Si toi aussi tu avais péri à Krieg, je sais pas si j'aurais pu tenir. 

    — Merci. Je crois que j'avais besoin de l'entendre. 

Ils partagèrent leur douleur en laissant le vent parler pour eux. Arnitan ne remercierait jamais assez son ami pour ce moment. 

Que serait-il devenu sans Draiss et Céleste ? Il se le demandait chaque jour. 

Il s’apprêtait à rejoindre Aelia, mais Calir l’interrompit, tonitruant :

     — Nous y voilà !

     — Où ça ? grommela Gabrielle.

    — Toujours cette foutue forêt, marmonna Brethin.

Et en effet, rien que des arbres à perte de vue.

    — Je vous assure que ce sont bien les Terres Abandonnées. Vous attendiez quoi ? Un désert comme en Drazyl ? lança Calir, piqué au vif.

    — Personne ne savait ce qu’on y trouverait, admit Brelan.

    — Encore un ou deux jours et vous verrez les cités perdues, ajouta Calir.

    — Comment peux-tu en être sûr ? demanda Gabrielle, soupçonneuse.

    — Je suis messager, madame. J’ai parcouru les frontières. Je sais ce qu’on y raconte.

    — Soit, concéda l’herboriste.

Mais elle ne s’excusa pas.

    — Qu’est-ce que les cités perdues ? demanda un des guerriers.

    — Ce sont les anciennes gloires de ces terres et des dieux. Des cités qui étaient, à une époque, les plus riches et les plus peuplées de notre continent. Après les terribles guerres, les cités furent abandonnées. Il n’y avait plus que soif de pouvoir, traitrise et meurtres, expliqua Calir.

Le guerrier hocha la tête pour le remercier. Le reste du groupe était en pleine réflexion.

    — Assez bavardé ! trancha Brelan. Nous avons encore une quête à mener.

Le groupe reprit sa marche.

Arnitan leva les yeux au ciel, entre les branches.

Gwenn… promets-moi de rester là, jusqu’à la fin.

Je te le promets.

Ses yeux s’embuèrent. Il la remercia, murmura qu’il l’aimait. Mais la voix se tut.

À ses côtés, Patan l’observait avec inquiétude.

    — Ça va. Ne t’en fais pas.

Puis son regard revint vers la jeune femme aux cheveux dorés.

    — Peut-être… peut-être qu’un jour j’en serai capable.

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Scribilix
Posté le 06/09/2025
Hello,
On continue sur le moment émotion mais cette fois ils arrivent bientot au bout de leur voyage. Je vois que tu essaies de faire parler un peu tout les personnages et c'est bien mais certaines intéractions restent un peu légère. Je pense nottament à celle de Draiss. C'est son meilleur ami et il le suit au bout du monde. Peut-etre que ca serait sympa une scène où ils se racontent des blaques. Pourquoi pas une histoire d'enfance ou ils étaient tous les trois avec Gwenn dans l'idée de partager sa peine et en meme temps l'encourager à faire le deuil ?

- sa lame de bois posée contre sa gorge, ses yeux bleus levés vers lui, sans peur. Mais avec autre chose. Une émotion qu’il n’osait nommer. Gêné, il riait, et rompait le combat. Juste je ne suis pas certain mais si tu parles des yeux d'Aélia il me semble qu'ils sont verts.
A la suite,
Scrib.
Talharr
Posté le 06/09/2025
Hello ^^
Au bout de leur voyage ? Vraiment ? ;)
Ouai j'ai essayé de faire parler le plus possible sans que l'un ou l'autre prenne plus de places. C'est vrai qu'a part vers les débuts j'ai pas trop fait parler Draiss laissant sa soeur prendre un peu plus de places mais je vais essayer d'allonger le passage :)
Ah oui je me suis trompé, je modifie ça !
Talharr
Posté le 06/09/2025
Bon j'ai pas mal allongé le passage avec Draiss, je trouve l'échange plutôt sympa après celui avec sa soeur :) Merci de la suggestion, je savais pas quand vraiment faire parler son ami ^^
Scribilix
Posté le 07/09/2025
oui c'est pas mal juste quelques erreurs de forme ^^
- Tu te rappelles de la fois où Gwenn nous avait lancé l'eau sale de poissons dessus ? dit Draiss, la voix tremblotante. ( des poissons)
- Et quand elle nous a couru après dans tout Krieg avec Rif en hurlant qu'elle voulait nous étripé ? ( étriper)
- Ils rirent en se rappelant tous ses bons souvenirs. (ces)
- Je sais, Draiss. Il y a pas un jour où.. (Il n'y a pas)
- Qu'elle aurait été la vraie ou la fausse Hirondelle, je sais qu'elle serait quand même venu te sauver. ( qu'elle fut)
- C'est moi qui m'en veut. J'ai à peine essayer de la retenir... elle avait qu'une idée en tête et si je l'avais suivi, peut-être que rien ne lui aurait été arrivé.  ( veux, essayé, serait arrivé)
Talharr
Posté le 07/09/2025
ah oui j'ai écrit direct sur PA, j'ai pas fait gaffe aux fautes pour le coup mdrr
Merci de les avoir noté, je modifie tout ça ^^
A plus ! :))
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