Ils parvinrent à retrouver la trace d’Arma et de la bête qui la suivait. Partout autour des empreintes que laissait la créature, l’air vicié subsista. Ils continuaient d’observer des champignons étranges. Au fur et à mesure qu’ils avançaient sur des marques plus récentes, l’atmosphère semblait contaminée. Elles avaient eu moins de temps pour se charger de toute cette malfaisance.
— Isil, comment le sens-tu ? demanda Cattleya.
L’elfe était tout aussi circonspecte que les autres. Elle se dit que l’être qu’ils allaient approcher était bien grand et bien difficile à affronter. Elle songea qu’elle allait y passer encore une fois. Elle jeta un œil à Ymir comme pour s’assurer que cette dernière serait toujours présente près d’elle.
En remontant cette piste, ils percevaient à travers quelques buissons qui barraient la route, une créature. Peut-être la créature. Ils ne pouvaient déterminer ce que c’était de là où ils se trouvaient, mais ils savaient qu’ils étaient à quelques dizaines de mètres. Ils pouvaient seulement la discerner depuis un fourré qui cachait la vue. Ils pouvaient déceler sa position, mais pas sa forme. Isil chercha à comprendre ses mouvements. Elle avait un mauvais pressentiment. Cattleya commençait à penser que la créature était peut-être en train de manger quelque chose. Elaron semblait inquiet à son tour, même écœuré. Isil remarqua que la bête était dos à eux, penchée sur autre chose. Elle l’indiqua discrètement au groupe et Ymir était presque sûre que cela n’augurait rien de bon. Ymir tendit l’oreille pour discerner les bruits de l’animal. Elle entendit des morceaux de chairs arrachées de temps en temps.
— Je pense qu’elle se fait dévorer, précisa Ymir.
Après les mots de la tieffeline, Isil se lança à travers les fourrés tandis que Cattleya voulut la rattraper, mais n’y arriva pas. Ymir s’interpella en se disant que son amie était bien trop folle et faible pour résister à un affrontement contrairement à elle. Elaron songea qu’ils auraient pu établir un plan avant d’attaquer, mais il était déjà bien trop tard. Il en venait à la réflexion qu’il devait l’arrêter envers et contre tout, même au risque de lui asséner un de ses dons magiques risquant de la blesser, mais il se ravisa au dernier moment. Isil pensa que s’ils avaient une chance de la sauver, c’était maintenant ou jamais. Elle passa de l’autre côté du fourré et s’élança dans la direction de la créature.
— Reviens ! rugit Cattleya en lui courant après.
Isil perça à travers les buissons et Cattleya était sur ses talons. La bête se retourna vers elles avec une tête monstrueuse, des yeux déformés, une grande bouche béante et un visage presque défiguré. En surgissant des bosquets et en apercevant cette créature abominable, Cattleya prit peur et s’arrêta l’espace de quelques instants. Ils découvrirent sa face décharnée. Des morceaux de lèvres manquaient. Ils observèrent ces yeux injectés de sang et renfoncés comme ceux d’un très vieil éléphant. Ils pouvaient voir très clairement la forme de son crâne à peine dépassée de sa peau.
Elaron avança de quelques pas pour se retrouver à côté de Cattleya et envoya un rayon de givre sur la grosse bête. Isil et Cattleya sentirent le trait de glace d’Elaron passer très près de leurs visages. L’attaque vint s’écraser sur la créature qui lâcha un cri terrifiant, résonnant parmi les arbres. Le froid commença à se répandre dans ses veines, pleines de sève étrange. Elaron vit le liquide s’écouler lentement de l’animal et se dit que c’était peut-être inflammable. Il se rappela qu’Arma était sûrement encore à côté et il devait éviter une seconde offensive périlleuse. Ymir se concentra derrière les fourrés et prit une grande respiration. Elle se rapprocha de la créature en attrapant une javeline dans son dos et la lançant vers la bête. L’arme se planta dans sa chair et le monstre se secoua de douleur pour faire tomber la pointe de son corps. Sa plaie se mit à suinter la même sève et une odeur s’en dégagea. Ymir comprit alors qu’ils ne devaient pas trop s’en approcher pour éviter d’être contaminés. Elaron songea définitivement à bruler cette créature, mais avant, ils devaient savoir si Arma était toujours vivante.
Isil s’était précipitée et tenait son arc en main tout en courant. Elle s’approchait dangereusement de l’animal. Elaron se dit qu’en définitive il aurait dû l’arrêter. L’elfe vit clairement un peu plus loin dans un buisson, un morceau de bras décharné gisant sur le sol en dessous du monstre. Ses dents de devant, sans lèvres pour les cacher, étaient tachées du même sang qui recouvrait le bas d’un arbre. C’était bien Arma, incomplète. En apercevant ce corps, Isil décocha sa flèche presque la larme à l’œil. La pointe alla se planter dans une tranche du flanc de la créature après avoir déchiré un peu de chair qui commençait à pendouiller. À l’intérieur, ils purent remarquer des os brunis, noircis de la même couleur que les lianes. Puis l’instant d’après, l’elfe continua de courir pour se mettre à l’abri. Ymir se demanda ce qu’Isil avait bien pu voir pour opérer un tel mouvement. Isil avait besoin de temps pour digérer l’information qu’elle venait de recevoir et de la divulguer aux autres.
La bête allait, à la manière d’un élan, galoper avec de longues pattes fines pour porter un corps trop gros et étrange. La créature essaya de courir et peina à cause du givre. Elle se précipita pour arriver près d’Isil.
Cattleya s’avança au plus près de l’animal et disposa sa main devant elle. Des ombres ténébreuses en sortirent et frappèrent le monstre, mais pas autant qu’elle l’aurait voulu. La bête se dressa sur ses pattes arrière et se retrouvait beaucoup plus haute qu’aurait pu l’imaginer l’occultiste. En se tournant vers l’humaine, elle enfonça ses pattes avant dans la glaise. Elaron s’avança à son tour et pivota légèrement pour avoir l’élan dans sa direction. Tout le groupe se retrouva autour du monstre. Elaron envoya un trait de flamme qui s’abattit sur la bête au même instant où elle renfonçait ses sabots dans le sol. Sa chair commença à bruler. La sève se consumait lentement sur son corps. Puis, les derniers brins d’herbe qui étaient en train de pourrir, prirent feu un court instant et éclairèrent par-dessous la créature horrifique. Isil s’inquiéta pour la forêt en voyant toutes ces flammes. Ymir fonça au corps à corps et sortit son épée pour la frapper. L’animal semblait désormais terrorisé en regardant la tieffeline. En remarchant dans les traces fraiches et remplies de suc qui suintait des blessures de cette bête, la même puanteur que dans la clairière surgit. Ymir parvint à résister à la nausée. Elle réussit à taillader férocement le cou de la créature dont jaillit encore un flot de sève répugnant qui se répandit sur le sol. L’élan souffrait et avait peur. Ymir se sentit fière.
— Restez derrière moi ! lança-t-elle.
Isil fit un bond en arrière et tendit son arc en décochant sa flèche qui se planta violemment. L’elfe se cacha derrière des buissons pour ne pas être en vue.
L’élan étant complètement terrorisé par Ymir et elle essaya de se défendre. Elle alla pour donner un coup à Ymir, mais cette dernière esquiva facilement les cornes. Elle écrasa ensuite un sabot à côté d’elle qu’elle évita à nouveau. La créature resta pétrifiée de peur devant la tieffeline et fut prête à lutter face à n’importe qui.
Cattleya tenta de la toucher au même moment que l’animal se dressait sur ses pattes. Seulement, l’attaque passa au travers sans l’atteindre et alla s’abattre sur un arbre plus loin, faisant voler des branches en éclat. Après avoir raté son offensive, Cattleya se retourna vers le cadavre d’Arma étendu sur le sol et s’y précipita. En s’en approchant, elle put sentir une odeur putride et elle faillit rendre. Elaron engagea immédiatement un trait de feu vers l’élan. Il concentra mieux son énergie en forme de boule et la projeta sur cette créature qui commença à prendre feu et semblait mal en point. Elle hurla dans un râle pétrifiant, se répandant dans le bois. Ymir, voyant la faiblesse de l’animal, se décida de l’achever sans aucune hésitation. La bête avait l’air à bout de force alors qu’Ymir recommença à la taillader tandis qu’elle restait terrifiée, désorientée, à l’agonie et malade. À cet instant, Elaron semblait affecté par le sort du pauvre élan. Isil sortit de sa cachette et tira une flèche entre les deux yeux par l’arrière de son crâne. Elle traversa la tête et alla se planter dans un arbre. Lourdement face à Ymir, la créature s’effondra. Une fois morte étalée devant eux, l’animal pourrit à vue d’œil et laissa entrevoir sous sa peau ses tripes changer dans le même genre de liane qu’ils pouvaient observer autour d’eux. Puis, sa chair se dissolut entièrement. Ils aperçurent les lianes prendre racine dans les entrailles.
Ymir posa un genou à terre et commença à effectuer quelques investigations, mais elle ne parvint pas à trouver la cause de l’affliction de cette bête. Pourtant, il y avait bien de la peau, des poils et des os, mais tout avait été ravagé par quelque chose d’autre qui était en train de prendre le contrôle. Cela semblait surnaturel.
Cattleya fut la première à foncer vers la victime. Il manquait un bras à ce qui restait d’Arma. La bête avait commencé à arracher la chair de son cou et de son épaule pendant qu’ils étaient derrière le buisson. Son visage était livide, les cheveux tachés du sang qui avait coulé abondamment de sa gorge était encore tiède. Cattleya vit qu’aux endroits où l’animal avait mordu depuis peu, la chair se teintait de la même couleur que les plaies de Grivault, mais l’infection ne bougeait plus.
— Isil, appela-t-elle discrètement.
L’elfe répondit d’un petit bruit de bouche et s’approcha lentement du cadavre. Isil savait déjà qu’Arma était morte et elle savait qu’elle ne pourrait rien faire, ainsi qu’Elaron. Elle apposa sa main sur l’épaule de Cattleya à genou en train d’inspecter ses blessures et cette infection. L’elfe était aussi inquiète que l’humaine. Ymir entendit un murmure étrange autour d’eux et commença à scruter les contours de la clairière pour s’assurer que plus rien ne bougeait ou ne viendrait les prendre par surprise. Isil regarda également soucieuse. Elles reconnaissaient la forêt. Elles arrivaient à déterminer l’écorce des arbres près d’eux, mais ils étaient encore un peu plus étouffés par le type de liane qu’ils avaient vu.
Ymir se demandait s’il y avait une autre piste à cette menace mystérieuse et où pouvait se trouvait le repaire des druides ou bien de l’ennemi responsable de ce désastre. Cattleya savait que les druides vivaient encore plus loin dans la forêt, mais elle n’y était jamais allée. Elle savait que parfois, certains venaient parlementer avec les habitants de Gondalfen. Ils ne semblaient pas hostiles, mais ils avaient leur propre intérêt. Ils avaient de temps en temps quelques conflits avec certains chasseurs ou bucherons, mais ils venaient aussi apporter leur aide quand on le leur réclamait, en fournissant quelques remèdes.
— Nous devons la ramener, reprit Isil.
— Tu crois que l’on pourrait déplacer sa dépouille ? demanda Cattleya. Tu ne penses pas qu’elle est infectée et qu’elle pourrait nous contaminer ?
— Quoi qu’il arrive, nous sommes sûrement déjà affectés, répondit Isil d’un air abattu.
— Non, je ne pense pas. Nous n’avons pas été touchés par la sève ! affirma Cattleya.
— Dans mon paquetage, je dois avoir une couverture, reprit Isil. Nous pourrions l’envelopper dedans.
Ymir regarda dans leur direction et se dit que de réunir les morceaux éparpillés partout serait une tâche qui ne lui incombait pas.
— Je ne veux pas laisser son corps dans la forêt, énonça Isil soucieuse.
Cattleya pensa à récolter quelques échantillons de sève afin de les faire analyser par la prêtresse de Gondalfen. Elle récupéra quelques fioles vides et alla précieusement recueillir le liquide étrange. Puis, elle referma le flacon.
— Fais attention à bien la sceller ! répondit Isil. J’ai de la cire si besoin.
Cattleya se servit de la cire qu’elle fit fondre à l’aide d’Elaron et le bout de ses doigts, puis scella la fiole. Ils parvinrent à mettre ce qui restait d’Arma dans le sac de couchage. Isil se proposa de porter la naine tandis qu’Ymir semblait rebutée par ce corps meurtri et malade. Isil demanda un coup de main pour la porter, seulement, personne ne souhaita l’aider. Ymir pensait que ramener le cadavre devant sa petite fille serait traumatisant et Cattleya avait peur de rapporter la maladie au village. Mais Elaron et Isil songèrent qu’ils se devaient de le raccompagner près de sa famille pour qu’elle puisse faire son deuil. Elaron ne pouvait pas imaginer dire à Grivault et Gruma qu’ils avaient vu le corps et qu’ils l’avaient laissé dans le fond des bois.
— Nous n’abandonnons pas la dépouille d’Arma dans un environnement comme celui-là. Nous ne savons pas ce qui peut arriver, ajouta Isil. Non, nous devons la ramener ! Je la porterai seule s’il faut !
— Je peux t’aider, annonça Elaron.
Ils parvinrent à se partager le poids du sac. Ce n’était pas leur point fort, mais ils réussirent, malgré le terrain difficile, à soutenir la naine jusqu’à l’orée de la forêt en suivant leur propre trace.
Alors qu’ils atteignirent la clairière de bouton d’or et que l’après-midi commençait à décliner, ils aperçurent, sur le chemin dégagé devant eux, une troupe menée par Lucan. Ils avaient l’air de se précipiter sur leurs empreintes pour les retrouver, mais dès qu’il les découvrit sortir des arbres, Lucan comprit qu’il portait un corps. Il s’arrêta quelques secondes. Puis, il s’avança lentement vers le groupe en voyant qu’il n’y avait plus aucune raison de se hâter. Cattleya s’approcha de Lucan avec une mine attristée.
— Je suis vraiment désolée, on a fait ce qu’on a pu.
Il attrapa le bras de la jeune femme en regardant le sac et en émergeant d’une torpeur.
— Et vous ? Comment allez-vous ? demanda-t-il inquiet.
— Nous avons manqué à notre devoir, la mission est un échec, lança Ymir dépitée.
— Nous devons nous faire examiner, reprit Isil.
— Nous devrions surtout analyser la forêt dans son ensemble, réagit Ymir.
— Et surtout le village, engagea Elaron. Nous devons voir si cela ne va pas se propager. Il y a de la sève empoisonnée.
— Comment va Grivault ? demanda Isil.
— Il va mieux… enfin, je crois, répliqua Lucan. Les premiers soins ont servi. Je suis content que nous l’ayons retrouvé.
— A-t il toujours les… commença Isil.
— Traces ! continua Ymir.
— Sur son corps… ajouta Cattleya.
— Qui se brunissent, termina Elaron.
— Pas plus que lorsque nous ne l’avons retrouvé, hésita Lucan. Quand je l’ai laissé à l’église.
— Attends ! s’inquiéta soudainement Cattleya. Avec qui l’as-tu laissé ?
— Ithroëne et Gruma, répliqua-t-il sans indécision.
— Il n’y a personne, aucun garde là-bas qui pourrait, au cas ou, les défendre ? rétorqua Cattleya.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demanda Lucan qui ne comprenait pas.
— Oh non, s’affola Cattleya dont le sang ne fit qu’un tour. Arma avait l’air infecté et la créature que nous avons affrontée était contaminée par une sorte de maladie. Et cette même chose a peut-être souillé Grivault.
— Demi-tour les gars ! hurla Lucan. À l’église !
La troupe de soldats commença à courir vers le village aussi vite qu’ils étaient arrivés. Cattleya et Ymir se mirent à les suivre avec la même cadence. Quant à Isil et Elaron, ils rentrèrent avec difficulté en transportant le corps d’Arma. Elaron était dépité de voir des guerriers en meilleure condition physiques que lui, s’en aller sans leur donner un coup de main. Tout en courant, Lucan demanda des détails.
— Je pense qu’il y a un problème plutôt d’ordre druidique, répondit Ymir. Des champignons poussent de partout sans savoir pourquoi ni comment. Une infection se répand également avec des lianes étranges. Je pense qu’il doit s’agir d’une malédiction.
— Et Grivault dans tout ça ? redemanda-t-il.
— Il a été attaqué par la créature, répondit Cattleya. Peut-être a-t-il été contaminé par la même chose.
— Il ne manquait plus que ça, merde, protesta-t-il.
Lucan redoubla d’efforts pour retourner à l’église devant les grandes portes ouvertes. Mais soudain, Ymir se figea.
— Attends ! Toi, tu l’as touché, Lucan ! répliqua-t-elle inquiète. Nous devrions t’examiner également.
— Allons déjà voir Grivault, rétorqua Cattleya.
Lucan semblait désorienté et reprit sa marche à l’intérieur de l’église. Cattleya et Ymir restèrent sur leur garde. En arrivant à l’intérieur, ils aperçurent Ithroëne qui avait l’air épuisée d’avoir encore eu à utiliser ses pouvoirs magiques, alors qu’elle n’était pas très expérimentée avec tout ça.
— Où est Grivault ? déclara Cattleya avec énergie et inquiétude en se précipitant sur la prêtresse affaiblie.
Cette dernière, choquée et avec de profonds cernes, grommela avec incompréhension. Mais un petit peu plus loin dans une autre salle, Grivault était assis sur une chaise, la jambe surélevée en caressant les cheveux de sa fille endormie et il les remarqua. Sa jambe était bandée, mais ils pouvaient voir sur son épaule là où l’autre ecchymose était visible par-dessous ses vêtements déchirés que la corruption brune s’était estompée. Ymir était soulagée et Cattleya continua de s’interroger et scruta Ithroëne qui ne répondit rien. Grivault les regarda arriver sans trouver les mots, mais en les contemplant avec espoir.
Soudain, Cattleya et Ymir comprirent leur erreur de s’être précipité comme deux stupides inconscientes. Ymir voulait se rattraper et s’approcha lentement de lui en s’asseyant à ses côtés et lui prit sa main.
— Nous avons affronté une terrible bête. Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard.
Ymir vit que son autre grosse main caressa les cheveux de sa fille. Il le regarda dans les yeux et elle comprit que sous sa barbe, son visage était en train de trembler. Il enleva sa main pour la mettre devant sa bouche alors qu’il lâcha un cri silencieux et lui serra les doigts jusqu’à ne plus sentir le sang passer. Ymir semblait supporter la douleur, mais voulait tout de même retirer sa main.
— Prends le temps, mais dès que tu auras un instant, nous avons ramené son corps, annonça l’occultiste.
Il finit par lâcher Ymir et il regarda Cattleya avec une expression, non pas de gratitude, mais une forme de reconnaissance. Il fondit en sanglot silencieux pendant que sa fille remuait dans son sommeil. Ymir prit sur elle et puisa toute la force qu’elle pouvait avoir pour aller l’étreindre et caressa délicatement les cheveux de Gruma. Il lui fit doucement signe que cela suffisait. Cattleya se retourna pour aller voir Ithroëne.
— Qu’est-ce que tu as fait à son corps, sur lui, pour qu’il s’en sorte, pour ne pas être infecté ? As-tu observé cette infection ?
— Je suis partie du principe que c’était un poison, répondit-elle avec une étrange maladresse. Et d’après le livre de prières, je devais utiliser une incantation.
— Tu y es allé au hasard, coupa Cattleya en fronçant les sourcils.
— Non ! J’ai suivi le manuel, bégaya-t-elle désormais.
— Tu as lancé un sort comme ça, sans avoir un diagnostic sûr ? redemanda Cattleya avec insistance.
L’elfe continua de bégayer et de se sentir acculée.
— Mais… non… ?
— C’est extrêmement risqué ! s’interpella Cattleya qui n’écoutait pas l’elfe.
— Pourrais-je regarder ton manuel d’incantation ? demanda Ymir en se redressant et s’avançant avec une prestance déconcertante pour la jeune elfe.
Ymir sortit de l’alcôve où se trouvaient Grivault et sa fille. Puis, Lucan lui posa une main sur l’épaule et lui lança une attention compréhensive. Puis, il alla prendre sa place en s’asseyant auprès du nain. Ithroëne toisa Ymir droit dans les yeux.
— Oui bien… Excusez-moi, mais de quelle foi êtes-vous ? réclama la prêtresse avec soupçons.
Ymir sentait qu’elle l’avait peut-être percée à jour. Alors elle tenta d’y réchapper.
— Et bien de toutes les fois ! dit-elle avec un petit sourire gêné. J’ai… j’ai foi… que j’ai… je comprends les fois que toutes les religions sont importantes pour moi et que je suis assez neutre et je veux avoir un regard sur toute.
Ymir la scruta et cette dernière l’observa avec un air étrange.
— Non, non. Je ne peux pas. Il ne faut pas, répondit l’elfe apeurée.
— S’il te plait, Ithroëne, intervint Cattleya. Nous avons besoin de voir ton livre.
— Plus tard, jeune Cattleya. J’en ai grand besoin.
— Tu peux nous confirmer que Grivault est guéri ?
— Je… hésita-t-elle.
— Écoute ! avoua Cattleya. Nous avons vu une infection dans la forêt et c’est ça qui nous inquiète. Une créature a repris vie avec cette malédiction ou quelque chose. Nous avons récupéré de la sève qui contamine les bois. Nous pourrions regarder ça, mais avant nous devons absolument savoir si Grivault est hors de danger. Sinon, c’est une menace pour ton infirmerie !
— Et pour tout ton village ! accentua Ymir.
Elle les écoutait décrire la situation dans la forêt. Elle observa les fioles et ils l’entendirent susurrer une incantation en faisant quelques gestes. Pendant que ses yeux brillaient, ses cheveux se soulevaient et ils pouvaient voir qu’elle était en train d’examiner le flacon que Cattleya lui avait tendu.
— C’est effectivement maléfique, mais je ne dispose point des compétences pour en déterminer la nature.
— Qui ? demanda sans hésiter Cattleya.
— Il me semblait qu’un arcaniste avait récemment décidé de reprendre une ancienne boutique…
— Où ? coupa Cattleya.
— Je… je l’ignore.
Cattleya était surprise. L’elfe leur expliqua qu’elle passait ses journées à soigner les gens sans sortir de cette église.
— Comment s’appelle-t-il ? demanda Cattleya qui voulait ces informations.
— J’ignore son nom… il s’agit d’un tieffelin…
— Un tieffelin ? s’étonna Ymir.
— Il est arrivé il y a quelque temps…
— À Gondalfen ? demanda Cattleya.
— Oui, certes.
— Donc nous allons pouvoir le trouver facilement, répondit Cattleya.
— Oui, il est arrivé en même temps que les mercenaires repartis dernièrement avec Dola. Il y a une semaine ou deux.
Ymir se retourna vers Cattleya pour rester discrète.
— Entre un tieffelin et l’infection… Je me pose beaucoup de questions, chuchota-t-elle.
— J’ai confiance en Ithroëne, répliqua l’humaine.
Ithroëne demanda s’ils pouvaient revenir auprès d’elle lorsqu’ils auront plus d’information sur ces fioles et en attendant elle allait garder un œil régulièrement sur Grivault.
— Prends des gardes avec toi, confirma Cattleya.
Isil et Elaron arrivèrent devant l’église. Ils subirent, durant toute la traversée du village, des regards pesants encore plus prononcés qu’à l’aller. Certains paysans au bord des champs les observaient d’un air choqué. Des miliciens allèrent à leur rencontre. Ils n’osèrent entrer avec un cadavre. Elaron tenta de faire un signe à l’elfe pour savoir comment ils devaient procéder. Les miliciens profitèrent de cet instant pour aller chercher un brancard pour les soulager de ce poids.
— Ou devons-nous l’installer ? demanda Isil.
— Au cimetière ? demanda Elaron.
— Non, non. Pas pour l’instant, répondit un des miliciens. Le cimetière a quelques problèmes.
Les paysans tombèrent dans le silence, car la situation était claire devant l’église. Ithroëne aperçut Isil et Elaron avec auprès d’eux un corps et elle s’extirpa de Cattleya et Ymir pour les rejoindre à l’entrée. Son visage se défit lentement en s’approchant.
— S’agit-il d’Arma, par malchance ? dit-elle délicatement.
Isil répondit d’un bruit de bouche.
— Par malchance, oui, répliqua Elaron.
Elle observa un moment de silence. Puis elle annonça qu’elle devait se reposer encore un instant pour pouvoir bénéficier à nouveau des bénédictions de sa déesse et avant de donner le repos à cette brave naine. Elle demanda à ce qu’on laisse simplement un garde à l’intérieur avec elle et un ou deux qui puissent garder la paix devant l’église alors qu’elle prépara le corps d’Arma pour une veillée.
Cattleya et Ymir se dirigèrent vers leurs deux compagnons et sortirent de l’édifice. Elles leur expliquèrent ce qu’elles avaient appris. Cattleya informa qu’ils devaient trouver un tieffelin rapidement. Isil regarda si un milicien n’était pas près d’eux. Elle voulait savoir s’ils ne connaissaient pas l’emplacement de ce tieffelin. Ymir commença à attraper des gens autour pour leur demander des informations.
Beaucoup d’entre eux avaient l’air de mal les connaitre et ils utilisèrent ce prétexte pour éviter d’avoir à discuter d’un personnage qu’ils préféraient ne pas fréquenter. Le groupe comprit que la plupart des villageois de Gondalfen n’appréciaient pas cette race. Ymir le ressentit et s’en énerva. Cattleya lui attrapa le bras pour lui faire comprendre qu’elle devait se calmer et que c’était inutile. Les aventuriers finirent par apprendre que l’arcaniste s’appelait Gahorn. Ymir ne semblait pas le connaitre. Les gens expliquèrent que cet individu avait accepté de reprendre une des échoppes qui se trouvait être auparavant une épicerie générale et il souhaitait en faire une boutique. Il espérait exercer son métier loin de la ville. Certains leur dirent que c’était un alchimiste ou un magicien. D’autres indiquèrent que c’était un prestidigitateur. La plupart des villageois ne savaient pas exactement ce qu’il faisait. Certains d’entre eux l’avaient vu s’éloigner cet après-midi en direction des mines au nord du village et personne ne l’avait aperçu revenir pour l’instant. Elaron trouvait cela étrangement hasardeux. Personne, se retrouvant autour d’eux, n’avait été le client de ce tieffelin. L’un d’eux leur indiqua l’endroit de l’échoppe.
— Que faisons-nous ? demanda Cattleya. Allons-nous à l’échoppe ou allons-nous le chercher directement dans les mines ?
— Pourquoi voulez-vous aller le voir ? demanda Elaron.
— C’est un arcaniste, nous devons aller le voir pour cette sève que nous avons récupérée, mais également la perle que vous aviez découverte dans les sous-sols de Clairlong, tout comme tes potions.
Après quelques minutes à sortir de cette situation et de se décider de la marche à suivre, Lucan émergea de l’église.
— Bon, euh. Il va y avoir une veillée plus tard pour Arma, ce soir. Notre bière tient toujours ?
— Ça dépend de toi, répondit Cattleya.
— J’ai besoin de régler quelques affaires, reprit Lucan. Et mieux organiser la surveillance autour de la forêt. Merci, sans vous on n’aurait peut-être pas retrouvé Grivault à temps, ainsi que cette créature. Si nous l’avions laissé courir trop longtemps, elle aurait pu faire d’autres victimes, merci.
— Ce n’est pas fini, intervint Ymir.
— Lucan, commença Cattleya avec une émotion dans la gorge. Nous devons absolument savoir si cette infection va se propager ou non. Nous devons rencontrer le tieffelin Gahorn.
— As-tu des informations sur lui ? demanda Ymir.
— Peu ! indiqua Lucan, fatigué. Il en donne peu et il a l’air content de rester loin des gens et les gens restent loin de lui.
— Je comprends, intervint Ymir.
— Il est arrivé il y a une semaine peut-être et il a dit qu’il voulait reprendre une échoppe. Il est arrivé avec de l’or, je ne pouvais pas refuser. Parmi toutes les maisons où les propriétaires ne sont pas revenus, il a décidé de reprendre la petite épicerie qui se trouve sur la route en direction des mines vers le nord.
— Et depuis quand il y a des problèmes autour de la forêt, demanda Ymir.
— Bien avant son arrivée, confirma Lucan.
— Vous voulez le voir comme un méchant ? demanda Elaron.
— Non, mais nous pouvons nous poser la question, soutint Cattleya.
— Tout le monde est suspect, ajouta Ymir.
— Peut-être que l’infection émanerait des druides, reprit Cattleya à l’attention de Lucan qui semblait désemparé et encore plus fatigué. Sais-tu où ils sont ?
— Non, nous avons essayé de reprendre contact depuis notre arrivée, mais rien ! Les vieux rituels qu’utilisaient les anciens nobles de la ville ou les pierres sur lesquelles ils rencontraient les bucherons. On a tenté de suivre les mêmes instructions, aller au même endroit, personne ne s’est montré. Et personne ne s’était suffisamment aventuré dans la forêt pour risquer de les croiser par hasard. Nous nous étions dit que cela finirait par arriver. Ou pas, qui sait. Personne n’en a vu depuis des années. Écoutez, je dois aller régler quelques affaires avec mes miliciens. Aller retrouver Ludwig, je crois que c’est lui qui est à l’auberge aujourd’hui. Dites-lui que vous êtes Cattleya, Ymir, Isil et Elaron et que vous venez récupérer vos chambres. Faites comme bon vous semble. Je vous y retrouve plus tard.
Lucan reprit la route tandis que le groupe se décida.
— Vous préférez que nous allions d’abord à l’échoppe ou qu’on se repose avant ? demanda Ymir.
— À l’échoppe, dit seulement Cattleya.
— Nous pourrions en premier lieu nous rendre à l’échoppe, dès maintenant, intervint Elaron. S’il n’est pas là, nous pourrons toujours l’attendre cette nuit à l’auberge et repartir demain pour nous diriger vers les mines.
— D’accord, répondit Ymir.