Le soir et Lassa'h me trouvèrent à genoux en train de finir de travailler sur une partie du plancher de la salle de classe particulièrement abîmé, non pas par mon éclat de colère plus tôt dans la journée, mais par le bête passage du temps. J'étais plutôt très fière du travail réalisé jusqu'à présent : les marques provoquées par ma magie avaient toutes disparues, et j'avais eu le temps de cirer et polir une bonne partie du sol de la pièce. Essentiellement à la main, même si je m'autorisais à user d'un petit sort de polissage de temps en temps, pour des zones où je n'étais pas sûre de faire mieux à la main.
Honnêtement, je ne sais pas qui de nous deux fut le plus surpris.e.
Moi, qui pensais sincèrement avoir la paix jusqu'au couvre-feu, et que l'activité manuelle rend toujours un peu déconnectée du monde, comme si j'avais fumé l'herbe de ma grande-tante. Ou Lassa'h, qui vu ce qui encombrait ses bras (cirage, lime, brosse à reluire), s'était mis.e en tête de venir faire MON travail, à MA place. Comme si je n'allais pas tenir mes engagements auprès de la salle de classe ! Non mais VRAIMENT ?
Ça y était.
J'étais de nouveau contrariée.
Nous nous fixâmes un instant, jusqu'à ce que man camarade se racle la gorge, visiblement mal à l'aise. Puis tente un maladroit :
- … salut...
- Salut. Qu'est ce que tu fais là ?
Bon sang, j'étais vraiment une abrutie...
Lassa'h hésita un peu, puis posa tout son matériel sur la table la plus proche d'ellui avec un bruyant soupir.
- J'étais venu.e avancer ton travail. Le sol est abîmé en partie par ma faute, pour t'avoir mise en colère. Mais je vois que tu te débrouille très bien, et que tu es toujours furieuse. Je te laisse.
- Non, attends !
J'avais crié sans réfléchir, tout en me levant, ce qui eu pour résulta de renverser le pot de verni avec lequel je travaillais, envoyant le produit se répandre sur les sol qui n'en avait pas besoin, et sur mes affaires.
- Mrade !
En me retournant pour limiter les dégâts, je shootai dans mon carnet de sort, qui alla s'écraser dans le vernis, pages vers le bas. Et alors que je pensais que la situation ne pouvait pas empirer (et que jurais tellement que mes parentes m'auraient déshéritée sur le champ si elles m'avaient entendu), je me pris les pieds dans... quelque chose. Quoi ? Aucune idée, il n'y avait strictement rien sur le sol. Mais vous vous souvenez du que sera sera ?... on était en plein dedans.
Je le réalisai tout en basculant en arrière, résignée à me prendre une gamelle de toute beauté qui laisserai des contusions aussi bien sur mes fesses et mon dos que sur ma fierté, lorsque mon épaule gauche heurta un torse. La seconde d'après, un bras ceinturait mes hanches, interrompant complètement ma chute, et une voix basse vibrait dans la poitrine contre laquelle était collée mon oreille, me hérissant de frissons.
Le temps que mon cerveau saisisse les tenants et aboutissants de la situation, je restais comme une accidentée de la route avec encéphalogramme plat, accrochée au vêtement de Lassa'h qui enchaînait l'énoncé de ses sorts à une vitesse vertigineuse. En l'espace de peut-être trois minutes, mon carnet était sauvé, le vernis retourné dans son pot, le sol implacablement nettoyé, et ma position devenue extrêmement gênante. Seulement, lorsque je voulu m’écarter, le bras autour de mes hanches m'en empêcha.
Enfer, mais d'où sortait-iel une force pareille ?
- Attends.
Sa voix était pleine d'une telle autorité que j'obéis sans le vouloir, restant à écouter sa respiration et un dernier sort que j’identifiai comme un sort de nettoyage de textile au moment où iel me traça une rune sur le dos. Je pris alors conscience qu'en plus d'avoir réparé mes bêtises, Lassa'h venait de me débarrasser des tâches que j'avais dû me faire en travaillant. Ce que je trouvais tellement incongru et attentionné que ça me fit rire.
La respiration contre mon oreille loupa un mouvement.
- Tu n'es plus fâchée ?
Uuuuh... il fallait vraiment que je m'éloigne de ce torse avant que mon corps ne devienne gênant...
- Non. Mais je vais le redevenir si tu ne me lâche pas.
Mauvaise foi. Embarras. Vous vous souvenez ?
- Oh. Pardon.
Le bras qui soudait mes hanches aux siennes (enfin... à son haut de cuisse plutôt, on ne peut pas toustes faire 1m80 à 15 ans) relâcha sa pression, et je m'éloignais précautionneusement de quelques pas, aux aguets pour ne pas retomber dans un piège de magie de cuisine.
Oui parce que vous vous doutez bien que la chute clichée interrompue opportunément par mon futur binôme ne sortait pas de nul part ! D'autant plus que, vu la répugnance du binôme en question pour les contacts, la logique aurait voulu qu'iel me laisse me vautrer en beauté.
Non. Il y avait de l'influence magique à l’œuvre.
Je soupirai pour me donner du courage. Et de la contenance. Et justifier que si, malgré le fait que je n'étais PAS en crush sur Lassa'h ET que je savais que tout ça était probablement orchestré par la magie de cuisine, je sentais bien que j'avais les joues rouges.
- Non, c'est moi qui te dois des excuses. J'ai vraiment agit comme une cratine à la cafet'. J'ai des montées de pression de stress que je sais bien gérer, et ça t'a explosé dessus... je sais que ça excuse rien, et je suis sincèrement désolée que t'en ai fait les frais...
Parfois j’exècre les yeux de Lassa'h, comme maintenant. Ils sont tellement sombres que c'est presque impossible d'y lire ses sentiments. En plus, son visage peut vraiment être inexpressif, comme là, et alors attendre qu'iel prenne la parole est une torture. Je ne peux rien anticiper, et je déteste ça.
Iel finit par prendre lentement la parole, laissant voir un peu de son inconfort :
- Je... crois que je t'en veux un peu quand même. De m'avoir crié dessus.
- Et je t'en voudrais pas pour ça...
Ce coup-ci, Lassa'h afficha clairement un air perplexe :
- D'ordinaire les gens n'aime pas quand on leur signale qu'on accepte qu'à moitié leurs excuses...
Je soupirais de nouveau :
- Ouais... mais je trouve que c'est normal d'être encore en colère après avoir été traité.e comme je l'ai fais. Je m'attends pas à ce que tu me pardonnes de suite, ni qu'on devienne les meilleur.es potes du monde, juste... qu'on s'entende bien le temps de notre travail ?
Un silence.
Lassa'h m'observait de nouveau sans que je puisse savoir ce qu'il se passait dans sa tête. Je décidais d'être patiente, consciente que j'étais que notre référentiel social n'était pas celui de man camarade, que ce dernier lui donnait du mal de base, et qu'en sortir comme je venais de le faire devait provoquer chez ellui un certain inconfort.
- Tu es bizarre.
Je me marrais.
- C'est pas la première fois qu'on me le dit.
Man condisciple fronça les sourcils, secoua légèrement la tête, puis passa deux mains nerveuses dans ses cheveux (attitude que j'apprendrais à identifier comme étant signe de remise à niveau de ses paramètres d'analyse de situation) avant de se détendre d'un coup, et de laisser un sourire fleurir sur ses lèvres.
- D'accord. Je te ferai savoir quand je ne serai plus fâché alors.
- Ça me vas. En attendant... merci d'avoir réparé ma crânerie : ce vernis est un enfer à préparer...
- Tu le fabrique toi-même ?
- Ouais, c'est mieux pour que la magie agisse correctement.
- Je ne comprends pas.
Je haussais les épaules.
- Moi non plus, mais ça marche mieux comme ça.
- … D'accord... ?... Mais j'aimerai bien comprendre.
Amusée, je me laissais tomber sur le sol pour ramasser mes affaires et finir la zone sur laquelle je travaillais avant son arrivée.
- Je suppose qu'en fonction de ce que nous demandera la professeure Huamaní, on aura l'occasion d'explorer un peu plus la question...
- Tu n'a jamais eu la curiosité d'en apprendre plus ?
J'attrapais un chiffon doux pour nettoyer le sol enfin réparé, évitant de regarder Lassa'h pour qu'iel ne puisse pas lire mon visage.
- Flemme. Ça fonctionne, pourquoi chercher plus loin ?
Un silence perplexe accueillit mon mensonge, mais je l'ignorais : après tout, je ne lui devais rien en dehors des excuses que j'avais déjà présenté. Je pouvais donc me refermer sur mes secrets sans plus culpabiliser.
D'autant que rien, dans la salle, ne semblait indiquer que je devais faire le contraire. Au contraire, l'odeur discrète de ma fleur préférée semblait émaner du sol autour de moi. Je pouvais passer à autre chose.
Réunissant mes affaires, je me relevais pour inspecter la salle du regard, cherchant un zone abîmée qui m'aurais échappé.
Sans en trouver.
J'avais vraiment finis.
Tant mieux : mon dos commençait à m'insulter d'avoir été plié en deux pendant trois heures.
D'ailleurs il craqua de façon fort satisfaisante lorsque je l'étirais, ce qui me tira un petit grognement de plaisir pas du tout discret. Et m'attira un drôle regard de la part de Lassa'h. Cexte dernièr.e se tenait en contrebas, au niveau de l'arche qu'iel avait créé plus tôt dans la journée et que la salle de classe avait décidé de garder. A en juger par la légère lueur qui émanait de cette dernière, iel avait pris en main l'application des sorts nécessaires pour préserver l'endroit des intempéries. Je m'approchais pour apprécier son travail, qui était parfait, comme souvent. Lassa'h pratiquait majoritairement la magie intermédiaire, avec un soin et une minutie qui faisait souvent l'admiration de nos professeur.es. Son ouvrage de ce jour là ne faisait pas exception, et je senti une petite pointe de jalousie me piquer les côtes : même dans mes meilleures heures, je n'aurai jamais pu exécuter un aussi beau travail en aussi peu de temps.
Je levais la main pour toucher le mur, sentant sous mes doigts l'écheveau des magies entremêlées, en appréciant la sensation comme le dessin qui se dessinait dans mon esprit. C'était la première fois que je pouvais observer son travail de si près, et j'y découvrais une poésie qui me pris de court.
Un contact léger sur la joue me fit sursauter.
Lassa'h venait de l'effleurer d'une mèche de cheveux timide, y effaçant une larme.
- Tu... pleures ?...
- Ah. (je m'écartais et passais ma manche sur mes yeux) c'est rien. C'est la fatigue. Je pleure souvent de fatigue...
Plutôt mourir que de reconnaître que c'était la beauté de son œuvre qui m'avait fait pleurer.
Ainsi que tout un tas d'émotions plus ou moins inavouables. Admiration, jalousie, désespoir de ne jamais pouvoir atteindre un tel niveau, fascination, envie d'apprendre, excitation à l'idée de le fréquenter assez longtemps pour pouvoir apprendre d'ellui.
Il faut comprendre qu'en tant que mage de cuisine, la société1 attendait de moi que je reste dans l'ombre et ne maîtrise jamais aucune autre magie que la mienne. Entrer dans cette école m'avais demandé plus d'effort que n'importe qui : j'avais dû rattraper seul ce que les autres apprenaient depuis le début de leur scolarité ; passer outre ma nature pour pratiquer une forme de magie reposant sur la contrainte, la maîtrise et l'absence d'instinct ; intellectualiser des notions qui coulaient auparavant de source ; et lutter pour ne pas me couper en plus de mes racines. C'était une blessure béante, un sujet de discorde avec mes parentes, et une frustration que j'avais toujours beaucoup de mal à gérer.
Alors voir un travail aussi parfait... c'était comme me prendre en pleine face que je n'y arriverai jamais.
Notre différence de niveau était tout bonnement abyssale.
Bon sang, j'avais envie de fondre en larmes ET de me jeter par la fenêtre.
Heureusement que Lassa'h avait ajouté un sort anti-chute à son ensorcellement de l'arche...
- Tu es sûr que ça va ?
- Ouais. Ouais... je vais aller me coucher. La journée a été longue.
Man camarade esquissa un sourire timide, puis hocha la tête avant de s'écarter de moi pour gagner la sortie. Je contemplais son dos quelques instants, oscillant entre l'envie de lea rejoindre et celle de lea laisser partir pour pouvoir m’apitoyer sur mon sort en paix.
La décision me fut arrachée par Lassa'h, qui se retourna brusquement :
- Au fait. Est-ce que je dois prendre quelque chose pour ce week-end ?
Je lea regardait sans comprendre.
- Pour ta famille.
- Oh. Euuuuuuuuuuuuuuuuuuuh... rien ? Fin... mes parentes ont tout ce qui leur faut alors...
Iel resta silencieu.se, puis hocha la tête avant d'enchaîner :
- Tu as finis ici ?
- Oui.
- On rentres aux dortoirs ?
- J... oui. J'arrive.
Le suite ne mérite pas vraiment d'être racontée : nous avons quitté l'étage abritant la salle de classe par un des sorts d'ascension magique (je n'ai pas eu le cran de dire à Lassa'h que je n'aimais pas ça) et regagné.es nos pénates respectives sans que je songe une seconde à lui demander si sa chambre avait une nouvelle porte. A vrai dire, on a pas parlé de grand chose durant notre trajet, ce dont je fus reconnaissante. Surtout que nos silences n'avaient rien d'inconfortable, ce qui augurait plutôt des bonnes choses pour la suite. Nous nous séparâmes à l'entrée de l'étage, Lassa'h partant dans le couloir de droite pendant que je filais dans celui de gauche. Sans surprise vu l'heure à laquelle je rentrais, je trouvais mon salon désert et la porte de la chambre d'Amari fermée, signe qu'elle devait être en train de dormir. Ou qu'elle voulait la paix. Ou les deux. Bref.
Je me glissais sans bruit jusqu'à la mienne, abandonnait mes chaussures sur le seuil, puis m'écroulais sur mon lit, m'enfonçant ma brosse à reluire dans les côtes.
Mrade.
J'avais encore oublié mon harnais.
Je m'en débarrassais sans élégance, le laissant tomber au sol avec la vague intention de le ranger en me réveillant le lendemain, et sombrait dans un sommeil profond, que mon réveil interrompit sauvagement huit heures plus tard.
- Gniiiiiiiiii
Je déteste les réveils.
Les miens implosent régulièrement tellement je les détestes.
Malheureusement, mon rythme de sommeil adolescent étant hautement incompatible avec celui de l'école, impossible de m'en dispenser.
Vivement la fin du cursus...
Avec un grognement contrarié, je roulais en dehors de mon lit avec ma couverture. M'en servant de robe de chambre, je traînais ma misère jusqu'à la salle d'eau où une douche chaude attendait ma carcasse. Mieux réveillée après cette dernière (ou du moins, moins grognonne d'avoir été obligée de sortir du lit), j'allais récupérer mon harnais (que ma chambre avait gentiment rangé à sa place), mon sac de cours, le thermos fumant de café magiquement apparu sur la table basse du salon, puis filais en classe sans attendre Amari : vu l'heure, j'étais en retard, et elle assise en cours depuis un moment. Elle avait même sûrement pu prendre un petit déjeuner.
La veinarde.
Elle n'avait aucuns problèmes pour se réveiller à 5 heures tous les matins, fraîche et dispose, alors que moi, j'avais dû choisir entre manger le matin et dormir plus longtemps.
Sans surprise, le sommeil avait gagné.
A cause de ça j'avais l'habitude d'avoir les couloirs de l'école pour moi toute seule tandis que je traçais vers l'aile des salles de classes, et donc de pouvoir y aller en pilote automatique (et de continuer de dormir à moitié sur le trajet). Heureusement pour moi que le plan des cours en fin de semaine était toujours le même... Sinon j'aurai eu l'air bien débile à débarquer dans des classes qui n'étaient pas les miennes.
Si une bonne partie de la semaine était dévolue aux études magiques (théoriques comme pratiques), l'administration avait décidé de consacrer le dernier jour et demi aux études plus classiques : en général, on avait pratique sportive et artistique le jeudi après-midi, et un condensé des matières « utiles » le vendredi. Ma journée commençait donc par deux heures de langues, puis enchaînait avec les matières scientifiques et finissais avec un de mes cours classique préféré : l'économie ménagère.
Rigolez pas.
Meilleur cours pour an mage de cuisine.
On apprenait à s'occuper d'un chez soi, à faire de la cuisine, remplir des formulaires administratifs, lire une feuille de paie... bref, les trucs utiles pour vivre en autonomie une fois qu'on à quitté la maison quoi.
Autant vous dire qu'avec mon ascendance, j'y cartonnais sans vraiment d'efforts.
Et que pas mal de mes camarades faisaient sauter ces cours dès qu'iels en avaient l'occasion.
En même temps... ces cours là n'étaient pas notés. Ce que je trouvais idiot2.
Baillant à m'en décrocher la mâchoire, je dévalais les marches pour rejoindre le Périf', et ne m'arrêtais que le temps d'ouvrir le thermos. Deux gorgées de café à réveiller les morts plus tard, je faisais le tour de l'école au pas de course pour m'échouer près d'Amari exactement deux minutes avant l'entrée de notre prof. Cette dernière me jeta un coup d'oeil amusé, et un petit muffin atterri sur mes genoux.
- Tu es mon héroïne...
Elle pouffa.
- Reste discrete en mangeant.
- Mh mh3.
Heureusement pour moi, Amari avait choisit la table la plus éloignée de l'estrade sur laquelle notre professeur de Sanskrit venait de prendre place, ce qui fit que je pu manger en toute discrétion. Et torpiller mon thermos. Meilleur matin.
Enfin, jusqu'à l'interclasse.
Ça a commencé par une bourrade dans le dos, un truc assez léger pour que je pense à un accident : on était en train de sortir, la porte de la salle n'est pas très large, ça peut arriver. Mais il y a eu une nouvelle bourrade dans le couloir, puis quelqu'an m'a carrément accroché mon sac, qui pendait à mon épaule, et manqué de le renverser au sol.
Le temps que je pousse un « HEY ! » sonore, une main à saisi mon harnais pour tirer dessus.
Clairement, on était au delà de l'accidentel.
Nerveuse, je cherchais Amari du regard, mais la foule des élèves nous avait séparré.es. De là où j'étais, je pouvais voir son afro, difficilement contenue dans un de ses foulards préféré, qui s'éloignait vers notre prochaine salle. Et entre elle et moi, des dos, des visages, des sacs, et un sentiment confus de panique. Avant que cette dernière ne me submerge complètement, je me frayais un chemin entre les élèves pour pouvoir me placer contre un mur. Avec un peu de chance, ça m'éviterai de me faire attaquer de ce côté là.
Mais alors que j'atteignais mon but, une bourrade plus violente que les autres me projeta carrément contre la pierre, et il s'en fallut de peu que mon front n'aille embrasser ce dernier sans aucune retenue. Et loin de moi l'idée de vouloir contrarier des romances, mais cette absence d'intimité occipitale me soulagea grandement. D'autant que, jaloux, l'arrière de mon crâne décida, LUI, d'embrasser le mur, lorsque la personne qui m'avais poussé me retourna comme une crêpe pour que je lui fasse face.
Sans surprise, je me retrouvais face à un Yriel très content de lui, et avec un peu plus de surprise, à un Arën au visage assombrit par la contrariété. Frottant mon crâne d'une main, je les assassinais tous deux du regard (même si mon cœur faisait des petits loopings stupides à cause de ma proximité avec Arën).
- Vous voulez quoi ? Le prochain cours commence 5 minutes.
- On veut savoir ce qu'il s'est passé hier, marmonna Arën.
Malgré la douleur et l'énervement, je réussi à afficher un air aussi perplexe qu’innocent :
- Hier. C'est large comme indication.
Soyons honnête, ce n'aurait pas été Arën, je me serais probablement mis à raconter ma journée par le menu, juste pour le plaisir d'emmrader man interlocuteurice. En commençant par la sensation de ma joue collée par la bave sur mon oreiller. Mais n'étant pas encore remise de mon crush sur lui, j'avais encore un peu envie de me faire bien voir...
- C'est vrai que tu as finis l'examen hier soir ?
- Euh... ouais ?... C'était pas affiché dans le hall ce matin ?
Mes deux interlocuteurs s'entre-regardèrent.
- Non.
Bizarre ça. Je rangeais l'information dans un coin de ma tête pour plus tard. Surtout que, d'après moi, une victoire ex-æquo, première en son genre dans l'histoire de l'école, aurait mérité d'être célébrée et affichée un peu partout. Est-ce que ça faisait partie du projet de la professeur Huamaní ? Alors que je me perdais en conjecture, Yriel, lui, perdit patience et sa main tapa sèchement contre le mur juste à côté de mon oreille, me faisant sursauter.
- Hey !
Il se pencha vers voir, jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'à une dizaine de centimètres du mien.
- Focus Erhlich. Hier. Tu as volé la victoire à Lassa'h.
Douce magie... positionné comme ça, Yriel ressemblait trop à bad boy de shôjo4 pour ma capacité d'attention. Je dû me faire violence pour ne pas me mettre à pouffer.
- J'ai rien volé du tout. On a travaillé ensemble, et on a résolu la dernière énigme. Point. Maintenant pousses-toi, ça me perturbe de voir tes points noirs d'aussi près...
Bon, j'avoue, c'est pas super malin de ma part de sortir ce genre de punch-line alors que la personne est littéralement à portée de coup de tête. Et il est possible que j'ai eu les jambes en cotons quand Yriel fit semblant de m'en mettre un, avant de se reculer, tiré en arrière par Arën.
- Yriel... calme-toi ok ? (mon crush me fit l'aumône d'un regard) Ce qu'il veut dire, c'est qu'on s'inquiète. Lassa'h n'a jamais eu besoin d'aide pour les exams, et la dernière fois qu'on t'a vu, tu étais accrochée au plafond par un piège pour première année.
Outch, ça piquait ça...
- Alors comprends qu'on trouve bizarre que vous ayez finit les énigmes en même temps. Surtout qu'après tu lui a hurlé dessus en pleine cafet' pour bien lui faire savoir que tu voulais pas d'elliu dans ton entourage...
Re-outch.
Je haussais les épaules et rajustais mon sac à dos.
- Pourtant c'est ce qu'il s'est passé. Vous avez qu'à demander à Lassa'h.
Nouvel échange de regard entre les deux, qui croisèrent le bras avec une belle synchronie.
- Iel veut pas en parler.
- Ah. Pas d'bol.
- Arrête Eden, c'est pas drôle. Non seulement iel nous parle pas, mais en plus il y a une porte qui est en train de se dessiner dans sa chambre.
Aaaaaaaaaaaaaah. Mh. Ouaip. Du coup celle dans notre salon, c'était définitivement vers la chambre de Lassa'h. Merci l'école. Ou pas.
Je passais une main sur mon visage pour me redonner contenance.
- Écoutez, c'est pas mon problème ok ? C'est vous les potes de Lassa'h, pas moi. Donc soit vous respectez son silence, soit vous lea forcez à parler, mais dans tous les cas (je m'avançais brutalement d'un pas en avant, les faisant reculer de surprise) vous me fichez la paix !
Et profitant de l'ouverture, je m'esquivais d'un pas sur le côté pour filer à fond de train vers ma prochaine salle de cours. Clairement, je ne suis pas la nana la plus couarde du monde, mais je ne suis pas la plus courageuse non plus. Disons que comme pour tout, je m'économise : hors de question de me prendre la tête ou de me bastonner avec deux gars plus grands et plus costauds que moi, sur un sujet dont ils ont clairement déjà décidé l'issue.
Filant dans le couloir qui s'était bien vidé, je parvins de justesse à leur échapper en entrant dans ma salle de classe, où, pas chance, la professeure était déjà là. M'excusant pour mon retard (contrairement à Yriel et Arën qui, s'étant engouffrés dans la salle à ma suite, se contentèrent de gagner rapidement les bureaux du fond), je m'échouais sur la première place disponible, histoire de ne pas me faire remarquer plus, et commençais à sortir mes affaires en vitesse. En me redressant après avoir posé mon sac au sol, je forçais la rencontre entre ma tempe et l'angle du bureau, ce qui faillit me tirer un juron, en plus de quelques larmes.
- Ça va ?...
- Ouais ça va (je finis de me redresser en me frottant la tête, puis la tournais vers mon interlocuteurice)... oh.
Les yeux noirs de Lassa'h me fixaient, insondables. Mais son visage, lui, exprimais de la sollicitude. Je me forçais à sourire.
- J'ai la tête dure...
- Monestre Vati. Mademoiselle Erhlich. Je sais que vous avez finis votre examen surprise, mais ce n'est pas une raison pour discuter pendant mes cours.
Le rouge me monta à la nuque sous la remontrance de la prof et je baissais les yeux vers ma table, consciente que ça ne servait à rien d'argumenter. A la périphérie de mon champ de vision Lassa'h se tendit, comme prêt.e à répliquer que nous ne discutions pas, puis sembla changer d'avis. Sa grande carcasse (iel me rend bien quinze5 centimètres, je vous l'ai déjà dit?) s'avachit en arrière sur sa chaise, et son visage devint neutre, comme si ce que disait notre enseignante ne lea concernait pas. Pour ma part, j'étais tellement mal à l'aise que j'aurais voulu pouvoir disparaître sous mon bureau : ce devait être la première fois de toute ma scolarité que je me prenais une remarque de la part du corps enseignant. Pour un truc qui s'accompagnait d'une douleur à la tempe en plus.
Et juste après m'être faite cogner contre le mur par un cratin.
C'était injuste.
Sentant les larmes monter, je pressais mes paumes dessus en reniflant aussi discrètement que possible.
Je déteste pleurer en public.
Parce qu'une fois que c'est démarré, je ne m'arrête plus. Et pendant vingt minutes ce n'est que sanglots, morve et propos incohérents.
Pénible quoi.
Pour me recentrer, j'inspirais et expirais profondément plusieurs fois avant d'oser enlever mes paumes et de retenir mon souffle.
La presque crise était passée.
Ouf.
A ce moment là, une main gantée se posa sur mon poignet.
- Tu es sûre que ça va ?
Le murmure de Lassa'h était si bas que je failli ne pas l'entendre. Penaude (et un peu touchée) je hochais simplement la tête pour ne pas risquer de ruiner tous mes efforts précédent et évitais de lea regarder.
- Ouais.
La main se retira de mon poignet puis revint avec une petite gomme logée dans la paume.
- Sort de froid. Met la sur ta tempe. C'est en train de bleuir.
Je m'exécutais, surprise et légèrement envieuse, qu'iel y ai pensé et pas moi. Bon en même temps, j'avais pris deux coups sur la tête en moins de cinq minutes...
- Merci.
- De rien. Suis le cours maintenant.
J'esquissais un sourire. Ce genre de remarque lui ressemblait bien.
Avec un infime hochement de tête et un début, j'accusais réception de sa consigne puis plaquait la main sur mon crâne avec un soupir de soulagement : le froid faisait un bien fou. Tout en suivant le cours tant bien que mal, je finis par déplacer la gomme de ma tempe à la bosse en train de se former à l'arrière de mon crâne, puis de nouveau à ma tempe, et ainsi de suite, pour garder la douleur à distance.
J'aurai pu continuer un moment et finir par avoir une sacrée crampe à l'épaule si Lassa'h n'était pas de nouveau intervenu.e. Alors que je ramenais la gomme sur ma tempe, je l'aperçue en train de tendre le bras afin de pouvoir positionner sa main derrière mon crâne. Dans la seconde qui suivit, une immense sensation de bien être m’envahis, comme si on avait coupé l'accès à la douleur.
Puis une faible odeur de menthe me parvins aux narines, et j'identifiais le marqueur d'un sort de soin de magie intermédiaire qu'on était censé.es apprendre en fin de deuxième année.
La main se retira de ma tête, et je me risquais à regarder man camarade.
Cexte derniè.re fixait attentivement le tableau sans prendre de notes, apparemment souverainement indifférent.e à ma présence.
Je touchais furtivement l'arrière de mon crâne.
Plus de bosse.
Et si j'avais eu un miroir, je suis sûre que j'aurai pu constater la disparition de mon bleu sur la tempe.
Déchirant un bout de mon cahier, je griffonnais un rapide « merci » dessus pour le posait sur la partie de bureau de Lassa'h, sans lea regarder.
Je venais de réaliser qu'iel m'avais touchée.
Deux fois.
Et à en juger par la chair de poule qui hérissait les petits cheveux sur ma nuque, ça n'avait pas échappé à ses colocataires.
J'étais pas sortie du sable...
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1Comme mes parentes, malgré leur ouverture d'esprit sur d'autres sujets. Ce qui faisait que comme beaucoup de jeune mage de ma génération et condition, je n'étais pas allée à l'école public, mais aux classes données par les membres de notre communauté.
2Même si bon, au milieu d'un examens surprise, pouvoir sauter cette classe arrangeait beaucoup de monde je suppose...
3Je suis bien élevée, je ne parle pas la bouche pleine.
4Un style de bande dessinée issue de la culture japonaise, dans lequel se trouvent pas mal de comédies romantiques collégiennes, et où ça arrive souvent que le garçon soit un faux bad boy qui coince la fille entre le mur et lui, en plaquant sa main à côté de son oreille.
Comment je le sais ?
J'ai des sœurs. Et une passion pour ce type d'histoires, parce que quoi qu'il arrive, elles se finissent bien...
5Oui bon d'accord, 20 cm.