À la fin de leur conversation, le soleil commençait à prendre une teinte dorée du soir. L’ordre fut donné. Ils marchèrent à travers les allées. Quelques paysans, maçon et charpentier, finissaient le travail sur un secteur du village inhabité. Ils se massaient en direction de la place principale. Certains se rendirent directement à l’auberge. Le groupe se dirigea à l’opposé. Ils traversèrent les rues détruites, les résidences abandonnées et ils croisèrent quelques familles de nouveaux fermiers accompagnés de certains ouvriers qui retapaient des maisons. Après quelques minutes dans les quartiers délaissés, ils allèrent dans un endroit qui avait l’air moins touché, mais quand même en sale état. Ils aperçurent des verres brisés, des toitures abimées et des charpentes pourries par la pluie. Toutes les demeures étaient inhabitées. Ils pouvaient observer vers le nord de ces rues, les grandes montagnes avec au loin des pointes neigeuses. La route qui donnait aux vieilles mines était visible à l’horizon dans le soleil couchant.
Ils trouvèrent cette échoppe dont les fenêtres avaient été cassées auparavant et des planches furent clouées par-dessus pour les fermer. Un nouveau verrou avait été installé. La toiture avait l’air abimée et ils ne pouvaient pas voir à l’intérieur de cette boutique. Elle était close.
— Isil ? Pourrais-tu la crocheter ? demanda Cattleya.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, intervint Elaron.
— Ce serait intéressant de se renseigner sur lui, reprit Cattleya.
— Nous pourrions attendre demain, suggéra Isil. Nous savons qu’il est arrivé il y a une semaine et que les problèmes de la forêt datent d’avant.
— Oui, mais pouvons-nous lui faire confiance ? redemanda l’humaine. Et demain, il ne sera pas là non plus.
Ymir commençait déjà à regarder autour de la maison si une fenêtre n’était pas disponible. Personne ne remarqua l’absence de la tieffeline.
— Et bien, nous irons alors à sa poursuite vers les mines, répondit simplement Elaron.
— Nous avons besoin de plus d’information, peut-être à l’intérieur nous trouverons une lettre indiquant une invitation dans un lieu, ou bien une destination.
— S’il voulait être retrouvé, il aurait laissé un mot directement sur la porte, continua Elaron.
Ymir avait fini par faire le tour de la boutique, elle remarqua que tout avait été barricadé et que seul le toit semblait ouvert. Mais en titillant l’un des panneaux des fenêtres, elle releva qu’à l’opposé de l’entrée, les planches étaient plus humides et faciles à briser. Ymir voulait y aller. Isil regardait sur le chemin de la mine pour voir si Gahorn n’était pas en train de venir. Mais aucun tieffelin n’était en vue. Tout ce qu’elle pouvait entendre, c’était le bruit d’un couple d’oiseaux nichant dans la cheminée de l’échoppe et des gamins ricanants derrière un pont en pierre, fuyant lorsqu’ils comprirent qu’ils étaient repérés.
Cattleya avait rejoint Ymir qui tentait de soulever une latte en bois. L’occultiste l’avait interrompue et lui demanda si elle ne préférait pas passer par le toit. La tieffeline montra qu’un passage était possible en retirant cette lame. Isil les retrouva et stoppa la progression d’Ymir.
— Tu veux vraiment rentrer ? demanda Isil.
— Oh bah bien sûr ! répondit Ymir.
Isil envisagea de sortir son matériel de crochetage, aux grands désarrois d’Elaron qui songea qu’elle avait été corrompue par Ymir qui détenait peut-être un contrôle sur elle. Il était également angoissé et tout penaud à l’idée qu’elles tentent d’entrer.
— Non, nous ne devrions pas le faire, lança-t-il en regardant de toute part.
— Elaron, nous devons savoir qui c’est ! reprit Cattleya.
— Mais nous pourrions repartir à sa recherche demain, proposa le demi-elfe inquiet en bougeant ses doigts machinalement.
— Oui, mais nous devons bien trouver dans quelle direction il se cache, certains éléments dans sa boutique pourraient nous l’indiquer, dit Cattleya.
— Et puis, si nous nous rendons compte que c’est lui finalement le fauteur de trouble et bien, je serais bien contente de le savoir. Car si nous dénichons quelque chose de louche à l’intérieur, nous devrons alors l’affronter et nous serons prêts ! dit Ymir en tentant de tordre une lame.
— Ah, vous voulez… l’attaquer directement, se décontenança Elaron.
— S’il est néfaste, oui, répondit Cattleya. Nous devons nous renseigner sur lui.
— Vous n’avez pas un bon instinct, lança Elaron.
— Et bien et toi ? s’offusqua Cattleya. En as-tu un ?
— Et bien, le mien me dit que c’est quelqu’un de gentil.
— Ah oui ? continua Cattleya. Un tieffelin ? Gentil ? C’est la première chose qui te vient à l’esprit lorsque tu en vois un ? Il est mystérieux et étrange. Il s’installe seul dans un endroit reculé comme celui-là.
— JE pensais que nous étions sur la même longueur d’onde et tu oses dire ça ! s’offusqua Ymir.
— En règle général, on ne peut pas dire que ta race inspire la confiance, rajouta Cattleya.
— Ymir et Cattleya, si vous tenez à rentrer dans l’échoppe alors que Gahorn n’est pas là, commença Isil. Je pars prévenir Lucan.
— Et bien préviens Lucan ! réagit Ymir. Il nous connait très bien, tu sais.
— Il y a trop de tension dans l’équipe, pleura Elaron en se retournant pour le rien voir.
— Isil, nous devons savoir à qui nous avons à faire, reprit Cattleya. Nous ne pouvons pas rencontrer quelqu’un en pleine nature sans nous renseigner sur lui.
— Il n’y a aucun souci, répondit Isil. Je suis tout à fait d’accord que nous devons savoir. Néanmoins, Gahorn n’étant pas là, il n’y a aucune urgence d’aller dans l’échoppe actuellement.
— Allez donc vous reposer, répliqua Cattleya. Nous allons nous en occuper. Inutile d’être tous présent.
— Je suis d’accord, rétorqua Ymir. Je pense que vous avez porté un corps trop longtemps, vous êtes exténué. Nous allons achever cette mission.
— Tenez-vous à Lucan ? demanda Isil en pointant un sujet sensible. L’intérêt de Lucan à l’heure actuelle, c’est de reconstruire Gondalfen et de rebâtir tout un village.
Malgré les bonnes paroles de l’elfe, Ymir voulait toujours se rendre dans l’échoppe tout comme Cattleya pour en découvrir plus sur ce Gahorn. Elaron souhaitait attendre demain pour voir s’il était revenu, avant d’aller à sa recherche. Quant à Isil, elle pensait à l’intérêt de Lucan. Elle savait que cet arcaniste était arrivé avec les poches pleines d’or que Lucan ne pouvait pas refuser. Elle envisageait de les empêcher d’entrer, le temps que Lucan donne sa bénédiction. La tension monta d’un cran dans l’équipe.
— Peut-être que de découvrir un autre tieffelin l’aidera à se sentir en confiance, suggéra Ymir.
— Crois-tu ? ironisa Elaron. Les bandits eux ne se sont pas privés pour t’attaquer, alors qu’un tieffelin était à leur tête.
— Écoute Isil, intervint Cattleya. Je te comprends parfaitement, mais Lucan a fait, en tant que nouveau chef du village, un choix purement politique. C’est-à-dire accepter de l’argent pour reconstruire sa ville. Voilà pourquoi nous ne devrions pas le mettre dans la confidence, pour éviter de le placer dans une situation encore plus difficile. Autant que cela reste entre nous, dans notre intérêt, car si nous faisons cela, c’est avant tout pour l’aider aussi. C’est pour aider le village, la menace qui plane sur Gondalfen. Nous n’allons pas le voler, ce n’est pas le but.
— À partir du moment où nous sommes arrivés en ville et que tout le monde nous a identifiés comme les amis de Lucan, il est responsable de nous, réagit Isil. Si nous nous faisons attraper à crocheter une serrure, c’est Lucan qui en paiera le prix fort.
Soudain, Cattleya se dit qu’elle pourrait utiliser un sort de manipulation mentale pour contrôler les agissements de l’elfe et la forcer à crocheter la serrure. L’idée surgissant dans l’esprit de l’occultiste fut remarquée par Ymir. Les deux femmes se regardèrent dans les yeux et eurent finalement la même idée. Mais cette pensée sortit en fin de compte de l’imagination de Cattleya tandis qu’Ymir y songea sérieusement.
— Je pourrais envoyer Zakaï, proposa Cattleya. Il pourrait se faufiler entre deux planches et observer à l’intérieur.
— C’est une bonne idée, dirent en cœur Isil et Elaron.
Ymir semblait frustrée.
— C’est un compromis correct, s’enjoua Elaron.
— C’est même un excellent compromis, ajouta Isil ravie. Je n’ai rien à redire.
— Et si je vois quelque chose d’intéressant, je rentre ! rajouta Cattleya.
— Défini, intéressant, demanda Isil.
— Je ne sais pas, une lettre qui nous indique où il se trouve ou quelque chose de maléfique qui n’a rien à faire ici ?
— Le seul truc intéressant qu’il faudrait que nous ayons, commença Isil, ce serait une trace de la sève ou…
— Oui, rajouta Elaron. Quelque chose qui le relit à cette menace.
— Si l’on crochète la porte, reprit Ymir toujours son idée en tête, nous y restons trente minutes, puis on s’en va, ni vu ni connu. Je ne vois pas où est le problème.
— Toute personne a le droit à son intimité, répliqua Isil. Et puis, c’est une maison d’arcaniste.
— Tu penses qu’il y a des pièges ? demanda Cattleya.
— Potentiellement, oui, réagit Elaron.
Ymir tenta d’utiliser son sens divin pour s’assurer que rien d’anormal ne se trouvait à l’intérieur. Elle sentit certaines petites résonances d’énergie. Il était possible que certains objets dedans fussent maudits et bénis. Elle le partagea aux autres sur le champ en accentuant le trait sur le maudit.
— C’est un arcaniste qui a une échoppe. C’est normal d’avoir des éléments maudits et bénis, rassura Isil.
— Moi aussi je rejoins Isil, indiqua Elaron.
— Donc vous faites confiance aveuglément à quelqu’un qui est arrivé il y a une semaine en apportant des objets maudits, annonça Cattleya.
— Nous n’avons pas dit aveuglément, enchérit Isil. Nous avions dit que nous recherchions une chose en lien avec la sève. Si tel n’était pas le cas, il faut peut-être envisager que c’est simplement quelqu’un qui a ramené des artefacts qu’il maîtrise.
— Nous savons que ce n’est pas lui qui a infecté la forêt, reprit Cattleya. Mais il peut être responsable d’autres choses. Autant en être sûr !
— Ymir, ajouta Elaron. Toi tu sais que ce sont des objets maudits, mais qui nous dit qu’il ne vient pas juste de les récupérer pour les étudier et les bénir ? Nous n’en savons rien. Ce n’est pas quelqu’un de mauvais pour autant.
— Envoyons alors Zakaï, dit Cattleya.
— Ça me va, répondit Elaron.
— C’est un meilleur compromis que de pénétrer chez des gens ou les manipuler, dit Isil.
Elaron et Ymir continuèrent de débattre sur le sujet, tandis que Cattleya invoqua son diablotin à l’intérieur de l’échoppe. Elle lui demanda s’il apercevait quelque chose en lien avec la sève. Elle entendit que son serviteur passait d’un endroit à l’autre de la pièce. Il montait un étage et fouillait dans des étagères, aucun signal de la sève. Elle lui ordonna ensuite de trouver des cartes ou lettres. Le diablotin revint à la fenêtre et tapota pour lui confirmer qu’il y en avait. Elle lui demanda par la suite s’il y avait des traces de sang. Après deux ou trois minutes, aucun tapotement ne se fit entendre. Puis, elle lui demanda si des lianes ou des champignons étaient présents. Le serviteur ressurgit et frappa à la fenêtre.
— Nous allons à l’intérieur ! C’est non négociable, rugit Ymir.
— Peut-être est-il en train d’étudier la source du problème, douta Cattleya.
L’occultiste demanda si une trappe était existante ou une entrée dissimulée comme une porte secrète dans cette échoppe. Rien. Cattleya douta et redemanda à son diablotin s’il y avait des lianes comme ils avaient pu le voir dans la forêt. Le serviteur ne répondit rien. Cattleya en vint à la conclusion que c’était simplement des plantes normales.
— Faisons un résumé de la situation, répliqua Isil. La créature qui à priori est à l’origine des lianes est morte.
— Ça ne veut pas dire que l’infection ne se répand pas, riposta Cattleya.
— Pour moi, celle qui est à l’origine de tout ça n’est pas vaincue, soupçonna Ymir. La malédiction est toujours là.
— Mais nous ne savons pas si cela est une malédiction. Nous ne savons même pas si c’est une infection, reprit Isil. Nous ne savons pas si cela est un poison. Ithroëne, lorsqu’elle a soigné Grivault, est partie du principe que c’était une toxine, car elle a vu la chose se répandre.
— Mais il est rétabli, annonça Cattleya.
— Je ne suis pas sûr que c’est elle qui la guérit, ajouta Elaron. C’est peut-être lorsque nous avons tué la créature que cela s’est calmé.
Le soleil commença à disparaitre par delà les collines à l’ouest et seule la cheminée de l’échoppe était éclairée par un rougeoiement orangeâtre, mais plus aucune lumière. Le groupe n’arrivait pas à se décider et malgré un lieu isolé et abandonné, ils finiraient par attirer l’attention sur eux. La tension était montée d’un cran supplémentaire et chacun se regardait dans les yeux sans vouloir céder. Cependant, ils n’avaient plus aucune autre alternative.
— Allons nous coucher ! annonça finalement Ymir dépitée. Mais si demain il se passe quelque chose avec l’arcaniste, ce sera votre faute !
— Imaginez que dans la nuit Grivault se réveille maudit, s’inquiéta Cattleya.
Le groupe semblait dubitatif, mais pas aussi soucieux. Cattleya toujours songeuse suggéra tout de même d’aller se reposer à l’auberge.
— Allons boire un verre, proposa Isil soulagée.
— Pas avec vous ! protesta Ymir.
La compagnie se dirigea vers l’auberge, un retour vers les parties habitées de Gondalfen. Ymir traînait le pas. Une petite foule était massée calmement autour de l’église alors qu’Ithroëne avait prévu une veillée pour Arma. Des villageois étaient arrivés pour offrir leurs prières et apporter des vivres pour Grivault et Gruma, mais certains, à la marge des événements, parlaient plus ou moins de ce qui n’allait pas depuis la reprise de Gondalfen. Ils furent rappelés à l’ordre par des miliciens qui leur expliquèrent que ce n’était pas le moment.
Le groupe se dirigea dans l’auberge qui n’avait qu’une petite activité à cette heure étant donné la veillée extérieure. Cela discutait. Il restait la moitié des places libres au rez-de-chaussée. C’était manifestement un bâtiment très utilisé, bien remis en état et bien entretenu. Ils virent derrière le comptoir un homme dans sa cinquantaine. Cattleya le reconnut malgré un changement conséquent. Lorsqu’elle le connaissait, il était le fils d’un meunier du coin. Il s’appelait Ludwig, il avait la peau foncée et était dégarni par l’âge, mais il avait cependant une grande barbe grisâtre. Il avait beaucoup fondu des bras et des jambes, mais tout avait été repris par son ventre. Il était en train de préparer et de visser quelques tonneaux pour le soir. Puis en se retournant, il attrapa des bocaux qu’il commença à laver. Soudain, l’aubergiste reconnut la jeune femme.
— Oh, Cattleya !
— Comment vas-tu, Ludwig ?
— Depuis quand es-tu revenu ? sourit-il.
— Depuis aujourd’hui, répondit-elle.
— Depuis… Oh ! réalisa-t-il en regardant autour de l’occultiste. Tu fais partie des aventuriers. Enchantée et merci d’avance.
— Je te présente Isil, Ymir et Elaron.
— Bonjour, salua-t-il timidement à l’encontre d’Ymir.
— Oh, toi tu n’aimes pas les tieffelins, je me trompe ? réagit Ymir.
— Euh… non, je…
— En as-tu déjà vu un dans le village ? demanda Cattleya en pensant à l’arcaniste.
— Oui… Oui…
— Que peux-tu me dire sur Gahorn ? continua-t-elle en s’appuyant sur le comptoir.
— Qui ?
— L’arcaniste, tieffelin, comme… reprit-elle en montrant Ymir qui semblait contrariée.
— Il a récupéré l’échoppe au nord du village, sur la route des mines, précisa Elaron.
— Bien sûr, en beaucoup moins beau que moi, répliqua Ymir.
— Il est venu me réclamer des bouteilles vides, indiqua Ludwig.
— Pourquoi faire ? questionna Elaron.
— C’est exactement ce que je lui ai demandé, annonça Ludwig. J’ai demandé à Lucan si ça le dérangeait. Il m’a répondu qu’il était occupé et qu’il n’avait pas le temps. Comme à son habitude.
— Lucan, évidemment, dit Elaron en pensant que son ancien camarade était toujours occupé.
— Mais… des bouteilles ? Qu’est-ce qu’on fabrique avec des bouteilles ? répliqua Ludwig.
— On enferme de la sève ? proposa Elaron qui ne comprenait pas où il voulait en venir.
— De la quoi ? s’étonna l’aubergiste.
— On crée des antidotes ! répondit Isil en essayant de raisonner tout le monde.
— As-tu vu des druides passer dans ton auberge, dernièrement ? demanda Cattleya.
— Pas depuis… dix ans.
— Dix ans ? se choqua Cattleya, ainsi qu’Elaron.
— Mais mon papa en a vu il y a neuf !
— Il était ou ton père ? demanda Cattleya.
— Au grenier ! Avec le grain !
— Au grenier ? s’étonna Ymir.
— Il était meunier, précisa Cattleya.
— Et ensuite, on a fui à Paçon.
— C’était avant la guerre, tu n’en as pas revu depuis, reprit Cattleya. Et comment va… ton père ?
— Il y a cinq ans, à la fin de la guerre il a décidé qu’il était suffisamment effrayant pour nous débarrasser des bandits sur la route, mais il avait tort. Il avait plus toute sa tête, mais passons ! Lucan vous a préparé des chambres. Et nous avons mis des serrures !
Il sortit quatre clés d’un tiroir.
— Et bien, nous allons bien fermer chacun notre porte, annonça Elaron. J’ai peur de vous, chuchota-t-il.
— N’empêche, il a quand même l’air bizarre, intervint Ymir.
— C’est normal, les tieffelins ont toujours l’air étranges, soutint Cattleya.
— Ce n’est pas moi qui l’ai dit ! participa Ludwig.
— Tu veux bien arrêter ! appuya Ymir.
— Toi, tu es tieffelin, c’est compréhensible que tu ne voies pas la différence, mais pour nous ça nous choc, dit Cattleya.
— Tu me trouves différente ? demanda Ymir.
Un petit silence s’installa, le temps pour Cattleya de formuler sa réponse.
— Oui ! Tu as vu tes cornes ?
— D’accord, répondit Ymir en regardant ailleurs.
— Physiquement, tu es forcément différente de nous, dit Cattleya.
— Je suis déçu de toi, lança Ymir sans la regarder. Lucan ne m’a jamais traitée ainsi !
— Tu es différente, mais cela ne veut pas dire que tu es inférieure, dit Cattleya.
— Non, ça je le sais bien ! dit Ymir.
Pendant ce temps.
— Comment trouvez-vous Gondalfen ? demanda Isil à Ludwig.
— Oh bah, c’était mieux que de rester chez le fils de la sœur de ma tante,
— Le fils de la sœur de votre tante, c’est également votre tante dans ce cas, répondit Elaron intrigué.
— Je suis aubergiste la nuit et meunier le reste du temps, annonça Ludwig sans prendre en considération la réflexion d’Elaron.
Ludwig avait tout perdu en quittant le village. Ceux qui avaient décidé de revenir sur Gondalfen pouvaient reprendre la maison de leur famille. Lui s’était dit que même si le village était en mauvais état, il savait qu’il aurait une demeure et que c’était mieux de vivre par ici que nulle part.
— Je suis terriblement content ! dit Ludwig en jetant un œil furtif sur Ymir. Même s’il y a des… des gens en ville ! Mais j’adore les elfes ! Je vous trouve géniaux !
— Et bien moi j’ai soif ! dit Ymir.
— Allons d’abord voir les chambres ! dit-il avec fermeté.
Ymir grommela encore dans son coin.
Il les emmena dans les chambres. Ils avaient une chacun, exiguë, mais toute avec une fenêtre, une petite étagère et un bon modeste lit adéquat. Isil s’était renseignée sur l’accès aux chambres depuis la salle principale. Il n’y avait qu’un seul escalier. Elle choisit la première au plus proche de l’escalier. Elle voulait s’assurer que personne n’irait voir la boutique de l’arcaniste dans la nuit. Elle souhaitait aussi écouter les allers et venues des clients de l’auberge pour mieux contrôler son environnement.
Chacun alla se poser dans leur chambre pour se reposer quelques minutes. Ils pouvaient entendre en bas un plus d’activité qu’à leur arrivée. Isil fut la première à redescendre pour prendre un verre au bar. Ymir la suivit de près. Puis, les deux femmes trouvèrent une dernière table où s’installer. Lucan n’était pas encore présent. Elaron fut le troisième à descendre et repéra ses deux compères qui lui firent signe. Il s’arrêta un instant devant l’ultime marche de l’escalier. Cattleya fut la dernière à rejoindre la salle. Au même moment où elle arriva, Isil aperçut la longue tignasse rousse d’une halfeline. C’était Dola. Elle était en train de discuter avec une jeune femme au comptoir avec un bock de la taille de sa tête. Elaron la remarqua également et lui fit un petit signe de la main.
— Dola ! appela-t-il.
— Oh ! répondit-elle en lui effectuant de grands gestes et en indiquant à son amie qui l’accompagnait que c’était eux les aventuriers.
Ymir était gênée, tout comme Cattleya. Isil se dirigea vers Dola et la femme aux cheveux blonds.
— Bonjour, salua Isil d’une voix douce.
L’amie de Dola lui répondit timidement. Pendant ce temps-là, Ymir fit un petit signe à Cattleya pour lui proposer de sortir de l’auberge. Dola entama la conversation avec l’elfe.
— Isil, Berth ! Berth, Isil ! Isil, je l’adore, elle était géniale avec les chevaux. Et tu vois, il y avait l’autre truc avec les griffes, et…
Dola commença à parler de leurs aventures sans oublier les bandits.
— Tu vois quand je recharge l’arbalète, c’est trop dur, tu sais. Enfin oui, toi tu vois évidemment, parce que…
Elle partit dans tous les sens et Berth avait juste l’air de l’écouter. Pendant ce temps, Ymir et Cattleya s’étaient éloignées du comptoir, laissant Elaron avec un verre tout seul et tout penaud. Isil s’était appuyée sur le bar et s’était retournée pour regarder en direction des deux fuyardes sans vraiment réussir à les apercevoir. Mais Elaron les remarqua sur le pas de la porte. Il tenta de faire un petit signe étonné et surpris à l’attention d’Isil.
— Regarde Dola ! annonça Isil d’une voix forte et claire afin d’être entendue par tous. Je suis accompagné d’Elaron, Cattleya et Ymir !
— Ymir ! s’écria Dola. Je t’adore.
La halfeline se précipita vers la tieffeline et la serra contre elle aux grands désarrois d’Ymir qui détestait le contact physique.
— Attends Ymir ! Ymir ! continua-t-elle en la ramenant vers le comptoir. Voilà Berth, ma meilleure amie ! Berth, Ymir !
— Salut, Berth, répliqua Ymir gênée.
La femme semblait très intimidée et répondit d’une voix presque inaudible sans vraiment la regarder.
— Et Cattleya ! Cattleya, tu connais Berth ? reprit Dola. Non ?!
La jeune femme, contrariée, croisa les bras et décrocha simplement un petit grognement en guise de salutation et un hochement de tête. Berth répondit encore plus embarrassée.
— Allons boire un verre, dit Cattleya dépitée de ne pas pouvoir se soustraire.
Ymir suivit le mouvement, agacée à son tour. Les deux femmes s’installèrent au bar et commandèrent.
— Dola, qu’est-ce que tu bois ? demanda Isil.
— Bière ! dit-elle en reposant son énorme bock.
— Tu en veux une autre ? proposa Isil.
— OUAIS !!!
Isil remarqua qu’avec ses trente kilos, le litre de bière n’avait pas le même effet sur elle que sur les autres. Elle ne semblait pas aussi résistante à l’alcool qu’elle. Elle releva également que Dola n’avait pas terminé sa pinte. Isil proposa aussi de payer un autre verre à Berth lorsqu’elle aurait terminé.
Ymir s’était rapprochée de Berth pour la bousculer en pensant que cette dernière n’aimait pas les tieffelins. Dola s’interposa et se confondit en excuses auprès d’Ymir pour lui montrer toute la bonne volonté de son amie qui était seulement intimidée par cette race qu’elle ne connaissait pas.
Lucan arriva dans la salle et était obligé de serrer des mains de personne venue à sa rencontre. Il finit par esquiver les derniers individus pour parvenir jusqu’au comptoir.
— Ludwig, appela-t-il. La bouteille et cinq verres, s’il te plait ! Salut, Dola, ça va ?
La halfeline lui sourit d’un air ivre et voulut engager la conversation, mais Lucan la coupa immédiatement.
— D’accord super ! J’ai besoin de ce verre, pas vous ?
— Allez ! répondit le groupe en cœur.
— À tout à l’heure, Dola, rajouta Isil.
— Oui, bonne nuit, aller, dit Ymir.
— Bisous, Dola, répliqua Elaron.
Lucan se dirigea vers une table ou se trouvait deux hommes.
— Daniel, ta femme te cherche et Jules, ta vache est encore rentrée dans la bergerie.
Les gens se levèrent et quittèrent l’auberge. La table était donc libre pour eux. Ils s’installèrent. Ludwig arriva avec une bouteille de rouge bouchée apportée de Paçon et cinq gobelets.
— Ha, enfin du bon vin ! s’exclama Ymir. Celui-ci me convient très bien.
Ludwig déboucha la bouteille et avant de les servir, Lucan déclara.
— La tournée est pour moi et vos chambres sont à mes frais aussi.
— Lucan, ça va ? demanda Cattleya inquiète de voir sa fatigue.
— Euh… Oui.
— Besoin de repos, dit Isil.
— Arrête de nous mentir ! dit Ymir.
— Oui ! Ça va !
— C’est que de la fatigue ? redemanda Cattleya.
— Heureusement, j’allais dire oui, mais en fait, non.
— Que se passe-t-il ? questionna Ymir.
— Il n’y a pas que du négatif tous les jours, mais… c’est juste que j’avais prévu que ce soit un petit peu festif aujourd’hui. Je me disais que vous alliez arriver d’un jour à l’autre et du coup j’avais commandé à Grivault de rapporter du daim.
— Nous avons sauvé une vie aujourd’hui, précisa Cattleya acquiescée par les autres.
— Peut-être deux, peut-être plus, rajouta Lucan se noyant dans son verre. On en a perdu une quand même.
— Tu ne pouvais pas savoir, rassura Isil. Ce n’est pas de ta faute.
— Oui, non. Grivault et Gruma vont bien. Certains de leurs amis sont avec eux à l’église. Ithroëne est restée. Enfin peu importe. Comment était votre trajet ?
Tous se regardèrent dans les yeux et laissèrent un doute planer.
— Isil un petit mot ? proposa Cattleya.
— Je faillis mourir, encore, dit-elle.
— Quoi ? s’étonna Lucan.
— Nous avons eu une jolie rencontre avec un ours. Regarde ! répondit l’elfe en lui montrant les cicatrices que lui avait laissées la bête.
— Tu ne reconnais pas cette cicatrice ? lança Ymir à l’attention de Lucan avec un léger sourire.
— Alors maintenant tu sauves des vies ? répliqua Lucan en scrutant Ymir.
— J’en ai déjà secouru une autre, dit-elle en souriant.
Lucan reprit un verre en lui souriant à son tour avant de reprendre.
— Malgré tout, je suis tellement soulagé de tous vous voir. Quand j’ai rédigé les lettres et que j’ai demandé à Dola d’aller les poster à Paçon, je ne savais pas en réalité si elle allait vous trouver. D’ailleurs, comment ont-elles fait ? Elaron ?
— Euh… répondit le demi-elfe gêné. Je ne sais pas. J’étais justement à Paçon dans une auberge, de passage. J’allais reprendre mon exploration. Je ne savais pas vraiment ce que j’allais faire, mais lorsque je l’ai reçu, je me suis dit que j’allais enfin réaliser quelque chose de sérieux et qui avait du sens. Merci.
— Merci à toi, répliqua Elaron. As-tu utilisé tes dons, aujourd’hui ?
— Oh oui.
— Et ça s’est bien passé ? demanda Lucan soucieux.
— J’ai appris à mieux maîtriser et mieux gérer mes pouvoirs. Tu peux être rassuré, tout va bien dorénavant. Il y a encore du travail, mais ça va. Tu peux compter sur moi.
— C’est grâce à lui si l’ours ne m’a pas fini, intervint Isil.
— C’était la première fois que j’utilisais ce don-là et cela a fait comme un feu d’artifice. Cattleya s’en souvient encore, termina Elaron en souriant et regardant l’humaine.
— Isil, qu’as-tu fait depuis la fin de la guerre ? demanda Lucan.
— Toujours la même chose, j’ai juste un périmètre plus grand, répondit-elle.
— Des traces de quelques cellules résistantes des forces du mal ?
— Il y en a eu, mais plus maintenant. Du moins, là où je suis passée, répliqua Isil.
— Bien, dit Lucan. Catt ? Comment vas-tu ?
— Ça va, j’espère simplement que tu tiendras la promesse que tu m’as faite, rétorqua Cattleya en reposant son verre.
— Oui, dit-il en esquivant son regard un instant. Ymir, comment est-ce que tu utilises tes pouvoirs depuis la fin de la guerre ?
— Je pense, à meilleur escient. Je pense que je les emploie mieux qu’avant. Je pense que tu en as eu la preuve. Regarde Isil.
— Ça me rassure ! En parlant de promesse, je ne peux pas encore vous payer, mais je peux tout prendre en charge jusqu’à ce que nous exportons toutes nos marchandises à Paçon cet été. Bien sûr, je vous laisserais garder tout ce que vous trouverez dans le cadre de votre travail.
— Tu sais bien que l’argent ne m’intéresse pas, dit Cattleya.
— Moi non plus, ajouta Ymir.
— Passons directement aux choses sérieuses ! annonça Lucan. Puisque le dernier héritier du seigneur du village a été retrouvé mort après la guerre, vous pourriez disposer de leurs biens ! Dès que nous les aurons remis en l’état et qui sait, vous pourriez les conserver. La maison, les terres, Gondalfen aura besoin de protecteur dans le futur. Je m’arrangerais auprès des autres familles bourgeoises de Paçon pour que vous soyez choisi par les Gondalfiens. Je préfère cette solution, plutôt qu’une énième famille de bourges installée par leur intérêt pour avoir la main mise sur le commerce de la ville. Je préfère avoir des protecteurs que des contremaîtres.
— Je ne peux que te comprendre, intervint Isil avec sourire.
— Leur manoir était bien, reprit Lucan. Ça va faire partie de votre travail de le remettre en état.
— Logique, s’il doit nous appartenir, ajouta Isil.
— Après, moi, tu sais bien que je ne peux pas quitter euh… ainsi mon lieu de vie, dit Ymir. J’ai besoin d’artefact pour pouvoir…
— Je vous épaulerai dans tout ce que vous pouvez entreprendre, réagit Lucan. Mais on a vraiment besoin de votre aide ici ! Avec la longue liste de problèmes que nous avons et les mercenaires qui me demandent plus cher que ce que je peux offrir pour parfois des résultats plus que décevants. J’ai besoin, enfin, j’aimerai avoir des aventuriers sur qui je peux compter. Le fait que nous ayons pu, grâce à vous, régler l’incident d’aujourd’hui aussi rapidement, me donne espoir d’avoir raison. Mais vous allez avoir beaucoup de travail. Nous allons devoir résoudre la problématique de la forêt. Si nous ne pouvons plus y chasser, notre économie sera perdue. Faudrait déjà que je demande à Grivault de retourner à la chasse lorsqu’il pourra marcher.
— Avec sa fille à s’occuper, tu ne penses pas que c’est une très grande charge, annonça Isil.
— Si, mais nous avons besoin d’argent !
— Je pourrais aller pister si tu veux, dit Isil.
— D’accord. Il faudrait tenter de reprendre contact avec les druides, encore. Nous avons essayé, mais nous n’avons pas réussi.
— Je veux bien essayer, dit Ymir.
— Ni les elfes ni les druides de Glissebois n’ont donné signe de vie depuis que nous sommes revenus.
— Les elfes n’ont pas donné de signe de vie ? demanda Isil inquiète.
— Non. Personne dans la forêt hormis des bêtes et des histoires de lianes dont ont parlé Grivault et Arma. Mais encore faut-il les trouver. Personne ne s’est enfoncé totalement dans la forêt, mais aujourd’hui ça parait une moins bonne idée. Mais nous en reparlerons. Nous allons creuser cette histoire.
— Le plus urgent pour toi c’est la forêt ? demanda Elaron.
— Non, répondit Lucan.
— C’est la nourriture ? demanda Isil.
— Oui, répondit Lucan blasé. Je ne sais pas… une troupe d’orcs et de gobelins a attaqué le village plusieurs fois depuis le retour des rescapés et l’on ne peut pas garder cette menace à proximité. Nous devons les neutraliser d’une manière ou d’une autre. Je crois qu’ils se sont installés dans la région alors qu’on avait quitté les terres alentour, car il n’y avait plus personne pour les chasser. Ils ont pris possession d’une vieille tour à l’ouest. Et puis tout ça sans parler de nos nombreux blessés. Ithroëne fait de son mieux, mais elle est dépassée. Et nous avons dû isoler une partie du cimetière. Certains morts ne sont pas au repos et Ithroëne ne peut pas tous les renvoyer.
— Pourquoi ? demanda Isil.
— Je ne suis pas prêtre… Pardon. Je ne sais pas.
— Tu veux qu’on aille voir ? demanda Isil.
— Plus tard ! lança Lucan fatigué. Ludwig, une autre bouteille.
— Apportes-en deux ! réagit Isil.
— La liste est longue, vous ne manquerez pas de travail ! dit Lucan en remerciant Ludwig.
— Pourquoi es-tu revenu à Gondalfen au final ? questionna Isil. Car tu nous as demandé à tous ce que nous faisions pendant tout ce temps, mais toi ?
— Tu n’étais pas bien à Mornski ? répliqua Ymir avec un sourire gêné.
— C’était un simple séjour, dit Lucan. Je ne pouvais pas rester auprès de toi.
Il leur expliqua qu’il avait commencé comme soldat pendant la guerre et qu’il avait été catapulté dans les responsabilités alors que sa hiérarchie mourait au début du conflit. Il s’était retrouvé à la tête, malgré lui, d’une troupe de Gondalfiens et de rescapés en essayant de régler les problèmes de cette région. Parmi ceux qui avaient une formation militaire, il était celui qui connaissait le mieux la contrée. Les gens avaient commencé à se reposer sur lui après la guerre. Il avait tenté de maintenir la communauté autour de cette auberge. Il avait vu que c’était une opportunité à prendre, car il essayait de faire le bien pour son peuple. Puis, le pouvoir, les marchands et autre grand noble avaient apparemment des plans pour envoyer leur propre troupe reprendre Gondalfen et installer leurs propres gens avec leur propre condition.
— Non. Gondalfen était à moi et à notre peuple, cela restera à notre peuple, lança-t-il en frappant la table et en regardant Cattleya dans les yeux. Je sais que nous y vivrons bien et libres. Après cette guerre, nous ferons de cette place…
— Un havre de paix, intervint Cattleya en récitant ces mots à voix basse.
— Je te reconnais bien là, annonça Isil.
— Oh, arrête ! Donne-moi mon verre, répliqua Lucan en buvant.
L’auberge s’était animée d’une petite troupe de bardes de passage. Après une longue conversation en échangeant des anecdotes plus tard dans la nuit, Lucan les laissa pour aller gérer une dernière chose avant d’aller se reposer. Il les invita à faire de même, puisqu’assurément il y aurait des suites à l’histoire d’aujourd’hui. La soirée continua en musique, même après le départ de la compagnie.