Sharon et Cassie quittèrent la base après avoir marché pendant longtemps dans des tunnels. Puis elles arrivèrent enfin à l’extérieur par une barrière qui donnait dans le jardin d’une grande maison.
— On est plus en sécurité chez les riches parce que Gérald n’a pas le droit d’entrer dans une belle propriété sans autorisation, ça lui vaudrait de gros ennuis. Par contre, chez les pauvres, il ne prend pas de gants.
— Et les gens qui vivent là, ils s’en fichent ? demanda Cassidie à voix basse.
— C’est une maison secondaire, ils n’y sont jamais. Ne t’inquiète pas pour ça.
Quand elles marchaient comme ça, toutes les deux, main dans la main et la tête haute, elles avaient presque l’air d’une mère et de sa fille adoptive tant Sharon faisait adulte et sophistiquée et Cassie était timide et effacée.
Elles prirent un bus en direction de chez Cassie, mais parfois, Sharon s’arrêtait et attendait avant d’avancer.
— Il ne faut jamais se retrouver seules, expliqua-t-elle. Jamais. Si tu veux sortir et être en sécurité, va toujours dans les endroits où il y a beaucoup de monde. Pas d’arrière court, pas de couloir vide, pas de rue déserte, jamais. S’il n’y a personne, tu recules et tu te mets là où il y a de l’agitation.
— Pourquoi ?
— Parce que Gérald n’est pas au-dessus des lois, il faut croire. Il n’attaque jamais devant témoins, il attend toujours un moment où il peut rester discret, comme un fantôme.
Elles arrivèrent en vue de taudis. Beaucoup de gens allaient et venaient, mais personne ne faisait attention à elles, à part des hommes qui parfois sifflaient Sharon. Elles se faufilèrent dans un espace presque trop étroit pour Sharon et entrèrent dans un bâtiment miteux en bois. Dès lors, Sharon prit Cassidie dans ses bras et avança en lévitant au-dessus du sol. Elles s’assurèrent de ne pas faire le moindre bruit. Pourtant quand elles arrivèrent sous la cage d’escalier qui servait d’abri à Cassie, elles découvrirent Gérald, assis sur les marches, qui se redressait en les voyant approcher. Cassie n’eut pas le temps de crier. Sharon la serra contre elle et sauta de toutes ses forces. Son corps délicat passa à travers le plafond dans un fracas douloureux de planches pourries et de tuiles. Elles s’élevaient désormais dans le ciel, enlacées l’une à l’autre. Sharon saignait, son beau visage profondément griffé.
— On va lui échapper, affirma-t-elle. Fais-moi confiance.
Cassie choisit de ne rien dire, tétanisée. Puis elle vit la corde que Gérald faisait tournoyer.
— Là ! cria-t-elle.
Sharon chuta juste à temps pour esquiver le nœud du lasso qui la visait. Gérald avançait de toit en toit et les suivait avec ténacité. Sharon sortit son téléphone.
— Tristan, on est mal, dit-elle simplement, comme si elle avait déjà lancé l’appel.
— OK. Tenez bon.
Elle raccrocha et tâcha de se faire pousser par un courant dans une direction ou une autre, mais elle était plutôt lente dans les airs et Gérald revenait à l’assaut. Il lança une seconde fois et la corde agrippa la cheville de Sharon. Cette dernière lâcha Cassie et se laissa tomber de tout son poids dans la direction d’attraction. Gérald se prit la jeune fille de plein fouet dans un râle de douleur. Elle tenta de se propulser vers le ciel à nouveau, mais il la retint par les cheveux. Au moment où il allait l’attacher, des sirènes de police se mirent à résonner de toute part. Il hésita, regarda la petite qui dérivait vers les nuages et Sharon en profita pour lui assener un coup de poing dans le nez et s’envoler rejoindre Cassie. Cette dernière sanglotait en essayant de nager pour attraper quelque chose, n’importe quoi, mais c’est à peine si elle bougeait.
— Souffle ! cria Sharon.
Elles se serrèrent l’une contre l’autre et ensemble soufflèrent dans la même direction jusqu’à ce que Sharon soit poussée par un courant et n’entraine Cassie avec elle. Alors elles retombèrent tranquillement à l’écart, là où Sirius et Nathan les attendaient.
— J’ai les deux jambes en miettes, avoua Sharon sans oser toucher le sol. Je ne peux pas rentrer debout.
— Viens, lui dit simplement Nathan en lui ouvrant les bras. Et inutile de me ménager, je peux te porter.
— Ne dis pas n’importe quoi, gronda-t-elle en se laissant tomber dans ses bras.
Sirius prit Cassie par la main et ils se mirent à courir. Il leur fallut un peu de temps pour quitter la zone, mais ils réussirent à retrouver la grande maison et son passage secret et s’y glisser. Mia arrivait à leur rencontre.
— Ça va ? demanda-t-elle.
— Sharon est blessée, répondit Nathan, mais sinon, oui. C’était tendu.
— Tristan a fait le coup de la descente de poulets chez des dealers, expliqua-t-elle. Ça a marché ?
— Oui, approuva Sharon. Gérald n’est toujours pas devenu ami avec la police.
— Et toi, Cassie, est-ce que ça roule ? Pas trop choquée ?
Cassie secoua la tête. C’était bizarre que cette petite fille la traite comme une fille encore plus petite alors qu’elle avait presque sûrement deux fois son âge. Peut-être qu’elle se conduisait vraiment comme un bébé pour qu’on la couve de cette manière.
Sixtine était toujours dans la base, elle examina Sharon dans le canapé et posa ses mains sur ses jambes abimées. Alors qu’elle la soignait, Cassidie s’approcha de Sharon.
— Je suis désolée, j’aurais dû vous écouter, c’était trop dangereux d’aller là-bas, par ma faute, tu as été blessée.
— Ce que nous t’avons dit, c’est un conseil, répondit Sharon. Ce que tu en fais, c’est à toi de voir, d’accord ? Si je n’avais pas voulu t’aider, je ne l’aurais pas fait. Je comprends tout à fait que tu aies espéré récupérer ce qui t’appartient, ça contenait peut-être même des souvenirs du passé qui t’étaient chers. Je suis désolée que ça se soit déroulé comme ça.
— Non, c’est rien, ce n’est pas grave.
L’incident était clos, du moins le croyaient-ils. Il se passa moins d’une demi-heure après leur retour pour que le salon se colore de rouge et que toutes les alarmes se mettent à hurler et à tourbillonner. Tous les écrans de toutes les pièces s’allumèrent et tous virent Gérald qui avançait de son pas tranquille dans le grand tunnel de la base.
— Défenses et pare-feu activés ! On a peu de temps devant nous ! cria Mia. Tous à l’embarquement.
Sharon et Cassie échangèrent un regard.
— Il y a un moyen de partir d’ici, mais tu devras y aller seule et te débrouiller ensuite. Sinon, tu peux venir avec nous. Choisie, Cassie, dit-elle pressante.
Cassidie tourna son attention vers les écrans où l’on voyait Gérald, qui s’arrêtait devant des portes closes et sortait les petites fioles de sa ceinture. Il en déboucha deux et les versa conjointement sur ce qui ressemblait à une serrure qui céda avec une épaisse fumée grise.
— Je viens, décida-t-elle.
— Alors vite.
Tous dégringolèrent les marches jusqu’au Bifröst. Mia doubla tout le monde en dévalant toute la pente sur la rambarde en hurlant de joie et d’effroi mêlés. Ensemble, ils se précipitèrent dans la fusée tandis que Nathan verrouillait systématiquement toutes les portes de sécurité grâce à une console dans le mur du hangar.
— C’est parti ! cria-t-il.
Cassie hésita une dernière fois. Elle observa la grande cave qui abritait le train, elle ferma les yeux et respira profondément. Dehors il y avait Gérald. Dedans, il y avait Nathan, Sharon, Tristan, Mia, Sirius et Sixtine qui avaient tous pris soin d’elle avec bienveillance et qui avaient besoin d’elle. Elle n’hésita pas plus longtemps et entra. Elle remarqua tout de suite le siège en plus, elle avait été installée entre Sixtine et Mia et Sharon avait été déplacée pour être plus près des commandes et de Nathan. Les portes de la fusée se refermèrent hermétiquement.
— Et de l’air, on va en avoir là-haut ? demanda-t-elle timidement.
— Merde ! J’ai oublié de mettre de l’air dans mes calculs ! s’écria Mia. Mais non, petite conne, évidemment que j’ai pas oublié ! C’est un génie qui a construit cette fusée.
Le train avançait désormais sur des rails, mais sans bruit comme s’il volait au-dessus et c’était sûrement le cas.
— C’est bon ? demanda Nathan à Sharon.
— C’est parfait, admit-elle. Tu avais raison, je suis bien devant.
Il lui sourit, content.
— Tristan, les jauges sont pleines, tu peux relâcher la pression un instant ?
— OK, répondit Tristan qui avait l’air heureux lui aussi.
Le train prenait de la vitesse. Bientôt, il quitta la nuit pour sortir au grand jour et s’inclina pour se lancer vers le ciel. Cassidie retint son souffle. Elle s’attendait à un choc, mais rien ne se passait, c’était juste le vertige qui la faisait s’agripper et trembler. Sixtine posa sa main sur la sienne.
— Détends-toi, lui chuchota-t-elle. Tout va bien.
Elle se rendit compte qu’ils n’avaient cessé de lui répéter ces mots, mais une fois de plus, elle peina à les croire.
Le Bifröst ne s’envolait pas à la manière d’une fusée, loin de là. Il s’élevait plutôt comme un avion. Il dépassa calmement les nuages dans un silence irréel.
— Tu peux aller plus vite, je pense, annonça Mia.
— OK, fit Nathan en touchant un levier.
Mais à nouveau, ça ne se fit pas dans un choc, mais tranquillement, comme s’ils étaient doucement portés par un vent paisible, et c’était très impressionnant.
— Tristan, un peu plus d’énergie, demanda Nathan. On ne va plus tarder à quitter l’atmosphère.
— Oh tu sais, je me contiens, pour l’instant.
— Oui, je n’en doute pas, sourit Nathan. Et toi Sharon ?
— Toujours aucun problème, répondit-elle le sourire aux lèvres. Je ne me suis même jamais sentie aussi légère. J’ai l’impression…
Elle laissa sa phrase en suspend de longues secondes.
— J’ai l’impression que je fais quelque chose que je suis réellement censé faire. Quelque chose de beau et de grand.
Mia ne résista pas à l’envie de péter le plus fort possible pour briser l’instant trop solennel.
— Ah merde, j’ai oublié l’aération dans la fusée, ricana-t-elle.
Elle avait vraiment l’air ravie de toutes les protestations.
— Mesdames et messieurs, intervint Tristan. Je vous l’annonce officiellement. Ici, plus personne ne pourra nous faire du mal. Par contre vous êtes tous coincés au même endroit que Mia, désolés.
— Hip hip hip hourra ! cria Sirius.
Et tout le monde le reprit en cœur y compris Cassie qui commençait à se détendre et à se sentir plus en sécurité.
S’il y eut des moments plus difficiles où la fusée fut secouée et mise à l’épreuve, ceux-là ne durèrent pas longtemps et très vite, ils se retrouvèrent à avancer dans l’espace. Dehors, il ne restait déjà plus que de la nuit quand Nathan annonça des nouvelles étonnantes.
— Je peux rentrer en contact avec l’ISS. On tente ?
— Vas-y, approuva Tristan.
— Propose-leur qu’on se fasse un petit apéro entre voisins.
— OK.
Il pianota un moment sur une console, puis parla dans une langue que Cassie ne connaissait pas. Elle écouta des réponses qui semblaient intriguées, excitées, et inquiètes.
— Je leur ai expliqué qu’on était un groupe de gamins avec des dons qui quittaient la Terre pour ne plus être traqués. Et eux, ils nous menacent. Si on ne leur dit pas la vérité, nous risquons des ennuis. Le protocole d’arrimage est complexe et pourrait prendre plusieurs semaines le temps d’avoir les autorisations.
— Oublie, soupira Tristan. Je sais que tu as toujours rêvé d’avoir l’autographe de ton idole, mais j’ai trop peur de retrouver Gérald dans l’ISS d’ici qu’on puisse y entrer.
— Marrant, je pensais la même chose. Partons. Je mets le cap sur Mars. Mesdames et messieurs, votre commandant vous annonce que l’inertie se charge du reste du voyage, vous pouvez vous détacher et profiter de votre nouveau chez vous pour les semaines à venir.
Il était difficile de dire s’ils avançaient ou non et Cassie aurait juré que ce n’était pas le cas, mais de toute évidence, elle avait tort. Elle se faufila au milieu du groupe qui jubilait en apprenant que Sixtine avait fait les frais chez un grand traiteur avant de venir et avait eu la présence d’esprit d’embarquer avec les victuailles. Elle se glissa jusqu’à la serre, et avec une joie tout enfantine, elle prépara ses cultures. Peut-être qu’elle aurait dû étudier la biologie comme Sixtine avait travaillé la médecine, mais c’était trop tard pour regretter. Ça irait, des fruits et des légumes, elle en connaissait des tas et l’idée que le reste de l’équipe compte sur elle pour avoir de bonnes choses à manger lui plaisait.
— Est-ce que je fais pousser du blé ? demanda-t-elle tout de même à Sirius qui furetait derrière elle pour voir ce qu’elle faisait. On saurait quoi en faire ?
— Je créerai un petit moulin, approuva-t-il. Tu pourrais nous faire des brocolis, j’adore les brocolis.
— Si tu veux, répondit-elle avec son premier vrai sourire.
Les jours passants, il devint si manifeste que c’était chez elle que Sirius et Mia lui installèrent sa couchette entre les bacs de terre.
La vie était belle à bord du Bifröst. De temps en temps, Sharon organisait des séances de sport pour tout le monde afin de garder le groupe en forme. Sixtine s’arrogea le droit de faire fonctionner les méninges de toute l’équipe avec des heures d’études et d’énigmes mathématiques. Parfois, Sirius décrétait que c’était une heure idéale pour l’art et ils s’essayaient tous au dessin. C’était amusant, c’était comme s’ils passaient leur temps à jouer tous ensemble et que personne ne leur disait plus jamais qu’ils étaient obligés de faire quelque chose. Ça ressemblait beaucoup au paradis.
Un jour, Nathan utilisa les haut-parleurs du Bifröst. Tous devaient rejoindre le wagon de tête et boucler leurs ceintures.
— Nous allons atteindre Mars, annonça-t-il. Tout le monde à son poste. Tristan, j’espère que tu es en forme.
— À fond, assura-t-il.
La manœuvre dura des heures, le ralentissement prenant beaucoup de temps. Puis tout doucement, ils se posèrent sur mars.
— Pour l’instant, nous allons rester crécher dans le Bifrost, expliqua Mia. Avec Sirius on va créer un sas, puis des habitations potables qui seront reliées au Bifrost, et je pense que nous allons conserver l’intégrité structurelle du vaisseau même si nous allons nous en servir comme base. Petit à petit j’espère bien qu’on aura un terrain de jeu safe beaucoup plus grand que celui-là. Et en attendant que Cassie ait planté une forêt, c’est Sirius qui nous fait respirer.
— Un air de top qualité, affirma-t-il.
Regarder Sirius et Mia travailler était envoutant. Construire une extension de la base leur prit très peu de temps et après seulement quelques heures, ils avaient le droit de sortir sous un dôme de verre composé de roches martiennes.
— Quand je vois ça, je me dis que c’est fou, on est si peu et rien ne semble pouvoir nous arrêter, c’est fabuleux, murmura Tristan en tournoyant sur lui-même pour savourer son environnement.
Sharon effectua un salto paresseux en apesanteur.
— Étrange pour moi de gérer ces nouvelles lois, mais je vais m’y faire. C’est chez nous.
Cassidie s’installa au centre du dôme et fit pousser un magnifique pommier en quelques minutes.
— Voilà, dit-elle. D’autres suivront, mais c’est le premier d’une longue série de notre petit monde.
— Il ne reste plus qu’à le peupler, ce petit monde, susurra Nathan en faisant les yeux doux à Sharon.
— Pour notre bien-être à tous, il vaut mieux que tu ne te reproduises jamais.
— Vilaine.
Décidément, tu nous embarques vers l'inconnu et l'infini avec cette joyeuse bande, et je comprends mieux le titre de ton histoire. C'est dingue comme en cinq chapitres à peine, on est passés d'un enlèvement terrifiant qui présageait d'une histoire sordide à un récit qui respire la joie de vivre, la liberté et l'aventure. Une seule petite déception pour ma part lors du décollage : j'aurais aimé que tu nous décrives un peu plus la Terre qui s'éloigne et l'univers qui s'ouvre devant eux, à travers le regard émerveillé de Cassie par exemple (une fois qu'elle a vaincu sa peur, bien sûr).
En tout cas, c'est une bien belle histoire et je vais de ce pas lire le dernier chapitre.
Au plaisir,
Ori'
Ah tient, c’est une bonne idée. Je vais essayer !
Bonne continuation
Sharon et Nathan ?????? haha
Il ne me reste qu'un chapitre, je suis entre l'envie de le lire ou m'arrêter ici et attendre que tu poste la suite. Parce que je sent bien que ça va finir en queue de boudin et que je vais être frustrée ! Alors que ce chapitre, malgré les circonstances me laisse sur une note joyeuse et rêveuse ^^
Je suis contente que tu embarques si bien dans cette histoire. XD