Chapitre 4

Après avoir quitté le cabinet particulier où avait eu lieu l’entrevue secrète avec Xénon, Moorcroft, Girolam et Tizian se dirigeaient vers la sortie et approchaient de l’entrée du château. Les deux frères s’apprêtaient à quitter le palais pour accomplir la mission que leur avait confiée le roi, en respectant les conditions que celui-ci exigeait, quand soudain Tizian qui marchait en tête s’arrêta brusquement. Il songeait toujours à la petite silhouette qu’il avait aperçue et venait de réaliser qu’il pourrait peut-être trouver l’enfant avant de partir. Il voulait vérifier par lui-même si elle était bien la vision qu’il avait eue, et si elle était maléfique comme le suggérait ses cauchemars.

 

  • Finalement, dit-il en se retournant vers Girolam et Moorcroft, après réflexion, ne soyons pas si pressés, ce n’est peut être pas une bonne idée de nous en aller si vite, qu’en penses-tu Girolam ? Nous avons besoin de temps pour nous préparer avant de partir pour ce long voyage. Quelques vivres, quelques potions et si possible des armes fourbies par notre ferronnier favori nous seront nécessaires. Et je crois que nous aurions aussi besoin de consulter le cartographe, il peut nous fournir des plans pour nous orienter sur notre route. Et nous emmènerons aussi des habits de rechange. Oui, il nous faut rester au moins jusqu’à demain, nos chevaux seront alors frais et dispos, et nous aussi après une bonne nuit de repos.
  • Bien, prince Tizian, répondit Moorcroft servilement, je vous laisse gagner vos chambres, elles sont prêtes, et je vais de ce pas prévenir votre père, il voulait organiser un banquet pour vous ce soir, il va donc maintenir l’invitation comme prévu.
  • Je t’en prie Moorcroft, dit Tizian en riant de la mine contrite du conseiller, fais donc !
  • J’ai moi-même quelques tâches à accomplir, intervint Girolam, je voudrais écrire une missive à ma bien aimée, fais-moi porter de l’encre et du papier.
  • Oui, fais-m’en apporter également, je dois avertir mes conseillers pour qu’ils traitent de mes affaires en mon absence, poursuivit Tizian. Nous ne pouvons pas partir ainsi sans prévenir, c’est la surprise de l’annonce de notre père qui nous a fait prendre une décision trop précipitée. Nous avons agi avec inconséquence.
  • Il sera fait selon vos souhaits, messires, répondit Moorcroft.

 

Avec une légère approbation de la tête et non sans un certain mépris, il s’éloigna dans le couloir, à sa manière, sans faire aucun bruit et en tirant sa jambe raide. Tandis que Girolam et Tizian ne voyaient que son dos, une horrible grimace vint déformer son visage si laid et à peine eut-il disparu dans un couloir perpendiculaire qu’il se frotta les mains avec un sourire sardonique.

 

  • Je veux dire à Maroussia que je la libère de ses obligations, ne sachant si je reviendrai de cette mission, avoua Girolam à son frère, non sans tristesse. Cela peut prendre des années, et je ne veux pas qu’elle se morfonde à m’attendre.
  • Tu es fort courtois mon frère.
  • C’est bien ce que nous devons faire, il nous faut partir d’ici comme si nous ne devions jamais revenir, ajouta Girolam. Ou bien nous pourrions revenir très vieux et chenus, alors il me serait impossible d’épouser une princesse aussi belle que Maroussia … je dois lui dire ...
  • Tu n’es pas très optimiste sur notre retour, répondit Tizian. Pendant notre voyage, Maroussia elle aussi vieillira, tu pourrais retrouver une princesse grand-mère entourée d’une horde d’enfants, plus du tout aussi belle que dans ton souvenir.
  • Je dois prendre le risque, je ne peux pas lui demander de m’attendre, mais j’espère qu’elle le fera, reprit Girolam. J’ai le pressentiment que les aventures qui nous attendent ne nous réservent rien de bon, il vaut mieux que nous prévoyons le pire. A mon sens, nos chances de réussir sont bien minces.
  • Mais si nous échouons, c’est tout le royaume qui sera détruit, Maroussia ne pourra peut-être pas être sauvée, objecta Tizian.
  • Tu as raison, mais nous devons croire à notre réussite. Cela peut prendre des années, alors je dois libérer Maroussia de notre engagement, elle doit pouvoir trouver le bonheur même si je ne suis plus là.
  • Eh bien, dit Tizian, je ne suis pas fâché que tu rompes avec elle, elle ne t’aurait rien apporté de bon.
  • Ne recommence pas Tizian, ou je serais obligé de te rosser proprement, j’ai le coeur brisé de cette séparation que je n’ai pas choisie..
  • Allons, il nous reste à passer une dernière soirée dans ce château, et demain nous chevaucherons vers notre première épreuve.  Je vais de ce pas dans ma chambre écrire les quelques lettres pour l’intendance de mon domaine pendant notre absence.
  • Je te suis.

 

Girolam et Tizian parcoururent les couloirs et les escaliers qu’ils connaissaient si bien. Ils retrouvèrent à travers les dédales des corridors le chemin de leurs chambres, comme s’ils n’avaient jamais quitté le palais. Situées sous les toits, en haut d’une même tour, c’étaient deux mansardes dont les portes se faisaient face, meublées simplement avec un lit étroit dans une alcôve, un coffre en bois qui contenait encore des vêtements et tous leurs trésors d’enfants, une table et un tabouret. Une minuscule fenêtre avec un seul battant dont la vitre était composée de losanges de couleur jaune jetait une lumière pâle sur le sol de pierre. Des rouleaux de papier, des plumes et de l’encre avaient déjà été déposés sur le pupitre. Un feu avait été allumé dans la petite cheminée de pierre pour adoucir la température glaciale des lieux.

 

Girolam s’assit tout de suite et se mit à écrire fiévreusement à la lumière tombante du soir. Trop bouleversé par le chagrin de devoir quitter sa bien aimée et incapable de contenir son émotion, il délaissa son siège et vient s’accouder à la fenêtre. Il se mit à écrire une poésie pour Maroussia dans laquelle il louait la beauté de la nature qu’il comparait à celle de la princesse. Ce moment de contemplation l’apaisa et lui permit de panser sa blessure plus qu’il ne l’aurait cru. Il plia la feuille et la glissa dans une poche de son pourpoint de cuir, comme souvenir de ce moment de solitude et d’abandon. Puis il revint s’asseoir au pupitre et put terminer la missive pour la jeune femme.

 

Tizian avait lui son idée en tête, il voulait avant tout revoir la petite fille qu’il avait croisée en sortant de la réunion avec Xénon. Aussi expédia-t-il une missive rapide pour son plus fidèle conseiller qu’il cacheta de son sceau et se mit-il à parcourir les corridors dans tous les sens à la recherche de l’enfant. A un moment, il lui sembla la voir de loin avec son chien à ses côtés, mais même en allongeant le pas il ne réussit pas à rattraper, la petite silhouette qui avait disparu brusquement. Fort déçu il s’en retourna à sa chambre et pour tuer le temps, écrivit une liste de ce qu’il pensait devoir emporter pour le voyage. Quand Girolam vint enfin frapper à sa porte, tous deux partirent vers la bibliothèque du palais pour consulter le cartographe.

 

Les archives royales occupaient une tour entière du château, tous les étages étaient encombrés de manuels, de grimoires, de rouleaux et de cartes posées sur des tables, des chaises, des rayonnages, sur les marches des escaliers ou même par terre. Il ne semblait pas y avoir un ordre de rangement précis, pourtant les deux frères savaient que le bibliothécaire tenait à jour un index de tous les volumes et savait retrouver un livre ou un manuscrit sans difficulté. L’un des étages de la tour était réservé au cartographe. Celui-ci consultait régulièrement les ouvrages de la bibliothèque pour enrichir ses croquis d’informations glanées au hasard de ses lectures. Le généalogiste Generibus avait occupé un étage lui aussi pendant quelques années, mais il avait plus ou moins disparu et son antre était restée en l’état, on le voyait parfois venir furtivement consulter un manuel aux archives, mais il repartait aussi vite qu’il était venu, comme s’il s’était transformé en courant d’air. Nul ne savait où le trouver quand on avait réellement besoin de lui, ce qui parfois mettait le bibliothécaire très en colère. Heureusement, les recherches généalogiques avaient peu d’importance, on finissait par en oublier l’intérêt dans le fatras des informations recueillies aux archives. Il y avait encore l’astronome qui habitait tout en haut de la tour, il pouvait observer les étoiles depuis le sommet avec sa lunette. Il était si absorbé dans ses études qu’il ne quittait jamais son repaire, et certains se demandaient parfois s’il ne se transformerait pas un jour en oiseau pour aller examiner les astres et les planètes de plus près.

 

Le cartographe était un vieil homme très voûté, avec un bonnet de coton sur la tête, une longue barbe blanche et des bésicles carrées sur le bout de son nez. Il passait ses journées penché sur ses cartes depuis tant d’années qu’il était devenu tout bossu. Le bout de ses doigts était noir d’encre à force d’avoir écrit et dessiné des mappemondes et des plans. Outre ses trouvailles à la bibliothèque, il notait aussi tout ce que les voyageurs qui venaient au château lui racontaient, et corrigeait ses esquisses quand il obtenait des informations nouvelles ou plus détaillées sur un lieu. Il avait ainsi réalisé une représentation du monde connu assez fidèle, et il promit aux deux frères de leur copier un modèle de sa carte la plus précise pour le lendemain matin.

 

  • J’ai peu d’informations sur les confins de notre monde, je suis désolé, dit-il aux deux frères en montrant l'extrémité de son dessin qui présentait quelques contours imprécis dont on ne savait pas si c’était de la terre ou de l’eau et où ne figurait aucune mention. J’espère que vous me rapporterez des détails de votre périple pour que je puisse compléter la carte de notre monde. Vous voyez comme c’est vague, je ne sais même pas qui m’avait donné le peu de connaissances que j’ai, j’ai peut-être même tout inventé.
  • Puisque c’est le bout du monde, il n’est pas illogique que peu de voyageurs y soient allés ou même en soient revenus, dit Girolam.
  • Oui, c’est tout à fait ça renchérit le cartographe. Mais regardez ici, vous voyez le pays de Vallindras est bien indiqué, ainsi que le château de Matabesh, vous le trouverez sans difficultés. Et plus loin, beaucoup plus au nord et à l’est, dans cette région montagneuse et désertique, vous apercevez le Pays d’Argent, ainsi dénommé à cause des mines de métal qui s’y trouvent et qui ont été exploitées de tous temps. Pour l’atteindre, il vous faudra traverser des marais.
  • Qu’y a-t-il de l’autre côté des montagnes de Vallindras ? demanda Girolam intrigué par la carte.
  • Nul ne le sait car personne ne les a jamais franchies. Pour ma part, j’ai toujours pensé que les hautes montagnes de Valllindras marquaient la fin de notre monde. Au delà, ce doit être le néant.
  • Merci à toi, tu vas beaucoup nous aider avec cette carte, nous nous en servirons pour nous diriger avec certitude. Nous repasserons te voir demain matin pour récupérer la carte, avant notre départ, dit Girolam avec politesse.
  • Bien, Messeigneurs, tout sera prêt dès l’aube, répondit le cartographe non sans une certaine fierté.

 

En repartant Girolam et Tizian échangèrent sur leur visite, ils étaient tous deux dubitatifs sur l’intérêt des travaux du cartographe, tant de temps passé à étudier pour si peu de résultats leur paraissait un investissement inutile.

 

  • Pauvre homme, depuis si longtemps il se convainc de l’importance de son travail et quand on a besoin de ses services, ce qu’il fournit n’est pas exploitable, dit Tizian encore une fois très déçu. Il est incapable de nous donner la moindre explication fiable, ses cartes ne nous servirons pas à grand chose.
  • Ne jugeons pas trop vite, nous verrons à l’usage, répondit Girolam qui essayait d’être positif. Je me charge de les étudier.
  • Je crois que c’est déjà tout vu, grommela Tizian d’assez mauvaise humeur.
  • Chut, Tizian, fit Girolam en baissant la voix, faisons attention, ici les murs ont des oreilles.

 

Il ne croyait pas si bien dire. Derrière le miroir accroché dans le couloir où les deux frères se parlaient, Generibus ne perdait pas une parole de leur conversation. Un sourire amusé éclaira son visage lorsqu’il entendit la remarque de Girolam. Au fond, Generibus était assez d’accord avec Tizian, beaucoup de travail inutile était réalisé au palais, il était peut-être temps de mettre fin à cette époque archaïque, et de passer à une ère nouvelle, qui devrait être à son sens une renaissance dans un monde de paix, meilleur et plus juste. 

 

Sans être conscients des réflexions du généalogiste sur leurs propos, Girolam et Tizian rendirent ensuite visite à leur vieille nourrice Béatrix, heureuse de voir ses deux petits si grands et si beaux, et semblait-il à sa plus grande joie, enfin réconciliés. Comme elle était un peu magicienne, elle leur donna quelques flacons (cachés dans les poches de ses jupes) dont elle avait le secret, pour guérir des maux simples et donner du courage dans les moments difficiles. Devenue trop âgée pour s’occuper d’enfants, elle passait ses journées assise derrière une fenêtre à raccommoder des vêtements et des chausses et était percluse de rhumatismes. Après leur départ, Tizian fit à nouveau une remarque acerbe sur la qualité des potions de Béatrix, avec lesquelles il ne risquait ni de s’empoisonner ni de guérir de vilaines blessures.

 

  • Tout au plus un remontant pour les soirées autour du feu, dit-il sans conviction.
  • On ne sait jamais, répondit son frère qui voulait voir le bon côté des choses plutôt que systématiquement le mauvais, j’étais heureux de revoir Béatrix, bien qu’elle soit changée et bien diminuée désormais. Elle nous a donné ses trésors de bon coeur.
  • Les habitants de ce château sont tous vieux et leur travail ne sert à personne, rétorqua Tizian avec fougue. Il est temps que nous partions, j’ai le sentiment d’étouffer dans ces couloirs interminables.
  • Du calme Tizian, souviens-toi de ce que je t’ai dit, nous sommes certainement espionnés. Dès demain nous serons sur la route, pas d’inquiétude, nous ne risquons pas de moisir ici.
  • Allons voir le forgeron, j’espère qu’il est un peu plus maître de son art, il le faut car nous aurons besoin d’armes de bonne facture. 

 

La forge était située dans les entrailles du palais, il y régnait une chaleur insupportable et l’air était irrespirable. Le forgeron revêtu d’un tablier de cuir leur donna à chacun une épée façonnée avec le meilleur acier du royaume, à la fois souple et flexible, fabriquée selon des méthodes ancestrales transmises depuis des générations et des générations par les ferronniers du château, ainsi qu’une dague et un couteau.

 

  • Ce n’est pas avec ces armes de débutants que nous vaincrons un puissant magicien de l’envergure de Jahangir, il nous faudra trouver ailleurs des épées plus adaptées à notre mission, fulmina Tizian, exaspéré, lorsqu’ils quittèrent la forge.
  • Je crois que tu as raison, confirma Girolam. Je comprends que notre père craigne ce magicien, mais si ces armes sont les seules dont Xénon pense se servir pour sauver son royaume, il est dans l’erreur.
  • Oui, notre mission va être difficile, nous devrons progresser en tout si nous voulons nous en sortir et revenir ici, conclut Tizian. Et maintenant, assez parlé, finissons les derniers préparatifs, j’ai hâte de partir.

 

Ainsi parés de leurs armes peu convaincantes, il ne leur restait plus qu’à enrichir leur garde robe de quelques chemises et chausses de laine et de coton qu’ils trouveraient dans leurs coffres, et de garnir leur besace de pain et de biscuits, ce qu’ils firent en traversant les cuisines où se préparait le banquet du soir.

 

Après être retournés dans dans leur chambre pour y déposer leurs affaires, ils devaient attendre l’heure du repas pour se rendre à la salle du festin.

 

Obstiné, Tizian parcourut à nouveau les corridors avant de rejoindre la salle de réception, avec l’espoir d’apercevoir enfin la fillette. Il ne vit pas Rose, qui se trouvait à cet instant précis avec Generibus en train de déchiffrer une copie de la carte du cartographe, essayant de tracer avec son doigt le chemin que les deux frères devraient poursuivre pour atteindre Vallindras, le pays du roi Matabesh.

 

Enfin lorsqu’il fut l’heure, Girolam et Tizian se dirigèrent vers la salle de la réception. Une longue table avait été dressée, couverte d’une nappe damassée et brodée d’or, qui retombait sur les côtés avec une bordure de longues franges. Tous les ministres avaient déjà pris place, et il restait deux sièges libres de chaque côté de la haute chaise de Xénon. Des couverts d’argent et des assiettes d’étain étaient disposés devant chaque convive, et des servantes s’affairaient tout autour pour verser du vin dans les chopes et les gobelets. Xénon qui était installé leur fit signe d’approcher et d’un geste de la main ordonna le lancement des festivités.

 

Aussitôt des musiciens et des danseurs apparurent et la salle fut noyée dans un brouhaha indescriptible. Xénon imposa immédiatement le calme et l’atmosphère devint soudain sinistre et pesante. Les ministres mangeaient la tête penchée vers leur assiette, les musiciens avaient peur de faire des fausses notes et les chansons et poèmes étaient récités mécaniquement et sans joie.

 

  • Mes chers fils, fit Xénon avec autorité comme s’il avait encore besoin d’affirmer son pouvoir à son auditoire qui lui était tout acquis, j’ai mandé les forgerons, les tanneurs et les couturières pour qu’ils se pressent de vous fournir d’ici demain des vêtements de cuir et de laine, et une armure digne de ce nom. Vous disposerez ainsi des meilleures protections du royaume pour votre voyage.
  • Merci père, nous sommes déjà allés voir le forgeron, répondit Tizian, il nous prépare des armes.
  • Fort bien, dit Xénon, vous aurez aussi une armure, vous en aurez besoin. A l’heure qu’il est, mes forges chauffent à blanc et tous mes serviteurs travaillent pour vous. Ils ont ordre de ne pas dormir de la nuit, je serai inflexible sur leur loyauté à m’obéir, tout devra être prêt demain.

 

Les plats furent apportés les uns après les autres, Girolam et Tizian étaient trop préoccupés pour avoir faim et picoraient quelque morceau de gibier ici ou là sans appétit. Xénon, quant à lui, était si fier de ses machinations qu’il mangeait comme quatre et buvait encore davantage. Au bout d’un certain temps, échauffé par la quantité de vin qu’il avait absorbée, Xénon devint encore plus intransigeant et en même temps il pontifiait.

 

  • Mes fils, disait-il d’un ton confidentiel mais que tout le monde entendait, il faut suivre les initiés qui ont fait le chemin avant nous, ce sont eux qui nous montrent la voie.
  • Oui père, répondaient alternativement Girolam et Tizian sans écouter ses diatribes.
  • Une bonne tactique en période de guerre est le meilleur moyen d’arriver à ses fins, poursuivait Xénon qui seul admirait la pertinence de son monologue, je n’ai pas eu l’occasion de mettre ce principe en oeuvre car nous ne sommes pas en conflit avec une autre contrée, mais c’est inscrit dans tous les livres. C’est l’étude de la science militaire qui vous aidera dans votre stratégie pour mener à bien votre mission. D’ailleurs, si vous étiez restés un peu plus longtemps, j’aurais pu vous faire part de mes remarques et vous apporter mes connaissances dans ces domaines que je maîtrise parfaitement …..

 

Épouvantés par la vanité de leur père, les deux frères n’avaient qu’une hâte, que le banquet se termine et qu’ils puissent regagner leurs chambres. Ils n’avaient pratiquement pas bu, trouvant que les vins du château piquaient la gorge et l’estomac, et surtout ils voulaient garder la tête claire pour le lendemain.

 

Lorsque Xénon finit par s’endormir sur la table, quelques serviteurs vinrent le chercher et le transportèrent jusqu’à sa chambre. Tous les ministres soulagés et libérés de leurs obligations par le départ du roi saluèrent Tizian et Girolam et s’éclipsèrent au plus vite. Les deux frères se retrouvèrent bientôt les derniers convives dans la salle, où seules quelques servantes qui débarrassaient le couvert s’affairaient encore.

 

  • Bien étrange soirée en vérité, dit Girolam. Par chance, Père ne nous a pas proposé d’aller visiter sa salle de torture.
  • Et où est passé Moorcroft, demanda Tizian, il a disparu depuis longtemps, où est-il donc encore allé ?
  • Ne te préoccupe pas de lui, répondit Girolam en riant, il doit avoir besoin de dormir, il est même possible qu’il se soit fait punir par Xénon, ou bien encore il erre dans les couloirs pour espionner.
  • C’est bien ce qui m’inquiète, reprit Tizian, je ne fais pas confiance à ce serpent venimeux, on ne sait jamais ce qu’il complote.

 

Inquiet des événements, Moorcroft était descendu dans les caves du château pour retrouver Rotrude, et il la regardait passionnément faire rouler les billes de mercure entre ses doigts. La vieille femme revêche avait ressenti son angoisse et d’une voix sépulcrale lui promettait des jours apocalyptiques, où la colère du roi Xénon s’abattrait sur lui et le déchaînement de puissances infernales transformerait le royaume en un chaos indescriptible. Tremblant de peur et presque paralysé, Moorcroft s’apprêtait à remonter les marches vers la salle du festin quand il passa devant les forges en pleine activité. La chaleur et le feu qui y régnaient préfiguraient un monde brutal et sauvage où il n’y aurait pas de place pour les conseillers peu courageux. A ce constat, Moorcroft se promit de faire une alliance plus étroite avec Roxelle et de se donner la possibilité de se réfugier dans l’empire des Ténèbres, si le royaume  de Phaïssans devenait invivable pour lui.

 

Ayant ainsi solutionné temporairement ses peurs, Moorcroft poussa un énorme soupir et commença à remonter lentement les marches.

 

  • Si je pouvais, si j’osais … je saboterais bien l’une de ces armures dont parlait Xénon, mais comment faire ? Roxelle pourrait sûrement m’aider mais là je suis démuni. Il faudrait que je puisse mixer un composant qui rendrait l’acier mou … Ainsi les frères mourraient plus vite, dès le premier combat. Allons, ce n’est qu’une idée, et je ne vais pas non plus mettre ma vie en danger pour ces deux freluquets qui n’ont jamais cessé de rire de moi. On verra bien qui rira le dernier, je tiendrai bien ma vengeance un jour. Et je crois que Zilia sera mon bras dans cette affaire, hi hi hi. J’ai toujours su que cette fille ferait quelque chose pour moi, disait-il en se frottant convulsivement les mains.

 

Lorsqu’il se retrouva dans le couloir, Moorcroft croisa une domestique qui portait une chaufferette en cuivre avec un long manche en bois. Elle sortait de sa chambre où elle était venue préparer le lit. Comme à son habitude, Moorcroft fit un signe de tête sans dire un mot, et tirant sa jambe raide, entra dans son antre où un feu joyeux brûlait dans l’âtre. Frissonnant après toutes les émotions de la journée, le conseiller s’approcha des flammes et tendit ses mains pour les réchauffer.

 

  • Bonsoir Moorcroft, dit une voix claire derrière lui qui le fit sursauter.
  • Ah Zilia, te voici, tu ne t’es pas faite remarquer par la servante au moins ? s’écria le conseiller.
  • Rassure-toi, je suis très discrète, répondit la jeune fille.
  • Tu tombes bien, j’ai des informations pour toi. Tes frères partent demain matin pour Vallindras. Qu’as-tu l’intention de faire ? reprit Moorcroft
  • Je vais les suivre.

 

Moorcroft se retourna et vit Zilia encore sous un effet atténué de la potion de transformation.

 

  • Tu as changé ta couleur de peau et tes cheveux, dit Moorcroft avec étonnement et intérêt.
  • C’est Roxelle qui a préparé quelques mixtures pour modifier mon apparence afin que je puisse m’approcher de Girolam et Tizian sans qu’ils me reconnaissent.
  • Ta mère est une femme fort inspirée ! c’est excellent, dit Moorcroft non sans admiration, quoique il en rajoutait un peu, comme il le faisait toujours.
  • Elle a perfectionné ses mélanges pour qu’ils durent plus longtemps, et m’a préparé aussi des antidotes pour retrouver rapidement mon apparence normale. J’aurai également quelques potions de guérison et de soins, et quelques recettes pour en fabriquer moi-même. Car certains mélanges sont instables, il ne faut les concocter qu’au dernier moment, comme les potions de résurrection.
  • Que veux-tu dire par potions de résurrection ? as-tu l’intention de les donner à tes frères s’ils meurent ?
  • Hélas je n’aurai pas de telles potions, je sais simplement qu’elles existent et sont instables, je n’ai jamais connu personne qui sache les fabriquer, et je ne sais même pas si Roxelle en a la recette. Il faut être un très grand magicien habile pour les réussir.
  • En effet, tu devras t’en passer et tes frères aussi.
  • Et si je suis en grand danger et que j’ai besoin d’eux ? il faut tout prévoir Moorcroft, Mère a raison, comment pourraient-ils me sauver ?.
  • D’après ce que tu dis ils ne le pourraient pas … Je n’aime pas beaucoup ça, reprit Moorcroft, mais il est certain que ta mère s’y connait et je lui fais une grande confiance, elle te donne de bons conseils. Tu es donc prête pour partir demain ?
  • Oui, je sais que mes frères ont reporté leur départ à demain matin.
  • J’aurai de tes nouvelles par Roxelle. Qu’as-tu prévu ?
  • Mon cheval est resté dans la montagne, je l’ai caché dans la grotte, il se repose. Mes sacs sont remplis et j’ai mon arc. Je pourrai les suivre de loin sans me faire voir.
  • C’est bien, tu peux passer la nuit ici, la servante a chauffé mon lit, je vais moi-même aller dormir, tu peux t’étendre sur cette couche dans l’alcôve, tu trouveras une courtepointe dans le coffre au bout de mon lit.

 

Moorcroft se glissa tout habillé dans son lit et rabattit les édredons sur lui. Zilia souleva le couvercle de la caisse en bois et récupéra la couverture de laine et coton. Elle était habituée à la vie au grand air par tous les temps, et à la vie souterraine dans le noir et sur la pierre, aussi ce couchage lui convenait parfaitement. Elle s’était à peine allongée sur le lit d’appoint qu’elle ferma les yeux et s’endormit.

 

Le château bruissait des travaux de la forge, tout un peuple était en activité pour finaliser ses tâches à l’aube, les serviteurs circulaient silencieusement dans les corridors en transportant des paquets, les boulangers cuisaient des monceaux de pains et gâteaux et les couturières tiraient l’aiguille inlassablement.

 

Tizian dormait par à-coups, il se réveillait souvent et se retournait nerveusement, il ne réussissait pas à trouver le sommeil. Girolam songeait à Maroussia et à sa ville si agréable à vivre au milieu de toutes ses merveilles. Au bout d’un moment il se mit à sa fenêtre et regarda le paysage nocturne à la lumière de la lune. La forêt se déroulait devant ses yeux jusqu’au lac lointain, dont le reflet d’argent attirait le regard. Des oiseaux de nuit poussaient des cris rauques dans le noir, le calme était fictif, un vent léger tournoyait et le ciel était couvert.  

 

Xénon couché sur le dos ronflait si fort que tous ses chiens en avaient peur et avaient déserté sa chambre. Habitué à festoyer souvent, il savait qu’il se lèverait le lendemain matin frais et dispos et il avait abusé de la boisson en toute connaissance de cause. Les occasions de se réjouir n’étaient pas si fréquentes et le départ de ses fils était pour lui l’assurance de la tranquillité pour de longues années, nul ne viendrait plus réclamer son trône.

 

La petite Rose dormait dans le lit qu’elle partageait habituellement avec sa mère avec un léger sourire bienheureux, La chambrière n’était pas venue se coucher, elle aidait les couturières à coudre des chausses et des chemises pour les fils du roi. Rose ne s’était pas inquiétée, elle ne posait pas de questions à cette femme revêche et aigrie par la vie, qui ne lui avait jamais prodigué d’amour maternel.

 

Generibus quant à lui ne dormait jamais. Perplexe et inquiet, il étudiait à l’aide d’une loupe la carte du monde et tentait vainement de déchiffrer les hiéroglyphes du cartographe, à la recherche d’une information qui lui aurait échappé.

 

  • Non, je ne trouve rien, quel ennui … que va-t'il se passer maintenant ? Ces pauvres jeunes gens sont envoyés à la mort, en territoire inconnu. Comment les aider ?

 

Son doigt qui parcourait les représentations des territoires s’arrêta soudain sur la description d’une montagne pointue avec semblait-il un cratère à son sommet. Il put identifier sur le sommet du volcan le dessin minuscule d’un végétal étrange qui ressemblait à un arbre préhistorique, un tronc large avec une ramure imposante. Sous le symbole, il put deviner des caractères anciens tracés par le cartographe et qui s’apparentaient à des runes. Il les recopia sur un parchemin et se mit à fouiller dans les piles de manuels et grimoires qui s’empilaient autour de lui.

 

  • Ah ! le voici, dit-il triomphalement en saisissant un vieux livre à couverture de cuir bouilli dont le fermoir en métal ouvragé était rouillé. Je savais bien qu’il n’était pas loin. Je vais pouvoir trouver la signification de ces runes.

 

Generibus ouvrit délicatement le fermoir avec une clé qui pendait à son cou et se mit à tourner les pages lentement. Le livre était certainement très ancien car les pages étaient fragiles et Generibus était précautionneux pour ne pas les déchirer. Enfin au bout d’un long moment, il parvint à trouver ce qu’il cherchait.

 

  • C’est l’arbre de paix, lut-il, lorsqu’on peut planter ses fruits, on ramène la paix dans un royaume. Hum, mais c’est très intéressant tout ça ….J’avais entendu parler de l’existence de cette merveille, mais je pensais que ce n’était que des rumeurs, des légendes de bonnes femmes. Bon, je vais mettre ça de côté, c’est dommage car ce n’est vraiment pas là qu’iront les deux frères, même si dans l’absolu ce devrait être la seule quête à faire. Je vais encore noter la montagne où il se trouve. Ah mais par exemple, elle n’a pas de nom, comment puis-je faire pour la repérer ? On dirait qu’elle se situe sur une île, c’est entouré d’eau, ou bien une presqu’île ? comme c’est étrange !

 

Ce faisant, Generibus se piqua le bout du doigt avec un stylet qui traînait à côté de lui et laissa tomber une microscopique goutte de sang sur le sommet de la montagne, masquant presque complètement le dessin de l’arbre magique.

 

  • Ce n’est pas très malin, mais au moins je me souviendrai facilement de cet emplacement. Bon et maintenant poursuivons la route des garçons, et voyons si je trouve un indice quelconque qui pourrait nous aider.

 

Au bout d’un moment, Generibus sentit des fourmis dans ses jambes et se leva pour aller faire un tour d’inspection des miroirs. En passant devant la glace de la chambre du roi, il vit que l’aube se levait déjà et que la lumière pénétrait par la fenêtre. A cet instant précis, la porte s’ouvrit et Moorcroft pénétra en louvoyant comme à son habitude. Il s’approcha de Xénon et vérifia que celui-ci dormait toujours. Il vint alors juste devant le miroir, souleva le couvercle d’un coffret posé sur un dressoir et extirpa quelques pièces d’or qu’il glissa dans ses poches avec un sourire entendu.

 

  • Je comprends mieux d’où proviennent ses revenus, dit Generibus, je savais qu’il n’avait pas de scrupules, en voici la preuve.

 

Comme Moorcroft sortait discrètement de la chambre du roi pour regagner la sienne, Generibus le suivit par les couloirs secrets et découvrit avec surprise grâce au miroir qu’il n’était pas seul dans son antre. Zilia était debout et l’attendait, prête à partir. Moorcroft lui donna les pièces d’or qu’il avait volées, que la jeune-fille mit aussitôt dans sa bourse de cuir.

 

  • Préparons-nous Zilia, tes frères vont bientôt se mettre en route.

 

Moorcroft et Zilia quittèrent silencieusement la chambre et Zilia se dirigea vers le passage secret qui permettait de sortir du château sans passer par le pont levis. Moorcroft rejoignit lui la foule qui s’était rassemblée devant les douves pour voir le départ des héros.

 

Girolam et Tizian s’étaient réveillés avant le lever du soleil et avaient déjà récupéré auprès du cartographe leur itinéraire de voyage. Leurs sacs rebondis étaient remplis de vêtements et de nourriture. Le forgeron leur avait apporté à chacun l’armure qui avait été fabriquée pendant la nuit, il n’avait pas eu le temps de les personnaliser. Il s’agissait d’une cuirasse qui permettrait de protéger le torse et le dos, faite de plaques de métal léger et résistant, et articulée aux épaules. Les deux frères endossèrent leurs nouvelles carapaces et glissèrent leurs épées dans les fourreaux accrochés à leur ceinture. Ils avaient aussi chacun un casque et un bouclier qu’ils attachèrent à la selle de leurs chevaux.

 

Ainsi lourdement harnachés et avec l’aide des palefreniers, ils se hissèrent sur leurs montures. Ils avaient convenu de descendre de cheval rapidement et de poursuivre à pied pour ne pas épuiser Joran et Borée par le poids de leur bagages. Arrivés en bas de la montagne, ils retrouveraient leurs valets et pourraient répartir la charge sur un autre cheval qui les suivrait.

 

Tout le peuple du château était venu leur dire adieu. Xénon réussissait même à avoir une larme à l’oeil alors qu’il était impatient de voir ses fils s’éloigner. Trop fatigué après ses agapes de la veille, il ne fit pas de discours et souhaita simplement bon voyage aux aventuriers.

 

A ses côtés, Moorcroft ressemblait à un mort vivant avec son teint blafard et ses habits noirs éculés, il ne devait pas souvent apercevoir la lumière du jour.

 

Toujours tourmenté par ses cauchemars et ses mauvais pressentiments, Tizian voulait se rassurer avant de partir. Presque debout sur ses éperons, il inspectait la foule à la recherche d’une petite fille et d’un chien noir. Et soudain il les aperçut. Elle était là, tout près, son chien à ses pieds, elle le regardait de ses yeux clairs, sans détour. C’était une enfant d’une dizaine d’années, blonde et fine, avec un petit visage franc et déterminé. Tizian ne vit pas une once de méchanceté ni de maléfice dans ces prunelles, et pourtant il reconnaissait les traits qu’il avait vu en rêve, c’était bien elle, il n’avait pas de doute. Il éprouva aussitôt une confiance absolue dans cette enfant et sa peur disparut. Oui, elle allait probablement bouleverser le monde dans lequel il vivait, mais ce ne serait pas pour le détruire, ce serait pour le rendre meilleur. Presque inconsciemment, il esquissa un sourire qu’elle lui rendit en retour. Apaisé, Tizian se retourna alors vers Girolam et caressa l’encolure de son cheval. Il se sentait ému et troublé, cette petite fille dégageait une force et une volonté hors du commun, c’était absolument l’inverse de ses visions.

 

  • Dommage, nous aurions pu faire connaissance, désormais c’est trop tard, pensa-t-il avec amertume. Je suis certain maintenant que mes cauchemars vont cesser, j’ai vu ce que je devais voir.

 

Plus loin, mêlée à la foule, Zilia observait ses frères et s’apprêtait elle aussi à partir pour le voyage. Elle n’avait pas d’armure, juste son arc, ses flèches et ses potions, et quelques provisions. Ses longs cheveux redevenus noirs comme du jais ondulaient derrière elle dans le vent frais du matin. Elle n’avait pas peur, ne sachant pas vraiment ce qui l’attendait et ne mesurant pas les risques ni les dangers qu’elle allait courir. Après avoir haï ses frères depuis sa naissance, elle ne ressentait plus d’animosité envers eux, elle les avait observés depuis quelques jours et leur comportement ne correspondait aucunement à ce qu’on avait toujours voulu lui faire croire. Elle pensait même que partager l’aventure avec eux serait excitant et avait hâte que la mission commence, ils avaient l’air courageux et intrépide comme elle, et étaient susceptibles de se battre comme des lions, si l’on se fiait à leur réputation. 

 

Girolam et Tizian échangèrent un regard et lancèrent leurs chevaux. Majestueusement, Joran et Borée avancèrent au pas et la foule derrière eux se mis à hurler des encouragements. Xénon et Moorcroft avaient déjà regagné l’intérieur du palais sans états d’âme.

 

Rose regardait partir la cohorte et restait troublée par l’échange avec Tizian. Il l’avait interrogée sans lui parler, elle en était certaine, il voulait savoir qui elle était. Elle avait soutenu son regard sans baisser les yeux et il lui avait semblé qu’il était satisfait de la réponse. Longtemps elle regarda le petit cortège avancer doucement dans la pente jusqu’à disparaître après le premier tournant un peu plus bas. Alors elle traversa le pont levis et rentra dans le château, il était temps de retourner voir Generibus pour poursuivre son éducation.

 

Zilia s’était éclipsée discrètement elle aussi et avait rapidement retrouvé son cheval Breva à qui elle donna une portion d’avoine avant de partir. Elle avait dit au revoir la veille à Roxelle qui devait dormir à cette heure dans son palais des Ténèbres. Mais Zilia se trompait, Roxelle était beaucoup trop excitée par l’aventure et visualisait dans son laboratoire la scène du départ sur un liquide opaque et brillant, contenu dans une coupe de porphyre rouge magnifiquement sculptée.

 

Girolam avait les yeux rivés sur la vallée devant lui où il voyait miroiter les eaux calmes du lac Anduvan et les reflets de sa ville. Son coeur était serré, mais il était en même temps heureux de partir à l’aventure, il était fougueux et jeune et il avait besoin d’espaces et de défis. Peut-être oublierait-il Maroussia en chevauchant le long des chemins et en combattant les ennemis de son père. Il en doutait encore à cet instant précis, mais il présumait que la douleur s’estomperait avec le temps. Les messagers avaient emporté depuis la veille la lettre écrite pour sa fiancée, elle devait être au courant maintenant de son départ et peut-être à cet instant précis pensait à lui et le regrettait déjà, se consolait-il.

 

Il ne restait plus personne devant l’enceinte du château, le pont levis était relevé. Le vent balayait doucement les grandes herbes folles et les petites fleurs qui poussaient sur les rochers alentour. Posé sur un conifère distant, masqué par l’ombre des branches épineuses, Eostrix dormait d’un oeil et s’apprêtait à rejoindre l’épaule de Zilia quand elle l'appellerait.

 

Tout était en place, l’aventure pouvait commencer.

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