Je fixe le plafond de ma chambre, couchée sur mon lit. Il doit être neuf heures passées, mais je n’ai pas envie de me lever. Je suis une vraie loque. Je n’ai plus goût à rien. Je finis par détacher mon regard pour le porter dans un coin de la pièce. Un papier froissé s’y trouve. Je me décide à sortir de mon lit pour le ramasser. Je reconnais l’écriture de ma sœur qui m’ordonne de bien étudier des cartes. Je l’avais balancé de rage la veille du combat. Tout me semble si lointain alors que cela ne date même pas d’une semaine. Je plie soigneusement la note et la range dans un tiroir de mon armoire. Mes yeux sont secs. J’en ai assez de pleurer, d’être faible. Je m’observe dans la glace. J’ai une petite mine. Je tripote mes joues en les étirant vers l’extérieur. Je suis horrible. Je lâche ma peau qui reprend directement sa position initiale. À quoi est-ce que je joue ? Je pénètre dans ma salle de bain. Comme je me suis lavée hier soir, je me contente de m’asperger le visage d’eau froide. Toujours en fixant mon reflet, je me brosse les cheveux. Je m’apprête à faire mon chignon, mais je suspends mon geste. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai envie de changement. Je me rappelle la coiffure que Luna me faisait quand nous étions enfants. Je fais deux tresses de chaque côté pour ensuite les ramener derrière mon crâne. Je me retourne pour admirer mon chef-d’œuvre. Ce n’est pas encore ça, toutefois je suis satisfaite. J’ai l’impression que cette coiffure me rajeunit alors que je ne suis pourtant pas si âgée. L’armée peut bien me sanctionner pour cet écart, je n’en ai strictement rien à faire. Je sors de ma chambre et frappe chez Isis. Elle m’ouvre.
- Tu es bien tardive aujourd’hui, me dit-elle.
- Je souhaitais me reposer un peu ce matin, mentis-je. Allons déjeuner.
Je vois bien qu’elle ne me croit pas, mais je n’ai pas envie de m’expliquer.
- Nouvelle coiffure ? Cela te va bien, remarque-t-elle.
- Oui, j’avais besoin de changement.
En disant cela, je ne fais pas seulement allusion à mon nouveau look.
Lorsque je rentre dans mon bureau, mon moral retombe au plus bas. Je n’en peux plus de cet endroit. J’étouffe. J’ai à peine le temps de m’asseoir que ma porte s’ouvre. Tellin fait irruption dans la pièce. Je me relève vivement et accours vers Isis pour me mettre devant elle. Mon supérieur semble particulièrement irrité. Je refuse qu’il passe à nouveau ses nerfs sur mon aide de camp. Le major s’approche de nous.
- Je ne la toucherai pas, dit-il.
Encore heureux, pensé-je. Je me tourne vers Isis. Je veux l’éloigner de Tellin le plus vite possible. Je sors une lettre de ma poche que je comptais lui donner plus tard.
- Isis, va remettre cette lettre à Nikolaï.
- À vos ordres, cheffe.
Elle s’éclipse pour me laisser seule avec mon supérieur. Je me détends. Sans que je l’invite, celui-ci s’assoit. Il désigne ma chaise.
- Nous avons à parler.
J’obéis. Son intonation ne m’autorise aucune riposte. Il reprend :
- On me dit que tu ne vas plus t’entrainer depuis que l’on est rentré. Tu négliges ton travail. Tu te laisses aller, Elena. Ce n’est pas digne d’un colonel.
- J’ai besoin de temps.
- Les rebelles, eux, n’attendent pas.
- Je me fiche bien des rebelles.
Je vois à son expression que j’aurais mieux fait de me taire, mais j’ai trop perdu.
- Te rends-tu compte que nous sommes dans une position de faiblesse ? Nos effectifs ont été réduits de moitié et les renforts ne doivent arriver que dans deux semaines.
- J’ai bien conscience de tout ça, mais que veux-tu que je dise ? Je t’avais prévenu que j’avais des doutes sur cette mission.
Tellin grimace face à ma remarque puis déclare comme à contrecœur :
- Doute ou pas, nous aurions échoué.
Je ne cache pas ma stupeur. Mon poing tape violemment sur la table.
- Pourquoi n’avoir rien dit ? Luna est morte !
- Car je ne l’ai compris qu’après. Il y a ou il y avait un traitre parmi les officiers.
Nous sommes donc arrivés à la même conclusion.
- Qui ? demandé-je.
Il me pointe du doigt sans rien ajouter. Je retiens le cri de colère qui monte dans ma gorge. Je ne rentrerai pas dans son jeu. Il sait très bien que ce n’est pas moi. Il fait juste ça pour me tester. Je me contente de lui répondre sur un ton neutre :
- Tu te trompes. Qui ?
- Je l’ignore, mais je compte bien mener mon enquête. Si tu vois le moindre signe suspect, tu me préviens. Compris ?
Je ne dis rien. Je suis perdue dans mes pensées. Il insiste :
- Compris ?
- Oui, chef, répliqué-je mécaniquement.
- Tant mieux.
Il se lève. Je ne le raccompagne pas. La tristesse a laissé la place à la colère. J’en veux à Tellin de ne pas avoir été plus prudent et de nous avoir embarqués dans son erreur. Avant de poser sa main sur la poignée, il se retourne.
- Je suis désolé pour Luna, dit-il.
- Tu la détestais, craché-je presque.
- Libre à toi de me croire ou non.
Il ouvre la porte. J’écrase une larme qui s’est échappée de mes yeux.
- Je ne te crois pas, lâché-je finalement, mais plus personne n’est là pour l’entendre.
Le reste de la journée s’est déroulé sans encombre. Je rentre dans ma chambre. Je voudrais me jeter sur mon matelas et ne plus penser à rien. Je m’en abstiens et commence à me décoiffer. Je sursaute quand on frappe à ma porte. Ce ne sont pas des coups calmes, mais pressés. Une voix retentit. Je reconnais immédiatement celle de Nikolaï. Mon cœur manque un battement. Il a dû se passer quelque chose avec son frère. Je me dépêche de lui ouvrir.
- Qu’est-ce qu’il y a ? hurlé-je.
- C’est Hans.
J’arrête de respirer. Nikolaï reprend une inspiration. Il est essoufflé. J’ai envie de le secouer pour qu’il me donne rapidement la nouvelle, mais je me retiens.
- Vincent m’a contacté. Il s’est réveillé.
Je lui saute au cou. La joie me gagne. Il a survécu. Il est hors de danger. Mon ami se détache de moi.
- Je vais le voir. Viens avec moi.
Je m’élance à sa suite. Hans est vivant, c’est tout ce qui compte. Je m’autorise une pause seulement à notre arrivée au centre de soin. Nikolaï me sourit. Il aperçoit Vincent et court lui demander des nouvelles. Je l’écoute d’une oreille distraite. Je ne comprends pas pourquoi la crainte m’envahit. Je devrais être heureuse, mais je panique. Je suis Nikolaï jusque devant la porte de son frère, pourtant au moment où il pose la main sur la poignée je le retiens.
- Il vaut mieux que je ne vienne pas, dis-je.
- Tu rigoles, répond mon ami, étonné.
- Non. Je ne mérite pas de le voir. Il a failli mourir à cause de moi.
- Si c’est le cas, rentre pour t’excuser.
Je fais un pas en arrière comme pour appuyer mes dires.
- Je ne préfère pas.
- Ne raconte pas n’importe quoi, insiste-t-il.
- Je suis sérieuse. Je ne peux pas. Pardonne-moi. Passe-lui le bonjour de ma part.
Je recule. Il hoche la tête, mais je remarque bien qu’il ne me comprend pas. Il rentre, me laissant seule dans le couloir.
La tristesse et l'abattement de Elena du début sont bien rendus. On se sentirait comme elle à sa place. Tous ces morts, dont sa propre sœur, et son ami dans un état critique. Et puis la certitude lancinante qu'elle SAVAIT que c'était étrange d'avoir récupéré ces infos aussi facilement et qu'elle n'a rien dit. Pour avoir été dans des situations similaires je compatis, et je me suis déjà rendue malade pour des trucs comme ça. Je me sentais coupable. Je me croyais coupable. C'est un sentiment horrible.
A ce sujet, quand elle dit à Tellin "Luna est morte." j'aurais bien vu un point d'exclamation, surtout qu'elle vient de frapper du poing sur la table. Je veux voir sa colère et sa rage ! Je serais enragée, à sa place.
Bref je m'emballe ! Mais je continue ma lecture.
Petits details : "J’ai l’impression que cette coupe me rajeunit" il semble que ce soit une nouvelle facon de se coiffer, elle ne s'est pas coupee les cheveux?
"Tu es bien tard" : je ne crois pas que "tard" puisse devenir un adjectif, on parle plutot de "tardif/ve"?
"Avec ou sans doute, nous aurions échoué" : j'ai eu un peu de mal avec le debut de cette phrase, car j'ai eu l'impression qu'il disait "sans doute, nous avons echoue". "Doute ou pas"? D'ailleurs, sa reponse montre son refus d'accepter ses responsabilites. Avec des doutes, ils auraient pu ne pas engager cet assaut du tout, et l'echec n'aurait pas eu lieu.
Alors ce traitre..... !!!!! qui est-ce????
Pour repondre a ta question, Elena et Hans sont deux personnages que tu reussis a rendre attachants rapidement alors qu'ils font partie d'une armee qui n'est pas tres recommendable. On leur veut du bien, on espere qu'ils s'en sortent et on les voit bien ensemble. Ils ont tous les deux des liens un peu troubles avec leur famille et des secrets (Elena plus que Hans, bien sur) mais ca contribue a ce qu'on ait envie de les soutenir. J'ai apprecie l'evolution de leur relation au cours des chapitres. Elena est parfois un peu agacante, je l'avoue, par sa facon de refuser tout soutien et son sentiment de ne meriter aucune circonstance attenuante. Mais je crois qu'on est agace justement parce qu'elle est par ailleurs attachante. Ceci dit, elle est parfois abrupte et seche avec des interlocuteurs qui ne le meritent pas (Vincent, par ex) - son cote "Herisson" - et on se dit qu'elle a de la chance qu'il soit patient avec elle. Comme j'ai eu l'occasion de le mentionner, dans les premiers chapitres, la succession de dialogues cassants et hostiles est un peu lassante. Mais l'histoire evolue ensuite et cette impression disparait.