Le 08 mai 1674, bureau de Messagerie, Dijon
Lorsqu'elle posa pied à terre, ses lombaires crièrent de douleur tandis qu'un homme criait d'un ton autoritaire que l'on fasse place dans la rue !
Un équipage luxueux entra alors dans la cour du bureau de messagerie frappé d'armes nobles et sitôt la voiture immobilisée, un laquais en livrée posté à l'arrière, sauta et vint s'enquérir avec le directeur d'une certaine chose. Il s'avérait qu'il cherchait le carrosse qui arrivait de Clermont-Ferrand puisque le directeur en réajustant ses bésicles, le lui désigna d'un mouvement de main expéditif. Le laquais partit sans demander son reste et fondit sur le postillon qui disparaissait vers les écuries avec un palefrenier.
Le laquais parla peu avec l'homme aux jambes arquées, plein de poussière et de lassitude, la mine sèche et à la peau déshydratée et le quitta prestement. Édith, qui se fustigeait d'avoir suivi du regard cette étrange apparition et étrange serviteur, détourna vitement les yeux quand il arriva vers elle. Elle supposa néanmoins qu'il venait pour les autres passagers ; or, il s'arrêta devant elle et Jacquemine, aucunement impressionnée, allait lui enjoindre de lui dire ce qu'il amenait à se planter là comme une roseau de rivière, mais elle fut devancée.
— Pardonnez-moi, êtes-vous mademoiselle de Montgey, la demoiselle qu'attend Son Altesse Royale Mademoiselle, la duchesse de Montpensier ?
Ébahie de constater que les nouvelles allaient à la vitesse d'un régiment de cavalerie sur un champ de bataille, Édith, désarçonnée par cette entrée en matière directe, hocha la tête, faute de pouvoir répondre.
À son acquiescement, le laquais fut soulagé et l'invita, tout comme Jacquemine, à prendre place dans le carrosse que la duchesse lui avait envoyé.
Édith coula un regard en douce à sa servante, il fallait encore supporter un voyage... C'était une pénible perspective, cependant, il fallait s'y plier afin de ne point froisser l'attention que lui avait portée Son Altesse Royale la duchesse de Montpensier. D'ailleurs la mention de « Son Altesse Royale » l'avait fait pâlir et agité son cœur, ainsi tout était vraiment sérieux, elle ne rêvait point... Elle n'était plus à Montgey...
Avec toute la grâce dont elle put faire preuve, Édith monta dans la voiture, Jacquemine sur ses talons. Elle entendit le bruit sec de sa portière quand le laquais l'avait fermée derrière sa servante et le reniflement des naseaux des chevaux lorsque le cocher fit claquer le fouet. Le carrosse se mit en branle et bientôt Édith retrouva le tapage dijonnais qu'elle avait ouï au moment où son transport de messagerie avait pénétré la ville.
Léchée par les faibles rayons du soleil, Dijon la belle était une ville grouillante de vie. Territoire des gens de la rue, car les habitants se façonnaient dans la rue et par la rue, les voies de circulation étaient encombrées : de tous côtés, marchands ambulants, chaise à porteurs, simple passant ou religieux, soldats ou commissaire, bourgeoise ou simple fille de cuisine ou de joie, se croisaient sempiternellement dans ce royaume dans le royaume depuis l'installation de la Cour.
Édith ne fut point informée de la direction que prenait son transport et en éprouva un certain désagrément, elle n'aimait point être ballottée tel un sac de farine et amenée comme du bétail dans un lieu inconnu. Cependant, c'était sans doute une manie des gens de pouvoir que d'ordonner sans se justifier.
À un carrefour aux ruelles serrées aux longues maisons à pans de bois collées les unes contre les autres, un cavalier tempêtait. Alertée par le bruit de ses protestations, Édith se permit de pousser le rideau de velours et de sortir la tête par la fenêtre, d'autant que le carrosse était arrêté en raison de ce que ce monsieur vociférait.
L'individu avait fière allure de dos avec son large chapeau à plumes et manœuvrait son cheval avec aisance alors que la bête s'agaçait et remuait nerveusement, faisant craindre qu'elle ne cabrât.
— Monsieur, ayez la décence de vous ôter du chemin, nous sommes pressés ! l'apostropha le laquais qui était venu la trouver au bureau de messagerie.
Édith avait reconnu sa voix.
— Monsieur ! reprit-il agacé.
— J'ai entendu mon brave ! répondit le cavalier tout aussi remonté. Mais cela n'est point ma faute, un jean-foutre de cocher a renversé un pauvre vinaigrier qui battait le pavé avec sa brouette et son tonneau de vinaigre ! Le voilà par terre, la tête en sang ! Il se plaint de douleur à l'abdomen et au crâne. J'ai fait appeler un chirurgien !
— Et ? Qu'est-ce là notre affaire ?
— La vôtre ? ricana le cavalier.
Il baissa les yeux et reluqua les armoiries peintes sur la portières du carrosse et son humeur s'envenima derechef.
— Attention mon brave, votre verbe devient imprudent et il pourrait vous perdre !
Ce faisant, il approcha son cheval à la hauteur du carrosse de la duchesse de Montpensier tandis qu'Édith se reculait dans l'ombre de l'habitacle. Ayant aperçu son mouvement, le cavalier se pencha vers le carreau ouvert, poussa le rideau de velours d'un geste souple et darda son regard inflexible sur la demoiselle.
— Ne vous cachez pas mademoiselle, voyez ce que vous avait fait... Après tout, quand on est responsable d'une telle bassesse, on ne se replie pas dans son terrier comme un renard, cela ne sied point à vos procédés !
Édith fut soufflée par cette accusation ! Qui était ce pédant orgueilleux ! Ce fat ! Il n'était pas même vieux ! Il avait tout au plus quelques années de plus qu'elle ! Quelle indécence de l'accuser d'un accident qui n'était pas de son fait !
L'odieux personnage s'étant éloigné sur sa monture à l'annonce de l'arrivée du chirurgien, Édith en profita pour ressortir sa tête, car le carrefour était toujours bloqué et personne n'aidait à le désencombrer.
La demoiselle vit à grand-peine le corps du gisant au sol qui baragouinait sa douleur, tant l'attroupement à la venue du chirurgien s'était resserré autour du malheureux tel un essaim d'abeilles bourdonnant. Édith ne pouvait rien observer et en râla, son agacement fut rapidement accru par la seule chose qui se distinguait dans la foule : la silhouette désagréable du pédant ! Surplombant une mer de bonnets et de chapeaux qui faisait un tapis à la hauteur du garrot de sa monture, le cavalier criait de faire place avec tant d'autorité dans la voix que la presse se sépara immédiatement en deux rangs. Il fit avancer son cheval vers le blessé soutenu par un homme et le chirurgien, celui-ci baissa la tête, impuissant, et cela suffit à raviver la rage du cavalier.
Il revint, belliqueux, à la fenêtre du carrosse et cette fois-ci Édith ne se replia point dans l'habitacle ! L'épée de son interlocuteur brillait à sa ceinture et cela renforça l'allure menaçante qui se dégageait de sa personne.
Pourtant, Édith soutint son regard assassin où perçait un dégoût marqué, avec grandeur et courage.
— Réjouissez-vous, vous venez de remporter cette manche mais pas la guerre !
Il repartit sur le champ après lui avoir jeté cette accusation à la figure avec la plus pure haine.
Outrée par l'infect comportement du cavalier, la demoiselle voulut descendre de la voiture et lui hurler des politesses acides mais Jacquemine la retint, il n'était pas convenable de faire cela, de surcroît, elle n'avait rien à se reprocher.
— Tout juste, ma Jacquemine, tout juste, mais je n'aime point ce ton fielleux ! Si j'apprends qui il est, je lui ferai payer !
Pendant ce temps, la foule s'était dispersée et la circulation avait repris son train coutumier quand étaient apparus un commissaire et un greffier au coin de la rue, et bien vite, Édith avait compris que le pauvre vinaigrier était mort.
Encore un très bin chapitre ! Je lirais la suite avec plaisir