BOUMMM !... BRAOUMMM !...
Baroufs tintamaresques, shrapnels tentaculaires, gerbes chatoyantes ! Parée de couleurs nitescentes, la pyrotechnie venait donc d'étaler ses miracles dans tous les coins du globe ! Public enchanté ! Applaudissement à tout rompre avec de drôles de mains poudrées. Et même phosphorescentes !
Ah sacrebleu ! Ils l’avaient fait !
Ils avaient roussi jusqu’aux racines l’herbe tendre sur laquelle ils se prélassaient. Ils en rêvaient depuis tellement longtemps de ce charter pour l'éternel oubli. Le tour opérateur le moins cher ? Lastminute.Boum ! N'hésitez pas, c'est gratuit pour tout le monde. Ah, vous allez vous régaler. Voyage en première classe vers les abysses, plongeon dans le benthos, barbotage dans le magma ! Have fun, les nullos ! Adieu ! Wadae ! Gàobié ! Lebewhol ! Salute nigaude race humaine ! Bon vent, bouches-gouffre à dévorer de l’homme, haine pure à désosser de l’homme. Finito vos perpétuels besoins de vous croire plus fort que l'autre, meilleur que l'autre, plus juste que l'autre. Finito vos broncas, huées, cancaneries, médisances, si vains caquets. Si on ne vous a pas appris la politesse à Oxford Cambridge, je vous en toucherai deux mots. Allez ouste, du balai ! Motus et bouches cousues.
Et place au zinzinulement du colibri, au froufrou du machaon sous les jupes du zéphir. Place au bruissement de mon feu, au chant de ma bouilloire. Et puis m’asseoir, clope au bec, m’asseoir sans plus penser au Mal, à vous, en dégustant juste la noblesse du silence retrouvé.
Si bout de chou se vengeait encore, c'était jouissif et atroce à la fois. Tout ce qui restait de bon encore en moi refusait de vibrer. Le chagrin n'accrochait pas, la pitié paressait. Seule l’ironie, tel un ersatz d’indulgence, continuait de danser la gigue dans mon cervelet. Pauvre race qui se disait humaine, répétais-je tout mielleux ! Elle respectait tellement la Vie qu'une poignée de dingos avaient suffi pour concrétiser ses désirs enfouis d'anéantissement.
Ah, ah, ah ! Mortecouille ! Ils l'avaient fait !
Que dire ? Lol au cube ! Loués soient-ils !
Moi, l'animal farouche, ils m'avaient libéré de mes absurdes chaînes philanthropiques. Plus besoin de grognonner dans ma tanière. Plus besoin de vitupérer la bêtise humaine qui jouissait d'une liberté sans bornes depuis les guéguerres sumériennes, puniques, lamiaques. J'en passe et des meilleures.
Bien des fois, j'avais vu rouge pour des choses futiles ou de grandes causes, mais là le déconnage des Zhoms avait été si rutilant, si absolu, qu'au lieu de tempêter contre mon présage, l'ankylose me roidit jusqu'à me porter hors du monde sensible.
Ah, ah, ah ! Que Belzébuth me tripote avec ses mains pouacres, ils l’avaient fait. D’un holocauste l’autre, d’un « plus jamais ça » l’autre, les Zhoms de carton-pâte étaient enfin parvenus à porter l’art de se détruire à son apogée. In nomine Patris, Al Hamdoulilah, Chema Israël ! Paroles d'empoisonneur de termitière : bon débarras !
Je ne sais pourquoi, je me suis mis à penser aux moines trappistes et autres moniales blottis au fond des prieurés. Ces bienheureux cisterciens de la Stricte Observance avaient dû s'ébaubir en voyant fondre sur leurs poivrons, tomates et courgettes, ces gigantesques boules de flammes torréfiantes. Je supposais la stupeur éclabousser leurs rétines dubitatives : sont-ce dragons de la géhenne, fournaise du désir de l'ardente vérité ? J'entrevoyais un grêle "Dieu Tout-Puissant" coincé au fond de leur gosier. Et puis ce flash fulgurant pendant que les laudes se dissolvaient en gaz de ratatouille. Rosaire, psautier, scapulaire, tout cela avait été rendu au néant en un éclair. Tel un abracadabrantesque viol d'éternité. Drôle de récompense pour ces ascètes qui vénéraient les inertes voluptés faites de silence, de patenôtres et de scaroles frisées.
Sérieux ?
Était-ce là le signe parlant du Dieu saint et sacré qui avait voulu dispenser sa gratitude à leurs hommages assidus ? J’en doutais forcément. L’ère n’étant plus aux béatitudes, les prêches sur Tik Tok n’attendrissant plus personne, que serait venu foutre un Être suprême dans ce pandémonium béotien, à part brader son auréole sur E.bay ?
Quant à la masse ! Devais-je m’épancher sur son innocuité artificielle ? Me fallait-il plaindre ces wagons de niais pétris de bons sentiments, de flasques idéaux, de valeurs éparpillées à fleur de rêve, qui passaient à travers la Vie comme des fantômes égarés ? Quelle excuse pouvais-je trouver à ces pékins magnétisés sans cesse par les frelons asiatiques ? Comment pardonner l’innocence astucieuse de tels hypocrites quand, dans chaque pays, tous autant qu’ils étaient, ils ne pouvaient s'empêcher de désigner les pires arrivistes, les pires teigneux, les pires mabouls, pour administrer leurs angoisses existentielles.
Au juste, comment s’y prenaient ces maîtres dingos pour faire autant d’adeptes ? Abracadabra ! En ne faisant rien d’extravagant en fait. Il leur suffisait de mettre le doigt sur le tout petit salaud qui se terrait au fond d'eux. Avec des images faciles et parlantes, usant d’un lexique mesquin qui touche à l’instinct de préservation, ils saupoudraient du sel sur les plaies des plus démunis, émulsionnaient le coeur des indignés, des loosers, des dépressifs, jusqu’à ce que ce coeur trouve enfin un ennemi responsable de son mal-être. Dès lors, commençait à tinter dans leur ciboulot ce mantra entêtant : après moi les mouches ! Zappons cette vie de zombie, se disaient-ils, et voyons voir si morte la mort, plus rien ne meurt, comme vaticinait ce bon Shakespeare.
Piane-piane, chacun avait donc nourri l'âcre ventre de l’ogive puis l’avait propulsé dans le lointain pour ruiner son nuisible. Rapport de stage de ce suicide planétaire : non seulement ils s’étaient tous ébouillantés la gueule, mais ils avaient laissé sur l’astre sublime qui les avait vu naître les traces indélébiles de leur déchéance.
Bien sûr, l’aliénation mortifère des Zhoms de carton-pâte ne datait pas d’hier. Quand, à l’aube de l’histoire, l'Australopithecus se jeta sur le singe, l’estomac plein, une massue à la main et le meurtre dans les veines, le singe sut que l’homme était sinoque et qu'il le resterait très longtemps.
Quitter le règne paisible des primates avait sans doute été la première bévue transcendante de l'Australopithecus. Lui cherchant une excuse, d'utopistes anthropologues avaient eu la crânerie d'appeler son mutationnisme : théorie syntétique de l’évolution. Tu parles, Smith ! Évoluer vers quoi ? La vacuité ? Les geysers de l'ego ? La mélasse neurologique ? Restons seyant. Un yéti s'en serait taper le cul sur un cactus pour qu'en sorte un pet festif.
Souvent, je m'étais posé cette question : quel avait bien pu être ce premier narcisse qui s'était distingué de son frère singe en faisant le clown ? Mon hypothèse en valant d'autres, j'imaginais ce corniaud se prélassant sur la branche d’un baobab, à se demander comment il allait pouvoir impressionner la macaque qui lui refusait son derrière. Je le voyais se redresser d’un coup en se grattant les roupettes, faire quelques pas de kizomba et lui gesticuler : eh regarde un peu, on a pas besoin des bras pour marcher sur les jambes. La bipédie avait dû naître ainsi, puis le harpon, puis le feu, puis la roue, la fainéantise, l'envie, la loi du plus gros braquemard, et avec eux les premières emmerdes de l'Humanité.
En restant bonobo, tranquillement à quatre pattes, jamais nous n'aurions eu l'idée de larguer des bombes sur nos têtes et la déesse-Terre. En restant bonobo, jamais nous ne serions devenus pédantesques, m’as-tu-vu, pontifiants, au point de nous voir comme l’entité centrale la plus significative de l’Univers, au point de nous targuer d’être supérieurs à toutes autres espèces, excluant même les animaux de toute considération morale. En restant bonobo, notre Dieu s'appelerait toujours : Fornication ! Queutards intelligents, saute-au-paf pacifistes, nous stabiliserions toujours l'osmose en privilégiant l’amour à la guerre, le Kama Sutra au coup de sang. Qu’une tension surgisse entre nous, nous irions toujours au yaourt tous azimuts, amènerions fissa le petit au cirque, pour radoucir les énervés, désamorcer le moindre conflit. Si nous étions restés ces grands libertins de la jungle, nous aurions pu envelopper d'Amour la Terre entière, garder l’Amour qui enivre, garder l'espoir qui fait vivre, faire de l'espoir une lumière et de l'Amour une liqueur.
Trois jours avant le "Doomsday", les dernières gouttes de liqueur avaient malheureusement été lampées par la fatalité.
Rien de vraiment nouveau sous le soleil ! Face à l'imminence du péril, les comportements des Zhoms prirent des tournures aussi débiles qu'attendues. Évidemment, bille en tête, pris d'une panique effrénée, les pillards enclenchèrent les razzias. Armés jusqu'aux dents, des miliciens improvisés leur dire : non, vous ne volerez pas cette pyramide de PQ, ni ces cartes Pokemon, ni ce lot de bonbons moelleux à la coque croustillante, pas plus que ce chiotte japonais qui parfume la rondelle au jasmin ! Très vite, des mares de sang inondèrent les parvis des supermarchés. Évidemment, dans la foulée les gauchos s'offusquèrent sur X : qui vole est un voleur, sauf quand il a faim ! Ce à quoi les miliciens leur rétorquèrent : qui tue est un assassin, sauf quand il sauve le bien d'autrui, qui plus est un chiotte japonais qui parfume la rondelle au jasmin !
Plus tranquilles, les simples d’esprit, flegmatiques et autres moucherons anesthésiés continuèrent de vaquer à leurs mornes occupations attendant l'heureux pare-brise qui allait les percuter de plein fouet.
Enfin, les ombrageux, péteux et autres snobs qui aimaient encore un peu la vie commencèrent à couvrir d'implorations les marches d'or des séraphins. Regard rivé au ciel, tout ce vulgum pecus s'engoua soudain pour la prière angélique. Dans les dunes, les rizières, les taudis, les palaces, chacun appela son Dieu perso, ses saints, les cousins de ses saints, les dobermans des cousins de ses saints, la fée Clochette, à la rescousse. Sous toutes les latitudes, le temps se suspendit atrocement. Vissés au minaret, les muezzins s'égosillèrent, chantant leur triste complainte séculaire sans boire un filet d'eau, sans porter une cuillère dans la semoule. Des monceaux de cierges pascal se hissèrent en dominos sur les places les plus touristiques, les cloches des cathédrales tintinabulèrent à tue-tête, les bols tibétains Full Moon, riches en étain, fabriqués uniquement les nuits de pleine lune, résonnèrent de notes graves et aiguës, cependant que les génuflexions pullulaient autour du moindre calvaire paumé en rase campagne. Pour fuir les larves de l'angoisse, nombre d'athées se mirent même à psalmodier des suppliques pour écarter du globe terrestre les puissances malfaisantes.
Deux jours avant le "Doomsday", le miracle sembla jaillir. D'un coup, chacun se souvint qu'on était tous des enfants perdus en mal d'innocence. Dare-dare, les quatre coins de la terre s'animèrent d'une généreuse concorde, liquéfiant toutes les complications, faisant fondre, comme il arrive dans les songes de la nuit, la gêne et l'affectation. Presto, cette goutte fraternelle se transforma en une pluie diluvienne. De Lima à Bamako, de Shenzhen au pôle Sud, des millions de mains s'agrippèrent pour former de vibrantes chaînes humaines aux sons des cornemuses, des djembés et des luths. Et l'on se sourit avec de la buée plein les yeux, et l'on se bécota la peau, le sang, le coeur, et l'on dansa jusqu'à l'ivresse, bras en croix, tels des derviches qui activent le mécanisme parasympathique de leur système nerveux.
Émus aux larmes, les médias nous empiffrèrent alors de flashes saisissants, poético-loufoques. Ainsi, défilèrent en boucle ces quinze traders New-Yorkais lesquels, à genoux dans Financial District, déchiraient sauvagement des billets de 100 dollars. On nous montra ces rabbins hassidiques qui désertaient en courant les yeshivas de Méa Shéarim et venaient devant les caméras promettre aux non-juifs une initiation express de la Kabale. Dans l'Empire du Milieu, on nous montra ces centaines de mères pékinoises qui poussaient leurs chérubins devant les ambassades, les obligeant à répandre leurs larmes sur les pompes diplomatiques. À Kaboul encore, on exhiba ces afghanes qui arrachaient leur burka et venaient embrasser la bouche de talibans ébahis.
C'était beau à voir cet élan de bonne intelligence universelle. Vraiment beau à voir. Ma glotte en avait trémulé.
C'était beau à voir, mais c'était trop tard. Tout cela n'avait servi à rien.
Visiblement, Arès, le dieu de la guerre, n’avait pas entendu les « Peace and Love » scandés par ces choeurs pacifistes venus défiler en short, bermuda, mini-jupe et débardeur, à cause de la poisseuse canicule qui sévissait dans les deux hémisphères. Resté sourd aux chants de paix et d’harmonie entre les peuples, Arès avait statué : « Game over, bande de nazes ! Que cette Troisième Guerre mondiale soit la Der des Ders ! Et basta ! ». Oui, Arès avait dû dire quelque chose d’assez approchant. Du moins, mon instinct héllénique le subodorait.
Toujours est-il que presque aussitôt le degré Celsius de la canicule avait été multiplié par six mille sur de nombreuses capitales, centres économiques et autres complexes militaro-industriels, jusqu'à vaporiser la moindre bague de mariée.
Chance pour les secouristes, les brancardiers, les ambulanciers, le feu d’artifice n'avait pas duré très longtemps.
Chance pour les fossoyeurs, il y avait déjà pas mal de monde incinéré.
On ne manifesterait plus avant un bail sur les plus belles avenues du monde.
Sinon en panoplie de spectre.
Il manque un S à chaussettes ;-)...
Bon, je meuble encore pour que mon commentaire fasse les minimum cent cinquante caractères requis :-)...
Je ne vais pas te mentir puisque c'est déjà la fin du monde. Tu vois ces particules de plastique et de radon qui s'immiscent dans nos poumons et les encrassent de miévreries abêtissantes. Ah Ah Ah ! Ce récit est carrément déprimant. L'ambiance est délétère et très présente. Cela nous happe de désespoir. Ce vieux schnock est vraiment rasoir et à la fois, je sourie de son comportement de vieil ermite désabusé. Il manquerait un peu d'humour. A ce que comprends, ce récit n'a pas vraiment et est juste un constat. Voilà, voilà. J'ai fini ma diatribe un peu soulante.
A la revoyure.
Je ne sais si je dois aimer ou détester ton personnage. Peut-être les deux à la fois tant il fait preuve d'une lucidité cynique, parfois touchante et assez juste. Les autres sont dans le déni, ce système de défense inconscient qui les protège de l'indicible et nourrit un espoir pour contrer le désespoir. Ton personnage n'est pas désespérer, je le ressens comme un homme en colère. Un homme qui a vu arriver la catastrophe et qui, tel un spectateur a simplement regardé, puis constaté la pertinence de ses observations. Cette analyse le place de fait au centre de l'histoire mais n'en fait pas pour autant un héro. Car en réalité, il est bien à l'image de ce monde qui s'effondre : individualiste, consommateur et asocial. Il est en conscient, tout son attitude le démontre, ce qui rend le trait encore plus noir.
C'est excellent !
Juste une remarque :
- En son midi le plus clair : juste une virgule après.
A très bientôt
Je ne sais plus si je t'avais déjà demandé la possibilité de t'appeler ? Afin de te poser quelques questions. Je t'embrasse. Bien à toi !