Comme fugitif, on avait vu mieux. Heureusement, il avait fini par trouver une source, et il avait pu boire. Pour le moment, il n'entendait pas de chiens. S'il avait cru aux dieux, il leur aurait adressé quelques mots de remerciement. Peut-être devrait-il commencer à y croire. S'il s'en sortait...
Il devait recommencer à marcher, maintenant qu'il avait bu. Traiter les problèmes les uns à la suite des autres. D'abord, s'éloigner encore ; ensuite, trouver à manger ; et si vraiment la chance se poursuivait, dormir quelques heures. Bien plus tard, il réfléchirait à changer de nom, à éviter les villes et à cacher sa marque. La succession des actions, dans ce qu'elle avait de plus froid et mécanique, lui permettait d'éviter de trop réfléchir à ce qu'il lui arriverait si jamais il se faisait rattraper, ou à tout ce qui pouvait rater dans une entreprise aussi désespérée. Désespéré : c'était un bon adjectif. Il n'y avait pas plus d'espoir dans ce mot qu'il n'y en avait dans sa fuite.
Et voilà, il recommençait. Il s'aspergea le visage, tant pour se rafraîchir que pour chasser les idées noires. Pas de temps à perdre. Il n'avait plus soif ; il fallait partir. Il se releva, un peu trop vite. Un voile noir lui assombrit la vue. Il ferma les yeux le temps de retrouver l'équilibre. Il ne pouvait pas errer ainsi éternellement... Ou il allait finir par revenir sur ses pas. Il n'y avait qu'une solution : avancer tout droit, sans jamais changer de direction. Il trouverait bien quelque chose. N'importe quoi : un bûcheron, une promeneuse, un chemin... Non, un chemin, pas une bonne idée. Une promeneuse valait mieux ; de ce qu'il en savait, les femmes étaient toujours partantes pour s'occuper des enfants seuls et perdus. Il n'était plus vraiment un enfant. Il faudrait compter sur sa capacité à paraître plus jeune que son âge, héritée d'années de repas pas totalement nourrissants.
En attendant, il mit en pratique sa résolution, s'éloignant à regrets de l'eau. S'il avait eu une gourde... Ce n'était pas la peine de continuer cette pensée. Tout ce qu'elle lui apporterait, c'était l'impression de plus en plus présente qu'il était très mal préparé, et que son départ était quelque peu précipité.
Le temps passait lentement, dans ces paysages toujours semblables de chênes et hêtres. Il comprenait de moins en moins l'attrait pour la randonnée. Au début, il y avait eu l'adrénaline, la peur, le sentiment d'urgence ; après des heures et des jours, ils s'étaient dispersés, ne laissant plus que la fatigue. Fatigue de la peur, fatigue de la marche. Il n'avait jamais été très sportif...
C'était quand même incroyable de pouvoir marcher aussi longtemps sans tomber sur une présence humaine. Il ne croyait plus depuis son enfance que les bois étaient habités de sombres créatures dévorant les égarés, bien qu'il ait passé sa première nuit à l'extérieur à bondir à chaque bruit suspect, pour ensuite se moquer de lui-même. La nuit d'après, il avait été tellement fatigué que même si une meute de chiens était venue aboyer à ses oreilles, il n'aurait pas réagi.
Quoique, cette absence de vie était peut-être une aubaine pour lui... les habitants du coin devait désormais tout savoir sur l'échappé de l'orphelinat. On leur avait sûrement promit une récompense contre sa capture, et diffusé son portrait aux alentours. Il ne savait pas ce qui lui permettait de continuer à avancer. Enfin, si, il savait, mais il ne l'avouerait jamais.