CHAPITRE 4

Par Taranee

PRESENT : LE DUC NOWISE

 

- Des nouvelles de Jio ? demanda Samaër en entrant dans le manoir, un pain aux herbes dans la bouche.

- Aucune. Il n’a pas cherché à me contacter depuis son départ, hier. lui répondit Erlein en soupirant : Je crains qu’il ne faille attendre encore un peu avant d’avoir la moindre nouvelle. Il doit être en phase de découverte de l’autre face.

- Et qu’en est-il de Nilt ?

- Je n’ai pas la moindre idée d’où il peut être. Mes informateurs, aussi bien sur la face magique que sur la face sciento-magique, ont perdu sa trace. Je ne sais même pas sur quelle face il est, actuellement.

- C’est embêtant.

- Oui, d’autant plus qu’il y a du mouvement du côté de la guilde des mercenaires. J’ai vu plusieurs de leurs gars en ville, avant le départ de Jio. Et j’en ai croisé quelques-uns lorsque je cherchais des informations sur le passé du gamin.  Je pense que Soö a un autre but que celui de me défier.

Samaër pencha la tête sur le côté, comme pour réfléchir. Le Duc leva un sourcil. Le mage d’esprit n’était pas une lumière alors le voir réfléchir donnait un effet comique et exaspérant à leur discussion. Et pourtant, c’est bien lui qui donna la piste que Nowise attendait.

- Il est peut-être à la recherche de Nilt…

- Impossible, il croit que son frère est mort. À moins que…

- À moins qu’il ait eu une preuve que son frère est encore en vie, quelque part. compléta Samaër.

Erlein approuva de la tête. C’était ça. Peut-être que Soö avait eu une preuve que Nilt était en vie, peut-être avait-il un indice pour le trouver. C’était sûrement ça. Car à part la vengeance et leur survie, à son frère et lui, rien n’intéressait Soö. Rien ne méritait qu’il y accordât un tant soit peu d’importance. Pas même la guilde. La guilde n’était qu’un outil, pour lui. Un moyen d’arriver à ses fins. Le Duc se mordit la lèvre. Soö ne pouvait plus utiliser son pouvoir. Alors il utilisait les pouvoirs des centaines de mages qui étaient sous son contrôle. Sa magie était verrouillée par un sceau, alors il se servait d’un adolescent que lui, Erlein Nowise, chérissait, pour défaire ce sceau. Soö trouvait toujours une solution. Il trouvait toujours le moyen de contourner les règles de la façon la plus tordue qu’il fût. Et Erlein ne savait pas s’il devait être fier de ce que son fils était devenu ou s’il devait haïr ce monstre qu’il avait construit, le redouter. Il secoua la tête.

- Samaër. Nous allons attendre encore une semaine. Si jamais Jio ne donne pas de nouvelles, j’appelle le retourneur et vous vous infiltrez dans son esprit pour voir ce qu’il s’y passe. Nous allons bientôt lancer le plan. Tiens-toi prêt.

- Bien monsieur.

Erlein leva la tête vers le ciel qui s’étendait au-dessus de la coupole de verre, sur le toit. Il fronça les sourcils.

- Je vais découvrir vos secrets, à tous les deux. Promit-il dans un murmure : Et quand je n’aurai plus besoin de vous, je m’arrangerai pour vous faire disparaître. Et alors, il n’y aura plus personne pour se mettre sur mon chemin. Pas même toi, Soö.

 

PASSE : SOÖ

 

- Non ! NON ! s’égosillait-il alors que quatre gardiens du domaine le traînaient dans les couloirs.

Et derrière, son père les suivait, impassible. Regardant son fils avec une lueur de dédain dans les yeux. Soö avait tenté de résister. Il avait rampé, s’était contorsionné, il avait aveuglé l’un des hommes et en avait poignardé un autre grâce à sa magie, mais en vain. Ils avaient fini par l’attraper. Il essayait de s’échapper, luttant sauvagement, et jetait un œil à la fois terrifié et haineux au Duc. Il ne savait pas ce qu’on allait faire de lui, il ne savait pas comment se sortir de cette situation. Il y a quelques heures, il était persuadé d’être devenu un homme, capable de tenir tête à un père qui abusait de son autorité. Et à présent ? Il n’était plus qu’un gamin de 16 ans complètement paniqué et vulnérable. Faible, si faible…

            Les gardes s’arrêtèrent devant la porte du bureau d’Erlein et l’un d’eux l’ouvrit avant de jeter Soö à l’intérieur. Le jeune homme se releva immédiatement et essaya de s’enfuir mais son père entra à ce moment et ferma la porte à clef derrière lui. Au début, il ne se passa rien. L’homme se contenta simplement d’observer son fils et le fils se contenta d’essayer d’ouvrir la porte qui restait désespérément close. Et puis Soö se retourna et se jeta soudain sur son père. Ensuite, tout se passa très vite. Erlein dégaina sa canne et frappa Soö. Fort. L’adolescent s’écroula, se tenant le ventre, sans pouvoir crier. Le Duc donna un deuxième coup qui mit Soö à ses pieds, allongé sur le sol. Puis il écrasa son fils de son pied droit, lui jetant un regard glacial et sans-pitié. Soö gesticulait.

- Arrêtez, arrêtez ! criait-il : Lâchez-moi !

Il avait les larmes aux yeux.

- Qu’est-ce que vous allez faire ? Dis-moi ce que vous comptez me faire !

- Tu es devenu trop dangereux pour moi. Mais je ne vais pas te tuer. Tu pourrais encore m’être utile.

Soö lança son pied vers le haut mais la canne de son père le rabattit sur le sol dans un bruit mat. Mais Erlein n’enleva pas sa canne. Il appuya. Soö entendit un « crac », hurla. Quelque chose était cassé.

- Je ne vais pas te tuer, répéta l’homme, je vais seulement restreindre ton pouvoir. Ne bouge pas. Si tu restes tranquille, ça ne fera pas mal.

- Arrêtez ! Pourquoi vous faîtes ça ? Pourquoi vous avez fait des enfants si c’est pour les traiter comme ça ?!

Le Duc rit.

- J’avais dans l’idée de faire de l’un de vous mon héritier, ma fierté, celui qui me remplacerait à l’assemblé, voire qui me dépasserait. Mais c’est un échec cuisant. Et je ne tolère pas les échecs. Maintenant, si tu veux bien, on va arrêter de discuter.

            Le Duc Nowise lâcha sa canne et s’accroupit au-dessus de son fils. Il tendit la main et Soö hurla, s’époumona, se contorsionna. Il pleurait. Les larmes coulaient sur ses joues, rougissaient ses yeux, ses épaules se secouaient irrégulièrement. C’étaient des larmes de rages, des larmes de désespoir et, peut-être de frustration. Et lorsque le Duc posa sa main sur le front de son fils, doucement, presque tendrement, Soö l’attrapa.

- Ne faites pas ça ! Je vous en supplie, ne faites pas ça !

- Tu es faible, Soö. Mais tu es instable et dangereux.

- Je me vengerai ! s’écria soudain le jeune homme : Je vous tuerai, je détruirai tout ce que vous avez construit !

Puis, sans même un haussement de sourcil, le Duc commença à poser le sceau. Et Soö hurla encore.

 

PRESENT : SOÖ

 

            Soö se tenait là, seul, prostré sur son trône, la tête entre les mains, la tenue négligée. Il avait refusé jusqu’aux visites d’Addal et épluchait un par un les dossiers des membres de la guilde. Car il n’avait rien d’autre à faire. Il était démuni. Sans Jio, il ne pouvait pas défaire son sceau, il ne pouvait pas porter atteinte à son père, il ne pouvait pas retrouver son frère. Sans Jio il n’était rien. Ça l’enrageait de savoir que ce garçon était si important pour lui. Il sourit. Un sourire dément, adressé à une entité inconnue, à un interlocuteur invisible. Alors c’était ça le pouvoir de ce garçon, son véritable pouvoir ? Se rendre indispensable à quiconque le rencontrait ? Il était indispensable à Maz, mais aussi au Duc, et maintenant à Soö. Combien de personnes avaient besoin de lui, à cet instant ? Combien de personnes avait-il abandonné, combien de personnes étaient bloquées dans la vie parce qu’il n’était pas là ? Cela fit rire Soö.

- Oh, Jio, mon cher Jio. On dirait que tu prends l’âme des gens sans donner en retour. Tu es tout simplement passionnant.

Le chef de la guilde se renversa surttt son trône. Jio, Jio, JIO ! Ce garçon l’obsédait, le dérangeait. Il était sur terre en ce moment. Qu’il en soit ainsi. Bientôt, il serait là, il serait vulnérable, Soö pourrait en faire ce qu’il voulait. Il allait commencer par demander à maître Ebremo de se préparer au cour intensif qu’elle devrait donner au garçon pour qu’il soit en mesure de défaire le sceau. L’homme se lécha les lèvres.

- Tu ne m’échapperas pas, Jio.

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