Chapitre 4

Notes de l’auteur : Je suis pas hyper fan de ce chapitre, je trouve qu'il y a beaucoup de bla-bla. Qu'en pensez-vous ?

Le débarquement fut difficile. La foule sur les ports était bien plus importante à Ténéris qu'à Ancona, et les passagers se bousculaient, pressés de quitter le bateau et d'oublier les moments désagréables qu'ils y avaient passés. Les messagers impériaux avaient revêtus leur uniforme et purent ainsi poser les premiers le pied sur le sol de la capitale. Le marchand surveillait le déchargement de ses caisses, exhortant les employés à se montrer délicats et à aller plus vite. Réfugiée dans un coin, Anaëlle observait tout cela en silence. Dimitri s'occupait des chevaux et l'avait chargée de veiller sur les affaires. La famille qui avait si mal réagi à sa présence comptait et recomptait leurs bagages. Elle crut presque qu'ils allaient l'accuser d'en avoir dérobé un. Pas que l'idée ne lui soit pas venue – ça ou en balancer un par dessus bord, alors qu'ils étaient en mer. Dieux merci, ils finirent par lever le camp et partirent eux aussi à travers la bousculade. Plus qu'à espérer qu'un de leurs maudits gamins ne se retrouve projeté à l'eau ou écrasé par une masse tombée d'un bateau. De temps en temps, cela faisait du bien de rêver de vengeance divine.

Ce fut enfin leur tour. Tenant Vallmia, pas très rassurée à l'idée de devoir traverser sur une planche étroite, elle parvint sans encombre sur la terre ferme. Elle chancela de se retrouver soudain sur une surface dure et immobile, et l'animation qui régnait autour d'elle ne l'aidait pas à retrouver ses marques.

Elle surprit l'air soulagé de Dimitri de s'être enfin soustrait au tangage et elle réprima un ricanement. Comment est-ce qu'un messager pouvait avoir le mal de mer ? Elle ne comprenait toujours pas. Ils montèrent tous deux à cheval, elle gênée par ses jupes peu pratiques.

Ils s'éloignèrent de ce fichu rafiot, remontant les quais. Même l'air était différent ici – plus moite, avec cette odeur insupportable de poisson pas frais et de sueur. Des poissons pas frais dans un port. On aura tout vu. Ils croisaient à la fois des dames élégantes en grande tenue, des porteurs torse nu et des femmes de petite vertu mal fagotées. Cela avait quelque chose de fascinant de voir ainsi se succéder les maisons closes, les bars et les marchands de journaux. C'est ainsi qu'elle apprit que la reine était aux bains à Vallmia – elle jeta un coup d’œil à sa jument en entendant cela, mais elle n'avait pas réagi. Quoi qu'en dise Dimitri, cette stupide bestiole était incapable de reconnaître son propre nom ; comment pouvait-elle réclamer des pommes ?

Ils quittèrent le port et s'engagèrent dans une grande avenue commerçante. Contrairement aux rues étroites et anciennes d'Ancona, Ténéris pouvait être fière de ses artères bordées d'arbres où les charrettes se croisaient sans problème. Ils remontèrent donc sur leur monture et s'enfoncèrent dans la circulation. À mesure qu'ils s'éloignaient de la mer, les marchands de légumes sans prétention se virent remplacés par des tailleurs, des restaurants bon marché desquels s'échappaient des odeurs de nourriture, plus épicées que ce dont elle avait l'habitude, mais aussi des fleuristes, des apothicaires, des thermes publics...

Ici, on ne la regardait pas comme une bête curieuse. Les esclaves étaient si nombreux, conduisant les véhicules, vendant toutes sortes de choses, portant les paquets de leurs maîtres. Elle se fondait dans la masse, servante aux yeux de chat parmi tant d'autres.

Comme ils n'avaient pas l'air de s'arrêter avant un bout de temps, elle songea à leur destination. Elle n'avait aucun souvenir de la demeure comtale de la capitale. Elle savait, par les récits des autres domestiques, que c'était l'une des plus belles de la ville – ils en revenaient toujours fiers comme des coqs de pouvoir raconter encore et encore les soirées sublimes où ils avaient servi des petits-fours au couple impérial. Elle avait essayé de se rappeler des détails ; les mosaïques du sol, les fontaines des jardins, les enfilades de pièces. Tout ce qu'elle pouvait invoquer dans sa mémoire, c'était cette odeur de rose et d'iris enveloppant toujours la comtesse, des accords tout à fait banals quand elle y repensait. Elle avait toujours eu une bien meilleure mémoire des odeurs que des images.

C'était drôle de voir comme les quartiers, sans être ceints d'aucune muraille, étaient pourtant clairement définis les uns des autres par de légers détails. Les fiacres de location à la place des attelages découverts, l'habillement des passants, la propreté de la voie.

Un attelage les dépassa à vive allure. Vallmia fit un écart, peu rassurée. Depuis quand n'était-elle pas sorties de son île ? Tient, ça leur faisait un point de ressemblance. Cette idée la fit sourire. Voilà qu'elle se comparait à une jument ! Il était temps qu'ils arrivent et qu'elle puisse parler à de vrais gens, qui ne la traiteraient pas comme une indésirable. Dimitri ne l'avait pas traitée comme une indésirable. Pourquoi est-ce qu'elle pensait ça, tout d'un coup ? Dimitri ne s'était intéressé à elle que parce qu'elle l'avait aidé. Le reste du temps, il l'avait passé avec ses collègues, les chevaux, ou à regarder la mer pour faire passer ses nausées.

Voilà qu'elle se perdait à nouveau dans des considérations stériles. Elle prit une longue inspiration, essayant de retrouver toutes les senteurs aux alentours. Elles se mélangeaient entre elles dans cette pesanteur. On reconnaissait quand même le crottin, le sucre – ils passaient devant un confiseur –, des effluves artificielles de fleurs, portées par une dame, et de la friture en toile de fond. Une telle passion pour l'huile était à signaler.

Le quartier était nettement plus chic tout d'un coup. Les maisons s'espaçaient, les crieurs de nouvelles disparaissaient, et on entendait même parfois le murmure d'une fontaine derrière une fenêtre ouverte. Les rues étaient plus calmes, les trottoirs plus vides. À n'en pas douter, ils étaient chez les riches – donc proches de l'arrivée. Enfin ! Elle en avait plein le dos, des voyages. Elle allait pouvoir manger de la vraie nourriture, prendre un vrai bain et dormir dans un vrai lit. Perspectives hautement réjouissantes.

— Avenue de la reine Julia, annonça le messager, brisant le silence. On est tout près.

Ce nom ne lui évoquait rien et elle ne reconnaissait pas le quartier. Par les lunes, elle avait passé trois mois ici ! Elle devrait être capable de se rappeler au moins de l'allure de la maison ! C'était désespérant.

Ils prirent une contre-allée qui, supposa-t-elle, menait à la porte de derrière. Et enfin, ils mirent pied à terre. Dimitri agita la cloche à côté de la porte, et un adolescent vint leur ouvrir.

— Z'êtes qui, vous ?

— Messager de Gadaxan, répondit Dimitri en tirant son insigne.

— J'vous avais pas r'connu, m'sieur, s'excusa le gamin. (Il remarqua Anaëlle en retrait.)

— Z'avez de la compagnie ? C'est pour faire passer l'temps en voyage ?

Elle l'aurait frappé, juste pour lui faire ravaler son air goguenard. Dimitri, lui, préféra le gratifier d'un regard noir et lui passer devant. Elle l'entendit siffloter sur son passage. Qu'est-ce qu'il allait s'imaginer, ce crétin ?

— On passe d'abord aux écuries, lui signala le messager, la voyant prête à abandonner Vallmia encore sellée dans la cour.

Pff, pas juste.

Même en l'absence des maîtres, l'écurie était occupée. Les chevaux sortirent une tête curieuse de leur box en voyant passer des inconnus. Elle installa sa jument dans une stalle vide et la débarrassa de son harnachement. Trop contente de se retrouver libre, l'animal en profita pour se rouler dans la poussière et Anaëlle s'écarta le plus vite possible afin de ne pas recevoir de sabots dans la figure. Sale bête. Le messager choisit cet instant pour vérifier que tout allait bien.

— Il va falloir bien la brosser, maintenant,

Elle ne s'en serait pas doutée ! Avec un soupir résigné, Anaëlle se chargea de la toiletter. La jument se laissa gentiment faire malgré ses gestes maladroits. Chaque passage de brosse soulevait des nuages de poussières. Comment pouvait-elle être aussi sale ? Il lui vint l'idée qu'elle-même devait avoir les cheveux emmêlés, le visage rougi par la chaleur et le cou plein de saletés. Beurk.

Le soleil semblait avoir décoloré la robe de Vallmia, qui tirait désormais plus sur le marron foncé. Ce fut long, mais elle parvint à la nettoyer correctement, de sorte qu'elle n'avait plus l'air d'avoir passé des semaines entières sur les routes. Même Dimitri la félicita pour son travail.

Elle se hâta à la pompe. De l'eau ! De la belle eau fraîche ! Le paradis. Elle se lava le visage, les bras, le cou, heureuse de pouvoir se débarrasser de la poisse qui lui collait à la peau.

— Si vous êtes prête, on peut rentrer, signala Dimitri, qui lui aussi avait fini d'étriller Izel.

Elle fit un signe de tête positif.

Le gamin était reparti on ne sait où ; ils toquèrent donc à la porte et une grande femme vint leur ouvrir.

— Bonjour. (Elle sourit à Anaëlle.) Je suis madame Nelia, la gouvernante. Vous avez fait bon voyage ?

— Oui, merci, répondit-elle.

— Savez-vous déjà combien de temps resterez-vous ?

— L'idéal serait que nous nous attardions pas ici, indiqua Dimitri, entré derrière elle.

— Bien sûr, bien sûr. En attendant, que diriez-vous de manger quelque chose ?

— Avec plaisir.

Elle les précéda dans la cuisine, une grande pièce occupée par une longue table sur laquelle le garçon de tout à l'heure épluchait des pois. La gouvernante lui ordonna de mettre la table pour deux et de servir un repas ; il s’exécuta en vitesse avant de reprendre son travail. Anaëlle s'installa face à la cheminée, pour le moment éteinte. Pendant qu'elle mangeait, Madame Nelia lui posa quelques questions sur les raisons de son voyage, qu'elle s'ingénia à éviter. Au bout de cinq minutes de ce petit jeu, la gouvernante jeta l'éponge et la laissa tranquille.

Le repas fini, ayant obtenu confirmation que seuls se trouvaient là les domestiques nécessaires pour la garder en l'état, elle décida de partir explorer la maison. La cuisine se trouvait dans la partie réservée aux servants ; elle se différenciait de la partie des maîtres par ses murs blanchis à la chaux et ses sols recouverts de paille, et non de mosaïques. Mais une fois passée la lourde porte capitonnée qui séparait les esclaves et les comtes, la richesse des lieux se dévoilait.

Dans l'entrée, elle admira les scènes mythologiques représentées sur les murs, et le bassin à eau de pluie où nageaient trois poissons. Les larges portes en bois donnant sur la rue étaient closes ; le bruit de dehors filtrait à peine au travers.

De l'entrée, elle passa à la salle à manger, avec sa grande table et son sol représentant des plats divers, dont elle ne connaissait pas la moitié. Les quatre cloisons était recouvertes chacune par une fresque montrant les saisons ; le printemps et ses fleurs et semailles, l'été et les champs de blé mûrs, l'automne et les vignes orangées, l'hiver et ses arbres nus. La réalisation paraissait si réaliste que l'on avait envie d'aller se promener dans ces paysages parfaits. Dans ces conditions, il ne lui était pas difficile de se prendre pour la comtesse en personne, visitant sa demeure.

Une porte-fenêtre sans vitre faisait office de porte entre la salle à manger et le jardin intérieur, ceint d'un péristyle bordé de belles colonnes de marbre. Au centre, une fontaine surmontée d'un petit dragon crachant l'eau offrait son ruissellement rafraîchissant. Anaëlle s'assit à son bord, trempant le bout de ses doigts dans l'eau. Si elle était la comtesse, elle ferait ajouter de la citronnelle aux parterres, pour que son odeur fasse fuir les moustiques, et un gros buisson de lavande, pour parfumer les lieux. Il faudrait aussi mettre un banc sous le cyprès afin de pouvoir se reposer à l'ombre, et choisir des roses dont les couleurs s'harmonisaient entre elles – celles présentes offraient un contraste peu délicats de jaune et de rouge vif. Leur senteur, lourde et précieuse, cachait toutes les autres. C'était dommage.

Une impression de déjà-vu la submergea. Évidemment qu'elle était déjà venue ici... qu'elle s'était déjà assise sur cette margelle, qu'elle avait déjà respiré les roses et entendu le chant des alouettes. Cependant, la dernière fois, elle s'était fait surprendre ici alors qu'elle n'avait rien à y faire et avait été renvoyée en cuisine. Désormais, elle pouvait passer toute son après-midi là si ça lui chantait.

Réflexion faite, elle choisit de repartir. Le soleil tapait trop fort pour pouvoir rester dans ce coin sans ombre. Elle rejoignit la colonnade. Une réminiscence lui parvint tout à coup...

Elle suivit son instinct et gagna l'extrémité du jardin. Comme dans son souvenir, on y trouvait une petite pièce éclairée par deux fenêtres placées en hauteur, avec des étagères sur tous les murs. A son époque elles étaient remplies de flacons et d'herbes mises à sécher ; désormais, l'endroit servait de cabane de jardin. Elle pouvait s'enorgueillir d'avoir été l'une des seules esclaves ici à posséder son propre espace où personne n'entrait jamais. Elle y avait passé toutes ses journées, à essayer de comprendre ce qu'on attendait d'elle, puis à tenter diverses expériences, pas toutes couronnées de succès. Elle avait découvert une foule de plantes inconnues, qui poussaient dans des régions au climat bien plus chaud que celui de son île natale. Elle y avait aussi exercé son ténérien toute seule, jusqu'à parvenir à rouler les r comme il le fallait. Si bien que lorsqu'il avait fallu qu'elle déménage pour Gadaxan, elle était prête.

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Xendor
Posté le 31/10/2020
Bigre, j'admire ta plume Claire. Pour ce trois fois rien de raconter au final les étapes normales d'un voyage, et en même le charger de descriptions sur les personnages et leurs manières de faire et d'agir. De ce côté là, Anaëlle ne cesse de m'étonner, et on comprends de mieux en mieux son caractère en avançant. Franchement, c'est top ;) Les paysages et les scènes ont beau se succéder rapidement, le fait est que comme on est occupé à cerner Annaëlle, cela passe comme une lettre à la poste ! (Désolé du trait d'esprit avec la fonction de messager ^^)
ClaireDeLune
Posté le 20/10/2022
Merci beaucoup !
anthea1659
Posté le 02/12/2019
Je n'ai pas trouvé qu'il y avait trop de blabla comme tu dis :) certes les descriptions sont plus longues que les autres, mais aussi plus détaillées, ça ne nuit pas à lecture si c'était ce qui t'inquiétait. Au contraire, je trouve que ce chapitre permet de se familiariser un peu plus avec le caractère de miss elfe, puisqu'on est encore au début, je trouve que c'est pertinent.
Voilà mon avis :)
ClaireDeLune
Posté le 02/12/2019
Merci de la lecture et de l'avis ! J'ai toujours peur de faire trop de descriptions au détriment de la narration, alors je suis contente d'apprendre que ça fonctionne quand même ^^ encore une fois merci pour ta lecture, normalement les chapitres suivants bougent un peu plus...
anthea1659
Posté le 03/12/2019
J'ai vraiment hâte de les lire dans ce cas, tu pourras compter sur moi pour être à l'affut de leur sortie ;)
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