Chapitre 4.

Par Alixxx
Notes de l’auteur : En vous souhaitant un joyeux confinement à tous... bonne lecture ! ;)

Le jeune externe

 

  Corentin sursauta quand un groupe bruyant monta soudainement dans le RER. Il se ramassa sur son siège, remonta son sac sur son pantalon moucheté de sang et déchiré, et fit mine d’être profondément absorbé par l’écran de son téléphone, baissant assez la tête pour camoufler aux yeux extérieurs sa lèvre fendue et le joli oeil au beurre noir qui commençait à fleurir dans son orbite.

  Ses doigts tremblaient, son esprit tournait à vide.

  Avec un soulagement non dissimulé, il soupira quand les portes du RER se fermèrent enfin, n’ayant engouffré dans sa gorge que les badauds habituels, et non des dizaines de flics armés qui viendraient le cueillir. A chaque arrêt, à chaque passager qui montait ou descendait, l’impression imminente de l’arrestation fondait sur lui, et son coeur tambourinait alors à grands coups dans sa poitrine, si fort qu’il pouvait en percevoir le battement dans ses joues.

  Pour l’instant, cependant, aucun uniforme ne se montrait, et il serait bientôt de retour chez lui. Dans sa campagne. Loin de Paris, loin des témoins, loin… des deux hommes qu’il avait tué.

  Car il s’agissait bien de ça. En quelques secondes, une altercation lui avait permis de révéler ce qu’il était vraiment : un meurtrier. Rien de plus. C’était un comble par rapport au métier auquel il se destinait.

  Le RER de ce plein milieu d’après-midi roulait divinement bien comparé à ceux que l’on pouvait prendre le soir, où la foule qui rentrait chez elle et l’effervescence ambiante ne manquaient pas de provoquer moult retards et incidents en tout genre. Il suffisait de quelques andouilles sur les voies pour arrêter tout le trafic et prendre une heure dans la vue à des centaines de travailleurs. De plus, la voiture était quasiment vide à présent, ce qui lui évitait bien des regards curieux et interrogatifs. 

  Cependant, c’était bien là le cadet de ses soucis. Qu’allait-il faire à présent ? Serait-il retrouvé ? Où se cacherait-il en attendant ? Pouvait-il simplement continuer sa vie comme si de rien n’était ?

 Il essayait vainement de retracer les choses, de trouver une logique à ce dérapage incontrôlé. Ces hommes avaient voulu le voler, du moins, c’est ce qu’il avait cru initialement. Mais la raison de son agression se trouvait autre part. Les deux hommes cherchaient sciemment à lui nuire. Quelqu’un les avait spécialement achetés pour cela. La question demeurait : qui pouvait lui en vouloir suffisamment pour recourir à une telle extrémité ? Et pour quel motif? Il ne se droguait pas, il n’avait pas d’ennuis; seulement une vie lisse, fade, routinière, et prédite d’avance.

  Son téléphone bipa, et un énorme frisson de peur irradia dans son ventre. La gorge nouée,  les tempes battantes, il avisa le nouveau message, et sa fréquence cardiaque diminua légèrement lorsqu’il constata qu’il s’agissait juste d’un rappel automatique de la bibliothèque. Son livre de cardiologie emprunté, qu’il comptait rendre aujourd’hui. Le pavé trônait encore dans son sac, presque moqueur.

  Il n’avait évidemment pu se résoudre à retourner à la fac dans l’état où il se trouvait. Le repli s’imposait, et il n’en connaissait qu’un : chez lui. Il devait éliminer tous les éléments qui l’indiqueraient coupable. Même si cela passait par jeter aux ordures ce magnifique pantalon et cette chemise à laquelle il tenait particulièrement. Il s’était extirpé de l’impasse déserte en courant comme un condamné, laissant les deux corps derrière lui, corps qu’on ne manquerait pas de trouver rapidement... trop rapidement. Arrivé dans les rues plus passantes, il s’était mêlé à la foule, l’air de rien avec son pantalon troué et taché par endroit, et avait béni l’indifférence générale de tout le monde, trop préoccupé pour seulement le remarquer. Il s’était senti protégé par la multitude.

  Enfin, le train crissa dans un long freinage maîtrisé, desservant le dernier arrêt de la ligne, le sien, et Corentin jaillit hors du train vide, prudent, en regardant à l’extrémité de la voie pour vérifier si un comité d’accueil l’attendait.

  Personne.

  Le coeur palpitant, il tâcha de se composer une démarche ordinaire alors même que les caméras de la gare zieutaient sans répit les parcelles stratégiques. Il ne pouvait même pas espérer se camoufler le visage puisqu’aucune capuche n’agrémentait sa veste en cuir, donc il se contenta de baisser la tête en priant très fort pour n’apparaitre que quelques instants dans l’oeil de la caméra. Sur l’une d’elle, un corbeau aux plumes lustrées semblait le scruter avec attention. Il accéléra.

  Les rues désertes de son village lui apparurent hostiles comparées à celles, grouillantes, de Paris. Pas un chat ne déambulait dans ce petit hameau bordé par la forêt. Une forêt gigantesque, qui ne cessait d’attirer les randonneurs de tout poil, les promeneurs du dimanche, et les parisiens en manque de verdure. Fut un temps où le jeune homme y passait tous ses week-end, en compagnie de son père, un fervent adepte de marche et un naturophile passionné. Combien de fois avaient-ils arpenté ce bois, plongeant en son coeur pendant plusieurs jours, découvrant des pistes délaissées, des chemins oubliés, des endroits perdus et s’y perdant eux-mêmes ?

  C’était néanmoins une époque bien révolue.

  La communication avec son père se réduisait à présent à l’échange de quelques grognements indistincts. Bien que José ne fut jamais un grand bavard, sa loquacité s’était considérablement étiolée ces derniers jours, et il passait désormais tout son temps enfermé dans son bureau. Un bureau dans lequel Corentin n’avait pas droit de passage. C’était un accord tacite entre eux, presque animal. Il sentait qu’il ne pouvait y pénétrer sans provoquer une colère des plus violentes.

  Et violent, son père l’était chaque jour davantage.

  L’alcool qu’il consommait ne rendait pas les choses plus faciles. Corentin avait essayé de lui parler d’une consultation d’addictologie, mais cette tentative était demeurée lettre morte. Son père se comportait comme un enfant obstiné. Il avait décidé qu’il n’avait nulle besoin d’aide et qu’il maîtrisait très bien sa consommation; il avait intimé à son fils de se mêler de ses affaires, et le jeune homme n’avait plus osé lui faire de remarques.

  Cela faisait longtemps qu’il avait renoncé à tirer de lui le moindre engagement, le moindre récit, la moindre explication. Son père était un coquillage fermé. Même avec le plus robuste des couteaux à huitre, Corentin n’avait jamais su savoir ce qu’il renfermait en lui et ne voulait partager. Ce qui excitait sa colère et sa rancoeur, car il s’agissait de questions qui le concernaient. Qui était sa mère ? Pourquoi les avait-elle abandonnée ? Où se trouvait le reste de la famille ? Comment était-il arrivé ici ?

  A toutes ces questions, il butait contre un silence entêté, buté, opiniâtre. Un mur. Et donner des coups dans un mur, à force, cela abimait les articulations, éraflait la peau, laissait des cicatrices. On n’aimait plus s’y risquer.

  Corentin poussa la porte de chez lui, cassant au passage une bouteille vide qui se trouvait derrière. Il manqua hurler d’exaspération. Il devait vraiment se casser d’ici. Comment son père pouvait-il autant se laisser aller ?

« C’est moi ! »

  Pas de réponse, mais ce n’était pas une grosse surprise.

  Dans un état second, Corentin fila en direction de la salle de bain, passa devant la cuisine et eut l’étonnement d’y croiser son père, affalé sur une chaise, une canette à la main. Les yeux vitreux, les cheveux hirsutes, et encore en pyjama.

  Il leva un oeil peu vaillant sur lui, et il sembla se dégriser légèrement lorsqu’il aperçut l’état général de son fils. Une lueur interrogative passa dans son regard, mais la question qui s’échappa de ses lèvres n’était pas celle qu’attendait Corentin.

« Pourquoi tu rentres si tôt ? »

  Il décida d’entrer dans son petit jeu. 

« Car je dois me changer.

- On peut savoir pourquoi tu es barbouillé de sang et avec la face éclatée? Tu t’es battu contre qui? J’espère que c’était pour une raison valable. »

  Enfin ! Son paternel lui faisait l’immense honneur de s’intéresser !

  N’en pouvant plus de mijoter ses émotions seul depuis le malheureux événement, le jeune homme prononça des mots qu'il n'aurait jamais cru penser dire un jour.

« Papa. J’ai tué deux personnes tout à l’heure. »

  Un sentiment étrange l'atteignit lorsque ses propres paroles résonnèrent à ses oreilles. Son père leva un sourcil brousailleux.

« Pour quelles raisons?

- Ils essayaient de me voler mon sac. »

  Un frisson l'étrangla ; c'était totalement disproportionné. Voler ou intimider, c'était une chose, mais tuer, c'était l'étape de trop, c'était la ligne interdite, c'était...

« Dans ce cas là, tu as bien fait ! » s’exclama José d’une façon bourrue.

  Et sans chercher à en savoir plus, il plongea de nouveau son nez dans les brumes de l’alcool.

  Corentin resta un instant planté là, devant lui, éberlué.

  Puis, lentement, sans bruit, il s’esquiva.

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B1anca
Posté le 29/10/2020
Et bah ça alors ?! quel étrange instinct paternel
J'ai hâte d'en savoir plus sur l'histoire derrière Corentin !
Ceci sont des caractères bonus, des cadeaux d'une lectrice contente
Alixxx
Posté le 31/10/2020
merci, je travaille dur sur le caractère bonus :p j'essaie de poster la suite d'ici ce soir...
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